Texte intégral
(...)
Je vous remercie de votre invitation et de celle que vous avez adressée à mon collègue M. Michael Roth qui est, comme vous avez pu le constater, un Européen convaincu, enthousiaste et déterminé. Tout au long de notre histoire européenne contemporaine, rien n'aurait pu se faire sans la détermination franco-allemande. Cependant, l'Europe est désormais confrontée à des crises sans précédent qui redonnent à la coopération franco-allemande son importance primordiale et sa responsabilité particulière. Bien sûr, nous devons avancer ensemble avec tous les membres de l'Union européenne. Alors que la construction européenne ne semble plus être un processus irréversible avec le Brexit et la montée du populisme - qui peut toutefois être endiguée comme vient de l'illustrer l'Autriche -, rien ne peut être garanti en Europe sans un tandem franco-allemand solide.
Les négociations qui auront lieu avec le Royaume-Uni seront particulièrement difficiles et les dispositions ont été prises pour que le Sénat et l'Assemblée nationale puissent exercer leur rôle dans le suivi de cette négociation. Nous ne pouvons accepter l'idée qu'un État tiers obtienne une position plus favorable qu'un État membre. C'est là un enjeu de cohésion extrêmement fort qui se pose à l'Union européenne et la volonté conjointe du président de la République et de la chancelière, exprimée au lendemain du référendum et soulignant avec fermeté les obligations du Royaume-Uni au regard des quatre libertés européennes.
En outre, certaines mesures ont été prises pour mieux répondre aux attentes de nos concitoyens. En termes de sécurité, grâce au travail très étroit de nos ministres de l'intérieur, nous avons fait en sorte que les garde-côtes et les gardes-frontières européens puissent voir le jour. Il faut que tous les États apportent désormais leur contribution à leur instauration.
S'agissant de l'Europe de la Défense - thématique sur laquelle votre Haute assemblée a remis des rapports et émis des propositions -, la France et l'Allemagne, par la voix de leurs ministres de la défense et des affaires étrangères respectifs, ont fait des propositions reprises par le Conseil des affaires étrangères du mois de novembre et qui sont inscrites à l'ordre du jour du Conseil européen du 15 décembre prochain. Ces dispositions vont marquer une avancée considérable pour la coopération européenne en matière de défense et de capacités de projection communes, même si cela va demander encore de nombreux efforts. Avec mon collègue, M. Michael Roth, nous avons d'ailleurs ouvert ensemble, en septembre dernier, la «Berlin Security Conference» qui rassemble de nombreux responsables en charge des questions de défense au plan européen et international.
En matière d'investissements, vous avez mentionné l'importance de tourner l'Europe vers la préparation de l'avenir. Une conférence franco-allemande sur le numérique se tiendra à Berlin le 13 décembre prochain, suite à une première rencontre qui avait eu lieu au Palais de l'Élysée. Aujourd'hui même, nous sommes arrivés à l'accord des 28 États membres pour augmenter le plan Juncker qui devrait atteindre 500 milliards d'euros d'investissements d'ici à 2020. Une telle réussite n'a été possible qu'en raison de la volonté commune franco-allemande.
Avec Michael Roth, nous avons soutenu des projets qui concernent la jeunesse et promeuvent la mobilité des jeunes en formation et des apprentis, pour le moment, écartés du programme Erasmus. Dans le cadre d'un projet pilote, des jeunes en apprentissage devraient pouvoir effectuer leur formation entre les deux pays. C'est là une perspective d'avenir dans un environnement marqué par les incertitudes, les guerres, le terrorisme ou encore le comportement incertain de certains grands acteurs internationaux, y compris après l'élection américaine. L'Europe doit prendre ses responsabilités, assurer sa propre sécurité et investir dans son propre avenir. Elle doit permettre la convergence économique et sociale au sein de la zone euro. C'est pourquoi il est très important de travailler au renforcement des liens non seulement d'amitié, mais aussi de coopération politique entre la France et l'Allemagne.
