Interview de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche à France-Info le 9 septembre 2016, sur la menace terroriste et la rentrée scolaire suite à la mise en place de la réforme des collèges.

Prononcé le

Média : France Info

Texte intégral


FABIENNE SINTES
Bienvenue dans l'émission politique de Franceinfo. Bonjour Jean-Michel APHATIE.
JEAN-MICHEL APHATIE
Bonjour Fabienne.
FABIENNE SINTES
Autour de vous et comme tous les matins Gilles BORNSTEIN et Guy BIRENBAUM. Notre invitée est la ministre de l'Education.
JEAN-MICHEL APHATIE
Bonjour Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bonjour.
JEAN-MICHEL APHATIE
Trois jeunes femmes ont été arrêtées hier soir dans l'Essonne, dans le cadre de l'enquête sur la voiture retrouvée à Paris dimanche avec des bonbonnes de gaz, trois jeunes femmes fanatisées et radicalisées a dit le ministre de l'Intérieur, qui s'apprêtaient à commettre un acte terroriste. C'est la première fois sur le territoire français que des femmes, des jeunes femmes, sont impliquées, qui étaient elles-mêmes potentiellement des auteurs d'actes terroristes. Cette féminisation du terrorisme doit-elle nous inquiéter, Najat VALLAUD-BELKACEM ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D'abord la menace est constante et nos services, nos forces de police sont à l'oeuvre en permanence sur ce sujet. Je crois qu'il faut quand même saluer en effet leur capacité en l'occurrence à avoir déjoué cet attentat. La féminisation de la radicalisation et du djihadisme, ça fait malheureusement quelque temps qu'on la constate et qu'on s'en alarme.
JEAN-MICHEL APHATIE
Un soutien d'acte terroriste. Là, elles s'apprêtaient elles-mêmes visiblement – l'une des jeunes filles avait même adressé un message d'adieu à sa mère – à commettre un acte de kamikaze en fait.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui. C'est vrai que du coup, il y a un élément nouveau. Ce qu'on voyait jusqu'à présent, c'étaient des jeunes filles de plus en plus jeunes d'ailleurs partir pour le djihad en Syrie. C'était déjà suffisamment préoccupant. On avait, sauf à une exception près, pas vu de femme sur le point ou commettant un acte à proprement parler.
FABIENNE SINTES
D'ordinaire les femmes ne sont pas combattantes.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Absolument, elles ne sont pas combattantes, elles sont à l'arrière. En tout état de cause, même quand elles sont à l'arrière, de toute façon ça veut dire qu'elles soutiennent et qu'elles permettent le système. Elles sont donc tout aussi coupables évidemment que les hommes qui s'engagent. Le sujet pour nous est extrêmement préoccupant. C'est la raison pour laquelle nous avons tous les efforts que nous faisons en termes de lutte contre la radicalisation, y compris dans nos établissements scolaires, parce qu'il ne s'agit pas simplement de réprimer une fois qu'on sait : il s'agit aussi de prévenir par le développement de l'esprit critique, par le travail sur Internet, les médias, la distinction entre l'information et la désinformation. Les filles comme les garçons sont concernés.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous le disiez, Najat VALLAUD-BELKACEM, la menace terroriste demeure très importante. Le président de la République a prononcé hier un discours sur la démocratie face au terrorisme. Il n'a pas parlé que de cela. On a noté aussi dans le discours du président de la République hier des accents de candidat à la prochaine élection présidentielle. On l'écoute.
- Extrait du discours de François HOLLANDE, président de la République :
« Je vous l'affirme, je ne laisserai pas la France être abimée, réduite, voir ses libertés mises en cause, son état de droit contesté, son éducation réduite et sa culture amputée. C'est le combat d'une vie. » (document du 08/09)
JEAN-MICHEL APHATIE
« Je ne laisserai pas la France » : candidat sans le dire ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
J'ai trouvé d'abord que c'était un discours de président de la République plus que de candidat. C'était un discours de président de la République conscient de la gravité de la situation.
