Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur les enjeux de la sécurité alimentaire mondiale dans les négociations commerciales internationales, Paris, le 2 octobre 2001.

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Circonstance : Colloque "Sécurité alimentaire : Qui va nourrir le Sud ? ", à Bercy le 2 octobre 2001

Texte intégral


Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Je suis particulièrement heureux de vous accueillir aujourd'hui au centre Pierre Mendès-France, à Bercy, pour cette journée de travail, de débats et de réflexion consacrée aux enjeux de la sécurité alimentaire mondiale dans les négociations commerciales internationales.
Comment la sécurité alimentaire est-elle prise en compte dans ces négociations commerciales multilatérales et dans les politiques agricoles ? A la veille d'échéances internationales importantes la question mérite d'être débattue. J'ai donc voulu inscrire le dialogue régulier que j'entretiens avec la société civile dans la double perspective du Sommet Mondial de l'Alimentation et de la prochaine Conférence Ministérielle de l'OMC, quelles que soient leurs modalités.
Le gouvernement accorde en effet une attention particulière à ce débat. Je sais que le Premier Ministre, Lionel Jospin a demandé au Haut Conseil de la Coopération Internationale d'effectuer un travail de réflexion avant le Sommet Mondial de l'Alimentation. S'agissant du dossier commercial dont j'ai la charge, j'ai voulu contribuer à ce débat en organisant le colloque qui nous réunit aujourd'hui. J'y vois également une façon de mettre en pratique cette volonté de cohérence que le gouvernement juge si nécessaire entre les différentes organisations internationales.
L'onde de choc de la tragédie du 11 septembre traverse aujourd'hui les relations internationales et des incertitudes subsistent sur la date et le lieu des deux réunions ministérielles de la FAO et de l'OMC, prévues respectivement du 5 au 9 et du 9 au 13 novembre prochain. Mais une chose est sûre la confrontation des grands enjeux de la sécurité alimentaire mondiale avec l'organisation des échanges agricoles est bien d'actualité.
Il n'est évidemment pas question de réduire le problème de la faim dans le monde à des questions commerciales. L'insécurité alimentaire est souvent décrite comme une hydre, un "Monstre à plusieurs têtes"...
Les progrès accomplis en matière de lutte contre la faim nous semblent toujours insuffisants : ils démontrent surtout à quel point la lutte contre l'insécurité alimentaire est indissociable du combat contre la pauvreté, contre l'exclusion économique, politique et sociale. Les plus touchés sont d'abord les plus pauvres. Ceux qui ont faim sont aussi ceux qui doivent nourrir les autres. Oui ce combat contre l'insécurité alimentaire est indissociable de celui pour l'accès du plus grand nombre à l'éducation et la santé, ou à l'eau. C'est un combat long et difficile dans lequel les victoires sont toujours fragiles, toujours à l'abri d'un conflit mal éteint, d'une guerre qui se rallume... L'actualité nous en donne des exemples cruels.
Pour autant, cela doit-il nous décourager de réfléchir aux problématiques commerciales. Bien au contraire, et je serais tenté de reprendre le mot d'ordre de ces ONG : " Let the Hunger Debate be the Bridge between Rome and Qatar " ... que " la question de la faim soit un pont lancé entre Rome et Qatar ".
Il m'apparaît aussi utile que légitime de confronter les enjeux de sécurité alimentaire et ceux du processus de libéralisation.
La confiance dans le système commercial multilatéral dépendra d'ailleurs largement de sa capacité à prendre en compte, de manière pertinente et concrète, cette question de la sécurité alimentaire comme celle de l'accès aux médicaments.
La question posée est d'abord celle de l'approvisionnement des populations.
Pour assurer cet approvisionnement on peut imaginer différentes organisations de la production et des échanges. Si vous me pardonnez d'être schématique, je dirais qu'on peut distinguer deux modèles :
- l'un, que j'appellerais " mondialisateur ", fondé sur l'échange international et le jeu des avantages comparatifs dans les productions agricoles, les pays déficitaires non solvables ayant recours à l'aide alimentaire ;
- l'autre modèle, plus " nationaliste ", si j'ose dire, insiste sur le risque toujours présent d'une rupture des approvisionnements et sur la nécessité de l'autosuffisance. A cette dernière conception est souvent associée une certaine vision du développement : les partisans de l'autosuffisance insistent notamment sur le rôle essentiel de l'agriculture dans un processus de décollage économique et dans la richesse des nations.
