Texte intégral
OLIVIER MAZEROLLE
Bonsoir Monsieur BAYROU. Le dernier sondage publié, un sondage IPSOS/LE POINT, vous place en huitième position dans la compétition présidentielle avec 4 % des suffrages. Vous avez toujours envie d'être candidat ?
FRANÇOIS BAYROU
Plus que jamais. Si vous voulez parler des sondages une minute, au mois de juillet, il y a quatre mois, Jean-Pierre CHEVENEMENT était à 3. Aujourd'hui...
OLIVIER MAZEROLLE
Oui, ça a changé pour lui...
FRANÇOIS BAYROU
Il a monté. Qu'est-ce qui a changé ? Jean-Pierre CHEVENEMENT n'a pas changé j'imagine, le pays n'a pas changé, c'est qu'il s'est exprimé. Moi je ne me suis pas encore exprimé ; c'est le premier rendez-vous que vous m'offrez ce soir pour le faire, parce que pendant la période de la guerre j'avais choisi réserve et peut-être même, silence. Peut-être était-ce imprudent mais tout ce que j'ai appris dans ma vie, avec mes maîtres ou dans ma famille, c'est que, quand un pays est menacé par des difficultés ou des risques aussi graves qu'une guerre, on fait passer l'essentiel, la solidarité nationale, avant les campagnes électorales, surtout quand elles sont si lointaines.
OLIVIER MAZEROLLE
Donc ce soir, c'est bien le candidat que nous recevons ?
FRANÇOIS BAYROU
Ce soir, plus que jamais c'est le candidat et je vais essayer de vous dire pourquoi. Il y a une question et une seule : est-ce que, après 2002, on continuera comme avant ou est-ce qu'on changera ? Comme avant, je veux dire avec l'une des deux équipes qui sont sortantes, l'un des deux hommes qui sont sortants, c'est-à-dire Jacques CHIRAC et Lionel JOSPIN ; l'équipe du socialisme au pouvoir aujourd'hui que je récuse et que je combats ou bien l'équipe de la droite d'avant 1997 que je crois, il est nécessaire de changer.
ALAIN DUHAMEL
Alors, en présentant votre candidature, vous l'avez mise sous le signe de la troisième voix. On vous a reproché de refuser entre la gauche et la droite ?
FRANÇOIS BAYROU
Oui, ce n'est pas juste mais je vais essayer de...
ALAIN DUHAMEL
... Mais c'est vrai qu'on vous l'a reproché...
FRANÇOIS BAYROU
De vous dire ce qu'il en est exactement. S'il s'agit de rester bien gentiment dans le rang et à sa place à l'intérieur de la droite comme elle existait, ce n'est pas mon choix. Parce que je crois que la gauche et la droite, je répète : la gauche, son idéologie n'est pas la mienne et je la combats...
ALAIN DUHAMEL
Et la droite ?
FRANÇOIS BAYROU
La droite, son organisation, ses méthodes et ses manières de faire ne sont pas les miennes. Et en réalité si l'on réfléchit, il me semble que cette gauche-là et cette droite-là se ressemblent plus qu'on ne croit. Parce que, au fond, elles ont deux points communs : technocratie est le premier. Ca veut dire pour moi, surdité.
ALAIN DUAHMEL
Et l'autre ?
FRANÇOIS BAYROU
L'autre on y viendra dans un instant. Surdité, technocratie : écoutez, regardez ce que nous venons de vivre cette semaine. Les policiers : il a fallu attendre qu'ils manifestent, que plusieurs d'entre eux se fassent tuer pour que l'on consente à débloquer à la va-vite, sans l'avoir réfléchi à l'avance, un milliard un jour, sept cent millions le lendemain dans une atmosphère...
ALAIN DUHAMEL
Mais c'est de la technocratie ça ? !
FRANÇOIS BAYROU
C'est de la technocratie parce que c'est sourd. Les cliniques privées, il a fallu attendre qu'elles renvoient les patients chez eux pour obtenir ce à quoi, après tout, elles avaient droit. Ce pouvoir sourd, ce pouvoir qui n'entend rien, qui fait qu'il faut toujours descendre dans la rue pour se faire entendre, ce pouvoir-là...
ALAIN DUHAMEL
Ca c'est la gauche et la droite c'est la même chose ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense que cette culture-là, c'est une culture qui a marqué les deux grands...
ALAIN DUHAMEL
Alors soyons directs, qu'est-ce que vous avez de substantiellement différent de Jacques CHIRAC ?