JEAN-MICHEL APHATIE
Il avait les deux parties : président de la République et candidat.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Et c'était en effet un discours très offensif et donc évidemment ses partisans et ceux qui veulent le voir candidat – et j'en fais partie – auront été très heureux de l'entendre dire en particulier : « Je ne laisserai alterner la France ni dans les mois ni dans les années qui viennent », bien sûr.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous aviez besoin de ces signaux-là ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
En tout cas, c'était un moment extrêmement fort, très agréable et très enthousiasmant parce qu'on y a vu à la fois une hauteur de vue. Franchement, qu'est-ce que ça contraste avec la cour de récréation de la primaire de la droite par exemple ou même de certains candidats honnêtement de la primaire de la gauche que d'avoir un discours d'une telle qualité, qui est d'une cohérence et d'une force et, encore une fois, d'une hauteur de vue comme on avait rarement vu. On a eu l'occasion d'entendre parler à la fois de sécurité, de démocratie face au terrorisme puisque c'était ça le sujet, mais aussi de notre modèle républicain au sens large, de la France, de son identité, de ses valeurs, de son passé mais aussi de son avenir. Je pense que ce faisant, il a tracé un cap très important dans lequel tous les Français peuvent se reconnaître.
JEAN-MICHEL APHATIE
S'il y avait de la hauteur de vue comme vous dites, quel sens ça a pour le président de la République de se présenter à des primaires d'un parti politique, puisque c'est ce que va faire visiblement François HOLLANDE en acceptant de se soumettre à la primaire du Parti socialiste ? C'est incompatible, non ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais en fait, l'objet de la primaire à gauche…
JEAN-MICHEL APHATIE
Du Parti socialiste, oui.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, voilà, du Parti socialiste, c'est de trancher une orientation politique et une incarnation.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et être président de la République, ça ne suffit pas à emporter l'adhésion du Parti socialiste ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Soyons clairs, Jean-Michel APHATIE. Si vous me posez la question, j'ai déjà eu l'occasion d'y répondre. Moi j'ai estimé qu'il avait la légitimité suffisante pour y retourner sans passer par une primaire.
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est un abaissement de la fonction de se soumettre à une primaire ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Simplement c'est lui-même qui a souhaité le faire parce qu'à partir du moment où d'autres candidatures se sont manifestées, il préférait avoir à la fin du jour la légitimité établie par un vote des primaires plutôt que de passer en force ou de donner l'impression de passer en force. C'est son choix, il a décidé qu'il participerait à cette primaire – en tout cas, il dira en décembre s'il est candidat à y participer. Moi, je pense qu'en tout état de cause, sans attendre même que la primaire ait lieu, nous pouvons commencer à défendre notre action, notre bilan, nos valeurs auprès des Français. Nous avons largement de quoi.
GILLES BORNSTEIN
Si vous êtes fan du président de la République, on vient de l'entendre, avec le Premier ministre ça a l'air plus compliqué. Interview dans Le Nouvel Obs de cette semaine : « Manuel VALLS a son identité politique et moi j'ai la mienne ». Clairement le différend porte sur l'islam. Qu'est-ce que vous entendez par cette différence ? Comment faut-il la comprendre ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il n'y a pas d'opposition entre le Premier ministre et moi-même. Ne pas être identique, pour reprendre la formule que vous venez d'utiliser, ne signifie pas ne pas être complémentaire. Je crois honnêtement nos propos sont complémentaires quand vous prenez le temps de bien regarder les miens en tout cas. Parce que moi qu'est-ce que je dis ?
JEAN-MICHEL APHATIE
« Complémentaires » c'est un mot diplomatique pour dire « différents ». Je traduis.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Moi je dis que l'enjeu numéro un pour notre pays, c'est de combattre et d'assécher le terrorisme qui nous fait tellement souffrir. Que pour ce faire, il nous faut bien sûr neutraliser les terroristes c'est-à-dire déjouer les attentats – on l'a vu tout à l'heure -, intervenir en Syrie, être impitoyable avec les fanatiques. Mais il nous faut aussi neutraliser les idées que diffusent les terroristes dans notre société pour recruter d'autres djihadistes en puissance. Or quelles sont ces idées ? Il suffit de lire leur prose pour le comprendre. L'idée principale, c'est finalement dans cette société occidentale, européenne, française, derrière la supposée liberté, égalité, unité de tous, les musulmans ne sont pas vraiment traités pareillement. Les musulmans ne sont pas vraiment les bienvenus et donc moi, ce que je dis, c'est que tout ce qui dans notre débat public, dans nos focales médiatiques vient conforter cette idée que les musulmans sont des citoyens à part, qu'ils ne sont pas également traités comme les autres, et cætera, conforte la campagne des terroristes, et que c'est ça le problème et c'est pour ça que nous devons faire très attention - mais le Premier ministre le fait, c'est à la droite que je m'attaque en réalité - très attention à ne pas agiter de peur et de sentiment d'exclusion à l'égard des musulmans.
