Texte intégral
Merci pour ton accueil toujours aussi chaleureux. Dès notre première rencontre, j'ai pu constater que nous partagions beaucoup de points de vue sur l'avenir de l'Europe, sur ses faiblesses, sur ses insuffisances mais aussi sur sa nécessité. C'est l'objet du séminaire de ce matin. Nous avons déjà commencé à nous exprimer ; nous allons le faire plus longuement à l'Université Érasme de Rotterdam. Mais je crois en effet que, entre la France et les Pays-Bas, la relation est très bonne, elle est très chaleureuse et très coopérative. Mais il y a aussi une proximité de sentiments ; j'ai pu m'en rendre compte lorsque le roi des Pays-Bas est venu en visite d'État en France, cela a été un moment très fort dans l'histoire de la relation entre nos deux pays.
Nous allons poursuivre cette journée, nous sommes là à la disposition de la presse. Je sais que j'aurai aussi l'occasion de rencontrer les parlementaires, membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des affaires européennes de la Chambre basse. Il est important d'écouter aussi les parlementaires.
Puis, je terminerai cette journée en remettant les insignes de chevalier de l'ordre de la Légion d'honneur à Ton Elias qui est le président du groupe d'amitié France-Pays-Bas de la Chambre basse néerlandaise.
Puis, je profiterai de ma visite, ici aux Pays-Bas pour rencontrer le directeur général de l'Organisation internationale pour l'interdiction des armes chimiques.
Je rencontrerai également la procureure de la Cour pénale internationale, ce qui me permet d'ajouter que nous sommes très engagés contre l'impunité face à ceux qui commettent aujourd'hui des crimes de guerre.
Et je me félicite que l'OIAC ait adopté la semaine dernière une résolution très ferme, très claire et très contraignante. Cette résolution permet des enquêtes sur place, autant que ce soit possible du point de vue de la sécurité, mais en condamnant fermement l'utilisation d'armes chimiques par le régime de Bachar al-Assad à l'encontre d'ailleurs de tous ses engagements puisque vous savez qu'il avait signé ce traité en 2013.
Et puis, l'échange avec la procureure de la Cour pénale internationale permettra aussi de rappeler que, quelle que soit la situation juridique des pays concernés, la question de l'impunité est une question essentielle. Surtout en ce moment où un drame se déroule sous nos yeux : le bombardement d'Alep continue de s'intensifier dans une logique de guerre totale et ces bombardements touchent aussi d'autres parties de la Syrie. Et nous avons souvent, avec Bert, partagé le même point de vue pour exiger l'arrêt de ces bombardements, l'arrêt de ces massacres. Ceux qui les profèrent en porteront la responsabilité face à l'Histoire. Et puis, il faut tout faire pour permettre à l'aide humanitaire d'accéder et tout faire aussi pour la reprise des négociations par la voie politique et de la négociation. Il n'y a pas d'autre chemin, nous partageons cette conviction et ma visite ici est l'occasion de le redire.
(...)
Q - (inaudible)
R - Je dois dire que l'annonce de la candidature de Mme Merkel pour un quatrième mandat ne m'a pas vraiment surpris. Il n'y a pas eu le suspense des primaires, Mme Merkel n'a pas besoin de primaires.
Mais ce que vous évoquez, c'est le défi commun des Européens. Nous l'avons abordé il y a quelques instants pour ouvrir le séminaire qui se tient en moment. C'est le défi de l'avenir de l'Europe elle-même, ce n'est pas le défi d'un seul pays quel qu'il soit, c'est un défi collectif, il est commun aux Pays-Bas et à la France ; nous sommes des pays fondateurs, nous nous sentons une responsabilité particulière. Il est vrai que la coopération franco-allemande est essentielle aussi et j'y suis particulièrement attaché. Et j'ai noté, dans tous nos échanges, que les Pays-Bas considéraient qu'il y avait une cohérence, une logique à ce qu'il en soit ainsi, à condition que tous les pays puissent, autour de la table des 27 - désormais - être associés et partie prenante pleine et entière. Ce dialogue avec tous les pays, quelle que soit leur taille, je mesure à quel point il est essentiel, surtout dans les périodes de doute, surtout dans les périodes où il faut continuer à porter le projet européen et, en même temps, le rendre plus concret, plus attentif aux peuples, aux citoyens. Donc, que la confiance qui s'est affaiblie dans le projet européen renaisse. Cela veut dire parler avec tout le monde et non pas imposer son point de vue sur tout et à tous. Il faut un dialogue permanent.
