Déclaration à la presse de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur l'Europe de la défense, les relations euro-américaines après l'élection de Donald Trump et sur l'Union européenne face au conflit syrien, à Bruxelles le 14 novembre 2016.

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Circonstance : Conseil de l'Union européenne, à Bruxelles (Belgique) le 14 novembre 2016

Texte intégral

C'est une journée importante pour l'Europe. Cet après-midi aura lieu la réunion des 56 ministres des affaires étrangères et de la défense. C'est un beau résultat auquel l'Europe arrive aujourd'hui : l'affirmation de son ambition en matière de sécurité et de défense.
Le processus a été lancé formellement depuis le mois de juin après le rapport de la Haute représentante. Il y a eu un sommet à Bratislava et il y aura un autre sommet à la fin de l'année, mais la réunion commune des ministres des affaires étrangères et de la défense nous permet, dans un environnement de plus en plus incertain et face à de nouvelles menaces, de démontrer que l'Europe est capable de prendre des décisions importantes pour la sécurité des Européens.
Il y a bien sûr la question de la protection des frontières, mais s'agissant de la stratégie de défense, aujourd'hui c'est une étape essentielle. Nous allons réaffirmer dans notre déclaration finale notre volonté d'autonomie stratégique mais aussi notre volonté de mettre en oeuvre des moyens, des outils qui nous permettront d'agir, de coordonner l'action militaire et aussi de déterminer toutes les capacités dont nous avons besoin pour assurer la sécurité des Européens. Enfin, il s'agit d'une politique industrielle et de recherche véritable, financée en utilisant non seulement un fonds de soutien pour la défense mais aussi le programme d'investissement du plan Juncker. C'est donc une étape très importante qui est franchie aujourd'hui, surtout dans un contexte de plus en plus incertain, avec de nouvelles menaces.
Q - L'élection de M. Trump a-t-elle favorisé cette relance de l'Europe de la défense ?
R - Je ne crois pas que ce soit la raison pour laquelle nous avons avancé. Nous avons beaucoup travaillé, et dans ce travail préparatoire, il y a eu énormément de concertation. Il y a eu notamment les initiatives franco-allemandes, que ce soit au niveau des ministres des affaires étrangères que des ministres de la défense. Avec mon collègue Frank-Walter Steinmeier nous avons produit un papier il y a déjà plusieurs mois. Jean-Yves Le Drian et Ursula von der Leyen ont fait de même, donc nous avons mis sur la table toute une série de propositions. Elles n'ont pas toutes été retenues, mais l'essentiel est là. L'Europe avance quand elle s'en donne les moyens politiquement. Le monde incertain est là, il n'a pas démarré avec l'élection de M. Trump. L'Europe ne doit pas attendre des décisions des autres. Elle doit défendre ses intérêts, c'est-à-dire les intérêts des européens, et en même temps affirmer son rôle stratégique à l'échelle mondiale.
Q - L'élection de M. Trump est-elle une opportunité, comme le dit Boris Johnson ?
R - Je laisserais M. Johnson faire ses commentaires. Je ne sais pas exactement ce qu'il veut dire. Ce qui est sûr c'est que les Américains ont élu un président, c'est leur président. Il va prendre ses fonctions le 20 janvier, il se prépare, il va désigner ses équipes, il va nommer 4.000 personnes. Cela va prendre un peu de temps.
Pour autant la relation transatlantique est essentielle. Dans la campagne des élections américaines, il y a eu un certain nombre de choses qui ont été évoquées et des engagements ont été pris par le nouveau président américain. Là-dessus, il faut que les choses soient clarifiées. Je prends un exemple : l'accord sur le climat qui est essentiel pour l'avenir de l'humanité : tout recul serait un recul pour l'humanité. Donc l'Europe a ses intérêts à défendre. Elle a pris des engagements, et elle veut qu'ils soient tenus. Mais c'est vrai aussi en matière de sécurité, de lutte contre le terrorisme, de lutte pour le développement, je pense à l'Afrique. Il y a une nécessité non seulement d'une relation transatlantique forte, claire et solidaire, mais en même temps d'avoir une vision du monde partagée. Une vision multilatérale pour vaincre tous les risques qui sont devant nous. Parmi les risques il y a le retour à l'isolationnisme, c'est une vision politique américaine ancienne. Est-ce que c'est le retour à l'isolationnisme ? Cela ne serait pas une bonne chose ni pour les États-Unis, ni pour le monde. L'isolationnisme peut aussi développer les nationalismes. Un des vrais dangers aujourd'hui pour le monde, c'est aussi le cas en Europe, c'est la montée ou la remontée des nationalismes. Il faut y faire extrêmement attention. Vous vous souvenez de cette phrase historique de François Mitterrand qui disait «le nationalisme c'est la guerre». Je crois que la guerre elle existe déjà, elle existe en Syrie, elle existe dans d'autres parties du monde. Il y a des conflits, en particulier dans certaines régions d'Afrique.
C'est un des sujets que j'ai évoqués ce matin avec le nouveau Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. Il faut travailler à un monde de paix, à un monde de sécurité et à un monde de progrès, en prenant en compte aussi les attentes des peuples. Les attentes des peuples c'est davantage de travail, davantage d'éducation, davantage de santé. Cela fait partie de tous les sujets qu'il va falloir discuter maintenant avec le nouveau président américain.
Q - La prochaine administration américaine pourrait arrêter l'aide à l'opposition syrienne. La France et les alliés européens pourraient-ils compenser ce déficit d'aide américaine ?
R - Le conflit syrien est au coeur de nos préoccupations, nous en discutons d'ailleurs ce midi au Conseil des affaires étrangères. Je me suis entretenu ce matin avec le nouveau Secrétaire général des Nations unies, M. Guterres, ce sera bien sûr une de ses priorités quand il prendra ses fonctions début janvier. C'est toujours la même question qui est à l'ordre du jour : comment arrêter la guerre ? Comment arrêter les hostilités ? Comment arrêter les bombardements, en particulier sur Alep ? Permettre l'accès de l'aide humanitaire, et là il est clair que l'Union européenne peut jouer son rôle pour aider encore plus l'accès à l'aide humanitaire et reprendre surtout le processus de paix et la négociation politique. La négociation politique pour une transition politique comme les Nations unies l'ont décidé à travers la résolution du conseil de sécurité. Il n'y aura pas de victoire militaire en Syrie, on ne peut y arriver que par la négociation. C'est ce que nous appelons de nos voeux, cela reste donc la priorité des priorités. Il faut que les Européens le réaffirment encore, c'est ce qu'ils vont faire aujourd'hui.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 novembre 2016