Conférence de presse de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur les relations franco-sénégalaises et franco-américaines, à Dakar le 10 novembre 2016.

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Circonstance : Déplacement au Sénégal, le 10 novembre 2016

Texte intégral


Mesdames, Messieurs
Monsieur le Ministre, cher Mankeur, merci de votre accueil, d'avoir organisé cette rencontre avec la presse sénégalaise et la presse internationale présente ici à Dakar.
Je suis heureux d'être à Dakar comme ministre des affaires étrangères, de revenir au Sénégal parce que je suis venu souvent avant d'être au gouvernement de la République française et j'aurai, cet après-midi, l'occasion de me rendre à Rufisque avec vous, ville jumelée avec Nantes dont j'ai été le maire pendant 23 ans et j'ai en effet eu la chance de pouvoir signer ce pacte d'amitié et de coopération avec cette ville mais nous aurons l'occasion d'y revenir. Quelques années auparavant, j'ai été maire d'une autre commune, St Herblain, près de Nantes où j'avais préparé aussi un jumelage avec la communauté de rurale de Ndiaganiao et je crois que ce soir à la réception à la résidence de France quelques représentants de cette commune seront là présents aussi. Donc, pour moi, c'est émouvant.
Après mon entretien intense et riche avec Mankeur Ndiaye, mon collègue et ministre des affaires étrangères que j'ai eu l'occasion de rencontrer plusieurs fois, dont une fois officiellement à Paris, au Quai d'Orsay, nous avons eu, après avoir assisté à cette magnifique cérémonie en l'honneur de l'armée sénégalaise, un long entretien suivi d'un déjeuner avec le président Macky Sall. J'ai eu l'honneur de recevoir cette décoration, l'ordre du Lion, qui est pour moi un grand honneur et j'y suis particulièrement sensible. C'est, pour moi, le symbole d'une forte relation et surtout d'une riche amitié. Le Président Macky Sall va venir en visite d'État en France. Nous souhaitons que cela soit le couronnement de toute cette période intense de relations politiques que nous avons eu ces derniers mois, de nombreuses visites ministérielles, le Premier ministre, ma visite, encore dans quelques jours le ministre de la défense, qui sont le symbole aussi d'une relation de confiance, d'amitié et de coopération entre le Sénégal et la France. Une grande intensité basée sur la confiance. D'abord parce que nous partageons des valeurs communes : la démocratie, l'attachement à l'État de droit, la tolérance, le respect des cultures. Et puis au plan diplomatique, nous nous retrouvons souvent et en particulier en ce moment, au conseil de sécurité où le Sénégal, non seulement est membre mais préside tout ce mois. Nous avons pu apprécier, puisque nous avons beaucoup coopéré ensemble, tous les thèmes que le Sénégal a bien voulu mettre sur la table, qu'il s'agisse de la résolution des crises sur le continent africain ou les autres grands dossiers internationaux.
Vous le savez, la France et le Sénégal sont engagés ensemble pour le maintien de la paix et la sécurité en Afrique et en particulier au Mali dont nous en avons longuement discuté.
En matière de développement économique et social, notre coopération est en train de prendre de l'ampleur. Les entreprises françaises sont davantage présentes et elles sont bien sûr attirées aussi par le dynamisme économique du Sénégal, qui connaît un fort taux de croissance. Notre aide au développement connaît des aspects très variés. J'ai voulu en particulier mettre l'accent sur la coopération décentralisée que de très nombreuses communes françaises et sénégalaises ont nouées entre elles.
Développement, sécurité, pour moi, c'est très clair et pour la France les deux vont ensemble. N'opposons pas l'un à l'autre. C'est pourquoi, je suis attaché à ce que la France s'engage davantage encore pour le développement des pays africains et mobilise l'Union européenne dans son ensemble. Nous le savons très bien, nos destins sont liés. Il est important de veiller à ce que ne s'installent pas durablement des déséquilibres qui conduisent à des désespoirs, des découragements et à des migrations incontrôlées, des trafics et des conflits. Nous sommes parfaitement conscients de cette réalité et nous voulons renforcer notre coopération et en ce qui concerne la France, notre soutien au développement.
