Interview de M. Michel Sapin, ministre de l'économie et des finances, à "France 2" le 29 novembre 2016, sur les primaires à gauche, sur l'état du chômage.

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Média : France 2

Texte intégral

WILLIAM LEYMERGIE
Mais d'abord, « Les 4 vérités », Caroline ROUX reçoit ce matin Michel SAPIN, le ministre de l'Economie et des Finances.
CAROLINE ROUX
Oui, Michel SAPIN qui n'a pas changé de champion, lui, depuis 2012, il croit toujours en François HOLLANDE, au moment où la pression montre pour que le chef de l'Etat renonce à une éventuelle candidature.
- Jingle -
CAROLINE ROUX
Bonjour Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
CAROLINE ROUX
Est-ce que le déjeuner a permis de trancher « la » question ?
MICHEL SAPIN
Je ne sais pas quelle est la question, mais en tous les cas...
CAROLINE ROUX
A votre avis, quelle est la question ? Qui de François HOLLANDE ou de Manuel VALLS sera donc candidat...
MICHEL SAPIN
Eh bien cette question sera tranchée...
CAROLINE ROUX
... pour conduire la gauche à la présidentielle ?
MICHEL SAPIN
Cette question sera tranchée par une seule personne, c'est normal, nous sommes sous la Vème République, il y a un président de la République, il a été élu par le peuple, quelles que soient les difficultés du moment, quelles que soient les excitations des uns ou des autres, et c'est le chef de l'État qui, comme on dit parfois, est le maitre des horloges, donc c'est lui qui décidera du moment où il annoncera sa propre décision. C'est comme ça, c'est normal, c'est respectable et c'est respecté, et ça doit être respecté.
CAROLINE ROUX
C'est l'agitation, donc, de la part du Premier ministre, de laisser entendre que lui, il est prêt, qu'il se prépare à une candidature à la présidentielle, et de laisser entendre surtout que le président n'est pas en situation d'y aller ?
MICHEL SAPIN
Que le Premier ministre prenne en considération le fait qu'éventuellement le président de la République puisse ne pas être candidat, ça me parait parfaitement légitime, parfaitement légitime, simplement il faut que chacun, je ne dis pas ça du tout pour le Premier ministre, mais parfois pour d'autres, chacun ait le calme et le sang froid qui consiste à attendre encore quelques jours, le temps que le président de la République...
CAROLINE ROUX
Pourquoi attendre, en réalité ?
MICHEL SAPIN
Mais parce qu'une décision de se représenter ou de ne pas se représenter, de la part d'un président de la République en fonction, ce n'est pas un truc banal qu'on ramasse au coin de la rue, c'est un sujet fort, c'est une décision profonde, c'est une relation avec les Français qu'il faut renouer, reconstruire, c'est un projet qu'il faut présenter aux Français pour les années qui viennent. Ça ne s'improvise pas, et surtout ça ne se déclare pas sous la pression. Une candidature d'un président de la République, ça n'est jamais une candidature ni obligée, ni empêchée. Personne ne peut obliger le président à être candidat, personne ne peut empêcher le président d'être candidat s'il le souhaite.
CAROLINE ROUX
Ça veut dire qu'à l'heure où on se parle il n'a pas pris sa décision ?
MICHEL SAPIN
Je n'en sais rien, il est le seul à le savoir, et c'est normal. Il y a un moment donné où quelle que soit l'action collective, et évidemment quand on est à la tête de l'Etat, on n'est pas seul à la tête de l'État, il y a un gouvernement, il y a un Premier ministre, il y a des ministres, il y a des parlementaires, il y a une majorité, mais quelle que soit cette action collective, il y a un moment donné où la décision vous revient à vous et à vous seul.
CAROLINE ROUX
Ça veut dire qu'il n'écoute pas ce qui se passe dans sa famille politique, ce que peut lui dire le Premier ministre, via une interview dans le JDD ? Ce que vous pouvez par exemple lui dire lorsque vous le croisez ? Certains qui le mettent en garde contre le risque, pardon, d'une humiliation, lors d'une primaire de la gauche, d'une humiliation lors d'une présidentielle.
MICHEL SAPIN
Mais, pourquoi est-ce qu'il n'écouterait pas ? Décider, seul, parce que dans ces cas-là on décide seul, ça ne veut pas dire décider sans écouter, sans réfléchir, sans recueillir chez les uns ou les autres, les opinions, qui peuvent être d'ailleurs des opinions diverses. Mais, le terme d'humiliation, je me demande si c'est un bon terme. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas une décision qu'on prend en fonction de soi, ce n'est pas une décision en fonction de son, comment dirais-je, est-ce que ça va être confortable ou pas confortable, de toute façon ce n'est pas très confortable d'être à la tête de l'Etat, en tout cas on n'y recherche pas le confort. Et être candidat, ça n'est pas non plus être confortable, qu'on soit de droite ou de gauche. Donc c'est une décision très lourde, très profonde, qui se réfléchit. On écoute et on décide.
CAROLINE ROUX
En se posant quelle question ? En se posant la question : qu'est-ce que je peux encore pour mon pays ? Qu'est-ce que je peux encore pour ma famille politique ?
MICHEL SAPIN
