Interview de Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, sur la campagne d'Hillary Clinton et la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle aux Etats-Unis.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

YVES CALVI
7 h 49, Elizabeth MARTICHOUX vous recevez Ségolène ROYAL.
ELIZABETH MARTICHOUX
Bonjour Ségolène ROYAL…
SÉGOLÈNE ROYAL
Bonjour.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci beaucoup d'être avec nous ce matin, ce matin très particulier dans l'histoire du monde. Vous connaissez vous Hillary CLINTON, vous l'avez même vue – on en parlera tout à l'heure – il y a quelques mois en campagne à New-York...
SÉGOLÈNE ROYAL
Oui.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous êtes la seule femme en France par ailleurs à avoir été qualifiée pour le second tour de l'élection présidentielle, or Hillary CLINTON n'est pas encore vaincue mais elle ne peut plus gagner cette élection, TRUMP sera élu, votre premier sentiment ce matin en entendant cela.
SÉGOLÈNE ROYAL
D'abord mon premier sentiment c'est de penser aux électeurs Démocrates qui doivent être aujourd'hui dans une immense tristesse, parce qu'ils ont défendu des valeurs, ils ont défendu une vision, ils se sont battus comme ils ont pu avec Hillary CLINTON qui est une femme courageuse et déterminée dans une campagne dont chacun à pu mesurer la bassesse du niveau et la première chose que j'ai envie de dire c'est qu'il y a deux façons de faire une campagne électorale : soit on va rechercher chez chacun ce qu'il y a de pire, soit ce qu'il y a de meilleur, et dans cette campagne vraiment c'est ce qu'il y a de pire que l'on a vu et ça n'était pas un beau spectacle pour la démocratie.
ELIZABETH MARTICHOUX
Le peuple américain a choisi cette nuit Ségolène ROYAL et les jours précédents c'est une grande démocratie, TRUMP, Donald TRUMP a su installer un tête-à-tête avec ce peuple américain, ce peuple de laissés pour compte dans un pays qui pourtant économiquement va bien, est-ce que ça ne vous frappe pas, quelle leçon vous en tirez par rapport à la façon de faire la campagne certes mais par rapport aussi à faire de la politique aujourd'hui ?
SÉGOLÈNE ROYAL
Oui, et c'est très difficile de faire des commentaires, on va entendre tout et n'importe quoi dans ces commentaires. Donc, il y a deux écueils à éviter : c''est d'abord d'une part la banalisation qui consistera à dire : « finalement TRUMP est élu mais vous voyez ça va faire comme le Brexit où on nous avait dit que ça allait être la catastrophe, l'effondrement de l'économie européenne, etc.
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est un évènement majeur qui vient de se produire !
SÉGOLÈNE ROYAL
Et il ne s'est pas passé grand-chose », donc les électeurs à chaque fois qu'on leur dit : « c'est une catastrophe, fermez les yeux et votez comme on vous dit » ils disent :  Mais, attendez, on nous avait dit ça pour le Brexit », donc ça ne marche plus, donc tous les arguments qui consistent à dire : « circulez, surtout ne réfléchissez pas trop et faites ce qu'on vous dit » ne fonctionne plus. Donc, il faut faire très attention à respecter l'intelligence des électeurs dans une campagne et les amener vers des votes positifs et non pas vers des votes de peur ; l'autre écueil c'est le catastrophisme, c'est de dire : « vous allez voir, c'est une catastrophe, c'est épouvantable, etc. » ; et le troisième écueil, c'est de dire : « non mais TRUMP finalement est formidable, c'est lui qui avait les vrais messages, etc. ». Or ce qui se passe aujourd'hui c'est que l'Amérique est coupée en deux, c'est-à-dire qu'il ne faudrait pas quand même oublier que la moitié de l'Amérique a voté aussi Démocrate et respecter même ceux qui souffrent et qui ont quand même voté Démocrate, parce qu'on va voir aussi le couplet : « finalement, ce sont les pauvres qui ont voté Démocrate », pas du tout, on n'a pas du tout un système américain comme la droite, la gauche, on a des pauvres, des gens qui sont laissés pour compte qui ont voté démocrate et d'autres qui sont des laissés pour compte qui ont voté...
ELIZABETH MARTICHOUX
Et alors qui a voté TRUMP si ce ne sont pas les laissés pour compte, toute cette partie...
SÉGOLÈNE ROYAL
Ce que disent les analyses-là, vous avez vu ce que disent les analyses – et c'est très juste – qu'est-ce qui s'est passé ? Il s'est passé que d'abord dans la première étape de campagne d'Hillary CLINTON contre Bernie SANDERS, Bernie SANDERS qui a fait une campagne extraordinaire – j‘ai beaucoup suivi cette campagne – avec ces gens enthousiastes, donc le seul candidat...
ELIZABETH MARTICHOUX
Lui il a su mobiliser la jeunesse...
