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Q - M. le Ministre, il y a apparemment des pas dans l'Europe de la défense qui vont dans le sens de ce que souhaite la France. Voyez-vous également l'élection de M. Trump comme une opportunité de faire avancer ce dossier qui traine depuis des années ?
Jean-Yves LE DRIAN : "Il y a un an jour pour jour, je venais ici, après les massacres du Bataclan et de Saint-Denis, appeler à la solidarité européenne en matière de sécurité, et j'invoquais l'article 42-7 du Traité de Lisbonne, qui n'avait jamais été soulevé avant cette date pour appeler au soutien mutuel, à la France, des Européens en matière de sécurité. Un an après, je dois dire que l'ensemble des Etats membres étaient au rendez-vous. Il est bon de le dire.
Aujourd'hui, la Haute Représentante nous présente un plan de mise en uvre de la stratégie globale de sécurité et de défense au niveau européen. C'est un document positif, qui va marquer une étape.
J'ai toujours été pour l'Europe de la défense opératoire et non pour l'Europe de la défense déclaratoire. Nous sommes maintenant dans l'Europe de la défense opératoire, avec une série d'objectifs qui vont permettre à l'Europe de faire un pas de plus vers l'autonomie stratégique. Objectifs qui portent à la fois sur les capacités opérationnelles, en mettant plus en avant ce que l'on appelle les groupements tactiques ou l'Eurocorps. En assurant aussi les financements pour leurs opérations extérieures. Et puis l'autonomie stratégique aussi par les avancées dans le domaine du financement global, que ce soit pour l'action préparatoire de recherche en matière de défense, où il y aura pour la première fois un financement spécifique sur les recherches dans le domaine de la sécurité ; que ce soit encore dans le financement des opérations extérieures ou par la mobilisation de la banque européenne d'investissement, ou du Fonds Juncker, ou la préparation d'un fonds spécifique défense souhaité par le Président de la République. Tout cela fait que l'on marque une étape supplémentaire vers l'autonomie stratégique de l'Europe.
Q - Cette autonomie stratégique de l'Europe n'est-elle pas dictée par la menace du désengagement des Etats-Unis de l'OTAN d'une certaine façon ?
Ecoutez, ce n'est pas en trois jours que les Européens auraient pu faire cela. Cette démarche a été initiée sur la base d'un document proposé par l'Allemagne et la France il y a maintenant plusieurs semaines. C'est l'aboutissement de cette volonté. Il se trouve que l'autonomie stratégie de l'Europe, elle s'impose, quels que soient les présidents des Etats-Unis.
Q - Certains comme Boris Johnson disent que l'Europe de la défense renforcée, c'est d'abord des pays membres de l'OTAN qui respectent l'obligation des 2% en termes de dépenses militaires. Que dites-vous de cela ?
Ne mélangeons pas les sujets. L'ensemble des pays de l'OTAN s'est engagé à atteindre les 2% du PIB à horizon 2025. Et 20% en investissement, ce que l'on oublie souvent. Ce rendez-vous sera tenu. Les engagements des uns et des autres peuvent le laisser penser. Mais ce dont il est question aujourd'hui, c'est l'autonomie stratégique de l'Europe, capable de décider elle-même des enjeux de sécurité, que ce soit dans le cadre l'Alliance atlantique, voire dans le cadre d'une coalition, voire dans le cadre des Nations-Unies, voire elle-même, seule, je pense en particulier à l'Afrique. Dans le document proposé par Mme Mogherini, il y a des initiatives très importantes que nous avions initiées au départ et qui vont je pense être entérinées.
Q - Et selon vous pas de risque de doublon avec ce que fait l'OTAN en Europe ?
Jamais de doublons, jamais de duplications. Il y a un accord entre l'UE et l'OTAN qui a été validé à Varsovie et qui montre bien qu'il est hors de question d'avoir une duplication. Mais il faut une autonomie stratégique. C'est là la force de l'UE, grâce à l'avancée qui sera faite aujourd'hui. Pas d'Europe de la défense incantatoire, mais une Europe de la défense opératoire.
Q - Mais une autonomie stratégique avec une Amérique se désintéresse de l'Europe ?
Vous poserez la question à M. Trump".
Source http://www.rpfrance.eu, le 15 novembre 2016