D'ailleurs, en tant que ministre des affaires étrangères, puisque j'ai cette compétence dans mon ministère, actuellement je présente le budget pour l'année 2017, j'ai veillé à ce que l'aide de la France, l'aide publique au développement, augmente de façon très forte, pas seulement en termes de prêts ou à taux bonifiés mais aussi en termes d'aide directe pour des pays qui peuvent en avoir besoin davantage que d'autres.
Et puis je suis très engagé au conseil des affaires étrangères de l'Union européenne pour que l'aide au développement soit une priorité européenne, que l'Afrique soit une priorité de l'Europe.
D'ailleurs l'Afrique c'est aussi un continent qu'il ne faut pas toujours regarder uniquement à travers des problèmes. Oui il y a des problèmes, nous en avons parlé ensemble, il y a des conflits nous voulons les régler par la voie pacifique, le Sénégal et la France et beaucoup d'autres partenaires. Mais en même temps, l'Afrique c'est aussi un monde d'opportunités, un continent avec le dynamisme de sa jeunesse, à laquelle bien sûr il faut faire des propositions et offrir des perspectives. Mais l'Afrique c'est aussi le continent, comme l'a dit le président Macky Sall, lors de notre échange tout à l'heure, et le Sénégal est en pointe, il peut le mieux réussir car il comprend le mieux l'enjeu de la COP21 et de la COP22 qui vient de démarrer à Marrakech. Le président Macky Sall s'y rendra dans quelques jours et il retrouvera beaucoup de chefs d'État et de gouvernement et le président François Hollande. Donc là, il y a un défi mais je crois que nous pouvons parfaitement le réussir ensemble.
Nous sommes à la veille du 11 novembre et cette année va marquer le centenaire de la bataille de Verdun. Ce matin j'étais présent, à l'invitation du président Macky Sall, aux côtés de mon collègue, le ministre des affaires étrangères, pour cette cérémonie en hommage aux forces armées sénégalaises. Je n'oublie pas le sacrifice de ceux que l'on appelle les tirailleurs sénégalais, même s'ils n'étaient pas que sénégalais, mais l'effort et le prix du sang qu'ils ont payé pour la reprise du fort de Douaumont, cette Première guerre mondiale à laquelle ils ont participé. Et puis il y a eu la Seconde guerre mondiale, je n'oublie pas tous ces efforts, ces sacrifices. Il n'y a pas toujours eu d'ailleurs la reconnaissance qui aurait dû leur être accordée. Je me rendrai cette après-midi à Thiaroye pour me recueillir sur les tombes de ceux auxquels le président François Hollande a déjà rendu hommage en 2014. Je crois que c'est important de répéter le même message, celui de la reconnaissance, la justice aussi qu'ils n'ont peut-être pas toujours eue. Mais aussi un message qui nous projette dans l'avenir, un message de solidarité, de fraternité. Ainsi, hier comme aujourd'hui, au Mali ou en RCA, nos soldats sont côte-à-côte pour lutter contre la barbarie, contre le terrorisme mais ils sont côte-à-côte pour donner des perspectives et une chance à la paix. En tout cas, c'est notre conviction. Le partenariat entre la France et le Sénégal est un pacte exceptionnel d'amitié mais c'est un pacte basé sur l'analyse du monde, de ses défis et de ce que nous pouvons faire ensemble. C'est un partenariat qui repose sur la solidarité, sur la justice et sur l'amitié.
Q - Pourquoi autant de visites de ministres français pour préparer la visite de Macky Sall en France ? L'état de la coopération militaire entre le Sénégal et la France ? Est-ce que vous n'êtes pas en recul par rapport à d'autres ?
R - D'abord je vais commencer par l'état de la coopération militaire car j'ai eu la chance ce matin d'assister à cette cérémonie mais aussi parce que j'ai également eu la chance de pouvoir parler avec les responsables politiques qui ont l'autorité, c'est le pouvoir civil dans une démocratie sur l'armée à qui il fixe des missions. J'ai également pu parler avec les chefs d'état-major de toutes les armées et le président de la République Macky Sall me l'a confirmé : le Sénégal souhaite pouvoir disposer d'une autonomie concernant ses forces armées et donc souhaite s'équiper et souhaite aussi former son personnel et pas seulement les former à l'étranger, comme cela pouvait être le cas dans le passé, c'est le cas de beaucoup d'officiers, sous-officiers. La France accueille et accueillera tous ceux qui le souhaitent mais j'ai compris, notamment c'est vrai pour l'armée de l'air, que le Sénégal voulait aussi mettre en place, en coopération étroite avec la France, et les représentants militaires français étaient là aussi lorsque nous avons eu cet échange, pour que la formation, je pense par exemple aux pilotes, puisse avoir lieu au Sénégal.