FRANÇOIS BAYROU
Attendez, vous m'avez bien dit tout à l'heure, il y a deux choses...
ALAIN DUHAMEL
... C'est vous qui l'avez dit, ce n'est pas moi...
FRANÇOIS BAYROU
Alors, je dis la deuxième, parce qu'il ne faut tout de même pas l'oublier.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors la deuxième, allons-y...
ALAIN DUHAMEL
Vite, vite pour...
FRANÇOIS BAYROU
Oui, enfin vite, on a cinq minutes pour essayer d'expliquer cela. La deuxième c'est qu'ils considèrent que le principal but c'est d'abattre l'autre camp.
ALAIN DUHAMEL
Et vous ?
FRANÇOIS BAYROU
C'est-à-dire qu'ils sont comme ces boxeurs qui, dans les coins, continuent à boxer même...
OLIVIER MAZEROLLE
Et vous, et vous ?
FRANÇOIS BAYROU
Eh bien moi, non.
OLIVIER MAZEROLLE
Ah bon ?
FRANÇOIS BAYROU
Je considère que le but principal, ça va vous étonner, mais je vais essayer de vous le dire...
OLIVIER MAZEROLLE
Attendez, parce que... !
FRANÇOIS BAYROU
Je considère que le but principal c'est de résoudre les problèmes qui ne sont pas résolus en France.
OLIVIER MAZEROLLE
D'accord.
FRANÇOIS BAYROU
Ca vous estomaque.
OLIVIER MAZEROLLE
Non, non, mais attendez, ne pas abattre l'autre camp. Mais justement vous avez parmi vous, auprès de vous des partisans qui disent " ce n'est pas possible, il attaque trop CHIRAC ". D'ailleurs moi j'ai retrouvé des phrases : " bilan accablant d'impuissance politique ; il va toujours dans le sens du vent "...
FRANÇOIS BAYROU
Bilan accablant d'impuissance politique, c'est pour ce qui se passe en France depuis vingt ans. Et si vous trouvez...
OLIVIER MAZEROLLE
... Vous parlez de Jacques CHIRAC...
FRANÇOIS BAYROU
Non, non...
OLIVIER MAZEROLLE
Il est très plastique, il est très plastique, il ne suffit pas d'aller toujours dans le sens du vent. C'est quoi ça, ce n'est pas de l'attaque ?
FRANÇOIS BAYROU
Ecoutez, je sais bien que vous ne voulez pas entendre, mais je vais le répéter quand même. Il y a vingt ans que droite et gauche, l'une après l'autre, les problèmes demeurent et s'aggravent. Les banlieues...
ALAIN DUHAMEL
On va y venir, on va y venir...
FRANÇOIS BAYROU
Ce n'est pas les quartiers chic dans lesquels..., les banlieues sont dans une situation qui est une situation désespérante et désespérée...
OLIVIER MAZEROLLE
D'accord, d'accord mais est-ce que vous pouvez gagner une élection présidentielle en vous attaquant à Jacques CHIRAC qui fait partie d'un camp auquel vous appartenez ?
FRANÇOIS BAYROU
Pardonnez-moi mais...
ALAIN DUHAMEL
Quelle est votre différence avec lui ?
FRANÇOIS BAYROU
Je vais y venir, l'un après l'autre.
ALAIN DUHAMEL
Non, c'est la même chose ?
FRANÇOIS BAYROU
En 1981 Jacques CHIRAC s'est présenté contre Valéry GISCARD d'ESTAING, je n'ai pas le souvenir que la campagne ait choqué à l'époque, c'est une compétition. Je ne suis pas candidat contre Jacques CHIRAC, je suis candidat contre l'échec d'un système depuis 20 ans. Je suis candidat contre la paralysie et l'impuissance dans laquelle on vit. Il se trouve que Jacques CHIRAC est sortant.
ALAIN DUHAMEL
Très bien, mais quelle est la différence, avec vous ?
FRANÇOIS BAYROU
Je vais essayer de vous la dire. Ma différence est celle-ci. Il y a des points sur lesquels nous sommes en accord et nous avons des idées qui ne sont pas étrangères l'une à l'autre. Mais ma différence est celle-ci. Il y a des sujets sur lesquels je considère qu'il faut sortir des affrontements de camp contre camp.
OLIVIER MAZEROLLE
C'est-à-dire ?
FRANÇOIS BAYROU
J'en cite deux : les banlieues et la sécurité.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors justement, la sécurité...