FABIENNE SINTES
Najat VALLAUD-BELKACEM, cette discussion continue dans quatre-vingt-dix secondes. […] La suite de l'émission politique de Franceinfo avec Najat VALLAUD-BELKACEM ce matin. Question, Gilles BORNSTEIN.
GILLES BORNSTEIN
Est-ce que cette question de l'Islam isole le Premier ministre à gauche, est-ce qu'il se trompe de combat ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, parce que, une fois de plus, je ne veux pas qu'on interprète…
JEAN-MICHEL APHATIE
Non, mais il y a eu un problème, on ne peut pas le nier, il y a eu un problème entre vous et le Premier ministre.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, je ne veux pas qu'on interprète mes propos. Soyons clairs. Le Premier ministre…
JEAN-MICHEL APHATIE
Le Premier ministre, en direct sur une radio, c'était sur RMC, a dit que vous vous trompiez quand vous pensiez que les arrêtés anti-burkini étaient une dérive. Il y a quand même un problème politique quelque part.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Soyons honnêtes avec ce que dit le Premier ministre.
JEAN-MICHEL APHATIE
Absolument.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C'est vrai qu'il a soutenu, dans un premier temps, les arrêtés anti-burkini, qui s'appuyaient sur des situations d'ordre public, d'ailleurs celui de Sisco, a été validé en justice parce qu'il y avait bel et bien un trouble à l'ordre public.
JEAN-MICHEL APHATIE
Par le tribunal administratif, le Conseil d'Etat ne s'est pas prononcé.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Voilà, par le tribunal administratif, en revanche, le Premier ministre a été l'un des premiers, aussi, à dire qu'il fallait faire attention à la stigmatisation des musulmans. Donc, si on veut bien mettre bout à bout ces deux expressions-là, on voit que le Premier ministre, au fond, a conscience, contrairement à la droite, et c'est pour ça que c'est à la droite, moi, que je m'en prends, a conscience de la nécessité de ne traiter ces sujets qu'avec beaucoup de prudence pour ne jamais donner le sentiment aux musulmans, encore une fois, d'être des citoyens à part.
GILLES BORNSTEIN
Et lui manque de prudence.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Le Premier ministre ?
GILLES BORNSTEIN
Oui.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, je crois… honnêtement, enfin, moi je veux dire, moi j'appartiens à un gouvernement qui sous son impulsion à lui, n'aura jamais fait autant pour lutter contre le racisme, contre les discriminations, contre les stigmatisations.
GUY BIRENBAUM
Quand on parle de discrétion, la discrétion qu'on demande aux musulmans, Jean-Pierre CHEVENEMENT, et d'ailleurs Manuel VALLS a répété ces propos, la discrétion, qu'est-ce que ça veut dire ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je pense que, François HOLLANDE, hier, dans son discours, a eu un propos, que je voudrais souligner et saluer, en disant que finalement, lorsqu'on s'adresse par exemple aux musulmans pour leur dire d'être vigilants avec le cancer qui peut les gangréner en leur sein, c'est-à-dire l'Islam radical, eh bien cette vigilance elle s'adresse à tous les Français. Ce n'est pas seulement les musulmans en tant que musulmans, c'est les musulmans en tant que citoyens, comme on pourrait s'adresser, voilà, à tous les citoyens pour leur demander de faire attention, de veiller à la sécurité autour d'eux, etc. Et je pense que c'est ce discours-là qu'il faut avoir pour ne pas donner l'impression aux musulmans d'être, finalement présumés coupables de quelque chose. Et cette présomption de culpabilité, honnêtement je vous le redis de façon très claire, ce n'est pas chez Manuel VALLS qu'elle est aujourd'hui, elle est dans le débat public porté par un discours de droite qui est devenue de la droite extrême, qui ne prend plus de gants sur aucun sujet, qui envisage des lois d'exception dans lesquelles on légiférerait sur les attributs vestimentaires d'une religion et d'une seule. Enfin, ce n'est pas Manuel VALLS, il est contre cette législation-là.