SÉGOLÈNE ROYAL
Oui, absolument.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et il a su mobiliser la classe ouvrière...
SÉGOLÈNE ROYAL
Exactement.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ce que n'a pas su faire Hillary CLINTON ?
SÉGOLÈNE ROYAL
Exactement, et ensuite, oui mais ensuite eh bien Hillary CLINTON elle a quand même la moitié des voix américaines, donc ne la...
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, mais elle n'a pas suffisamment mobilise, les ouvriers n'ont pas voté pour elle, mais on va le savoir ?
SÉGOLÈNE ROYAL
Attendez ! Attendez. Ce qui s'est passé c'est que Bernie SANDERS au dernier moment a dit : « votez Hillary CLINTON et venez voter nombreux parce que comme ça on aura un contrôle aussi sur le contenu de son programme » qui a changé d'ailleurs, elle a fait l'effort entre les deux tours si j'ose dire d'intégrer des éléments de la campagne de Bernie SANDERS...
ELIZABETH MARTICHOUX
Elle a été obligée pour avoir une partie de son soutien.
SÉGOLÈNE ROYAL
Ce n'est pas obligé, ce n'est pas obligé.
ELIZABETH MARTICHOUX
Elle a été le chercher, elle est allée chercher le soutien de Bernie SANDERS.
SÉGOLÈNE ROYAL
Attendez, je ne suis pas en train de polémiquer avec vous...
ELIZABETH MARTICHOUX
Non, non...
SÉGOLÈNE ROYAL
J'essaie de comprendre.
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais pour être précis.
SÉGOLÈNE ROYAL
Oui, attendez, je ne suis pas en train de polémiquer avec vous, j'essaie d'expliquer ce qui s'est passé. Quand Hillary CLINTON est repartie en campagne après SANDERS, elle a intégré des pans entiers du programme de SANDERS – mais avec conviction puisqu'elle l'a dit très clairement – elle a dit : « j'ai entendu les électeurs de SANDERS, j'ai intégré dans mon programme effectivement la question du revenu minimum, la question de la protection de la santé, la question de la lutte contre les inégalités devant l'éducation ». Mais qu'est-ce qui s'est passé ? C'est qu'un certain nombre d'électeurs de SANDERS ne sont pas venus, que toutes les minorités ne sont pas venues...
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce qu'il y a une équation personnelle à Hillary CLINTON, on l'a beaucoup dit, parce qu'on a découvert nous ici qu'elle était mal aimée, qu'elle était même détestée, est-ce qu'il y a une...
SÉGOLÈNE ROYAL
Oui, mais vous savez il faudra faire attention aussi à ce qu'on dise derrière...
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui ou non ?
SÉGOLÈNE ROYAL
Qu'il n'est pas aussi un déferlement de misogynie, quand un homme perd on ne dit pas : « si un homme était candidat, il ne faut plus que les hommes soient candidats »...
ELIZABETH MARTICHOUX
Il y avait beaucoup de sexisme d'après vous...
SÉGOLÈNE ROYAL
Là on va avoir du sexisme et de la misogynie, en disant...
ELIZABETH MARTICHOUX
Parce que vous avez connu ça aussi ?
SÉGOLÈNE ROYAL
Attendez, ce n'est pas de moi dont on parle...
ELIZABETH MARTICHOUX
Non, mais il y a des analyses.
SÉGOLÈNE ROYAL
En disant : « vous voyez, une femme candidate, elle a perdu, il ne faut pas que les femmes soient candidates », c'est absurde. Ce qui s'est passé c'est que les minorités ne sont pas venues et que TRUMP a eu le vote blanc, regardez la Californie ce sont les retraités blancs aisés qui ont eu peur. De quoi ? De quoi les gens ont... Pourquoi il y a eu un vote de peur aussi ? Les gens n'ont pas voté TRUMP pour adhérer forcément à ce que dit TRUMP, on a vu beaucoup de Républicains avoir honte aussi de leur candidat, ils ont voté TRUMP pour une raison très simple – ce qui explique aussi la montée de l'extrême droite - c'est que dans cette mondialisation où le déferlement des images de terrorisme qui sont passées en boucle, etc., les gens se demandent : quel est leur avenir, quelles sont leurs racines, quel est l'objectif, quelle est la vision du monde et, donc, effectivement il y a un repli, il y a la peur de l'autre, il y a la peur de la différence. On a vu d'ailleurs ressurgir et encouragé par TRUMP une campagne raciste, ce qu'on n'aurait jamais pu imaginer aux États-Unis d'Amérique ni dans le monde contemporain et donc il faut être extrêmement vigilant sur la façon dont les peurs sont en effet instrumentalisées et il faut répondre à ces interrogations.