FRANÇOIS BAYROU
Ce sont des sujets, alors vous me laisser aller jusqu'au bout de ma phrase, ce sont des sujets sur lesquels je dis, c'est ma proposition différente de tous les autres candidats, je dis que sur ces sujets-là il faut être capable de renoncer aux affrontements dans lesquels on vit, et il faut mettre en demeure les principaux courants politiques du pays de résoudre les problèmes en travaillant ensemble, s'il le faut.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors vous êtes président de la République, comment vous vous attaquez au problème de l'insécurité ?
FRANÇOIS BAYROU
La première chose que je fais, je crée et c'est incroyable que ça n'existe pas en France, un ministère de la Sécurité. En France, on a la police d'un côté, dans un ministère, la gendarmerie dans un deuxième ministère, la douane dans un troisième ministère, ce n'est pas les mêmes responsables et ça n'est pas un homme qui peut répondre devant le pays. Je crée un ministère de la Sécurité. Deuxièmement, je donne aux élus locaux la responsabilité de l'action qui est celle de service de sécurité. Troisièmement, je pense que pour, je vais employer un mot fort, la reconquête de ces centaines de quartiers dans lesquels la police ou les pompiers, ou les ambulanciers, ou les médecins du SAMU ne peuvent pas entrer sans être menacés d'agressions ou de guet-apens, il faut sans doute constituer une force de police nouvelle qui ait l'expérience de cette police d'ordre urbain.
OLIVIER MAZEROLLE
Mais c'est l'occupation des quartiers cette police nouvelle, cette...
FRANÇOIS BAYROU
Oui, mais vous voyez comme, dès l'instant qu'on essaie de dire des choses fermes et je veux dire des choses fermes, dès l'instant qu'on essaie de dire des choses fermes, à ce moment-là une espèce de sentiment de mollesse s'empare, y compris des commentateurs des plus séduisants, comme vous.
OLIVIER MAZEROLLE
Non, j'ai posé une question...
ALAIN DUHAMEL
Moi je voudrais poser une question....
FRANÇOIS BAYROU
Voilà.. et donc je dis, je dis qu'en effet la fermeté, il faut qu'elle soit désormais assumée. Et la fermeté, je considère qu'elle est mieux assumée par des modérées que par des extrémistes. Donc vous voyez la différence. Ces sujets-là, il faut qu'ils échappent aux combats de camps parce que, quand les petits caïds de la rue trouvent en face d'eux des politiques divisés et en bagarrent les uns contre les autres, ils sont les rois du terrain.
ALAIN DUHAMEL
François BAYROU, tout le monde dit qu'en ce moment il y a une crise de l'intégration des Beurs. Est-ce que vous avez une idée pour essayer d'y remédier ?
FRANÇOIS BAYROU
Oui, il y a une crise d'intégration des Beurs. J'étais à Marseille et j'ai passé avec eux un très long temps, dans les quartiers et à l'école de la deuxième chance que j'avais aidé à créer. Et quand on parle avec eux, pour dire le : qu'est-ce qui vous manque le plus dans la cité ? Qu'est-ce qui fait que rien ne va ? Ils disent : " nous n'avons rien à faire ". Si vous ne donnez pas du travail dans les cités, la délinquance, la violence continueront parce qu'elles sont les fruits directs de cet abandon-là.
ALAIN DUHAMEL
Alors qu'est-ce que vous faites pour donner du travail dans les cités ?
FRANÇOIS BAYROU
Par exemple deux choses. J'ai été très frappé, c'est ce que m'ont dit les jeunes qui étaient là, ils disent : on dépense beaucoup d'argent en ce moment pour réhabiliter les cités, les bâtiments repeints, etc. Pourquoi est-ce qu'on ne nous les fait pas faire à nous ? Pourquoi on n'offre pas aux jeunes des cités, la possibilité de réparer eux-mêmes leur cité ? Et ils disaient une chose qui m'a beaucoup frappé. Ils m'ont dit : vous savez, si c'est nous qui faisons le travail, on ne taguera pas derrière, nous on règlera la question, on empêchera que l'on tague. Et deuxième chose, zones franches, on a créé des zones franches, ça a marché couci-couça. D'ailleurs l'avenir n'est pas assuré, c'est-à-dire, la règle ou la liberté que des entreprises qui s'installent là ne paient pas d'impôts.
ALAIN DUHAMEL
Oui, c'était un gouvernement auquel vous apparteniez.