FABIENNE SINTES
Il a dit qu'il réfléchissait au voile à l'université !
JEAN-MICHEL APHATIE
Exactement.
FABIENNE SINTES
Il a dit qu'il y réfléchissait, au voile à l'université, est-ce que vous, vous y réfléchissez ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Enfin, là encore, je pense qu'à chaque fois il faut prendre ces propos dans leur intégralité. Il a clairement dit, et ça fait partie de cette identité qui est la sienne, en effet, qu'il était révulsé par tous les attributs vestimentaires qui peuvent donner l'impression qu'une femme est soumise, etc. Mais, en même temps, il a ajouté qu'il était impossible, constitutionnellement parlant, d'interdire le voile à l'université, donc qu'il ne le ferait pas. Et je pense que, c'est ça aussi, c'est que dans la vie on peut désirer des choses dans l'absolu, mais s'en tenir à des règles de droit, à des institutions républicaines, et c'est un républicain Manuel VALLS.
FABIENNE SINTES
Najat VALLAUD-BELKACEM, les enseignants en colère hier. Alors, c'est vrai que la journée de grève n'a pas beaucoup mobilisé, il y avait à peu près 5 % de grévistes, mais tout de même, cette réforme des collèges, qui décidément, ne passe pas.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, enfin c'est votre interprétation, pardon, mais… Moi, ce que je constate, si on regarde un petit peu comment la rentrée scolaire s'est passée dans les collèges. Je peux vous dire que je suis allée dans beaucoup de collèges, ces derniers jours, et pas que des collèges extrêmement enthousiastes, il en existe aussi à l'égard de la réforme du collège, mais y compris des collèges moins enthousiastes. Je peux vous dire que, partout, et c'est formidable à voir, vous avez des équipes de professeurs qui s'organisent, qui font des réunions, pour réfléchir à la façon dont, classe par classe, on va organiser cet accompagnement personnalisé, on va retenir les thèmes des enseignements interdisciplinaires pour que ce soit le plus utile possible aux enfants en question, dans le contexte qui est le leur. Et je trouve que c'est formidable de voir des équipes travailler ensemble, c'est-à-dire sortir un petit peu de cette logique qu'on avait, au collège, de l'ultra disciplinaire, où chaque professeur est dans sa discipline, et avoir des professeurs qui travaillent en groupe, autour de l'intérêt des élèves, qui du coup, en croissant leur regard les connaissent mieux et donc les aident mieux à réussir.
FABIENNE SINTES
Vous, vous pensez qu'il y a unanimité autour de cette réforme…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Est-ce que c'est ce que j'ai dit ? Non.
JEAN-MICHEL APHATIE
Non, vous n'avez pas dit ça. Est-ce qu'on peut dire qu'il y a une coupure entre les enseignants et la gauche aujourd'hui, et le Parti socialiste notamment ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Moi, je vais vous dire, en fait clairement, comme ça serait également le cas dans votre entreprise par exemple, à chaque fois qu'on apporte une réforme d'ampleur, qui réorganise les modes de fonctionnement des gens, c'est compliqué, c'est contraignant. Les professeurs ont un métier, déjà, en soi, qui est extrêmement difficile, extrêmement exigeant, on leur apporte en plus ces réformes-là, je comprends que ce soit difficile, et je veux leur dire sincèrement tout le respect que j'ai pour eux, y compris ceux qui s'opposent à la réforme. Peu m'importe le sujet, c'est que je sais la difficulté de leur tâche, et pour cela nous les accompagnons. Vous savez, on nous avait dit « oh mais cette réforme c'est une réforme d'économies », ah, il apparaît que nous créons 4000 postes pour l'accompagner. On nous avait dit « c'est une réforme qui va laisser les enseignants livrés à eux-mêmes », ah, nous avons déployé 700.000 jours de formation l'année dernière, et nous en faisons autant pour accompagner les enseignants dans la mise en oeuvre de la réforme. On nous avait dit « c'est une réforme qui supprime le latin et l'allemand », ah, il n'y a jamais eu autant d'élèves qui feront du latin et de l'allemand que cette année. Donc, il n'en reste…
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est une réforme qui trouve sa place, dites-vous, dans l'Education nationale…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Donc, il n'en reste, de cette réforme, que les aspects extrêmement positifs, c'est-à-dire de meilleurs apprentissages pour les élèves.