Mais, il faut une vision partagée et, en particulier, un attachement aux principes fondateurs de l'Union européenne. Et cette épreuve nous l'aurons dans les mois qui viennent, il faut que nous fassions bloc, que nous soyons unis sur les quatre libertés dans la négociation qui va commencer dans les mois à venir avec le Royaume-Uni. Le peuple britannique a fait un choix, il faut le respecter et, en même temps, il faut préserver aussi l'intérêt de l'Union à 27. Les quatre libertés : liberté de circulation des marchandises, des capitaux, des services et des personnes. Il faut que nos pays soient unis sur ces principes. Cela vaut pour l'Allemagne et la France, pour les Pays-Bas, mais aussi pour les autres. C'est à nous de faire partager cela, il ne peut pas y avoir d'Europe à la carte où chacun prend ce qu'il a envie de prendre et puis, pour le reste, chacun se débrouille. Non, il y a un idéal européen, il y a des principes, il y a des valeurs communes.
Plus le monde est incertain plus il nous appartient dans nos responsabilités - quels que soient ceux qui dirigent les gouvernements - d'être à la hauteur de cette nouvelle étape de l'histoire de l'Europe.
Ensuite, ce seront les citoyens de chacun de nos pays qui décideront. Et, là, je réponds en Européen, en Français attaché à l'engagement de la France dans l'Europe, attaché à la relation franco-allemande, mais attaché aussi à la relation avec tous les membres de l'Union européenne. Je crois que l'on peut avoir confiance si l'on sait aborder les questions avec lucidité, écoute du citoyen et courage. En cette période, si l'on veut vaincre cette montée des populismes qui est un danger, et que personne ne peut vaincre à lui seul, nous devons être convaincus que nous avons une capacité collective à y répondre concrètement, pour redonner aux citoyens les raisons de croire et d'espérer.
Cela doit se traduire dans des politiques économiques communes. Je pense à la croissance, je pense à l'investissement, je pense à l'harmonisation sociale, je pense à l'harmonisation fiscale pour éviter les concurrences délétères. Je pense aussi à la capacité de l'Union européenne à se protéger, à défendre ses frontières, et dans les négociations internationales commerciales, sa capacité à montrer qu'elle est ouverte en même temps qu'elle protège ses intérêts et ceux de ses citoyens.
C'est cela le fond ; c'est sur le fond que nous pourrons avancer, sur toutes ces questions, elles sont devant nous. Elles sont à l'ordre du jour désormais, plus que jamais.
Q - (en néerlandais)
R - Concernant le traité transatlantique, il est clair que les conditions n'étaient pas réunies pour le conclure.
Nous sommes favorables au traité de libre-échange mais à certaines conditions. On protège nos intérêts. Donc, ces échanges doivent être basés sur un principe qui est la réciprocité mais qui tient compte aussi de tous les acquis qui sont les nôtres, auxquels nous tenons, notamment en matière environnementale, de santé, en matière sociale et aussi de protection des travailleurs.
Par ailleurs, il faut aussi des mécanismes de règlement de conflits qui soient basés sur un cadre juridique et judiciaire incontestable pour qu'il n'y ait aucun risque de conflit d'intérêt.
Donc, pour nous, la bonne référence, ce n'est pas de se limiter au contenu du projet dans le TTIP parce qu'il est loin d'être suffisamment avancé, c'est ce qui est contenu dans le traité avec le Canada, où nous avons pu faire progresser dans la négociation les choses dans la bonne direction de façon beaucoup plus équilibrée. En particulier, le principe de réciprocité, l'accès aux marchés publics, pas seulement fédéraux - Canada - mais aussi provinciaux, subfédéraux ; l'indication des origines géographiques des produits ; et puis, également, le règlement des conflits par des tribunaux et des juges indépendants et non pas des chambres arbitrales où les conflits d'intérêt risquent d'être très nombreux.
C'est ce qui nous paraît être un bon exemple de ce que l'on peut faire et qui peut être une référence pour la suite des négociations.
Après, il y a toute la question du commerce mondial qu'il faut traiter de façon équitable, éviter les systèmes de dumping. Il faut donc aussi, dans d'autres cadres - je pense au G20 en particulier - mettre en place des règles du jeu plus strictes, plus justes, plus équitables et qui, lorsque ces échanges se développent, n'ont pas de conséquences brutales sur les pays ou sur les territoires où une partie des travailleurs qui perdent leur emploi. Il faut vraiment prendre ces questions au sérieux.