FRANÇOIS BAYROU
Absolument. Moi je dirais : " qui ne paient pas d'impôts, à condition qu'ils emploient des jeunes des cités ".
OLIVIER MAZEROLLE
Bien. Monsieur BAYROU, au début vous parliez beaucoup de l'Europe. Vous avez dit notamment : j'aimerais un président pour l'Europe. Mais vous croyez vraiment que les Français seraient prêts à accepter un président de nationalité, je ne sais pas, autrichienne, grecque, suédoise.
FRANÇOIS BAYROU
OLIVIER MAZEROLLE, il ne vous aura pas échappé qu'il y a un président.
OLIVIER MAZEROLLE
Oui, mais il n'est pas...
FRANÇOIS BAYROU
La différence, c'est qu'il n'est pas élu. Il y a un président, il s'appelle Monsieur PRODI, il est président de la Commission.
OLIVIER MAZEROLLE
Oui, mais la population ne le connaît pratiquement pas...
FRANÇOIS BAYROU
Voilà. Vous voyez que vous dites en même temps, la question et la réponse.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors dans votre cas, votre président...
FRANÇOIS BAYROU
Si je veux un président...
OLIVIER MAZEROLLE
Le président tel que vous le concevez, il aurait quelle fonction de plus que le président actuel que personne ne connaît ?
FRANÇOIS BAYROU
Il aurait les fonctions du président actuel, mais il serait connu par tout le monde et il serait la voix et le visage de l'Europe. Et de surcroît, je voudrais qu'il compose la Commission, c'est-à-dire, allez on va simplifier, le gouvernement européen, lui-même, qu'il soit responsable. Le monde dans lequel nous vivons, au fond, si vous permettez, les questions que nous venons d'aborder, elles ont l'air éloignées l'une de l'autre, en réalité, elles sont très proches. Il n'y a jamais de responsable. Il n'y a pas de responsable qu'on puisse interpeller en Europe. Il n'y a pas de responsable que l'on puisse interpeller sur les problèmes de sécurité.
ALAIN DUHAMEL
Alors deux dernières questions. La première : si vous êtes élu président de la République, quelle place vous laissez à votre Premier ministre ? Vous êtes un président qui préside ou qui gouverne ?
FRANÇOIS BAYROU
Alors la première chose, si je suis élu, permettez-moi de le dire, quelque chose aura été réalisé en France qu'on attend désespérément, qui est une relève. Ca fait vingt ans que ce sont les mêmes. Je recevais tout à l'heure une personnalité éminente d'un pays qui ami, qui revient à Paris. Il me disait : c'est formidable je suis parti à vingt ans, je n'ai pas eu besoin de changer mon carnet d'adresses, ce sont toujours les mêmes qui sont là.
ALAIN DUHAMEL
Donc relève. Mais qu'est-ce que vous laissez comme place à votre Premier ministre, en substance ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense que c'est au président de la République d'assumer le gouvernement, en première ligne. S'il est élu au suffrage universel, c'est à lui d'être le patron et c'est en effet une différence forte avec ce que nous avons connu aujourd'hui. Le Premier ministre est là pour coordonner l'action du gouvernement, pour le faire agir, parce qu'un homme seul ne peut pas tout faire. Mais pour moi, ce sera le président de la République qui assumera devant les Français, la politique suivie.
ALAIN DUHAMEL
Alors Jacques CHIRAC entame le dernier semestre de son septennat. Tout compte fait, ça aura été un bon président ou pas ?
FRANÇOIS BAYROU
C'est-à-dire qu'on n'a pas pu en juger parce que la cohabitation qui a été provoquée par la dissolution de 1997, le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle ne lui a pas laissé beaucoup de place.
ALAIN DUHAMEL
Il a été bon ou pas bon ?
FRANÇOIS BAYROU
Comme représentation de la France à l'extérieur, pour moi il a été un président bon, acceptable en tout cas. Simplement, je n'ai pas reconnu dans son action ce qu'il avait dit au moment de son élection. Il disait, en 1995, des choses très proches de celles que je dis aujourd'hui sur la technocratie, sur la fracture sociale. Le moins qu'on en puisse dire, c'est qu'on n'a pas retrouvé...
OLIVIER MAZEROLLE
Alors vous, si vous étiez élu, vous tiendriez...
FRANÇOIS BAYROU
Je ne ferais pas comme lui, je serais responsable et comptable des promesses que j'aurais faites aux Français.
OLIVIER MAZEROLLE
Merci Monsieur BAYROU.