ELIZABETH MARTICHOUX
Absolument ! Mais est-ce qu'il ne faut pas répondre qu'à ? Il ne s'agit pas d'accabler Hillary CLINTON évidemment ce matin quand je vous dis qu'elle est mal aimée, ça fait 30 ans qu'elle est dans la vie publique, elle incarnait – et on l'a beaucoup dit – aux yeux des Américains l'Establishment, elle n'incarnait pas cette rupture qu'incarnait Bernie SANDERS chez les Démocrates...
SÉGOLÈNE ROYAL
Absolument ! Absolument.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et qu'incarne Donald TRUMP chez les Républicains ?
SÉGOLÈNE ROYAL
Je vous rejoins tout à fait sur cette analyse, c'est-à-dire qu'il y avait huit ans de Barack OBAMA - où il sort d'ailleurs très haut dans les sondages...
ELIZABETH MARTICHOUX
54 % de popularité !
SÉGOLÈNE ROYAL
Voilà ! Donc, ce n'est pas non plus justement... parce qu'on entendra ça aussi : « c'est un rejet de la période OBAMA », ce n'est pas vrai, Barack OBAMA a redonné vraiment aux Etats-Unis d'Amérique une aura internationale, un charisme international...
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, mais...
SÉGOLÈNE ROYAL
Attendez ! Et ce que vous dites est tout à fait juste, c'est qu'il y a eu ensuite la dynastie CLINTON - donc ça fait une continuité - et Bernie SANDERS a incarné effectivement ce changement - il n'a pas gagné donc l'investiture mais il a incarné très fortement changement - et sans doute que...
ELIZABETH MARTICHOUX
Très vite, parce qu'il faudrait qu'on parle aussi de...
SÉGOLÈNE ROYAL
Les vrais électeurs aussi ne sont pas venus et l'abstention a été plus forte aussi dans le camp Démocrate.
ELIZABETH MARTICHOUX
On y reviendra ! Coup dur pour l'accord de Paris issu de la COP21, on rappelle que Donald TRUMP a promis qu'il l'annulerait ?
SÉGOLÈNE ROYAL
En effet Donald TRUMP a défendu pendant cette campagne des avis absolument invraisemblables, il a remis en cause les effets du dérèglement climatique, du réchauffement climatique, or le dérèglement climatique je pense est le défi de ce siècle, c'est l'un des principaux défis, et en particulier...
ELIZABETH MARTICHOUX
Il peut annuler l'accord de Paris...?
SÉGOLÈNE ROYAL
Juste en un mot pour résumer le dérèglement climatique...
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, très vite.
SÉGOLÈNE ROYAL
C'est les désastres, les catastrophes, la désertification, qui entraînent des mutations massives de populations, donc, si l'on veut maîtriser les migrations, il faut vraiment gagner...
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce qu'il peut annuler l'accord de Paris ?
SÉGOLÈNE ROYAL
Il ne peut pas annuler !
ELIZABETH MARTICHOUX
Quand il dit qu'il va le faire, est-ce qu'il peut le faire, ça été ratifier par OBAMA ?
SÉGOLÈNE ROYAL
Ca été 160… à l'heure où je vous parle 103 pays ont ratifié représentant 70 % des émissions, donc il ne peut pas – contrairement à ce qu'il a dit – dénoncer l'accord de Paris puisque l'accord de Paris prévoit qu'on ne peut pas en sortir pendant trois mois...
ELIZABETH MARTICHOUX
Il peut empêcher sa mise en oeuvre ?
SÉGOLÈNE ROYAL
Il ne peut pas empêcher sa mise en oeuvre et d'ailleurs les entreprises américaines sont les premières à se dire qu'elles vont bénéficier de l'accord de Paris au sens où il faut investir dans les filières économiques du futur et dans la finance verte et l'accord de Paris dit lui-même que pendant trois ans on ne peut pas en sortir.
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais est-ce que vous êtes inquiète ou pas de l'avenir de l'accord de Paris ?
SÉGOLÈNE ROYAL
Il va falloir redoubler au contraire, redoubler de combattivité, je ne suis pas une inquiète parce qu'il va falloir redoubler de combattivité pour gagner la bataille contre le climat, mais il va falloir être extrêmement vigilant et riposter à chaque fois que des tentatives seront faites pour affaiblir cet accord.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci beaucoup. En cinq secondes, les sondages se sont trompés, en tant que responsable politique ça vous impressionne ?
SÉGOLÈNE ROYAL
Les sondages étaient très serrés et à un moment ils ont démobilisé, il faut faire attention.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci beaucoup Ségolène ROYAL d'avoir été avec nous ce matin dans le studio de RTL.
YVES CALVI
Et je précise Elizabeth que bien entendu on peut retrouver cet entretien sur le site rtl.fr et qu'à 8 h 40 vous recevrez Jean-Pierre RAFFARIN, ancien Premier ministre, merci à tous les deux.Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 novembre 2016