(Interventions des parlementaires)
Je partage naturellement ce qui vient d'être dit par mon homologue M. Michael Roth, mais pour compléter sa réponse à la question adressée par M. le Sénateur je rappellerai que l'industrie ferroviaire n'est pas la seule concernée. Il nous faut faire évoluer les règles de concurrence en Europe. Ce sujet a d'ailleurs été abordé, en présence du président de la République et de la chancelière, par les chefs d'entreprises lors des rencontres d'entreprises d'Évian. Nous sommes aujourd'hui face à des géants industriels qui bénéficient de systèmes dérogatoires à l'économie de marché ou de la puissance de pays mieux installés comme les États-Unis où le marché des télécommunications est moins fragmenté qu'en Europe.
Dans les pays émergents et les États-Unis, on retrouve ainsi une grande quantité de concurrents disposant de capacités d'investissement et d'innovation susceptibles de mettre en péril les acquis européens. Tout en évitant la constitution de monopoles ou d'oligopoles en Europe, il faut permettre à nos industriels de s'allier dans divers secteurs où la taille du marché est désormais mondiale, notamment dans les secteurs du numérique, de l'énergie et du ferroviaire, et dans tous les autres secteurs où les acteurs sont de taille mondiale. C'est un débat que nous devons avoir avec la Commission européenne et sa direction de la concurrence dont l'accord est requis lors des projets de fusion.
J'ajouterai deux exemples à la question de la réciprocité sur laquelle mon homologue M. Michael Roth a répondu. S'agissant de la règle du droit moindre actuellement en discussion au plan européen, la France et l'Allemagne défendent une évolution du droit commercial européen qui permettrait, en cas de dumping, d'élever fortement nos droits de douane jusqu'à 300%, contre 25% aujourd'hui. Dans le secteur de l'acier, d'autres membres de l'Organisation mondiale du commerce, comme les États-Unis, peuvent monter leurs droits de douane jusqu'à 300%. Il faut ainsi être capable de sortir d'une certaine forme de naïveté et de réagir de façon très forte afin de protéger nos industries menacées par le dumping. Je prendrai également la question des intérêts stratégiques évoquée lors de la dernière visite du Premier ministre Manuel Valls à Berlin. L'Allemagne essaie de s'appuyer sur la démarche réglementaire française qui vise la protection d'un certain nombre d'entreprises françaises en cas de menaces ourdies par certains investissements étrangers. Le secteur de la défense n'est d'ailleurs pas le seul à être concerné par cette démarche qui concerne les intérêts stratégiques entendus au sens large. Sur tous ces sujets de la protection de nos industries, je pense que la France et l'Allemagne ont des intérêts tout à fait convergents et une vision commune qu'il convient désormais de faire partager à l'ensemble de l'Union européenne.
En réponse à Mme la Sénatrice, certains domaines requièrent une avant-garde. L'euro en constitue le plus bel exemple, ainsi que l'Europe de la défense. Nous essayons certes de faire avancer nos propositions dans l'Europe des 27, mais la coopération structurée permanente, définie par le traité, permettra aux États comme la France et l'Allemagne, mais aussi l'Espagne et l'Italie, d'aller plus loin que d'autres États, dont les normes constitutionnelles obligent à la neutralité notamment. Une telle démarche rend ainsi possible la constitution d'une avant-garde dans un grand nombre de domaines. La taxe sur les transactions financières fournit également un bon exemple de création d'une telle avant-garde.
En matière de convergence, sans attendre des avancées communes à l'Union européenne, la France et l'Allemagne pourraient définir des objectifs communs, en matière fiscale notamment, et viser une harmonisation de la fiscalité des entreprises entre nos deux pays. Notre vision sociale est également conjointe, même si nos mécanismes nationaux sont différents. L'Allemagne a récemment adopté un salaire minimum, qui permet de lutter contre le dumping social. Ainsi, je crois vraiment que, lorsque la France et l'Allemagne peuvent créer des repères, cette démarche s'avère fructueuse pour nos deux pays et aide l'Europe à effectuer cette convergence économique et sociale vers un modèle qui nous est commun.