(source http://www.udf.org, le 21 novembre 2001)
Bonsoir Monsieur BAYROU. Le dernier sondage publié, un sondage IPSOS/LE POINT, vous place en huitième position dans la compétition présidentielle avec 4 % des suffrages. Vous avez toujours envie d'être candidat ?
FRANÇOIS BAYROU
Plus que jamais. Si vous voulez parler des sondages une minute, au mois de juillet, il y a quatre mois, Jean-Pierre CHEVENEMENT était à 3. Aujourd'hui...
OLIVIER MAZEROLLE
Oui, ça a changé pour lui...
FRANÇOIS BAYROU
Il a monté. Qu'est-ce qui a changé ? Jean-Pierre CHEVENEMENT n'a pas changé j'imagine, le pays n'a pas changé, c'est qu'il s'est exprimé. Moi je ne me suis pas encore exprimé ; c'est le premier rendez-vous que vous m'offrez ce soir pour le faire, parce que pendant la période de la guerre j'avais choisi réserve et peut-être même, silence. Peut-être était-ce imprudent mais tout ce que j'ai appris dans ma vie, avec mes maîtres ou dans ma famille, c'est que, quand un pays est menacé par des difficultés ou des risques aussi graves qu'une guerre, on fait passer l'essentiel, la solidarité nationale, avant les campagnes électorales, surtout quand elles sont si lointaines.
OLIVIER MAZEROLLE
Donc ce soir, c'est bien le candidat que nous recevons ?
FRANÇOIS BAYROU
Ce soir, plus que jamais c'est le candidat et je vais essayer de vous dire pourquoi. Il y a une question et une seule : est-ce que, après 2002, on continuera comme avant ou est-ce qu'on changera ? Comme avant, je veux dire avec l'une des deux équipes qui sont sortantes, l'un des deux hommes qui sont sortants, c'est-à-dire Jacques CHIRAC et Lionel JOSPIN ; l'équipe du socialisme au pouvoir aujourd'hui que je récuse et que je combats ou bien l'équipe de la droite d'avant 1997 que je crois, il est nécessaire de changer.
ALAIN DUHAMEL
Alors, en présentant votre candidature, vous l'avez mise sous le signe de la troisième voix. On vous a reproché de refuser entre la gauche et la droite ?
FRANÇOIS BAYROU
Oui, ce n'est pas juste mais je vais essayer de...
ALAIN DUHAMEL
... Mais c'est vrai qu'on vous l'a reproché...
FRANÇOIS BAYROU
De vous dire ce qu'il en est exactement. S'il s'agit de rester bien gentiment dans le rang et à sa place à l'intérieur de la droite comme elle existait, ce n'est pas mon choix. Parce que je crois que la gauche et la droite, je répète : la gauche, son idéologie n'est pas la mienne et je la combats...
ALAIN DUHAMEL
Et la droite ?
FRANÇOIS BAYROU
La droite, son organisation, ses méthodes et ses manières de faire ne sont pas les miennes. Et en réalité si l'on réfléchit, il me semble que cette gauche-là et cette droite-là se ressemblent plus qu'on ne croit. Parce que, au fond, elles ont deux points communs : technocratie est le premier. Ca veut dire pour moi, surdité.
ALAIN DUAHMEL
Et l'autre ?
FRANÇOIS BAYROU
L'autre on y viendra dans un instant. Surdité, technocratie : écoutez, regardez ce que nous venons de vivre cette semaine. Les policiers : il a fallu attendre qu'ils manifestent, que plusieurs d'entre eux se fassent tuer pour que l'on consente à débloquer à la va-vite, sans l'avoir réfléchi à l'avance, un milliard un jour, sept cent millions le lendemain dans une atmosphère...
ALAIN DUHAMEL
Mais c'est de la technocratie ça ? !
FRANÇOIS BAYROU
C'est de la technocratie parce que c'est sourd. Les cliniques privées, il a fallu attendre qu'elles renvoient les patients chez eux pour obtenir ce à quoi, après tout, elles avaient droit. Ce pouvoir sourd, ce pouvoir qui n'entend rien, qui fait qu'il faut toujours descendre dans la rue pour se faire entendre, ce pouvoir-là...
ALAIN DUHAMEL
Ca c'est la gauche et la droite c'est la même chose ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense que cette culture-là, c'est une culture qui a marqué les deux grands...
ALAIN DUHAMEL
Alors soyons directs, qu'est-ce que vous avez de substantiellement différent de Jacques CHIRAC ?
