Déclaration de M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger, sur la reconnaissance du génocide perpétré par le groupe terroriste Daech en Syrie et en Irak, à l'Assemblée nationale le 8 décembre 2016.

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Circonstance : Examen d’une proposition de résolution sur la Reconnaissance du génocide perpétré par Daech, à l'Assemblée nationale le 8 décembre 2016

Texte intégral


M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en application de l'article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de MM. Yves Fromion, Guillaume Chevrollier et Jean-Marie Tétart, et de plusieurs de leurs collègues, invitant le Gouvernement à saisir le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies en vue de reconnaître le génocide perpétré par Daech contre les populations chrétiennes, yézidies et d'autres minorités religieuses en Syrie et en Irak et de donner compétence à la Cour pénale internationale en vue de poursuivre les criminels (no 3779).
(…)
La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mesdames et messieurs les députés, dans une période d'une exceptionnelle gravité, la communauté internationale doit se retrouver autour de valeurs fondamentales : le respect de l'État de droit, la paix, la solidarité, le dialogue. La situation des victimes de persécutions ethniques et religieuses au Moyen-Orient nous en offre, malheureusement, une occasion, à condition que chacun soit à la hauteur de ses responsabilités.
Il y a un peu plus de deux ans, Daech lançait une vaste offensive en Irak et s'emparait de Mossoul. Depuis, les populations qui s'y trouvaient, parmi lesquelles de nombreuses personnes appartenant à des communautés constitutives de l'histoire, de l'identité et de l'avenir de cette région, ont été chassées, persécutées, et souvent tuées. Le groupe djihadiste occupe également une partie du territoire syrien, où il menace et opprime, là aussi, les différentes composantes de la population syrienne. Depuis plusieurs semaines, la coalition internationale contre Daech a lancé une offensive pour reprendre Mossoul et Raqqa, mais nous savons que leur libération sera longue, difficile et meurtrière.
Vous avez souhaité, aujourd'hui, par votre proposition de résolution, dénoncer les atrocités commises par des organisations terroristes, notamment Daech, qui tuent et qui, de la manière la plus barbare qui soit, oppriment et terrorisent les populations. Vous avez également souhaité que des poursuites soient engagées contre les responsables de ces crimes contre les minorités du Moyen-Orient.
Le Gouvernement partage votre constat : Daech cible en priorité les personnes appartenant à certaines minorités particulièrement vulnérables en raison de leur identité religieuse ou ethnique. Nous savons que la communauté yézidie est durement touchée – plusieurs d'entre vous l'ont rappelé : les femmes sont mariées de force et réduites à l'esclavage sexuel. Nous savons que les chrétiens d'Orient sont chassés et massacrés. D'autres minorités sont également victimes de violence et de persécutions, notamment les Turkmènes, les Kurdes, les Sabéens, et les Shabaks. Au-delà des minorités ethniques ou religieuses, c'est l'ensemble des populations civiles qui sont victimes de cette barbarie. La violence de Daech est extrême, globale, et elle frappe tout le monde, indistinctement. Elle détruit tout et, à ce titre, elle doit faire l'objet d'une réprobation universelle.
Mesdames et messieurs les députés, depuis plus de cinq ans, le régime de Damas commet, lui aussi, des crimes contre l'Humanité. Aux civils enlevés et assassinés par Daech s'ajoutent les centaines de milliers de personnes torturées et tuées dans les centres de détention du régime, affamées dans les villes assiégées, décimées par les bombardements et leurs conséquences. Le régime syrien est responsable d'une « politique d'extermination délibérée et systématique ». Il bombarde à l'aide d'armes chimiques, comme l'ont démontré de manière indiscutable plusieurs rapports du mécanisme d'enquête conjoint de 1'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques et l'Organisation des Nations unies, alors qu'elles sont interdites par le droit international, et alors même que la Syrie s'était engagée à détruire toutes ses armes et ne jamais plus en utiliser. À Alep, le régime syrien et ses soutiens sont en train de commettre les pires atrocités, en affamant la population, en détruisant les hôpitaux, en empêchant l'aide humanitaire d'être acheminée vers les populations civiles agonisantes, en exécutant ceux qui tentent de fuir les combats.
Le Gouvernement souhaite rappeler 1'action de la France pour les minorités au Moyen-Orient. Au Sénat, le président Retailleau, à l'initiative de la proposition de résolution devant la Haute assemblée, a rappelé mardi le rôle actif de la France sur ce sujet majeur.
Mme Élisabeth Guigou. Bien sûr ! La position de M. Retailleau est très juste !
M. Yves Fromion. Pardonnez-moi, mais ce n'est pas l'objet de la présente résolution ! Le rôle de la France est suffisamment connu !
