Texte intégral
* Union européenne - Irlande - Brexit
Mesdames et Messieurs,
Je viens d'accueillir mon collègue et ami Charles Flanagan, ministre des affaires étrangères d'Irlande.
Nous avons souvent l'occasion de nous rencontrer au cours de réunions dans le cadre européen, mais je tenais à inviter Charles Flanagan à Paris, c'est chose faite depuis ce matin.
Nous avons partagé beaucoup de points de vue, car la proximité entre nos deux pays est très forte. L'alliance est ancienne et l'amitié est sincère. Nous partageons une approche très forte de l'avenir de l'Europe. Nous sommes attachés aux valeurs et aux principes de l'Union européenne, et c'est dans cet esprit que nous avons examiné les questions qui sont posées, après la décision du Brexit du peuple britannique. Il est vrai que nos pays peuvent se trouver en compétition, c'est notamment le cas pour accueillir la coupe du monde de rugby en 2023, nous sommes deux pays de rugby, mais là je dirai : «Que le meilleur gagne».
Avant toute chose, nous sommes d'excellents partenaires dans tous les domaines et notre coopération bilatérale est très forte.
Sur le plan économique, nous avons notamment abordé la question de la transition énergétique et des énergies renouvelables, où nous avons des grands projets de coopération. Je me suis d'ailleurs réjoui de l'engagement de l'Irlande à participer à l'accord de Paris et d'être un acteur très positif et constructif de cet accord historique.
La visite cette semaine de M. Charles Flanagan ici à Paris comporte aussi un volet économique. Les entreprises irlandaises sont des investisseurs importants, très appréciées en France. Et les entreprises françaises sont elles-mêmes très attentives aux perspectives qui existent aussi en Irlande, je viens d'évoquer le secteur des énergies renouvelables notamment.
Notre relation est aussi culturelle. Charles visitera tout à l'heure une très belle exposition au Petit palais sur Oscar Wilde. Charles Flanagan me disait que chaque fois qu'il vient à Paris, il prend du temps pour un moment culturel, j'apprécie cette dimension de notre relation.
À travers sa visite, je suis très heureux de pouvoir exprimer ma reconnaissance et celle de la France, pour la solidarité exemplaire que l'Irlande a manifestée lors des attentats qui ont frappé notre pays durant ces deux dernières années. C'est également tout à fait représentatif de ce formidable soutien dans l'épreuve apporté par le peuple irlandais.
Monsieur le Ministre, Cher Charles, je voulais vous en remercier chaleureusement.
Nous sommes deux voisins, nous sommes deux partenaires majeurs de l'Europe et comme je le disais, nous avons évoqué le Brexit. Nous respectons le choix du peuple britannique, nous sommes bien évidemment très fortement attachés à la démocratie, même si nous regrettons les décisions prises le 23 juin dernier.
À présent, il faut en tirer toutes les conséquences car, tout temps perdu se traduit par une incertitude préjudiciable à tous. C'est donc un enjeu important pour l'Europe, pour la France bien sûr, mais, nous en avons convenu, particulièrement pour l'Irlande. Nous l'aborderons avec la conviction de la nécessité de l'Europe, de l'importance de son unité, de sa cohésion et de sa solidarité, et c'est dans cet esprit que nous devrons prendre, à chaque fois, des décisions pour l'avenir.
Je voudrais saluer cet engagement profondément européen de l'Irlande en faveur de l'Europe depuis toujours. Nous partageons la même exigence, la même volonté de rendre l'Europe plus attractive encore pour nos peuples, plus solide encore, surtout dans le monde incertain dans lequel nous vivons désormais.
La feuille de route fixée à Bratislava est bonne. Elle vise à redonner un cap au projet européen en mettant en place des avancées concrètes. Mais, c'est bien sûr à nous de la décliner dans la perspective des autres sommets et dans la perspective du 60e anniversaire de la signature du traité de Rome le 25 mars prochain. Pour cela, il ne faut pas hésiter à être ambitieux, notamment en matière d'investissements et de développement.
Je pense aux infrastructures pour lutter contre le réchauffement climatique, la question du numérique, la question des investissements pour la formation et la jeunesse, notamment la mobilité des jeunes, mais aussi tout ce qui va contribuer à une meilleure harmonisation fiscale et sociale en Europe, en évitant tous les dumpings qui ne peuvent qu'être préjudiciables et créer des dissensions entre les travailleurs.
Notre entretien de ce matin a bien sûr été l'occasion de faire le point sur beaucoup de sujets internationaux. Nous avons un attachement commun extrêmement fort au multilatéralisme et à l'Organisation des Nations unies. Je veux saluer la contribution forte de l'Irlande aux opérations du maintien de la paix que Charles Flanagan a réaffirmé comme une volonté de l'Irlande et une fierté pour les Irlandais d'apporter leur contribution aux opérations de maintien de la paix.