FRANÇOIS BAYROU
Attendez, vous m'avez bien dit tout à l'heure, il y a deux choses...
ALAIN DUHAMEL
... C'est vous qui l'avez dit, ce n'est pas moi...
FRANÇOIS BAYROU
Alors, je dis la deuxième, parce qu'il ne faut tout de même pas l'oublier.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors la deuxième, allons-y...
ALAIN DUHAMEL
Vite, vite pour...
FRANÇOIS BAYROU
Oui, enfin vite, on a cinq minutes pour essayer d'expliquer cela. La deuxième c'est qu'ils considèrent que le principal but c'est d'abattre l'autre camp.
ALAIN DUHAMEL
Et vous ?
FRANÇOIS BAYROU
C'est-à-dire qu'ils sont comme ces boxeurs qui, dans les coins, continuent à boxer même...
OLIVIER MAZEROLLE
Et vous, et vous ?
FRANÇOIS BAYROU
Eh bien moi, non.
OLIVIER MAZEROLLE
Ah bon ?
FRANÇOIS BAYROU
Je considère que le but principal, ça va vous étonner, mais je vais essayer de vous le dire...
OLIVIER MAZEROLLE
Attendez, parce que... !
FRANÇOIS BAYROU
Je considère que le but principal c'est de résoudre les problèmes qui ne sont pas résolus en France.
OLIVIER MAZEROLLE
D'accord.
FRANÇOIS BAYROU
Ca vous estomaque.
OLIVIER MAZEROLLE
Non, non, mais attendez, ne pas abattre l'autre camp. Mais justement vous avez parmi vous, auprès de vous des partisans qui disent " ce n'est pas possible, il attaque trop CHIRAC ". D'ailleurs moi j'ai retrouvé des phrases : " bilan accablant d'impuissance politique ; il va toujours dans le sens du vent "...
FRANÇOIS BAYROU
Bilan accablant d'impuissance politique, c'est pour ce qui se passe en France depuis vingt ans. Et si vous trouvez...
OLIVIER MAZEROLLE
... Vous parlez de Jacques CHIRAC...
FRANÇOIS BAYROU
Non, non...
OLIVIER MAZEROLLE
Il est très plastique, il est très plastique, il ne suffit pas d'aller toujours dans le sens du vent. C'est quoi ça, ce n'est pas de l'attaque ?
FRANÇOIS BAYROU
Ecoutez, je sais bien que vous ne voulez pas entendre, mais je vais le répéter quand même. Il y a vingt ans que droite et gauche, l'une après l'autre, les problèmes demeurent et s'aggravent. Les banlieues...
ALAIN DUHAMEL
On va y venir, on va y venir...
FRANÇOIS BAYROU
Ce n'est pas les quartiers chic dans lesquels..., les banlieues sont dans une situation qui est une situation désespérante et désespérée...
OLIVIER MAZEROLLE
D'accord, d'accord mais est-ce que vous pouvez gagner une élection présidentielle en vous attaquant à Jacques CHIRAC qui fait partie d'un camp auquel vous appartenez ?
FRANÇOIS BAYROU
Pardonnez-moi mais...
ALAIN DUHAMEL
Quelle est votre différence avec lui ?
FRANÇOIS BAYROU
Je vais y venir, l'un après l'autre.
ALAIN DUHAMEL
Non, c'est la même chose ?
FRANÇOIS BAYROU
En 1981 Jacques CHIRAC s'est présenté contre Valéry GISCARD d'ESTAING, je n'ai pas le souvenir que la campagne ait choqué à l'époque, c'est une compétition. Je ne suis pas candidat contre Jacques CHIRAC, je suis candidat contre l'échec d'un système depuis 20 ans. Je suis candidat contre la paralysie et l'impuissance dans laquelle on vit. Il se trouve que Jacques CHIRAC est sortant.
ALAIN DUHAMEL
Très bien, mais quelle est la différence, avec vous ?
FRANÇOIS BAYROU
Je vais essayer de vous la dire. Ma différence est celle-ci. Il y a des points sur lesquels nous sommes en accord et nous avons des idées qui ne sont pas étrangères l'une à l'autre. Mais ma différence est celle-ci. Il y a des sujets sur lesquels je considère qu'il faut sortir des affrontements de camp contre camp.
OLIVIER MAZEROLLE
C'est-à-dire ?
FRANÇOIS BAYROU
J'en cite deux : les banlieues et la sécurité.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors justement, la sécurité...
