Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et de développement international, sur le maintien de la paix en environnement francophone, le traité commercial entre l'Union européenne et le Canada et sur l'utilisation d'armes chimiques en Syrie, à Paris le 27 octobre 2016.

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Circonstance : Conférence ministérielle sur le maintien de la paix en environnement francophone, à Paris le 27 octobre 2016

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Mesdames, Messieurs,
Comme vous le savez, j'ai souhaité organiser ici à Paris, avec mon collègue ministre de la défense, Jean-Yves le Drian, la première conférence ministérielle consacrée au maintien de la paix en environnement francophone. Cette conférence a commencé ce matin. C'est une conférence de haut niveau avec une trentaine de membres de gouvernement francophones et non francophones, en présence de la secrétaire générale de l'OIF, Michaëlle Jean.
Je me réjouis également que quatre pays aient accepté de co-présider cette conférence avec la France : le Bangladesh, le Sénégal, le Canada et l'Allemagne. Je tiens à nouveau à les remercier.
C'est un échange fructueux auquel nous avons assisté ce matin qui nous permet d'être optimiste sur la mobilisation de chacun pour adapter les opérations de maintien de la paix au monde d'aujourd'hui et aussi de demain. Les échanges ont été directs mais surtout constructifs et de grande qualité.
Je voudrais dire aussi l'importance que nous attachons aux opérations de maintien de la paix. Je rappelle que l'ONU déploie aujourd'hui 16 opérations de maintien de la paix, dont sept dans un environnement où le français est couramment utilisé. L'ONU consacre 60% de ses effectifs et 55% du budget des OMP pour ces sept opérations. L'espace francophone a ainsi vu se développer un maintien de la paix que je qualifierais de nouvelle génération.
Un rappel de chiffres pour terminer : 71 opérations déployées depuis 1948 ; 16 déployées à ce jour sur tous les continents ; près de 120.000 casques bleus ; 123 pays contributeurs ; un budget de près de 8 milliards de dollars. Et puis, je l'ai dit ce matin en ouvrant les travaux de cette conférence, la communauté internationale voit son travail reconnu par le Prix Nobel de la Paix qui a été accordé aux opérations de maintien de la paix en 1988.
Donc, nous avons voulu nous réunir pour parler des opérations de maintien de la paix en environnement francophone car il représente une grande partie de l'engagement politique, humain, financier du matériel de l'ONU, comme je viens de l'indiquer à travers les chiffres.
Ces opérations sont confrontées à de nombreux défis mais parfois aussi à des difficultés, voire des échecs. Mais, grâce à leurs déploiements, beaucoup de pays ont trouvé le chemin de la paix et du développement.
La deuxième raison, c'est que les opérations de maintien de la paix déployées en environnement francophone ont des besoins particuliers auxquels nous devons ensemble mieux répondre : davantage de personnels civils et militaires qui parlent le français bien sûr mais pas seulement .Cela n'est pas qu'une question de langue, c'est aussi une question de formation, de moyens permettant d'opérer dans des contextes parfois difficiles et toujours différents. L'enjeu, c'est bien de s'assurer de la meilleure adéquation possible entre les soldats de la paix missionnés par les Nations unies et les zones de crises où ils sont déployés.
En ce qui concerne la France, elle joue un rôle central dans le maintien de la paix. Nous avons, dans l'espace francophone, une présence, une réelle capacité d'entraînement, une expertise dont la France peut faire bénéficier les autres pays qui contribuent aux opérations de maintien de la paix. Il était donc de notre responsabilité de réunir à Paris les principaux acteurs du maintien de la paix, et tous ont répondu présent.
J'ai fait, au nom de la France, un certain nombre d'annonces pour renforcer notre propre engagement.
Le premier engagement, c'est de poursuivre et d'accentuer l'enseignement du français en contribuant à la formation linguistique de près de 40.000 soldats qui seront déployés au sein d'opérations portées par les Nations unies ou l'Union africaine.
Le deuxième engagement, c'est de consacrer 1,2 million d'euros supplémentaires sur les trois prochaines années au renforcement de la préparation linguistique et culturelle des casques bleus. Nous organiserons par exemple des formations de formateurs en français à Paris dès 2017.
Enfin, nous souhaitons aussi nous appuyer davantage sur notre réseau, fort de plus de 300 militaires et de policiers qui sont détachés dans le monde, qui s'implique dans le renforcement des capacités de nos partenaires, en particulier nos partenaires africains.