Aujourd'hui, plus que jamais, la sécurité alimentaire, est devenue un thème à part entière de la négociation commerciale.
Depuis Seattle, de nombreux pays en développement ont avancé des propositions très ambitieuses sur les sujets agricoles. Les préoccupations de " food security " en sont souvent le dénominateur commun et fédèrent plusieurs types de demandes. Mais, ce qui vient, je crois, au premier plan, c'est la dimension politique de la sécurité alimentaire qui s'exprime en termes de souveraineté, de sécurité nationale, d'indépendance politique.
A ceux qui affirment qu'il n'est pas efficace, du point de vue du marché, d'encourager les pays en développement à accroître leur production intérieure, ces mêmes pays répondent que les avantages politiques l'emportent sur les coûts économiques supposés.
Aujourd'hui, les pays en développement ne sont pas les seuls à mettre en avant le thème de la sécurité alimentaire.
Dans le débat sur l'évolution de la politique agricole européenne, la constitution de marchés communs protégés est souvent considérée comme la première étape de la sécurité alimentaire et certains jugent désormais préférable d'exporter le modèle européen plutôt que de promouvoir l'exportation des produits européens eux-mêmes.
J'ai notamment souvenir d'une tribune parue dans un quotidien, dans laquelle le Président des Jeunes Agriculteurs plaidait, je cite, pour " laisser les paysans du tiers-monde protéger leur marché " ; " L'autosuffisance, affirmait-il, est la première forme de sécurité alimentaire : l'Europe y est parvenue en faisant jouer la préférence communautaire. C'est cette expérience qu'il faut mondialiser, car elle est concluante, et les autres y ont droit. "
Cette montée en puissance des préoccupations de " sécurité alimentaire " est, en tout cas, le signe que le débat a évolué à l'OMC.
L'alternative n'est plus entre la protection d'une agriculture, que certains jugent non compétitive, et la suppression de tous les soutiens, mais bien entre une politique commerciale qui banalise l'agriculture, et une politique agricole soucieuse des spécificités de l'agriculture, des attentes des consommateurs, et bien entendu de la sécurité alimentaire mondiale.
Là encore, nous devons nous méfier des confusions...
Le processus d'ouverture des échanges agricoles doit se faire dans le respect de la diversité des systèmes d'agriculture.
Quoi de commun, en effet, entre un grand pays exportateur de produits tropicaux, un pays en transition, une petite île dont l'économie agricole est fortement dépendante d'une seule culture, et un pays en développement importateur net qui cherche à développer son agriculture vivrière à l'abri des forces du marché ?
En outre, la traduction, en termes de politiques économiques et commerciales des objectifs de sécurité alimentaire, peut varier du tout au tout d'un pays à un autre.
Le coût de l'autosuffisance peut se révéler exorbitant et ne pas permettre à un pays de nourrir ses habitants. Certains pays, je pense à l'Inde notamment, sont en un sens autosuffisants, et pourtant une large part de la population y souffre de malnutrition. C'est la raison pour laquelle l'autosuffisance semble un objectif très partiel qu'il ne faut pas confondre avec celui de la sécurité alimentaire.
Un pays qui exporte des fleurs ou des tapis et importe de la nourriture peut apparaître vulnérable. L'est-il vraiment plus qu'un pays de fermiers autosuffisants, exposé aux incertitudes climatiques et dépourvu de réserves en devises. Les pays peuvent aussi chercher la sécurité dans la diversification de leurs activités et notamment dans le commerce international.
En réalité, chaque Etat a la responsabilité de garantir la sécurité alimentaire de sa population et les politiques publiques en matière d'agriculture et de sécurité alimentaire peuvent emprunter des voies différentes... Les prochaines négociations à l'OMC devront donc définir des règles spécifiques selon les pays.