JEAN-MICHEL APHATIE
On parle de mixité sociale dans les collèges notamment, Gilles BORNSTEIN.
GILLES BORNSTEIN
Thomas PIKETTY a pointé justement ce manque de mixité sociale dans les collèges, particulièrement à Paris, 1 % d'élèves défavorisés dans certains collèges, 60 % dans d'autres, différence énorme, comment y remédier, faut-il imposer à l'enseignement privé des obligations comme à l'enseignement public ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
J'ai lu, d'ailleurs vous avez vu que je lui ai répondu à Thomas PIKETTY…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous avez validé son analyse, les chiffres qu'il donnait sur la ségrégation sociale dans les collèges.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, oui, absolument. Bien sûr, je ne peux constater, comme lui, qu'il y a une forte ségrégation sociale, notamment d'ailleurs dans les collèges parisiens, puisque c'est l'objet de son étude, et qui s'explique très simplement, cette ségrégation sociale, par des décennies, à Paris, de politique de l'habitat, et je ne parle pas de la majorité actuelle évidemment, de politique de l'habitat qui a poussé à cette ségrégation sociale.
JEAN-MICHEL APHATIE
Comment on remédie à ça ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Et donc, le sujet c'est comment on fait pour y remédier, et en fait là où je diverge un peu avec Thomas PIKETTY c'est que moi je ne crois plus à la norme unique qui vienne du haut et qui s'impose à tous les territoires. On l'a testé par le passé, rappelez-vous, la norme unique qui vient du haut s'agissant de lutter contre la mixité sociale, ça a consisté, soit à dire on supprime la carte scolaire, comme ça les familles elles vont où elles veulent, Nicolas SARKOZY 2007, il l'a fait, on sait où ça a conduit, c'est-à-dire à une sur-ghettoïsation des établissements dont s'échappaient les familles qui avaient les moyens de s'échapper et dans lesquels restaient les autres. Donc ça c'était la première solution venant du haut…
JEAN-MICHEL APHATIE
Et la deuxième ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
La deuxième solution, y compris portée par la gauche, en son temps, c'était de dire eh bien non, au contraire, il faut rigidifier toute la carte scolaire, c'est-à-dire quand on habite quelque part on va dans le collège de son territoire.
JEAN-MICHEL APHATIE
Ça non plus ça ne marche pas.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais ça aussi ça ne marche pas puisque, du coup, les gens ils vont dans le collège, qui est ghettoïsé, du territoire ghettoïsé.
GILLES BORNSTEIN
Ça c'est ce qu'on ne fait pas, et qu'est-ce qu'on fait ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Donc, voilà, la troisième voie c'est celle que je porte, qui est de dire on part du territoire, on va sur place. Les territoires sont différents, dans un territoire urbain et dans un territoire rural, évidemment vous n'avez pas les mêmes problématiques. Dans un territoire urbain on peut imaginer, par exemple, redécouper la carte scolaire en suivant le tracé des transports urbains, ce qui permet finalement de répartir les élèves dans plusieurs collèges, mais comme il y a un transport urbain rapide, en 5 minutes on peut atteindre l'autre collège sans difficulté, ce qu'on ne peut pas faire en ruralité. Donc, dans un territoire urbain, on va adopter cette solution-là avec la collectivité locale concernée. Dans d'autres territoires on va avoir un autre type de solution qui va consister par exemple à faire des secteurs multi-collèges…
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc c'est un travail très lent.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, c'est un travail de dentelle, c'est un travail de dentelle, qui voit le jour cette année, il y a 25 territoires qui ont décidé, comme ça, de trouver des solutions avec nous, on le fait ensemble. Franchement, les territoires sont de droite comme de gauche, c'est la première fois qu'on arrive à trouver des solutions pratiques, et après il faudra continuer, c'est vrai que ça prendra quelques années.
FABIENNE SINTES
Najat VALLAUD-BELKACEM, l'émission politique continue sur Franceinfo, quelques questions éparpillées façon puzzle tout à l'heure, vous allez comprendre. A tout de suite. […] Suite de l'émission politique de Franceinfo avec Najat VALLAUD-BELKACEM. Emmanuel MACRON était à Roquevieille, c'est dans le Cantal et c'était mercredi. Il a dit cette phrase : « Je ne suis pas là pour beurrer les tartines ». Est-ce que vous savez d'abord de quoi il s'inspire ? Vous allez le voir tout de suite, écoutez.