(Interventions des parlementaires)
M. le Sénateur a indiqué que nous avancions trop lentement, à l'inverse de la mondialisation et des crises qui s'y font jour. Nous ne sommes pas aussi exempts de toute contradiction. En effet, les Français sont aujourd'hui très satisfaits de l'action de la Banque centrale pour des raisons rappelées par mon homologue, M. Michael Roth, puisque nous étions préoccupés par le problème de la croissance molle et de la relance de l'investissement. Nous avons plaidé pour que la Banque centrale permette un rééquilibrage du taux de change de l'euro. Elle a ainsi agi dans un sens correspondant à son mandat, puisque l'inflation est demeurée en deçà de la cible de 2% et qu'elle a souhaité s'assurer que le système bancaire verse davantage de crédits aux entreprises et aux ménages. Elle a donc créé des liquidités pour cela. C'est d'ailleurs un paradoxe puisque, pendant très longtemps, la France est demeurée très critique vis-à-vis de la Banque centrale européenne, dont l'indépendance était alors défendue par l'Allemagne, du fait qu'elle ne répondait pas aux injonctions politiques.
La politique monétaire reste un atout pour la reprise économique en Europe et fonctionne du fait de l'existence d'une institution européenne. Puisque nous avons créé une monnaie commune, en appliquant le principe de subsidiarité, il nous fallait instaurer une banque centrale européenne qui agisse au service de l'Europe. Il vaut mieux laisser la compétence aux États membres et aux collectivités locales dans les domaines où la souveraineté n'est pas partagée. C'est pourquoi nous avons plaidé avec mon homologue, M. Michael Roth, dans les conseils au sein desquels nous siégeons, pour que la Commission ne s'immisce pas dans tous les domaines de la vie quotidienne ou économique des citoyens, mais qu'elle se concentre sur les priorités dont nous avons parlé : le soutien à l'investissement, les grands dossiers industriels, la croissance, l'émigration ou encore la défense. Une telle limitation change grandement le fonctionnement de l'Union européenne. Ainsi, il nous faut à nouveau débattre du principe de subsidiarité et veiller à ce qu'il soit partagé.
Dans un contexte où il y a plus d'hétérogénéité dans une Europe à 27, il faut bien prendre en compte la diversité qui s'y fait jour. Les préoccupations de départ ne sont plus forcément les mêmes, et il importe de s'assurer que la France et l'Allemagne proposent, sur chaque grande question, des réponses communes. Faute d'une telle démarche, il serait plus difficile encore de maintenir ensemble cette Europe à 27. C'est sans doute notre devoir, dans le contexte de montée des populismes et de la tentation chez certains de s'éloigner, que l'approche franco-allemande soit solide. On reproche parfois à la France et à l'Allemagne de fermer le jeu, mais l'absence de leur approche commune s'avère très vite anxiogène. Nos propositions communes permettent ainsi à d'autres États de participer à des avancées.
C'est le cas également des alliances industrielles, comme dans le secteur de l'armement avec l'alliance entre NEXTER et KMW. Il incombe désormais au secteur privé d'assurer sa propre convergence. Airbus est un exemple particulier puisque la France avait une participation publique dans l'aéronautique et il a fallu que l'État se mêle de la création de cette entreprise dont le fonctionnement s'est progressivement normalisé. Il faut d'ailleurs que l'Europe soutienne les arbitrages d'Airbus face à Boeing. Mais, dans nombre de domaines, il nous faut faire en sorte que les règles européennes de concurrence n'empêchent pas les industriels, tout particulièrement français et allemands, de nouer des alliances par eux-mêmes.
Que voulons-nous faire du soixantième anniversaire du traité de Rome qui se déroulera sous la présidence maltaise et qui ne doit pas être une commémoration, car l'Europe est un projet et non un souvenir ? Il nous faudra clarifier notre agenda et nous concentrer sur des priorités.