C'est justement tout l'objet du traitement spécial et différencié, qui est expressément prévu par l'accord agricole de l'OMC.
Quelle forme celui-ci doit-il prendre ? La proposition globale de négociation que l'Union européenne a présentée à l'OMC esquisse plusieurs pistes de réflexion :
- en termes d'accès au marché, accepter que les PED puissent conserver une protection et disposer du temps d'adaptation nécessaire ;
- encourager les pays développés, mais également les plus avancés des pays en développement à octroyer des préférences commerciales importantes aux PMA ;
- fournir aux pays les moins avancés et aux pays en développement importateurs nets de produits alimentaires, une aide alimentaire intégralement à titre de don, et dans des conditions qui ne portent pas préjudice à la production alimentaire locale, ni aux capacités de commercialisation des pays bénéficiaires.
Mais aujourd'hui je mettrais personnellement en avant deux questions sur lesquelles nous devons réfléchir pour assurer une meilleure prise en compte de la sécurité alimentaire dans les négociations commerciales.
Première question : Comment évaluer l'impact des accords de l'OMC sur la sécurité alimentaire ? Quels sont les critères pertinents ? Prenons l'exemple de la catégorie des importateurs nets de produits alimentaires ; cet indicateur reflète le fait qu'un pays est importateur ou exportateur de produits alimentaire, mais il n'exprime pas le coût de l'accès à cette nourriture, ni son degré de vulnérabilité à des variations de prix où la disponibilité alimentaire globale. Le Mali, par exemple, pays exportateur net, est sans doute plus vulnérable que le Venezuela, qui est un importateur net.
Le rapport de la facture alimentaire au montant total des exportations ne constitue-t-il pas un meilleur instrument pour mesurer le rôle du commerce et les impacts de négociations commerciales sur la sécurité alimentaire ?
On voit bien que la difficulté réside ici dans le fait que la notion même de sécurité alimentaire est sujette à discussion, et que les indicateurs sont porteurs d'une certaine conception de la sécurité alimentaire, qu'il n'appartient pourtant pas à l'OMC de définir.
Deuxième question : à quel niveau doit-on se placer pour examiner l'impact des politiques commerciales sur la sécurité alimentaire ? L'attention s'est progressivement déplacée vers le niveau micro-économique. C'est de ce point de vue que partent les défenseurs de l'autosuffisance : doutant de la capacité des Etats à transformer les bénéfices de l'échange international en facteurs de développement local, ils envisagent avec méfiance les mutations liées à l'insertion dans les échanges internationaux.
C'est ainsi que l'on a pu critiquer l'initiative prise par l'Union Européenne " Everything but arms ", en s'interrogeant sur ses répercussions en termes de développement local, et en demandant qui en seraient les véritables bénéficiaires.
Cette préoccupation est légitime mais elle oublie que les négociations commerciales sont un processus inter-gouvernemental. La négociation commerciale offre des opportunités de développement, mais elle ne fait, si je puis dire, que la moitié du chemin.
Le rôle de l'OMC n'est pas de concevoir ou de proposer une politique de développement "clefs en main" à tel ou tel pays. A chaque pays d'assumer ses choix économiques et sociaux. Aux autres institutions internationales également de jouer pleinement leur rôle dans le cadre d'une relation plus cohérente et plus efficace avec l'OMC.
C'est bien la première moitié du chemin qui nous intéresse aujourd'hui...
Et dans ce parcours, l'OMC a certainement un rôle important à jouer pour contribuer à la sécurité alimentaire, parce qu'un système commercial mondial basé sur des règles - loyales et équitables - est certainement préférable à la loi du plus fort.
Voici quelques-unes des questions, des pistes de réflexion que je voulais vous soumettre en ce début de matinée. J'ai bien conscience d'avoir seulement touché à quelques aspects d'une question infiniment complexe. C'est pourquoi vos travaux et vos réflexions aujourd'hui sont précieuses. Aussi, permettez-moi de tous vous remercier chaleureusement de votre participation à cette journée de travail et d'échanges que j'espère animée et fructueuse.

(source http://www.minefi.gouv.fr, le 3 octobre 2001)