Déclaration et interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur l'objet de la réunion extraordinaire du Forum méditerranéen consacré à la situation en Asie centrale, au Proche-Orient et à la concertation entre pays riverains de la Méditerranée, Agadir le 25 octobre 2001.

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Circonstance : Session extraordinaire du Forum méditerranéen, à Agadir au Maroc, les 25 et 26 octobre 2001

Média : BBC - Presse étrangère - Télévision

Texte intégral

Déclaration à Agadir le 25 octobre 2001 :
Q - Monsieur le Ministre, la session extraordinaire du Forum méditerranéen se tient dans une conjoncture très délicate marquée par la mobilisation internationale pour lutter contre le terrorisme et les événements qui se passent au Moyen Orient.
En tant que représentant de la France, qu'attendez vous de la réunion de ce forum pour répondre à ce qui passe en Asie et au Moyen Orient ?
R - Je voudrais dire en arrivant à Agadir, que Sa Majesté a eu une idée très heureuse et très importante en proposant que se réunisse ce forum en plus des réunions normales du forum parce que sa composition même - c'est à dire des pays européens proches de la Méditerranée, tournés vers ces questions, et d'autre part, des pays arabes du nord de l'Afrique plus la Turquie - en fait un lieu très propice au dialogue entre les cultures et les civilisations et donc à un échange sur les grands problèmes du moment, alors même que nous sommes dans un contexte tragique, très difficile, où quelques extrémistes, quelques irresponsables voudraient provoquer un engrenage conduisant à un clash des civilisations.
Nous sommes là pour dialoguer, pour nous parler, pour coopérer, pour construire.
C'est cela la vocation de ce forum et je suis convaincu que les débats et la densité des échanges seront à la hauteur de ce que nous en attendons
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 octobre 2001)
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Point de presse à Agadir le 25 octobre 2001 :
Q - Quel est l'objet de cette réunion extraordinaire du Forum méditerranéen ?
R - Je voudrais dire d'abord que l'idée de Sa Majesté le roi du Maroc de réunir ce forum est une très bonne initiative parce que la composition de ce forum en fait l'enceinte d'un vrai dialogue entre les civilisations et entre les cultures. Un dialogue marqué par l'esprit de coopération. Nous avons toujours travaillé dans cet esprit au sein de ce forum, avec franchise et amitié. Et c'est le moment ou jamais pour cette enceinte qui a beaucoup de potentialités.
Je suis sûr que dans cette rencontre d'Agadir nous allons pouvoir examiner ensemble la situation créée par les tragiques événements du 11 septembre, leurs conséquences, et réfléchir à l'avenir ensemble ; aussi bien en ce qui concerne l'Asie centrale, la Méditerranée que le Proche Orient, compte tenu de la gravité de la situation actuelle.
Q - Peut on attendre du forum l'élaboration d'une politique économique pour combler le fossé entre les pays du Forum méditerranéen ?
R - Non, le forum n'est pas fait pour ça. Le forum est informel, il y a d'autre enceintes, d'autres instances. Certains pays ont des accords d'association avec les pays de l'Union européenne avec une procédure adaptée de discussion. Il y a d'autre part le processus de Barcelone qui regroupe tous les pays riverains de la Méditerranée avec plusieurs domaines particuliers dont des domaines économiques. Il y a les relations bilatérales de chaque pays européen avec chacun des pays de la Russie à la Méditerranée.
La vocation principale du forum, c'est de réfléchir ensemble sans tabou, sans bureaucratie, sans être obligé de négocier pendant des heures sur des détails ou des virgules de déclarations de conclusion, pour créer un esprit commun, un esprit de dialogue, un esprit de coopération. Et dans l'expérience que j'ai pu avoir des autres forums, c'est cela qui a été le plus précieux. C'est cela l'originalité de cette réunion par rapport à d'autres négociations diplomatiques.
Cela n'empêche pas bien sûr de parler économie. Dans la précédente réunion du forum, j'avais suggéré qu'un jour il y ait une réunion du forum avec des grands patrons, des dirigeants d'entreprises, pour que l'on ait avec nous les gens qui prennent concrètement les décisions d'investissements. Dans l'économie moderne, ce sont des décisions qui ne sont pas prises par les gouvernements. Ce volet économique est très important.