- Extrait du film « Les tontons flingueurs » :
« Dis donc, on n'est quand même pas venu pour beurrer les sandwichs ».
FABIENNE SINTES
C'est le Tonton flingueur de la gauche, Emmanuel MACRON ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non. D'abord il faut faire attention avec les tartines qu'on beurre parce que quand on les fait tomber généralement c'est du mauvais côté.
GUY BIRENBAUM
Oui. Ça, c'est une célèbre théorie.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
N'est-ce pas. Mais non, pour le reste…
JEAN-MICHEL APHATIE
Il est ingrat ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Heu…
GILLES BORNSTEIN
Vous ne savez pas quoi dire ?
GUY BIRENBAUM
Eh bien dites donc !
JEAN-MICHEL APHATIE
Dites le fond de votre pensée.
GUY BIRENBAUM
Allez, allez, allez, allez !
JEAN-MICHEL APHATIE
Est-ce qu'il y a de l'ingratitude chez Emmanuel MACRON ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il y a un manque flagrant de loyauté et pour moi, la loyauté est non pas un principe politique intangible mais une éthique personnelle.
JEAN-MICHEL APHATIE
En même temps il dit, et il n'a pas tort là-dessus, beaucoup de gens veulent que quelque chose change.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bien sûr.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et là, on a écouté la salle Wagram hier : on est reparti pour un HOLLANDE-SARKOZY. Pas très excitant quand même.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C'est votre avis à vous. Je suis d'accord que SARKOZY, ce n'est pas très excitant mais là, je n'y peux pas grand-chose et je n'irai pas participer aux primaires de la droite.
JEAN-MICHEL APHATIE
Quand on regarde les autres démocraties, on assiste rarement à la répétition de ce qu'on a déjà connu. Ça change quoi. Donc Emmanuel MACRON incarne ça, le changement. Vous y êtes sensible ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais dites-moi, Jean-Michel APHATIE, vous trouvez que cinq ans c'est très long ? Moi, je vais vous dire le fond de ma pensée.
JEAN-MICHEL APHATIE
Oui, allez-y.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je trouve qu'en fait c'était une erreur d'être passé au quinquennat.
GUY BIRENBAUM
Il est trop tard là.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Parce que je trouve que, vous voyez par exemple, vous donnez le sentiment que c'est bon, là, François HOLLANDE.
JEAN-MICHEL APHATIE
Emmanuel MACRON s'appuie là-dessus.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais cinq ans, il a eu cinq ans pour agir. C'est très, très court cinq ans et moi je pense qu'au contraire, on devrait aller vers des durées de gouvernance qui sont plus longues.
FABIENNE SINTES
Il ne s'appuie pas seulement sur les cinq ans. Il s'appuie aussi sur des années de député, et cætera, sur une classe politique qui est la même depuis vingt-cinq ou trente ans. C'est là-dessus qu'il s'appuie.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais enfin, en quoi est-ce qu'en l'occurrence Emmanuel MACRON tranche avec ça, avec le système comme il se plaît à l'appeler ?
FABIENNE SINTES
Il a trente-huit ans.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C'est une plaisanterie !
JEAN-MICHEL APHATIE
Pourquoi c'est une plaisanterie ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Parce qu'il ne tranche en aucun cas avec le système. Il lui appartient totalement. Non seulement il lui appartient mais il a été particulièrement aidé par le système, donc c'est en ça que c'est une duperie. Je veux dire, qu'il ait envie d'aller chercher des idées neuves, et cætera, c'est son droit. Enfin honnêtement, pour l'instant je n'en ai pas entendues beaucoup, mais à un moment donné qu'il ne sache ne pas cracher sur le système qui l'a vu naître, qui l'a aidé, qui l'a porté, et qu'il sache ne pas cracher aussi sur le président de la République qui lui a donné sa confiance de façon exceptionnelle. C'est la moindre des choses.
JEAN-MICHEL APHATIE
Le jugement est assez sévère. ALSTOM, l'usine pourrait fermer à Belfort. Ecoutez Arnaud MONTEBOURG, il était hier à Reims aux Assises du Produire français.