Au-delà des différences qui peuvent se faire jour entre les États, interrogeons-nous sur notre capacité d'assumer notre destin commun et de défendre nos valeurs communes pour mieux peser sur la mondialisation. La clarification de nos objectifs pourrait alors conduire à d'autres étapes institutionnelles. Quels sont les grands choix qu'il nous faudra opérer ensemble ? Souhaitons-nous que l'Europe soit une puissance qui s'affirme et quels sont les États membres désireux de poursuivre ensemble ce projet ? La France et l'Allemagne sont persuadées que leur destin commun est celui de l'Europe.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 décembre 2016
Je vous remercie de votre invitation et de celle que vous avez adressée à mon collègue M. Michael Roth qui est, comme vous avez pu le constater, un Européen convaincu, enthousiaste et déterminé. Tout au long de notre histoire européenne contemporaine, rien n'aurait pu se faire sans la détermination franco-allemande. Cependant, l'Europe est désormais confrontée à des crises sans précédent qui redonnent à la coopération franco-allemande son importance primordiale et sa responsabilité particulière. Bien sûr, nous devons avancer ensemble avec tous les membres de l'Union européenne. Alors que la construction européenne ne semble plus être un processus irréversible avec le Brexit et la montée du populisme - qui peut toutefois être endiguée comme vient de l'illustrer l'Autriche -, rien ne peut être garanti en Europe sans un tandem franco-allemand solide.
Les négociations qui auront lieu avec le Royaume-Uni seront particulièrement difficiles et les dispositions ont été prises pour que le Sénat et l'Assemblée nationale puissent exercer leur rôle dans le suivi de cette négociation. Nous ne pouvons accepter l'idée qu'un État tiers obtienne une position plus favorable qu'un État membre. C'est là un enjeu de cohésion extrêmement fort qui se pose à l'Union européenne et la volonté conjointe du président de la République et de la chancelière, exprimée au lendemain du référendum et soulignant avec fermeté les obligations du Royaume-Uni au regard des quatre libertés européennes.
En outre, certaines mesures ont été prises pour mieux répondre aux attentes de nos concitoyens. En termes de sécurité, grâce au travail très étroit de nos ministres de l'intérieur, nous avons fait en sorte que les garde-côtes et les gardes-frontières européens puissent voir le jour. Il faut que tous les États apportent désormais leur contribution à leur instauration.
S'agissant de l'Europe de la Défense - thématique sur laquelle votre Haute assemblée a remis des rapports et émis des propositions -, la France et l'Allemagne, par la voix de leurs ministres de la défense et des affaires étrangères respectifs, ont fait des propositions reprises par le Conseil des affaires étrangères du mois de novembre et qui sont inscrites à l'ordre du jour du Conseil européen du 15 décembre prochain. Ces dispositions vont marquer une avancée considérable pour la coopération européenne en matière de défense et de capacités de projection communes, même si cela va demander encore de nombreux efforts. Avec mon collègue, M. Michael Roth, nous avons d'ailleurs ouvert ensemble, en septembre dernier, la «Berlin Security Conference» qui rassemble de nombreux responsables en charge des questions de défense au plan européen et international.
En matière d'investissements, vous avez mentionné l'importance de tourner l'Europe vers la préparation de l'avenir. Une conférence franco-allemande sur le numérique se tiendra à Berlin le 13 décembre prochain, suite à une première rencontre qui avait eu lieu au Palais de l'Élysée. Aujourd'hui même, nous sommes arrivés à l'accord des 28 États membres pour augmenter le plan Juncker qui devrait atteindre 500 milliards d'euros d'investissements d'ici à 2020. Une telle réussite n'a été possible qu'en raison de la volonté commune franco-allemande.
Avec Michael Roth, nous avons soutenu des projets qui concernent la jeunesse et promeuvent la mobilité des jeunes en formation et des apprentis, pour le moment, écartés du programme Erasmus. Dans le cadre d'un projet pilote, des jeunes en apprentissage devraient pouvoir effectuer leur formation entre les deux pays. C'est là une perspective d'avenir dans un environnement marqué par les incertitudes, les guerres, le terrorisme ou encore le comportement incertain de certains grands acteurs internationaux, y compris après l'élection américaine. L'Europe doit prendre ses responsabilités, assurer sa propre sécurité et investir dans son propre avenir. Elle doit permettre la convergence économique et sociale au sein de la zone euro. C'est pourquoi il est très important de travailler au renforcement des liens non seulement d'amitié, mais aussi de coopération politique entre la France et l'Allemagne.