Puis, nous allons répondre positivement à l'appel à des contributions volontaires du département des opérations de maintien de la paix de l'ONU, qui a besoin de six millions d'euros pour financer la mise en oeuvre des réformes préconisées par différents rapports qui ont été commandés par le secrétaire général des Nations unies. Cette direction des opérations de maintien de la paix a identifié sept priorités qui nécessitent davantage de moyens : d'abord, une amélioration dans la coordination de la planification des OMP ; le soutien aux réforme dans le domaine de la sécurité et de la justice ; la création d'un nouveau système de générations de force ; ou, encore, je le répète, la formation.
La France participera à cet effort. Nous allons en financer près d'un tiers et ainsi débloquer deux millions d'euros. C'est un engagement total de la France. Mais la France, bien sûr, n'est pas seule. Elle ne peut pas le faire seule, elle le fait avec un très grand nombre de partenaires, que je tiens encore une fois à saluer, qu'ils soient des pays francophones ou des pays non francophones. D'ailleurs, vous allez en avoir la preuve car le premier intervenant, co-président de cette conférence, est le ministre des affaires étrangères du Bangladesh, Abul Hassan Mahmood Ali, auquel je donne tout de suite la parole.
(...)
Q - Bonjour une question sur l'opération Sangaris. Est-ce que vous pouvez, Monsieur, nous en faire votre bilan. Merci.
R - Sur la question que vous avez posée concernant l'opération Sangaris, en Centrafrique, c'est une opération difficile dans laquelle la France était engagée. J'étais d'ailleurs Premier ministre lorsque le président de la République a pris cette décision. C'était après l'intervention au Mali. Nous voulions à tout prix éviter l'affrontement entre communautés qui était en train de déboucher sur une guerre civile.
Je dis que c'était une opération risquée, mais elle a été menée à bien et elle s'est traduite à la fin par une décision du peuple de la République centrafricaine qui a souverainement décidé de désigner un président de la République et un Parlement, dans le respect des règles strictes du point de vue des droits universels et du droit constitutionnel. J'ai assisté personnellement à la prise de fonction du président Touadera et j'ai participé il y a quelques semaines à New York, au moment de l'assemblée générale des Nations unies, à une réunion très intéressante en soutien au processus qui est engagé en République centrafricaine. Il y a encore beaucoup de choses à faire. Mais il était légitime, le relais étant pris par la MINUSCA qui est une opération de maintien de la paix des Nations unies, que l'opération Sangaris s'arrête. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus un seul soldat français. Il doit en rester quelques centaines qui, selon le souhait des autorités de la République centrafricaine, vont aider à la formation et à la constitution d'une force de sécurité dont le pays a besoin et doit se doter. Ce sera une force autonome et c'est ce qui est en train de se faire avec le soutien de l'Union européenne.
Et puis, il faut aussi continuer à apporter un soutien accru à tous les projets qui permettront à la République centrafricaine de se doter d'un véritable État, d'une véritable administration, et de très nombreux programmes de formation sont en cours, notamment des programmes d'assistance technique. Et puis aussi, comme pour les autre pays africains, en particulier à la suite du sommet de La Valette, il y a la question du soutien au projet de développement. Il y a beaucoup à faire pour la réconciliation, beaucoup à faire pour le démantèlement de certaines milices. Il y a ces fameux DDR qu'il faut mettre en oeuvre mais nous avons confiance dans les autorités de la République centrafricaine. Nous voyons avec quel courage, quelle dignité le ministre des affaires étrangères présent ce matin s'est exprimé avec beaucoup de franchise mais aussi beaucoup d'ambition pour son pays. Un énorme travail est engagé. Donc ce qui a été fait avec Sangaris, c'était une intervention d'urgence et le relais a été pris par une opération de maintien de la paix. C'est un exemple d'opération en environnement francophone et nous voulons que ce processus qui est engagé grâce au choix du peuple de Centrafrique puisse réussir et nous allons continuer à accompagner et aider ce pays mais dans le respect de sa souveraineté.
Q - Monsieur le Ministre, les populations qui sont censées être protégées par les opérations de maintien de la paix sont plus souvent victimes d'abus sexuels et on a l'impression qu'il y a une certaine impunité accordée aux auteurs de ces victimes. À partir de cette conférence, qu'est ce qui va changer ? Ces populations peuvent-elles espérer finalement avoir une justice, enfin ?