FRANÇOIS BAYROU
Ce sont des sujets, alors vous me laisser aller jusqu'au bout de ma phrase, ce sont des sujets sur lesquels je dis, c'est ma proposition différente de tous les autres candidats, je dis que sur ces sujets-là il faut être capable de renoncer aux affrontements dans lesquels on vit, et il faut mettre en demeure les principaux courants politiques du pays de résoudre les problèmes en travaillant ensemble, s'il le faut.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors vous êtes président de la République, comment vous vous attaquez au problème de l'insécurité ?
FRANÇOIS BAYROU
La première chose que je fais, je crée et c'est incroyable que ça n'existe pas en France, un ministère de la Sécurité. En France, on a la police d'un côté, dans un ministère, la gendarmerie dans un deuxième ministère, la douane dans un troisième ministère, ce n'est pas les mêmes responsables et ça n'est pas un homme qui peut répondre devant le pays. Je crée un ministère de la Sécurité. Deuxièmement, je donne aux élus locaux la responsabilité de l'action qui est celle de service de sécurité. Troisièmement, je pense que pour, je vais employer un mot fort, la reconquête de ces centaines de quartiers dans lesquels la police ou les pompiers, ou les ambulanciers, ou les médecins du SAMU ne peuvent pas entrer sans être menacés d'agressions ou de guet-apens, il faut sans doute constituer une force de police nouvelle qui ait l'expérience de cette police d'ordre urbain.
OLIVIER MAZEROLLE
Mais c'est l'occupation des quartiers cette police nouvelle, cette...
FRANÇOIS BAYROU
Oui, mais vous voyez comme, dès l'instant qu'on essaie de dire des choses fermes et je veux dire des choses fermes, dès l'instant qu'on essaie de dire des choses fermes, à ce moment-là une espèce de sentiment de mollesse s'empare, y compris des commentateurs des plus séduisants, comme vous.
OLIVIER MAZEROLLE
Non, j'ai posé une question...
ALAIN DUHAMEL
Moi je voudrais poser une question....
FRANÇOIS BAYROU
Voilà.. et donc je dis, je dis qu'en effet la fermeté, il faut qu'elle soit désormais assumée. Et la fermeté, je considère qu'elle est mieux assumée par des modérées que par des extrémistes. Donc vous voyez la différence. Ces sujets-là, il faut qu'ils échappent aux combats de camps parce que, quand les petits caïds de la rue trouvent en face d'eux des politiques divisés et en bagarrent les uns contre les autres, ils sont les rois du terrain.
ALAIN DUHAMEL
François BAYROU, tout le monde dit qu'en ce moment il y a une crise de l'intégration des Beurs. Est-ce que vous avez une idée pour essayer d'y remédier ?
FRANÇOIS BAYROU
Oui, il y a une crise d'intégration des Beurs. J'étais à Marseille et j'ai passé avec eux un très long temps, dans les quartiers et à l'école de la deuxième chance que j'avais aidé à créer. Et quand on parle avec eux, pour dire le : qu'est-ce qui vous manque le plus dans la cité ? Qu'est-ce qui fait que rien ne va ? Ils disent : " nous n'avons rien à faire ". Si vous ne donnez pas du travail dans les cités, la délinquance, la violence continueront parce qu'elles sont les fruits directs de cet abandon-là.
ALAIN DUHAMEL
Alors qu'est-ce que vous faites pour donner du travail dans les cités ?
FRANÇOIS BAYROU
Par exemple deux choses. J'ai été très frappé, c'est ce que m'ont dit les jeunes qui étaient là, ils disent : on dépense beaucoup d'argent en ce moment pour réhabiliter les cités, les bâtiments repeints, etc. Pourquoi est-ce qu'on ne nous les fait pas faire à nous ? Pourquoi on n'offre pas aux jeunes des cités, la possibilité de réparer eux-mêmes leur cité ? Et ils disaient une chose qui m'a beaucoup frappé. Ils m'ont dit : vous savez, si c'est nous qui faisons le travail, on ne taguera pas derrière, nous on règlera la question, on empêchera que l'on tague. Et deuxième chose, zones franches, on a créé des zones franches, ça a marché couci-couça. D'ailleurs l'avenir n'est pas assuré, c'est-à-dire, la règle ou la liberté que des entreprises qui s'installent là ne paient pas d'impôts.
ALAIN DUHAMEL
Oui, c'était un gouvernement auquel vous apparteniez.
FRANÇOIS BAYROU
Absolument. Moi je dirais : " qui ne paient pas d'impôts, à condition qu'ils emploient des jeunes des cités ".