(Interventions des parlementaires)
Je partage naturellement ce qui vient d'être dit par mon homologue M. Michael Roth, mais pour compléter sa réponse à la question adressée par M. le Sénateur je rappellerai que l'industrie ferroviaire n'est pas la seule concernée. Il nous faut faire évoluer les règles de concurrence en Europe. Ce sujet a d'ailleurs été abordé, en présence du président de la République et de la chancelière, par les chefs d'entreprises lors des rencontres d'entreprises d'Évian. Nous sommes aujourd'hui face à des géants industriels qui bénéficient de systèmes dérogatoires à l'économie de marché ou de la puissance de pays mieux installés comme les États-Unis où le marché des télécommunications est moins fragmenté qu'en Europe.
Dans les pays émergents et les États-Unis, on retrouve ainsi une grande quantité de concurrents disposant de capacités d'investissement et d'innovation susceptibles de mettre en péril les acquis européens. Tout en évitant la constitution de monopoles ou d'oligopoles en Europe, il faut permettre à nos industriels de s'allier dans divers secteurs où la taille du marché est désormais mondiale, notamment dans les secteurs du numérique, de l'énergie et du ferroviaire, et dans tous les autres secteurs où les acteurs sont de taille mondiale. C'est un débat que nous devons avoir avec la Commission européenne et sa direction de la concurrence dont l'accord est requis lors des projets de fusion.
J'ajouterai deux exemples à la question de la réciprocité sur laquelle mon homologue M. Michael Roth a répondu. S'agissant de la règle du droit moindre actuellement en discussion au plan européen, la France et l'Allemagne défendent une évolution du droit commercial européen qui permettrait, en cas de dumping, d'élever fortement nos droits de douane jusqu'à 300%, contre 25% aujourd'hui. Dans le secteur de l'acier, d'autres membres de l'Organisation mondiale du commerce, comme les États-Unis, peuvent monter leurs droits de douane jusqu'à 300%. Il faut ainsi être capable de sortir d'une certaine forme de naïveté et de réagir de façon très forte afin de protéger nos industries menacées par le dumping. Je prendrai également la question des intérêts stratégiques évoquée lors de la dernière visite du Premier ministre Manuel Valls à Berlin. L'Allemagne essaie de s'appuyer sur la démarche réglementaire française qui vise la protection d'un certain nombre d'entreprises françaises en cas de menaces ourdies par certains investissements étrangers. Le secteur de la défense n'est d'ailleurs pas le seul à être concerné par cette démarche qui concerne les intérêts stratégiques entendus au sens large. Sur tous ces sujets de la protection de nos industries, je pense que la France et l'Allemagne ont des intérêts tout à fait convergents et une vision commune qu'il convient désormais de faire partager à l'ensemble de l'Union européenne.
En réponse à Mme la Sénatrice, certains domaines requièrent une avant-garde. L'euro en constitue le plus bel exemple, ainsi que l'Europe de la défense. Nous essayons certes de faire avancer nos propositions dans l'Europe des 27, mais la coopération structurée permanente, définie par le traité, permettra aux États comme la France et l'Allemagne, mais aussi l'Espagne et l'Italie, d'aller plus loin que d'autres États, dont les normes constitutionnelles obligent à la neutralité notamment. Une telle démarche rend ainsi possible la constitution d'une avant-garde dans un grand nombre de domaines. La taxe sur les transactions financières fournit également un bon exemple de création d'une telle avant-garde.
En matière de convergence, sans attendre des avancées communes à l'Union européenne, la France et l'Allemagne pourraient définir des objectifs communs, en matière fiscale notamment, et viser une harmonisation de la fiscalité des entreprises entre nos deux pays. Notre vision sociale est également conjointe, même si nos mécanismes nationaux sont différents. L'Allemagne a récemment adopté un salaire minimum, qui permet de lutter contre le dumping social. Ainsi, je crois vraiment que, lorsque la France et l'Allemagne peuvent créer des repères, cette démarche s'avère fructueuse pour nos deux pays et aide l'Europe à effectuer cette convergence économique et sociale vers un modèle qui nous est commun.