Oui, c'est les deux bonnes questions. Enfin, la famille politique, lorsqu'on est un président issu des socialistes, on est un président de gauche, on est un président élu par la gauche, mais on est le président de tous les Français, donc on doit avoir, mais c'est vrai pour lui comme pour tout autre candidat, qui n'est pas là simplement pour protester ou qui ne serait pas là simplement pour faire joli à la télévision, à ce moment-là on doit avoir, d'abord, il y a un bilan, il faut savoir le défendre, il faut pouvoir le défendre, il faut avoir les arguments pour le faire, je pense qu'il les a, mais ça ne suffit pas, chacun sait bien que ça ne suffit pas, il faut se projeter, il faut que les Français aient envie de se projeter avec vous. Ce ne sont pas des choses aussi simples que cela.
CAROLINE ROUX
Est-ce que vous considérez que les chiffres du chômage l'autorisent aujourd'hui à être candidat ?
MICHEL SAPIN
Je vous le disais, il n'y a pas de candidature obligée ou empêchée...
CAROLINE ROUX
L'autorisent.
MICHEL SAPIN
Donc, on ne sait pas, écoutez, franchement, je préfère que le chômage baisse plutôt que de le voir monter, non ? On l'a vu monter tellement longtemps, de 2007 à l'année dernière, le chômage n'a quasiment pas cessé d'augmenter. Le chômage recule aujourd'hui, c'est un élément du bilan et c'est aussi une perspective, parce que s'il recule aujourd'hui, ce n'est pas par hasard, c'est parce que les fondamentaux de notre économie sont en train de s'améliorer. Donc ça va continuer à s'améliorer. Donc, continuer ce travail, ça peut aussi être un motif de se représenter. Ça ne suffit pas. Continuer le travail, pour faire quelque chose pour les Français et pour son pays.
CAROLINE ROUX
Quand vous regardez, Michel SAPIN, l'état de la gauche aujourd'hui, est-ce que parfois ça vous arrive d'être triste ?
MICHEL SAPIN
En politique, on a...
CAROLINE ROUX
On a le droit d'avoir des émotions en politique, non, c'est interdit ?
MICHEL SAPIN
On a bien sûr le droit d'avoir des émotions, mais j'avoue que je les ai plus quand je suis face à des destins personnels, ou face à des cruautés ou à la manière dont les gens peuvent ressentir certaines choses.
CAROLINE ROUX
Déçu ?
MICHEL SAPIN
Non, pas déçu.
CAROLINE ROUX
Énervé ?
MICHEL SAPIN
On est devant une situation qui n'est pas forcément telle que vous la décrivez, mais d'une gauche extrêmement dispersée, et que si une gauche est extrêmement dispersée, chacun sait bien, chacun des éléments de la dispersion sait bien que dans ce cas-là elle ne sera pas au deuxième tour de l'élection présidentielle. Et moi je ne serai pas seulement triste, mais je serai vraiment heurté dans mes profondeurs, si la gauche n'était pas présente au deuxième tour de cette élection présidentielle.
CAROLINE ROUX
Yannick JADOT, Emmanuel MACRON, Jean-Luc MELENCHON, Sylvia PINEL, même, ont décidé d'être candidats hors de cette primaire. Est-ce que la primaire de la gauche est menacée, ou pas ?
MICHEL SAPIN
Eh bien pour ceux-là, sauf peut-être pour madame PINEL, ce n'est pas une surprise, ils l'ont dit depuis le début, d'ailleurs Yannick JADOT a beaucoup de qualités, il a certainement beaucoup d'idées à faire passer, mais il sait très bien que dans une présidentielle, ça n'est jamais très favorable aux Verts, pour une raison simple, c'est qu'on ne voit pas Yannick JADOT présider, présider la France. Il y a aussi ça, chaque Français regarde et se dit : est-ce que cette personne, cet homme ou cette femme est en capacité de présider la France.
CAROLINE ROUX
Est-ce que ça menace les primaires ?
MICHEL SAPIN
Et donc, certains s'étaient déjà exclus des primaires de la gauche, d'autres sont dans les primaires de la gauche, les primaires que nous souhaitons organiser. Non, ça ne met pas en cause les primaires telles qu'elles ont été souhaitées.
CAROLINE ROUX
Un mot sur François FILLON. Il propose 110 milliards d'économies, j'imagine que vous avez passé à la moulinette le programme économique du nouveau candidat de la droite et du centre. Il a précisé un petit peu sa pensée sur la Sécurité sociale, hier soir, sur le journal de France 2, il assure que les plus modestes ne seront pas moins bien remboursés. Ça vous a rassuré ?
MICHEL SAPIN
Non, pas du tout, mais il s'aperçoit qu'il y a quand même quelques difficultés ou quelques chausse-trappes pour les Français, dans son programme. Je ne l'ai pas passé encore à la moulinette, mais nous aurons tout le temps de la campagne électorale pour le faire. Et il n'y a pas besoin de moulinette, d'ailleurs, parce que le programme de François FILLON, il est d'une simplicité enfantine, d'ailleurs ce sont des idées parfaitement honorables, mais ce sont des idées qui sont anciennes, ce sont des idées que l'on connait, ce sont des idées qui ont déjà été sur la table. S'agissant de la maladie, c'est une vieille idée, qui est d'ailleurs portée aussi parfois par un certain nombre d'assurances privées, qui disent : écoutez, si c'est très très grave, alors c'est pris en charge par la Sécurité sociale, mais tout le reste, c'est-à-dire en fait la vie quotidienne des Français quand ils ont telle ou telle maladie ou tel ou tel problème, ce sera à la charge des assurés. Alors, on nous dit maintenant : oui, mais pour les plus modestes ? C'est quoi les plus modestes ? J'ai compris qu'il voulait maintenir ce système de filet de sécurité pour ceux qui n'ont absolument aucune protection. Mais tous les autres on leur dira : allez voir votre assureur, il va vous offrir – enfin, si je puis dire – il va vous payer votre assurance. C'est quelque chose de très grave. Je pense que les Français sont en train de s'apercevoir que derrière un programme « de droite », il y a des réalités cruelles pour la plupart d'entre eux.
CAROLINE ROUX
Merci beaucoup Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 novembre 2016