Deuxième question, sur les 16 opérations de maintien de la paix en cours, 7 sont dans les zones francophones et essentiellement dans les pays, des ex-colonies françaises. Est-ce un aveu d'excellence pour la diplomatie française ou un échec ? Je vous remercie.
R - Sur le premier point, le ministre de la défense du Sénégal l'a dit lui-même, il faut être extrêmement clair. Nous sommes déterminés à faire toute la lumière sur tout ce qui peut porter atteinte à la réputation des soldats des forces onusiennes dans le cadre des opérations de maintien de la paix. On ne peut pas tolérer d'exactions, de comportements déviants et on sait que dans certaines opérations de graves accusations ont été proférées. C'est le cas notamment en Centrafrique. Nous avons réagi immédiatement quand nous avons pris connaissance de ces accusations, à la fin du mois de juillet 2014, en saisissant nous-même la justice. Je me souviens avoir discuté avec le commissaire des droits de l'Homme en février, c'était le 29 février de cette année à Genève. J'avais pris mes fonctions quelques semaines auparavant. Il m'avait interrogé sur l'intention de la France. Une information judiciaire a été ouverte le 7 mai 2015. Cela correspondait aussi à ses souhaits et nous avons de nouveau saisi la justice à chaque fois que des signalements nous étaient transmis par les Nations unies. La procédure judiciaire est en cours, bien sûr dans le strict respect de l'indépendance de la justice et du secret de l'instruction mais, au-delà de cette affaire, la France soutient l'engagement et la détermination non seulement du conseil des droits de l'Homme que j'ai évoqué, mais aussi du secrétaire général des Nations unies, à faire appliquer la politique de tolérance zéro, quelle que soit la nation participant à une opération de maintien de la paix. C'est la tolérance zéro qui doit s'appliquer. En tout cas, c'est la position de la France et nous nous engageons à ce que ce principe soit totalement respecté.
Quant à la deuxième question que vous avez posée, je pense que les Nations unies sont, à travers les opérations de maintien de la paix, présentes dans de très nombreux pays, pas seulement en Afrique francophone, mais il y a aussi des opérations dans d'autres pays. Aussi, je ne crois pas qu'il soit opportun de rapporter cela à un quelconque passé. Neuf opérations de la paix sur les seize existantes sont déployées sur le continent africain et pas toujours dans un environnement francophone avec le Soudan, le Soudan du Sud et la Somalie. Et l'ONU est aussi impliquée dans les Balkans, en Haïti, au Liban, à Chypre, où j'étais récemment, pour donner quelques exemples. Aussi je vous rassure sur ce point. Ce qui est fait c'est toujours en accord avec les pays souverains, toujours en accord avec l'Union africaine qui joue, de plus en plus, un rôle important pour des opérations de négociations et de maintien de la paix. Et nous travaillons tous ensemble avec un esprit, au contraire, de coopération, de respect, et toujours, comme je l'ai dit tout à l'heure, avec le souci de respecter la souveraineté de chaque État. (...).
* Union européenne - Traité commercial avec le Canada
(...)
Q - J'ai deux questions si vous me le permettez. D'abord une question d'actualité chaude. Vous savez que le développement économique contribue aussi au maintien de la paix. Les autorités belges viennent de se mettre d'accord sur le CETA donc je voudrais savoir, M. Dion et M. Jean-Marc Ayrault, ce que vous ressentez, quelle est votre réaction et à quel point ce traité vous paraît important ?
R - Comme mon homologue canadien, M. Stéphane Dion, et selon nos informations, il semblerait qu'un accord soit intervenu au sein de la Belgique. Si c'est confirmé nous nous en réjouissons. Parce que la France est favorable à ce traité. C'est un bon exemple de ce que l'on peut faire, un bon équilibre entre ouverture économique et commerciale et aussi respect des principes et des intérêts de l'Union européenne, notamment la protection de nos indications géographiques, les normes sanitaires et environnementales. C'est un bon équilibre pour régler d'éventuels conflits et on a beaucoup de débat dans nos pays.
Même dans la campagne américaine, le TTIP fait l'objet de grandes controverses, et le TTIP est justement loin d'être prêt et sur lequel il y a énormément de désaccords. C'est vrai en France, en Allemagne et c'est vrai dans toute l'Europe. Nous avons énormément progressé, pour avoir négocié longtemps avant que Stéphane ne soit au gouvernement avec Justin Trudeau, pour arriver à un bon équilibre, un bon accord. Pour nous, le CETA c'est justement le bon exemple de ce qu'il faut faire. C'est jamais parfait à 100%, la preuve c'est qu'il y a des discussions jusqu'au bout et des demandes de garantie supplémentaires. Si elles sont accordées, tant mieux.