- Extrait d'une déclaration d'Arnaud MONTEBOURG :
« Tout cela pour moi traduit le laisser faire. On prend des engagements et on les délaisse. Pour moi, c'est Florange qui recommence ».
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est Florange qui recommence dit Arnaud MONTEBOURG.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C'est intéressant parce que finalement ça nous renvoie à ce début de quinquennat qui a marqué une série d'incompréhensions avec l'opinion publique et qui explique, je pense, pourquoi est-ce que nous sommes aujourd'hui si bas dans les sondages en gros. Parce que par exemple Florange est restée comme le symbole soi-disant des renoncements de la gauche au pouvoir.
JEAN-MICHEL APHATIE
Soi-disant ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, soi-disant. Parce que quand on regarde la réalité de ce qui a été fait, il y a beaucoup de choses et beaucoup de réponses qui ont été apportées y compris en matière de réindustrialisation de notre pays – soyons un peu sérieux – et qui aujourd'hui ne sont pas reconnues à leur juste mesure parce que les frondeurs, une partie de la gauche de la gauche et cætera, auront passé leur temps à agiter le symbole de Florange. Et donc Arnaud MONTEBOURG, d'une certaine façon, a une part de responsabilité dans tout cela, et c'est très étrange aujourd'hui de le retrouver dans les candidats à la primaire parce qu'on a envie de lui dire : « Pourquoi n'es-tu pas resté aux responsabilités ? » - un peu comme Emmanuel MACRON d'ailleurs – « Pourquoi n'es-tu pas resté aux responsabilités ? Pourquoi n'as-tu pas fait tout ce qui était en ton possible et à réindustrialiser la France puisque c'est de ça dont il s'agit ? »
GUY BIRENBAUM
Julie GAYET est en une de Paris Match et du Parisien Magazine. Dans Paris Match notamment, on peut lire que la compagne du président de la République devrait lui apporter son naturel et son énergie. Elle va faire campagne avec lui ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je ne connais pas suffisamment Julie GAYET pour parler à sa place.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous avez vu Paris Match ?
GUY BIRENBAUM
Vous avez vu le journal ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui. Enfin, à vrai dire je ne l'ai pas lu mais je crois que c'est une personnalité indépendante, qui a plutôt manifesté jusqu'à présent une envie de se tenir à l'écart et il faut respecter cette envie de mise à l'écart.
GUY BIRENBAUM
Vous pensez que c'est une officialisation de la relation ou ça n'a rien à voir ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il faut demander ça à Paris Match, je ne sais pas. Je ne décide pas de leur ligne éditoriale.
JEAN-MICHEL APHATIE
On est toujours surpris de voir les responsables politiques dire : « Ah ! Surtout la vie privée, respectez-nous, et cætera », puis ensuite on joue avec les images, on fait passer des messages. On s'interroge toujours sur l'attitude des responsables politiques dans ces cas-là. Vous partagez nos interrogations ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ce que je sais, en tout cas c'est ce que je m'applique à moi-même, dans la mesure du possible il faut se tenir éloigné de la presse people. Voilà. Mais parfois, pardon, et je pense que c'est le cas en l'occurrence, la presse people vient vous chercher sans que vous n'ayez rien demandé.
JEAN-MICHEL APHATIE
Est-ce que vous avez cherché des Pokémons en venant à la Maison de la Radio ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non mais on m'a expliqué. On m'a expliqué mais je ne suis pas accro de ce jeu, non.
JEAN-MICHEL APHATIE
On vous pose la question parce que vous avez souhaité il y a quelques jours que, si possible, les établissements scolaires soient un peu épargnés par cette folie de la recherche des Pokémons.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, pour des raisons que vous comprendrez bien. C'est qu'imaginez un attroupement qui se crée dans la cour d'un établissement scolaire parce que se baladerait ce qu'on appelle un Pokémon rare, c'est-à-dire les plus précieux, ces petites bêtes qu'il faut attraper. Je veux dire que ça poserait des problèmes de sécurité, donc il faut faire attention à ça et, en effet les établissements scolaires ont la possibilité de demander à l'éditeur du jeu d'être exclu.
JEAN-MICHEL APHATIE
Merci Najat VALLAUD-BELKACEM d'avoir accepté l'invitation de Franceinfo.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Merci à vous.
FABIENNE SINTES
Et merci à tous, bon week-end.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 septembre 2016