Nous avons évidemment évoqué le drame d'Alep et de la Syrie. Encore une fois, nous souhaitons rappeler notre attachement à une solution politique et non militaire, mais aujourd'hui, il y a ce drame humanitaire qui se déroule devant nous et pour lequel il faut trouver une solution d'urgence. Là encore, malheureusement, nous sommes obligés de constater que chaque fois qu'une initiative est prise, le veto russe est présent et pendant ce temps, les populations civiles sont sous les bombes, et perdent peu à peu tout espoir.
C'est donc à nous de multiplier les initiatives et c'est le cas concernant la situation au Proche-Orient. Je voudrais remercier l'Irlande pour son soutien particulièrement actif à l'initiative française de relance du processus de paix au Proche-Orient. Charles Flanagan était présent lors de la conférence du 3 juin, j'ai évoqué avec lui notre projet de tenir une nouvelle réunion d'ici la fin de l'année à Paris et je remercie encore une fois l'Irlande de son soutien.
Les discussions que nous avons eues ce matin sont la preuve de l'intensité et de la qualité de nos relations qui sont d'abord des relations amicales, solidaires et qui nous ont permis d'aborder bien des sujets, avec une attention particulière de la France sur la spécificité de l'Irlande qui, depuis des années et grâce à l'Europe, a trouvé la voie de la paix civile, de la solidarité entre Irlandais, avec l'Irlande du Nord et je sais que les Irlandais y sont particulièrement attachés. La France l'est aussi en restant particulièrement attentive.
Q - Monsieur le Ministre, votre collègue irlandais a fait allusion à la compréhension française des difficultés irlandaises avec le Brexit. Au-delà des formules d'usage, quelle est la perception profonde française de la situation de l'Irlande par rapport au Brexit, quelle est votre perception de la façon dont le Royaume-Uni gère la situation jusqu'à présent ? Que pensez-vous de la façon dont Boris Johnson gère les négociations ?
R - Aujourd'hui, je reçois Charles Flanagan dont je peux dire beaucoup de bien, mais je ne tiens pas à critiquer pour autant le ministre britannique même si nous avons d'excellentes relations avec l'Irlande. Au-delà de la personne de tel ou tel ministre, ce qui est important, c'est la clarté des positions.
Vous avez évoqué la spécificité de la situation irlandaise. Nous la connaissons bien, nous sommes très attachés à tout ce que l'Irlande a pu faire dans son Histoire pour régler les conflits et les difficultés, pour les surmonter de façon intelligente et responsable. C'est un acquis extraordinaire que l'Irlande veut préserver. La France est particulièrement attentive à ce que cette situation soit préservée pour le peuple irlandais. Nous y veillerons et serons toujours attentifs à cette situation.
S'agissant du contexte nouveau, pour le moment, il n'y a rien de changé. Le Royaume-Uni est toujours membre de l'Union européenne, avec tout ce que cela comporte comme droits et devoirs. Mais en même temps, nous savons qu'il y a cette négociation qui doit commencer le plus vite possible à nos yeux. La Première ministre britannique, Mme May, a indiqué le mois de mars pour notifier à l'Union européenne le souhait de la sortie de l'Union en invoquant l'article 50 du traité européen. Nous souhaitons que ce calendrier soit tenu. Pourquoi ? Parce que toute période d'incertitude serait préjudiciable à tout le monde, à l'Union européenne dans son ensemble et à ses membres, et s'agissant de la question irlandaise, créant une incertitude encore plus grande, mais aussi pour le Royaume-Uni et pour ses intérêts économiques notamment. Quel est l'intérêt de faire durer ?
Nous souhaitons donc que les discussions et les négociations commencent le plus vite possible dans le cadre de l'article 50 avec les quatre libertés qui sont à la base de l'Union européenne : la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services et des personnes. Il ne peut pas y avoir d'Union à la carte où chacun prendrait ce qui l'arrange.
L'Union est forte parce qu'elle a ces principes de base, ces piliers qui sont ceux de sa construction. Il faut à tout prix les préserver et c'est d'ailleurs l'intérêt de chacun de ces membres. À partir du respect de ces principes, il faudra bien sûr engager des négociations, qui devront se faire dans un esprit de responsabilité réciproque dans l'intérêt de chacun de ses membres. À partir du respect de ces principes, il faudra engager des négociations qui devront se faire avec un esprit de responsabilité réciproque, et donc dans l'intérêt des uns et des autres, en tenant compte des situations et des questions concrètes qui vont se poser, sans renier pour autant nos principes.
Nous avons évoqué avec Charles Flanagan notre attachement à la poursuite du projet européen. La feuille de route a été arrêtée par les chefs d'État et de gouvernement à Bratislava et, comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est notre feuille de route. Nous devons y travailler concrètement, avec les étapes que j'ai mentionnées. Plus tôt les négociations commenceront, mieux ce sera. Plus elles se feront dans la clarté, plus elles seront efficaces et nous y veillerons.
Q - Et vous souhaitez plus de clarté de la part des britanniques ?
R - Ce qui est important, c'est que les Européens sachent sur quelle base ils veulent discuter et négocier. Du côté de l'Union européenne, la position est claire mais elle l'est moins du côté britannique. C'est la raison pour laquelle je dis qu'il faut qu'elle se clarifie le plus vite possible. Il serait préjudiciable que cette situation d'entre-deux perdure.