OLIVIER MAZEROLLE
Bien. Monsieur BAYROU, au début vous parliez beaucoup de l'Europe. Vous avez dit notamment : j'aimerais un président pour l'Europe. Mais vous croyez vraiment que les Français seraient prêts à accepter un président de nationalité, je ne sais pas, autrichienne, grecque, suédoise.
FRANÇOIS BAYROU
OLIVIER MAZEROLLE, il ne vous aura pas échappé qu'il y a un président.
OLIVIER MAZEROLLE
Oui, mais il n'est pas...
FRANÇOIS BAYROU
La différence, c'est qu'il n'est pas élu. Il y a un président, il s'appelle Monsieur PRODI, il est président de la Commission.
OLIVIER MAZEROLLE
Oui, mais la population ne le connaît pratiquement pas...
FRANÇOIS BAYROU
Voilà. Vous voyez que vous dites en même temps, la question et la réponse.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors dans votre cas, votre président...
FRANÇOIS BAYROU
Si je veux un président...
OLIVIER MAZEROLLE
Le président tel que vous le concevez, il aurait quelle fonction de plus que le président actuel que personne ne connaît ?
FRANÇOIS BAYROU
Il aurait les fonctions du président actuel, mais il serait connu par tout le monde et il serait la voix et le visage de l'Europe. Et de surcroît, je voudrais qu'il compose la Commission, c'est-à-dire, allez on va simplifier, le gouvernement européen, lui-même, qu'il soit responsable. Le monde dans lequel nous vivons, au fond, si vous permettez, les questions que nous venons d'aborder, elles ont l'air éloignées l'une de l'autre, en réalité, elles sont très proches. Il n'y a jamais de responsable. Il n'y a pas de responsable qu'on puisse interpeller en Europe. Il n'y a pas de responsable que l'on puisse interpeller sur les problèmes de sécurité.
ALAIN DUHAMEL
Alors deux dernières questions. La première : si vous êtes élu président de la République, quelle place vous laissez à votre Premier ministre ? Vous êtes un président qui préside ou qui gouverne ?
FRANÇOIS BAYROU
Alors la première chose, si je suis élu, permettez-moi de le dire, quelque chose aura été réalisé en France qu'on attend désespérément, qui est une relève. Ca fait vingt ans que ce sont les mêmes. Je recevais tout à l'heure une personnalité éminente d'un pays qui ami, qui revient à Paris. Il me disait : c'est formidable je suis parti à vingt ans, je n'ai pas eu besoin de changer mon carnet d'adresses, ce sont toujours les mêmes qui sont là.
ALAIN DUHAMEL
Donc relève. Mais qu'est-ce que vous laissez comme place à votre Premier ministre, en substance ?
FRANÇOIS BAYROU
Je pense que c'est au président de la République d'assumer le gouvernement, en première ligne. S'il est élu au suffrage universel, c'est à lui d'être le patron et c'est en effet une différence forte avec ce que nous avons connu aujourd'hui. Le Premier ministre est là pour coordonner l'action du gouvernement, pour le faire agir, parce qu'un homme seul ne peut pas tout faire. Mais pour moi, ce sera le président de la République qui assumera devant les Français, la politique suivie.
ALAIN DUHAMEL
Alors Jacques CHIRAC entame le dernier semestre de son septennat. Tout compte fait, ça aura été un bon président ou pas ?
FRANÇOIS BAYROU
C'est-à-dire qu'on n'a pas pu en juger parce que la cohabitation qui a été provoquée par la dissolution de 1997, le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle ne lui a pas laissé beaucoup de place.
ALAIN DUHAMEL
Il a été bon ou pas bon ?
FRANÇOIS BAYROU
Comme représentation de la France à l'extérieur, pour moi il a été un président bon, acceptable en tout cas. Simplement, je n'ai pas reconnu dans son action ce qu'il avait dit au moment de son élection. Il disait, en 1995, des choses très proches de celles que je dis aujourd'hui sur la technocratie, sur la fracture sociale. Le moins qu'on en puisse dire, c'est qu'on n'a pas retrouvé...
OLIVIER MAZEROLLE
Alors vous, si vous étiez élu, vous tiendriez...
FRANÇOIS BAYROU
Je ne ferais pas comme lui, je serais responsable et comptable des promesses que j'aurais faites aux Français.
OLIVIER MAZEROLLE
Merci Monsieur BAYROU.
(source http://www.udf.org, le 21 novembre 2001)