Si l'on veut continuer à défendre une certaine conception multilatérale et ouverte du monde il faut apporter des réponses aux questions que les gens se posent. Certains partis, certaines formations populistes exploitent les peuples. Mais il ne suffit pas de dénoncer ceux qui exploitent, il faut traiter la cause. Il faut bien méditer cela, y compris les débats qui ont eu lieu aux États-Unis à l'occasion des élections présidentielles. Il faut donc prendre au sérieux les questions que les gens posent. On peut parfois être en désaccord avec les réponses apportées et même combattre les réponses des populistes, mais il faut apporter des réponses qui soient justes, qui soient efficaces, qui soient concrètes, qui rassurent et qui donnent des garanties.
Cela vaut pour le fonctionnement de l'Union européenne - c'est l'objet de notre séminaire -, mais cela vaut aussi pour les relations internationales.
Pour ce qui est de la question sur l'élection de M. Trump, je ne vais pas vous faire beaucoup plus de commentaires. Je me suis déjà exprimé à ce sujet, ce n'est pas nous qui faisons le choix du président américain, c'est le peuple américain. M. Trump est président des États-Unis d'Amérique, il va prendre ses fonctions officiellement le 20 janvier. En ce moment, il prépare ses équipes, il va nommer les 4.000 personnes qui vont occuper les postes de l'administration. Donc, il y a encore un moment d'incertitude. Et comme des engagements ou des déclarations ont été exprimés pendant la campagne électorale aux États-Unis, sur un certain nombre de questions, nous attendons des clarifications.
Mais nous réaffirmons notre attachement à la relation transatlantique, à la relation avec les États-Unis ; la France est le plus vieil allié des États-Unis donc nous souhaitons des relations bien sûr dans notre intérêt commun, mais aussi dans l'intérêt d'un monde équilibré. Et nous sommes attachés au multilatéralisme et à ses organisations, notamment les Nations unies.
Et puis, ensuite - M. Trump s'est exprimé là-dessus -, nous sommes attachés à l'accord de Paris sur le climat et sa mise en oeuvre. Nous sommes attachés au respect de l'accord sur le nucléaire iranien, comme un facteur de paix. Et donc je ne prends que ces deux exemples-là - il y en a d'autres. Donc quand on dit que l'on attend des clarifications, ce n'est pas un jugement de valeur, c'est légitime. On n'est pas dans un commentaire polémique, on est simplement dans le constat objectif. Et, en fonction des nominations qui seront faites, en fonction des réponses qui seront faites, nous pourrons continuer à avancer. Le président François Hollande a parlé au téléphone avec le président Trump et ils ont fait une liste des questions dont il faudrait débattre. Ils ont vite convergé sur un point, c'est la nécessité de continuer à lutter contre le terrorisme, nous faisons partie ensemble de cette coalition contre le terrorisme. Et sur les autres, ils auront rapidement, je l'espère, l'occasion de pouvoir échanger sur le fond. Voilà où nous en sommes.
Q - (en néerlandais)
R - Il est aussi présent en France qu'il l'est aux Pays-Bas, c'est à peu près comparable. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, il faut s'attaquer aux causes et aux problèmes, sans pour autant perdre ses valeurs et ses principes qui sont ceux auxquels nous croyons dans l'Union européenne. Il est clair que ces partis exploitent les peurs et notamment les peurs migratoires.
Il y a des frustrations sociales, des personnes qui ont perdu leur emploi, qui sont en difficulté et qui craignent le décrochage. L'aspect budgétaire est difficile, il faut lutter contre le déficit de la dette, mais il faut aussi faire attention à tout ce qui peut permettre la création d'emplois partout, en ne laissant tomber personne. Il ne faut pas laisser d'espace à ceux qui exploitent ces peurs. Tout le monde est confronté à cela.
La France, les Pays-Bas aussi et même l'Allemagne sont confrontés à ces difficultés. Il faut réfléchir ensemble et ne pas faire de leçon de morale en disant que ce n'est pas bien. Il faut traiter la cause du mal et apporter les réponses, sans jamais renoncer aux principes qui sont ceux de la démocratie, des droits de l'Homme, de l'ouverture aux autres, de la solidarité et de la fraternité. En tant qu'Européens, on ne peut pas céder sur ces principes.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 novembre 2016