Texte intégral
Q - Premier invité de «RTL Soir», le ministre des affaires étrangères. Bonsoir Jean-Marc Ayrault.
R - Bonsoir.
Q - Alep, ville martyre. Les bombardements des forces d'al-Assad se sont intensifiés sur la ville syrienne. Le conseil de sécurité de l'ONU s'est réuni. Vous avez reçu à midi le président du conseil local d'Alep qui a exhorté : «Laissez les civils sortir, protégez les civils». Ce soir, Monsieur le Ministre, vous êtes inquiet ?
R - Je suis très inquiet. M. Brita Hagi Hassan, qui est le président du conseil local d'Alep, a lancé cet appel désespéré : «Laissez sortir les civils pour qu'ils puissent survivre.» Aujourd'hui, nous en sommes là. Et la France a défendu la position suivante au conseil de sécurité : dire à tous les belligérants - bien sûr aux Russes qui soutiennent le régime de Bachar al-Assad et qui sont membres permanents du conseil de sécurité - de penser à ces populations civiles. Ce sont près de 300.000 habitants. Déjà 20.000 ont réussi à sortir, mais dans quelles conditions...
Q - Mais clairement, Monsieur le Ministre, la Russie est complice de la situation car l'aviation russe contrôle le ciel syrien et empêche les largages humanitaires.
R - Bien sûr ! C'est ce que j'ai encore dit hier à Minsk où j'ai eu un entretien avec mon homologue russe, M. Sergueï Lavrov, après la réunion sur l'Ukraine en format Normandie. Je lui ai dit : «Vous ne pouvez pas rester comme cela. Vous prenez une responsabilité immense. Le fait d'avoir laissé massacrer une population pour soutenir un régime à bout de souffle restera dans l'Histoire». Et on sait que même si Bachar al-Assad, soutenu par la Russie et l'Iran et ses milices obtiennent la reddition d'Alep, - c'est ce qu'ils veulent -, il restera toujours une guerre en Syrie, un conflit sans fin avec un encouragement à la radicalisation, c'est-à-dire au terrorisme qui nous menace par ailleurs et notamment chez nous, en France.
Q - Très bien. Mais qu'est-ce qu'on va faire ? On est engagés mais qu'est-ce qu'on va faire ? On entend bien ce soir, vous nous dites que vous êtes inquiet, vous appelez à un forme de trêve...
R - Je ne suis pas seulement inquiet. Je continue de faire en sorte que la France continue de se mobiliser pour interrompre ces bombardements, pour interrompre ce conflit, pour reprendre la voie de la négociation et pour trouver une solution de paix durable en Syrie. Le 10 décembre prochain, je réunis à Paris ce qu'on appelle les pays amis de la Syrie, les affinitaires, c'est-à-dire les Européens et aussi les États-Unis, les Émirats arabes unis, la Jordanie, le Qatar et l'Arabie saoudite.
Q - Mais vous en attendez quoi ? Puisqu'on va se réunir...
R - Ce que nous voulons, c'est qu'on n'oublie pas qu'il y a une solution possible qui passe par la voie de la négociation et la voie politique pour trouver une solution durable à la paix. Cela veut dire qu'il faut parler avec tout le monde, y compris, bien sûr, avec les Russes qui sont partie belligérante au conflit. Il faut parler mais pas dans l'ambiguïté.
Q - D'accord. Mais donc il faut renouer avec Poutine...
R - Que veut dire cette histoire de faire croire que Bachar al-Assad protège les minorités chrétiennes ou alaouites ? On ne va pas faire la guerre non plus aux sunnites. Qu'est-ce que cela veut dire ? Je pense que dans le débat politique français, il va falloir que chacun soit clair.
Q - François Fillon ?
R - En tout cas, le gouvernement, le président de la République et moi-même nous sommes clairs. Nous disons : il faut arrêter les bombardements, protéger les populations civiles d'abord à Alep et ensuite, on pourra reprendre le processus de négociation.
Q - D'accord. Donc vous ne regrettez pas d'avoir rompu tout contact avec Bachar al-Assad depuis cinq ans. Là, il n'y a pas de regrets là-dessus. On ne se dit pas : finalement, si on avait...
R - Franchement, vous voyez dans quelles conditions cela se passe. Il n'a pas envie de discuter, il considère que tous ceux qui s'opposent à lui sont des terroristes. Nous, nous connaissons les terroristes - et la France en est victime - nous savons qui est Daech, nous savons où ils sont et nous les combattons. Donc on ne peut pas nous traiter d'ambigus et de mous sur cette question.
Q - Mais, Monsieur le Ministre, il faut quand même renouer avec Poutine d'une certaine manière, allié d'Assad...
R - Mais on n'a jamais cessé de parler avec Poutine.
Q - On n'a pas eu des relations très cordiales avec Poutine.
R - Il y a une chose que je trouve assez extraordinaire. On me dit : «Vous ne parlez pas aux Russes.» Mais je n'arrête pas de parler aux Russes, la France parle aux Russes, le président parle aux Russes, moi je parle avec mon homologue, M. Sergueï Lavrov.
Q - Non, mais on ne peut pas dire qu'on ait eu des relations très cordiales avec les Russes.
R - Il ne s'agit pas, parce qu'on parle aux Russes, de s'aligner sur leurs positions. La logique de leur intervention aujourd'hui en Syrie, c'est celle de la guerre totale. Et nous pensons que ce n'est pas la bonne solution.
Q - Mais on dit qu'il y aurait eu des négociations entre les Russes et les rebelles d'Alep en Turquie. Cela passe par là la sortie de ce chaos ?
R - Oui, si cela peut sauver des vies, sauver les populations civiles qui veulent sortir d'Alep. Mais cela ne solutionnera pas la crise durable de la Syrie. C'est pour cela qu'il faut, dans le cadre des Nations unies - comme c'était le cas jusqu'à présent mais c'est interrompu maintenant depuis plusieurs semaines - reprendre un cadre normal de négociations où, autour de la table, il y aura des représentants de toutes les parties, y compris du régime syrien. Évidemment, il faut discuter avec ceux qui sont aujourd'hui en place, avec les Russes, avec les Américains, avec les Européens, avec les pays arabes et puis les représentants de l'opposition parce qu'il y a une opposition modérée en Syrie. D'ailleurs, elle est invitée le 10 décembre à la réunion que j'organise à Paris - son représentant M. Hijab sera là -. Seront aussi présents ceux qui défendent une Syrie démocratique, non confessionnelle, respectant toutes ses minorités. C'est une solution possible en Syrie mais il faut s'en donner les moyens.
Q - On entend votre volonté, Monsieur le Ministre, mais cela donne malgré tout l'impression que malgré tous vos efforts, on reste impuissants.
R - Mais on n'est pas impuissants parce qu'on sait que c'est un combat très long. Le combat pour la paix, c'est toujours un combat difficile, c'est plus difficile que de bombarder simplement. Mais on ne va pas renoncer, il faut continuer à défendre des valeurs, continuer à défendre des objectifs et pas simplement se contenter de bonnes paroles.
Q - Merci Monsieur le Ministre d'avoir été en ligne avec nous ce soir, merci.
R - Merci à vous.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 décembre 2016