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. La présidente de la commission des affaires étrangères a précisément rappelé les sanctions prises en la matière. Notre pays s'est très tôt engagé en faveur de la protection des chrétiens d'Orient, des autres minorités du Moyen-Orient et de la préservation de la diversité culturelle dans cette région.
M. Marc Le Fur. Ce n'est pas ce que nous disent les chrétiens d'Orient !
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. C'était le devoir de la France. Notre pays a agi par fidélité envers des populations auxquelles nous sommes liées par l'histoire, par cohérence avec notre engagement en faveur des droits de l'Homme, et parce que la France est convaincue que l'on ne pourra pas bâtir la paix dans la région, si celle-ci était amenée à perdre de façon tragique sa diversité humaine, culturelle et spirituelle.
Le 27 mars 2015, la France, Laurent Fabius, alors ministre des affaires étrangères, avait tenu à réunir le Conseil de sécurité pour lancer un appel à la mobilisation générale en faveur de ces populations. Dans le prolongement de cet événement, la France avait organisé, notamment avec la Jordanie, une conférence internationale sur les victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient, le 8 septembre 2015.
M. Claude Goasguen. Il s'agit d'un génocide ! Ce n'est pareil !
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Le plan d'action de Paris, présenté lors de cette réunion, reste notre feuille de route commune. Il vise à répondre à l'urgence humanitaire et à créer les conditions politiques et sécuritaires pour permettre le ré-enracinement durable et pacifique de ces populations dans la région.
À la suite de la conférence du 8 septembre 2015, nous avons mis en place un fonds spécifique doté de 10 millions d'euros sur deux ans – 2015 et 2016 –, abondé par ailleurs par les contributions de nombreuses collectivités territoriales. Ce fonds a permis de financer des projets dans le domaine du logement, de la santé, de l'éducation, de la formation professionnelle, de la lutte contre l'impunité ou encore du déminage. Près de deux tiers des financements ont été consacrés à la fourniture de services de base aux déplacés et aux réfugiés, notamment en Irak. À titre d'exemple, la France a financé par l'intermédiaire de ce fonds des projets portant sur le fonctionnement de centres de santé mobiles et d'appui à la santé mentale auprès des personnes appartenant à des communautés chrétiennes, assyriennes et yézidies en Irak et au Liban, à hauteur de 2 millions d'euros. Au total, 2 millions d'euros ont également été alloués au fonds de stabilisation immédiate géré par le Programme des Nations unies pour le développement  PNUD – en Irak, dont la vocation est de soutenir les efforts du gouvernement irakien pour la stabilisation du pays, en répondant aux besoins urgents en infrastructures.
L'aide au retour, particulièrement pour les personnes appartenant à des communautés victimes de violences ethniques et religieuses, a été identifiée par tous comme une priorité absolue. Cette priorité a été rappelée lors de la réunion ministérielle, coprésidée avec l'Irak, pour la stabilisation de Mossoul et de sa région, qui a eu lieu à Paris le 20 octobre dernier. L'enjeu est de redonner aux femmes, aux hommes, aux enfants, qui ont dû fuir la barbarie de Daech ou qui en ont été les victimes directes, l'espoir et les moyens de regagner leur foyer pour y vivre en paix.
Pour cela, il est indispensable de rapidement déminer les lieux de vie et de garantir l'ordre et la sécurité. Il faut restaurer les services de base, souvent mis à mal, voire inexistant, relancer l'économie locale, redonner confiance dans une forme de vivre-ensemble. Depuis plusieurs mois, la France finance de nombreux projets de déminage. En Irak, nous soutenons plusieurs opérations de déminage d'urgence au profit des personnes issues de la minorité yézidie dans le gouvernorat de Ninive, mais aussi au bénéfice de villages chaldéens et kakaïs de la périphérie de la plaine de Ninive. Ces actions seront poursuivies en 2017.
La France s'est également mobilisée pour la protection du patrimoine, que Daech détruit dans son entreprise totalitaire, car il en va de l'identité même des peuples dans leur diversité et de notre mémoire collective. Les 2 et 3 décembre derniers, à l'initiative de la France, s'est tenue la conférence d'Abou Dabi pour mobiliser la communauté internationale sur le sujet de la protection du patrimoine et des biens culturels en cas de conflit, à l'initiative et en présence du Président de la République française.
Notre action sur le terrain s'accompagne d'une action politique visant à préserver la diversité par la représentation de toutes les composantes de la société dans les institutions nationales – plusieurs d'entre vous en ont rappelé l'importance. Seuls des États inclusifs, protégeant la diversité et le pluralisme politique, et garantissant à chacun une pleine citoyenneté et le respect de ses droits, y compris, bien sûr, celui d'exercer librement sa religion et d'exprimer ses convictions, sont capables de restaurer la confiance des populations dans les institutions publiques.