Le forum est un laboratoire. C'est une boite à idée. Et en ce moment, c'est surtout un lieu de dialogue.
Q - Après votre appel au gouvernement israélien, est ce que vous avez eu des réponses du gouvernement d'Ariel Sharon ?
R - J'ai lancé un appel au gouvernement israélien, mais aussi aux Palestiniens sur d'autres points. Non, la seule chose que j'ai entendue c'est que M. Shimon Peres espérait que l'armée israélienne allait se retirer des zones A d'ici la fin de la semaine. Je dois dire que nous l'espérons évidemment autant que lui.
Q - Compte tenu de la composition particulière de ce forum, pensez vous que ce serait un endroit pour faire une déclaration politique importante sur ce terrain justement ?
R - Je ne sais pas s'il faut faire une déclaration. Je crois que c'est l'existence même du forum qui est un signal fort. La réunion du forum est en soi un symbole.
La qualité de nos échanges et le compte rendu qui en sera fait par la présidence sont la démonstration que c'est par le dialogue et la discussion que l'on doit trouver des solutions aux problèmes.
C'est comme une déclaration. Mais je ne sais pas si nos hôtes marocains et la présidence veulent faire une déclaration. C'est l'esprit de la démarche qui me paraît important.
Q - Vous ne chercherez pas à préconiser une déclaration politique ?
R - Encore une fois ce n'est pas un sommet formel. On a souvent tendance à trop juger les sommets ou les rencontres sur la quantité de déclarations. Souvent les déclarations portent sur des sujets dont on a pas parlé. Elles sont préparées par des mécanismes bureaucratiques.
Dans ces réunions, ce qui me parait le plus utile, c'est la discussion franche et amicale entre les ministres. Par exemple, puisqu'il est question de dialogue entre les civilisations ou entre les cultures, il faut que ce dialogue puisse avoir lieu d'une façon qui ne soit pas conformiste, qu'on puisse aborder les vrais sujets, dire vraiment ce qu'on pense. S'il y a des contradictions, s'il y a des visions différentes sur certains problèmes, il faut se le dire. On peut se le dire entre amis.
Cela me parait une contribution plus utile que certaines déclarations qui reprendraient des thèmes qui ont déjà été mis en avant à plusieurs reprises. C'est surtout la qualité des débats qui m'intéresse et je suis sûr que je ne serai pas déçu parce que c'est toujours le cas dans ces forums.
Q - Est ce que les attaques américaines sur l'Afghanistan seront abordées ? Est ce que vous allez vous exprimer ouvertement sur ce qui se passe ?
R - Nous ne parlons pas des attaques américaines sur l'Afghanistan. Le Conseil de sécurité des Nations unies, donc l'ensemble des pays des Nations unies, ont reconnu la légitimité de la défense des Etats Unis et la légitimité de la riposte. C'est l'article 51 de la Charte des Nations unies. Ce ne sont pas des attaques contre un pays, ce sont des attaques contre un système terroriste qui fait peser une menace insupportable sur le monde et tout autant sur le monde arabo-musulman que sur le monde occidental. Il y a depuis 10 à 15 ans beaucoup plus de victimes du terrorisme dans les pays arabo-musulmans que dans les pays occidentaux.
Donc, c'est un vrai problème global. Nous nous attaquons au système Al Qaida et au régime taleban qui a servi de soutien, de support, de cadre, d'encouragement à ce système. Ce n'est pas contre l'Afghanistan, c'est même au contraire pour libérer l'Afghanistan de l'emprise de ce régime. Il ne s'agit pas de leur imposer une solution. Il s'agit de recréer les conditions qui permettront à tous les Afghans de définir entre eux un processus politique. Il y a eu aujourd'hui une réunion à Peshawar qui est intéressante parce que c'est peut être le début de ce processus. Je ne sais pas si tous les Afghans s'y retrouvent. Mais il faut aller dans cette direction en tout cas.
Q - Est ce que la France va participer militairement ?