Pourquoi des visites, puisque vous me posez cette question ? D'abord on vient voir ses amis et il y a beaucoup de visites sénégalaises dont on ne parle pas forcément tous les jours, c'est fréquent ! Il y a peu de temps vous étiez en France pour une conférence que la France à organisée sur les opérations de maintien de la paix dans l'espace francophone, donc c'est quotidien notre travail. Mais je pense que ce qui est important c'est l'état d'esprit.
Le Sénégal veut jouer un rôle dans la région et en particulier, pas seulement dans la CEDEAO mais aussi dans l'Union africaine et le Sénégal veut aussi jouer un rôle, c'est ce qu'on m'a dit, de soutien, de solidarité avec les autres pays qui, comme le Sénégal, souhaitent disposer d'un outil de défense autonome mais qui ne sont pas toujours suffisamment équipés et qui surtout n'ont pas de cadres militaires suffisamment formés. Donc, le projet, on l'a vu ce matin, avec les promotions qui ont été nommées par le président Macky Sall, c'est pour la formation des pilotes : le Sénégal veut former ses hommes mais aussi offre la possibilité aux pays voisins de pouvoir se former ici. Nous nous félicitons de cette autonomie, qui est le signe d'un développement de la constitution, au fond, d'un État qui joue son rôle. Donc c'est positif pour le Sénégal mais ce n'est pas un abandon de la France. Certains disent : cela ne se passe plus en France donc la France ne fait rien. Non, la France respecte le Sénégal. Et le Sénégal a fait un choix, c'est d'être lui-même, mais, pour autant, lorsqu'il nous demande de l'expertise, lorsqu'il nous demande une aide, lorsqu'il nous demande un concours, la France est présente. Mais dans le respect de l'indépendance et de l'autonomie des décisions du Sénégal. C'est aussi notre conception de cette relation, désormais, entre la France et l'Afrique et je pense que c'est mieux ainsi. Mais faut-il encore que le cap soit franchi et ce cap n'est pas franchi partout : des pays sont beaucoup plus pauvres, beaucoup plus en difficultés, ce qui demande de notre part des aides plus importantes mais c'est toujours cette perspective. Et nous, nous faisons confiance aux pays africains. C'est ce que je voulais dire, ce message-là qui est un message de confiance et de respect. Et le Sénégal aussi, dans la région et en Afrique, c'était un des autres volets de votre question, veut jouer un rôle, un rôle de sage en quelque sorte, ou un rôle actif, on le voit au Mali : c'est une bonne chose.
Nos visites portent sur les questions bilatérales, sur les questions économiques, nous en avons abordées beaucoup, sur les questions d'aide au développement, d'aide à la transition énergétique, nous les avons abordées dans le détail, mais nous avons abordé les questions qui montrent que le Sénégal est une grande nation qui joue non seulement un rôle dans la région et en Afrique mais qui s'intéresse aussi aux questions du reste du monde. Et ça c'est le reflet d'un grand pays.
Il faut laisser au Sénégal le choix de ses décisions, de ses relations. J'ai évoqué avec le président Macky Sall les échanges avec beaucoup de pays. Avec certains pays, il y a par exemple des accords de coopération militaire et économique, donc les deux, et avec d'autres pays il y a des relations qui sont d'abord économiques ou d'aide au développement et qui ne sont pas militaires, cela dépend. Il ne faut pas voir les choses de façon uniforme. Il y a une chose qui, par contre, me rassure, c'est que j'ai parlé de l'Europe qui de plus en plus est consciente qu'il faut aider les pays africains à proposer à leur jeunesse des solutions. Donc l'Europe va s'engager de plus en plus, j'en suis convaincu. Mais c'est vrai aussi d'autres nations. J'ai vu, c'est le rôle aussi d'un ministre des affaires étrangères, j'ai voyagé beaucoup ces temps-ci, que cela soit au Japon par exemple, au Canada qui s'intéresse à nouveau, comme disait Stéphane Dion mon homologue «le Canada est de retour», ils veulent revenir dans les opérations de maintien de la paix mais aussi sur les projets de développement. Mais c'est vrai de la Chine aussi, où l'on peut aborder les choses différemment et j'ai vu le président Xi Jinping et j'ai dit : Qu'est-ce qu'on peut faire ensemble ? Ce sujet a été abordé à l'autre bout du monde mais nous l'avons aussi abordé avec le président Macky Sall, avant qu'il ne parte pour Washington pour la réunion à laquelle il participe au FMI. Je vais vous donner un exemple très concret : on a parlé des investissements chinois. J'ai dit : Alors, est-ce qu'il y a beaucoup de main-d'oeuvre recrutée sur place ? Il m'a dit : Oui, les choses ont changé. C'est positif ! Vous voyez on se parle franchement. Quand on est amis on peut se dire des choses et construire des choses. Donc voilà l'état d'esprit qui est le nôtre.