(Interventions des parlementaires)
M. le Sénateur a indiqué que nous avancions trop lentement, à l'inverse de la mondialisation et des crises qui s'y font jour. Nous ne sommes pas aussi exempts de toute contradiction. En effet, les Français sont aujourd'hui très satisfaits de l'action de la Banque centrale pour des raisons rappelées par mon homologue, M. Michael Roth, puisque nous étions préoccupés par le problème de la croissance molle et de la relance de l'investissement. Nous avons plaidé pour que la Banque centrale permette un rééquilibrage du taux de change de l'euro. Elle a ainsi agi dans un sens correspondant à son mandat, puisque l'inflation est demeurée en deçà de la cible de 2% et qu'elle a souhaité s'assurer que le système bancaire verse davantage de crédits aux entreprises et aux ménages. Elle a donc créé des liquidités pour cela. C'est d'ailleurs un paradoxe puisque, pendant très longtemps, la France est demeurée très critique vis-à-vis de la Banque centrale européenne, dont l'indépendance était alors défendue par l'Allemagne, du fait qu'elle ne répondait pas aux injonctions politiques.
La politique monétaire reste un atout pour la reprise économique en Europe et fonctionne du fait de l'existence d'une institution européenne. Puisque nous avons créé une monnaie commune, en appliquant le principe de subsidiarité, il nous fallait instaurer une banque centrale européenne qui agisse au service de l'Europe. Il vaut mieux laisser la compétence aux États membres et aux collectivités locales dans les domaines où la souveraineté n'est pas partagée. C'est pourquoi nous avons plaidé avec mon homologue, M. Michael Roth, dans les conseils au sein desquels nous siégeons, pour que la Commission ne s'immisce pas dans tous les domaines de la vie quotidienne ou économique des citoyens, mais qu'elle se concentre sur les priorités dont nous avons parlé : le soutien à l'investissement, les grands dossiers industriels, la croissance, l'émigration ou encore la défense. Une telle limitation change grandement le fonctionnement de l'Union européenne. Ainsi, il nous faut à nouveau débattre du principe de subsidiarité et veiller à ce qu'il soit partagé.
Dans un contexte où il y a plus d'hétérogénéité dans une Europe à 27, il faut bien prendre en compte la diversité qui s'y fait jour. Les préoccupations de départ ne sont plus forcément les mêmes, et il importe de s'assurer que la France et l'Allemagne proposent, sur chaque grande question, des réponses communes. Faute d'une telle démarche, il serait plus difficile encore de maintenir ensemble cette Europe à 27. C'est sans doute notre devoir, dans le contexte de montée des populismes et de la tentation chez certains de s'éloigner, que l'approche franco-allemande soit solide. On reproche parfois à la France et à l'Allemagne de fermer le jeu, mais l'absence de leur approche commune s'avère très vite anxiogène. Nos propositions communes permettent ainsi à d'autres États de participer à des avancées.
C'est le cas également des alliances industrielles, comme dans le secteur de l'armement avec l'alliance entre NEXTER et KMW. Il incombe désormais au secteur privé d'assurer sa propre convergence. Airbus est un exemple particulier puisque la France avait une participation publique dans l'aéronautique et il a fallu que l'État se mêle de la création de cette entreprise dont le fonctionnement s'est progressivement normalisé. Il faut d'ailleurs que l'Europe soutienne les arbitrages d'Airbus face à Boeing. Mais, dans nombre de domaines, il nous faut faire en sorte que les règles européennes de concurrence n'empêchent pas les industriels, tout particulièrement français et allemands, de nouer des alliances par eux-mêmes.
Que voulons-nous faire du soixantième anniversaire du traité de Rome qui se déroulera sous la présidence maltaise et qui ne doit pas être une commémoration, car l'Europe est un projet et non un souvenir ? Il nous faudra clarifier notre agenda et nous concentrer sur des priorités.
Au-delà des différences qui peuvent se faire jour entre les États, interrogeons-nous sur notre capacité d'assumer notre destin commun et de défendre nos valeurs communes pour mieux peser sur la mondialisation. La clarification de nos objectifs pourrait alors conduire à d'autres étapes institutionnelles. Quels sont les grands choix qu'il nous faudra opérer ensemble ? Souhaitons-nous que l'Europe soit une puissance qui s'affirme et quels sont les États membres désireux de poursuivre ensemble ce projet ? La France et l'Allemagne sont persuadées que leur destin commun est celui de l'Europe.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 décembre 2016