R - Le président de la République et le Premier ministre ont déjà eu l'occasion à plusieurs reprises d'exprimer la disponibilité de la France comme l'ont d'ailleurs exprimé beaucoup de pays comme la Grande Bretagne et d'autres. Mais la réalité est, comme vous le savez, que les actions sont essentiellement américaines pour des raisons largement pratiques. Mais nous considérons qu'il s'agit de ce qui a été jugé comme légitime par les Nations unies depuis le début. C'est une riposte. Elle est ciblée. Elle n'a pas débordé. Elle est bien fixée sur l'objectif défini dès le début. Beaucoup de pays dans le monde se sont exprimés en souhaitant qu'il n'y ait pas de dérive par rapport aux objectifs. Et ni le président Bush ni M. Powell n'ont annoncé de dérive ni élargi les frappes.
On peut comprendre que ce soit dans un certain nombre de pays pénible à vivre, parce que la nécessité de recourir à la force est toujours pénible d'une certaine façon. Mais cela a été rendu inévitable et indispensable parce que ces actions terroristes ont atteint un degré de violence, de folie, de danger pour tout le monde qui est intolérable. Il faut toujours revenir à l'enchaînement et à l'origine des événements des dernières semaines.
Naturellement, tout le monde souhaite que l'objectif puisse être atteint le plus vite possible. C'est que souhaitent les Américains les premiers d'ailleurs
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 octobre 2001)
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Interview à la BBC, à Agadir le 26 octobre 2001 :
Q - Qu'attendez vous de la réunion du Forum méditerranéen ?
R - Ce que j'attends de cette réunion exceptionnelle du forum, c'est un vrai dialogue. L'avantage de cette enceinte est qu'elle rassemble plusieurs pays européens du sud, riverains de la Méditerranée, un certain nombre de pays arabo-africain du nord de l'Afrique et d'autre part la Turquie.
S'il y a une enceinte qui permet un vrai dialogue de culture ou de civilisation c'est celle-ci. C'est une structure informelle où il n'y a pas à négocier longuement sur des décisions ou sur des textes et où l'on peut se parler franchement et amicalement.
Dans la situation actuelle, c'est une très heureuse initiative du roi du Maroc d'inviter cette réunion en plus des réunions habituelles pour parler des conséquences du 11 septembre et de la façon dont nous abordons la question du terrorisme et dont nous coopérons. Au delà, il s'agit de savoir quel type d'échanges ou de dialogue on peut avoir entre des pays représentant des entités culturelles différentes et si on peut pousser ce dialogue de façon à ce qu'il ne soit pas simplement formaliste et un échange d'amabilités.
Il y a des vraies discussion à avoir compte tenu des antagonismes que l'on voit dans le monde actuel et que l'on voyait d'ailleurs avant même les attentats du 11 septembre.
Q - Peut on attendre du forum l'élaboration d'une politique contre le terrorisme ?
R - Le but du forum n'est pas d'être une organisation concrète de coopération contre le terrorisme. Il y a des réunions des ministres de l'Intérieur des pays riverains de la Méditerranée occidentale. Il y a beaucoup de coopération bilatérale entre les Américains et les pays méditerranéens ou entre les Européens et les autres, de même qu'il y a des structures de travail dans le cadre plus général des "27" de Barcelone.
Le Forum méditerranéen c'est un laboratoire d'idées où l'on réfléchit de manière non bureaucratique. Si l'on veut nouer des coopérations économiques qui soient plus efficaces et plus réalistes compte tenu de l'état réel des économies ; si l'on veut aborder autrement la question des mouvements de population, la gestion des migrations ; si l'on veut renforcer l'investissement des pays développés dans les pays du Maghreb, on cherche là des idées neuves. Ce n'est pas pompeux. Ce n'est pas solennel. C'est un vrai travail.
En matière terroriste, tous les ministres présents ont insisté à la fois sur le fait qu'il faut naturellement lutter par le moyen de la coopération judiciaire et policière et d'autre part par la coopération financière et fiscale pour essayer de tarir les sources financières du terrorisme. Mais ils ont plus encore mis l'accent sur les dysfonctionnements généraux du monde : les crises régionales non résolues comme le Proche Orient, les inégalités terribles entre les riches et les pauvres et toute sorte de grands sujets de fond.