Q - Sur Trump.
R - Vous savez si on veut assurer la prospérité des peuples, durablement et sincèrement, il faut accepter les règles du jeu démocratique. Tous les pays qui les ont refusées ou pour permettre le maintien au pouvoir de personnes tout en niant le respect des droits constitutionnels, n'ont pas apporté davantage à leur peuple. Au contraire, ils ont provoqué des divisions, parfois des affrontements, parfois des guerres civiles et donc pour pouvoir développer un pays, il faut un État de droit et son respect, il faut de la démocratie, du débat, des règles et les respecter et il faut aussi un contexte de paix civile. Ça c'est la ligne de la France. Si l'on prend le cas de la République démocratique du Congo, moi j'ai eu l'occasion de m'exprimer plusieurs fois, ce n'est absolument pas de l'ingérence. Le conseil de sécurité, nous en avons parlé, a rappelé la même chose, lorsqu'on est interpellé, et on est interpellé par les Congolais eux-mêmes, soit quand on va dans ce pays, soit par les forces politiques, soit par les Congolais qui vivent en Europe, en France par exemple, et qui nous demandent ce que l'on pense. Ce que l'on pense c'est respect de la constitution et la constitution prévoit que soit décidée la date d'une élection présidentielle. Donc il faut le faire, et la constitution prévoit également le nombre limité de mandat qu'un président de la république peut effectuer. Si l'on veut de la confiance, du dialogue, de la démocratie, de la paix civile alors commençons par respecter la constitution. Qu'est-ce que c'est qu'une Constitution ? C'est le pacte de confiance qui lie les citoyens à leur nation. Moi je ne fais pas la leçon, la France a connu une longue histoire et est passée par des moments difficiles aussi mais quand on a une constitution et qu'elle apporte de la stabilité alors il faut la respecter et après ce sont les citoyens qui décident qui ils veulent comme président, qui ils veulent comme majorité à l'Assemblée et c'est cela qui fait que les choses vont mieux pour tous les citoyens.
Q - Comment vous imaginez la politique de Trump en Afrique ?
R - Je n'ai pas entendu beaucoup de chose du candidat Trump, avant qu'il soit président, sur l'Afrique. Moi je vous ai donné mon point de vue, celui de la France. Nous allons retrouver très vite le président américain lorsqu'il prendra ses fonctions le 20 janvier. C'est au pied du mur qu'on voit le maçon. Il faudra bien que le président des États-Unis, ce grand pays, dont la France est le plus vieil allié, s'intéresse aux affaires du monde. Non pas pour décider à la place des autres, mais pour jouer son rôle. C'est comme la France, nous jouons notre rôle, nous sommes membre permanent du conseil de sécurité, les États-Unis aussi. C'est là qu'on verra, je ne peux pas répondre à l'avance à votre question. Maintenant, il y a eu un certain nombre de propos qui ont été tenus, un certain nombre d'annonces qui ont été faites, de plan pour les 100 jours qui ont été annoncés, on verra. Et nous jugerons sur pièce mais le peuple américain est un grand peuple, c'est une grande démocratie. Il a choisi, ce n'est pas à nous de choisir à sa place mais par contre nous agissons par rapport à ce pays, non seulement comme allié, mais aussi comme une nation indépendante qui veille à son indépendance, et qui veille au respect de ses principes et de ses valeurs et qui, sur ces principes et ces valeurs, gardera le cap.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 novembre 2016