Maintenant, puisque cet accord semble près du but, ce que la France souhaite c'est que le sommet Union européenne-Canada, qui devait avoir lieu aujourd'hui, se tienne dans les plus brefs délais s'il y a un accord. Je crois que c'est dans l'intérêt de nos pays, du Canada, bien sûr comme vient le dire Stéphane Dion, mais aussi de l'Union européenne. Et, c'est la démonstration de l'UE de sa capacité à négocier au nom de tous les membres de l'Union européenne tout en consultant - puisque l'on est dans un accord mixte - les Parlements nationaux et le Parlement européen qui devront ratifier cet accord. C'est la bonne méthode et si on veut donner au monde une image à la fois d'ouverture et de protection, voilà la façon comment s'y prendre. Et je souhaite que nous puissions nous réunir dans les plus brefs délais, que Justin Trudeau, qui a retardé son voyage, puisse se sentir ici en Europe accueilli avec confiance et amitié.(...).
* Syrie - Armes chimiques
(...)
Q - Monsieur le Premier Ministre, dernièrement vous avez déclaré plusieurs fois qu'à la suite du rapport de la commission mixte des Nations unies sur la non utilisation des armes chimiques en Syrie, la France souhaite déposer un projet de résolution sous le chapitre 7 avec des sanctions, des condamnations, etc. Qu'en est-il ? Allez-vous faire cela très rapidement ? Allez-vous adjoindre à votre projet la demande américaine pour une prolongation d'une année de la mission de cette commission ?
R - Je vous remercie de votre question. La France est très engagée pour l'arrêt des bombardements et de la guerre en Syrie et je crois que tous ceux qui participent à cette réunion aujourd'hui partagent cette exigence.
Nous venons d'assister il y a encore quelques heures au bombardement d'une école, avec au moins 20 morts qui sont des enfants, des innocents. Qui est responsable ? En tout cas, ce n'est pas l'opposition qui est responsable parce que pour bombarder il faut des avions. Ce sont soit les Syriens, le régime de Bachar al-Assad, soit les Russes. C'est encore une nouvelle fois la démonstration de l'horreur de cette guerre qui est une guerre contre le peuple syrien et que nous ne pouvons pas accepter. Et nous ne nous résignerons jamais à cette situation.
Nous allons donc continuer notre mobilisation, notre combat pour la paix avec comme objectifs l'arrêt des bombardements, l'accès de l'aide humanitaire le plus vite possible - et Alep est toujours sous les bombes, vous le savez ? et, surtout, la reprise du processus politique de négociations.
Vous avez évoqué l'utilisation des armes chimiques. Ce n'est pas la première fois que le régime de Bachar al-Assad les utilise. Mais il récidive sans cesse. Et le dernier rapport commandé par le conseil de sécurité des Nations unies apporte la preuve, sans aucun doute, que le régime - et il n'est pas le seul puisque Daech le fait aussi - continue d'utiliser les armes chimiques.
La France l'a dit et le répète : elle souhaite que le conseil de sécurité adopte une résolution pour condamner sous chapitre VII l'usage des armes chimiques. Nous allons donc prendre de nouvelles initiatives. Le dernier rapport a été transmis le 21 octobre, il y a quelques jours. Il faut s'appuyer sur ce rapport pour que le conseil de sécurité prenne ses responsabilités.
Je ne doute pas que beaucoup de pays du conseil de sécurité, membres permanents ou non permanents, sont déjà prêts à voter une résolution. Et s'il faut prolonger les travaux, comme le suggèrent les Américains, de cette commission, bien entendu il faut le faire. Parce que les dernières preuves datent de 2015, il faut donc regarder ce qui s'est fait en 2016.
Mais ce que la France souhaite, c'est que, lorsque cette résolution sera examinée par le conseil de sécurité, aucun pays n'utilise son droit de veto, car ce serait une façon de dédouaner les auteurs d'utilisation des armes chimiques c'est-à-dire le régime de Bachar al-Assad. Il faut être clair sur ce point. La France, en tout cas, l'exige, le dit et le répète. Merci beaucoup.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 novembre 2016