Q - Que pensez vous de l'attitude des ministres des pays arabes qui semblent subordonner la lutte contre le terrorisme à la solution du problème du Proche-Orient ?
R - On ne peut pas dire que les ministres arabes subordonnent la lutte contre le terrorisme à la solution du problème du Proche-Orient. Sinon Il faudrait devoir attendre longtemps. Ils sont tous convaincus qu'il faut engager la lutte contre le terrorisme tout de suite. Ils sont d'ailleurs nombreux à dire comme l'Algérie et la Tunisie qu'ils se sont engagés dans cette lutte depuis longtemps et qu'ils constatent que c'est seulement aujourd'hui que le monde entier s'aperçoit que cette lutte contre le terrorisme est une priorité absolue.
Ils disent tous, c'est là une question de simultanéité et non de subordination, qu'il faut régler cette question du Proche-Orient. La diplomatie française n'a pas attendu le 11 septembre pour le dire. C'est un de nos engagement les plus forts et les plus anciens. Comme l'avait dit Colin Powell, deux jours après les attentats : tout cela est une raison de plus pour régler la question du Proche-Orient.
Cette question a occupé une part de nos débats. Nous avons apprécié la déclaration faite cette nuit à New York par le président du Conseil de sécurité, qui rappelle que tous les membres du Conseil de sécurité demandent le retrait des forces israéliennes des zones palestiniennes A qui ont été réoccupées. C'est une mesure d'urgence.
La vraie solution de fond de la question du Proche Orient, tout le monde la connaît. C'est la création d'un Etat palestinien viable, qui vivrait à coté de l'Etat d'Israël, chacun respectant complètement la sécurité de l'autre. C'est la solution de fond. Pour le moment nous agissons comme des pompiers. Les Européens et de nombreux gouvernements arabes, les Russes, les Américains et l'ONU essaye d'enrayer l'engrenage. Cela a occupé une part de nos conversations.
Q - Avez vous évoqué la question des manifestations de solidarité des populations envers les Taleban et Ben Laden et contre les Etats-Unis ?
R - C'est un signe de la nervosité des opinions publiques dans ces pays. Les gouvernements ont pris leurs responsabilités. D'abord les gouvernements arabes comme les autres ont reconnu à l'ONU que les Etats-Unis étaient en état de légitime défense au titre de l'article 51 de la Charte des Nations unies. Ils ont tous demandé que la riposte soient ciblée et elle est ciblée sur la destruction du système Al Qaida et du système Taleban. Naturellement ce sont des opérations militaires de guerre dont certains aspects peuvent heurter mais il faut se rappeler que le point de départ ce sont les attentats abominables du 11 septembre. Il faut se rappeler aussi que les malheurs du peuple afghan n'ont pas commencé avec ces frappes, malheureusement inévitables pour détruire ces réseaux.
Cela a commencé il y a une vingtaine d'années. Ce pays a été meurtri par des guerres étrangères, des occupations, des guerres fratricides, la sécheresse.... Le but des opérations, même si c'est pénible pendant cette période inéluctable des frappes, est de casser ces réseaux et de libérer le peuple afghan des griffes du système taleban pour que les Afghans soient en mesure de rebâtir ensemble leur destin.
Les gouvernements arabes le savent. Ils le comprennent. Ils expriment simplement le souhait que les opérations militaires puissent se terminer le plus tôt possible. Tout le monde partage ce souhait, à commencer par les responsables américains qui sont les premiers à vouloir que les opérations atteignent leurs objectifs très vite. Nous le souhaitons tous, et sans attendre nous avons beaucoup réfléchi sur l'avenir de l'Afghanistan. La France a présenté un plan politique sur l'avenir de l'Afghanistan il y à quelques jours. Il y a également des propositions britanniques, allemandes et italiennes. Nous attendons tous que le Secrétariat général des Nations unies et son représentant rassemblent les propositions et indiquent ce que l'ONU peut faire pour non pas se substituer aux Afghans mais pour les aider.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 octobre 2001)