(...)
Q - Selon vous, maintenant que le Royaume-Uni est hors de l'Union européenne, est-il nécessaire d'avoir une frontière dure entre ce pays et le marché unique, de manière à ce que les produits britanniques ne sapent pas l'intégrité du marché unique ?
R - Rendre l'accès au marché unique, cela veut dire un accès avec des contraintes et les règles que cela implique. Le marché unique ce n'est pas un règlement à la carte, il y a des règles sociales et environnementales, il y a des obligations pour tous les membres de ce marché unique et pour la libre circulation des personnes. Tout cela fait partie du règlement.
C'est la raison pour laquelle il y aura des négociations qui doivent se faire sur les bases de l'Union européenne. L'Union est prête à négocier maintenant. Elle a désigné Michel Barnier comme son négociateur, c'est un homme expérimenté qui est au travail. Nous sommes prêts.
Q - Et avoir une frontière dure entre le Royaume-Uni et l'Union européenne ?
R - Je viens de vous le dire, c'est la libre circulation des personnes. Je crois que c'est le ministre luxembourgeois qui l'a dit : on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. C'est pourquoi il faut partir sur des bases claires et si celles-ci sont claires alors nous aurons une bonne négociation.
(...).
* Israël - Territoires palestiniens
(...)
Q - Vous avez évoqué le processus de paix au Proche-Orient, vous avez réitéré votre volonté d'organiser une conférence d'ici la fin de l'année. Israël a déjà fait savoir à plusieurs reprises qu'il ne participerait pas à une telle conférence. Quel type de conférence souhaitez-vous organiser avant la fin de l'année ? Cet événement se déroulerait-il sans les participants, comme une réédition de la conférence du mois de juin ? Dans quel but ?
R - Nous souhaitons qu'il y ait une avancée, il ne s'agit évidemment pas de faire la même réunion que celle du 3 juin. Charles a lui-même pris des contacts avec les Israéliens et les Palestiniens et son aide pour convaincre qu'il faut bouger est très utile. Je l'en remercie. Je pense que la situation sur place - avec la poursuite de la colonisation, avec les tensions qui persistent et les violences également qui conduisent à une démoralisation du côté palestinien - représente une situation qui n'est pas durable et c'est aussi une situation particulièrement dangereuse.
Nous en appelons donc à la responsabilité de chacun, Israéliens comme Palestiniens, pour apporter leur propre contribution. Nous sommes disponibles pour aider à un climat favorable à la négociation qui, sans aucune façon ne se fera pas par nous et à la place des parties. Mais notre travail est d'essayer de créer un contexte qui soit favorable. Aujourd'hui, la France multiplie les contacts préalables pour créer les conditions de cette conférence. C'est ce que je fais chaque fois que je peux, comme tous mes partenaires et comme nous l'avons fait ce matin. Nous y travaillons sans renoncer en rien à l'ambition qui est la nôtre. Ceux qui croient que le conflit israélo-palestinien est un conflit secondaire dans un Moyen-Orient particulièrement déstabilisé se trompent. Tous les conflits doivent être traités et celui-là qui est si ancien doit l'être tout particulièrement. C'est la raison pour laquelle nous y portons une telle attention.
Je remercie Charles Flanagan et l'Irlande, car, au-delà de lui-même, c'est son pays qui est très attentif, avec l'expérience qui est la sienne, pour aborder avec sensibilité cette question sans renoncer.
(...)
Q - Il y a deux jours, l'ancien président des États-Unis, Jimmy Carter, a écrit une tribune dans le «New York Times» où il fait appel à Barak Obama pour reconnaître l'État palestinien. Si M. Obama reconnaît l'État palestinien, la France et l'Irlande donneraient-elles suite ? Seriez-vous prêts à reconnaître l'État palestinien et dans quelles circonstances ?
R - Charles et moi sommes d'accord pour réaffirmer notre attachement à une solution à deux États. Ce qui permet la création d'un État palestinien, viable, vivant en paix et en sécurité avec son voisin Israël, vivant lui-même en paix et en sécurité, avec des échanges économiques qui permettent un véritable développement de toute la région.
Ce n'est pas la réalité d'aujourd'hui. L'initiative de paix qu'a prise la France, ce n'est pas de prendre des décisions unilatérales, c'est de prendre des décisions qui permettent de repartir pour une négociation et qui permettent d'obtenir une perspective réelle de constituer un État palestinien. C'est cela notre objectif.
J'ai lu la tribune de l'ancien président américain qui interpelle le président Obama qui, le 20 janvier prochain, laissera sa place à son successeur. Nous avons besoin de tout le monde pour remettre en marche le processus de paix et créer à nouveau un contexte favorable à la négociation dans la perspective de deux États. Ce que pourraient faire les États-Unis, c'est apporter leur contribution. Nous n'attendons pas un geste symbolique, nous attendons une contribution concrète et j'ai eu souvent l'occasion d'en parler avec les Américains. Ce souhait de voir tout le monde rassemblé et engagé pour créer les conditions d'une négociation et d'une reprise du processus de paix serait le bienvenu.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 décembre 2016