Mesdames et messieurs les députés, l'avenir des Yézidis, des chrétiens d'Orient et des autres minorités est en Orient, car ils y sont chez eux. C'est pourquoi tout doit être fait pour leur permettre de rester sur place ou de revenir chez eux. Pour ceux qui ne le peuvent pas, la communauté internationale a le devoir d'accueillir les réfugiés. La tradition d'asile de la France nous oblige. Nous devons montrer à la hauteur des circonstances. Aux côtés de l'État, les collectivités et les associations se mobilisent pour accueillir dignement toutes les personnes qui fuient les persécutions.
Enfin, il convient de lutter contre l'impunité des crimes commis, par Daech comme par le régime syrien, en contribuant à la documentation à vocation contentieuse des crimes notamment à caractère ethnique, religieux ou confessionnel. Plusieurs rapports des Nations unies font d'ores et déjà état d'un possible crime de génocide, même si, tout le monde en convient ici, c'est à la justice de qualifier juridiquement les faits. La France continuera d'apporter son concours aux commissions d'enquête, comme la commission d'enquête internationale indépendante sur la Syrie, présidée par M. Pinheiro, dont le travail est indispensable pour les victimes et pour la réconciliation nationale future.
M. Daniel Fasquelle. On enquêtera sur le Yémen, aussi ?
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. La proposition de résolution invite « le Gouvernement français à reconnaître officiellement ce génocide ». Ce n'est pas au Gouvernement de qualifier les crimes commis en Irak et en Syrie à l'égard des minorités. Ce travail relève en premier lieu des juridictions nationales ou internationales indépendantes, sur la base du code pénal français et du Statut de Rome, notamment. Les autorités françaises sont déterminées à mettre tout en œuvre pour que les responsables de ces crimes soient traduits devant la justice, notamment lorsqu'il s'agit de Français combattants ou ayant combattu dans les rangs de Daech. L'arsenal juridique français, avec notamment l'infraction d'association de malfaiteurs terroriste, est certainement l'un des plus complets et efficace en Europe.
M. Claude Goasguen. Vous rigolez ? Ils ne risquent que dix ans de prison !
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Le parquet de Paris développe des moyens d'action judiciaires efficaces pour parvenir à appréhender judiciairement les retours de Syrie. C'est dans le prolongement de cette action que s'inscrit le principe d'un traitement judiciaire systématique de l'ensemble des ressortissants français de retour de la zone irako-syrienne ou de Libye, auxquels s'applique une mesure de contrainte immédiate, dès leur arrivée sur le territoire national.
S'agissant des chiffres relatifs au contentieux général dit des filières irako-syriennes, le parquet général de Paris fait état à la date du 28 novembre 2016 d'éléments que je tiens à vous communiquer ici : 464 procédures judiciaires en lien avec la zone Syrie/Irak ont été ouvertes au pôle antiterroriste de Paris depuis 2012 ; 369 dossiers sont toujours en cours, dont 167 informations judiciaires et 204 enquêtes préliminaires ; 331 individus sont actuellement mis en examen ; 207 sont placés en détention provisoire et 114 sous contrôle judiciaire ; 135 individus sont jugés ou visés dans des informations judiciaires clôturées – 61 en attente d'un jugement et 74 condamnés – ; 19 affaires concernant au total 74 personnes ont été jugées. S'agissant plus spécifiquement, parmi ces données, des chiffres relatifs au traitement judiciaire des combattants de retour en France, nous comptabilisons 167 personnes, dont 43 condamnés, 110 mis en examen, 13 prévenus et 1 témoin assisté.
Par ailleurs, la France poursuivra ses efforts pour que la Cour pénale internationale soit saisie.
M. Claude Goasguen. Très bien !
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Mais c'est un long chemin, et vous en connaissez les obstacles, en particulier le fait que la Syrie ne soit pas partie au Statut de Rome…
M. Claude Goasguen. L'Irak non plus !
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. …et qu'une saisine par le Conseil de sécurité serait probablement bloquée par un veto, comme cela a été le cas en mai 2014 par la Russie et la Chine.
M. Claude Goasguen. Absolument !
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Évidemment, cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir à des moyens pour que justice soit rendue.
Mesdames et messieurs les députés, nous ne laisserons pas la diversité millénaire du Moyen-Orient disparaître sans réagir. Comme le disait le Président Retailleau avant-hier au Sénat, nous ne laisserons pas « l'ignominie de l'impunité s'ajouter à celle de crime ».
M. Pierre Morel-A-L'Huissier. Alors, agissons !
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État. Pour toutes les raisons que j'ai exprimées devant vous aujourd'hui, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de votre assemblée pour le vote de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)
M. Pierre Morel-A-L'Huissier et M. Claude Goasguen. C'est déjà cela !
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 16 décembre 2016