Texte intégral
Monsieur le Directeur,
Chère Madame Mishra,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Permettez-moi d'abord de vous remercier pour votre invitation. Je suis heureux de participer à cette conférence tenue en mémoire de l'initiateur de votre fondation, Monsieur Rishi Kumar Mishra. M. Mishra a été une source d'inspiration en matière de politique étrangère pour plusieurs premiers ministres successifs. Il défendait une vision généreuse et universaliste du monde - qui ne l'empêchait pas d'être un grand patriote.
Rishi Kumar Mishra voulait construire des ponts entre la philosophie indienne traditionnelle et le monde d'aujourd'hui. C'était un homme qui respectait les frontières, mais qui aimait aussi qu'on puisse les franchir. Cette synthèse me semble une juste introduction pour notre thème d'aujourd'hui : l'Union européenne.
L'année 2016, vous le savez, a mis l'Union européenne à rude épreuve. La défiance à l'égard de son fonctionnement gagne du terrain. Il serait réducteur de croire que seule cette défiance explique le résultat du référendum britannique, sur lequel je reviendrai. Mais il est impossible de nier que ce résultat nous dit beaucoup de l'état du projet européen et de sa perception par les citoyens.
L'Union européenne doit aussi faire face au défi de sa sécurité. Les tensions à ses portes se multiplient. Elles ont un impact direct sur les pays européens. Plusieurs régions de notre voisinage sont en proie à l'instabilité et à la guerre. Je pense évidemment à la Syrie, à l'Irak, mais aussi à la Libye, à l'Ukraine ou au Sahel en Afrique. Des millions de réfugiés quittent leurs pays pour échapper à la barbarie. L'absence de perspectives précipite de nombreux Africains sur les routes périlleuses des migrations. Les groupes terroristes, à commencer par Daech, se nourrissent de ces tensions et menacent directement l'Europe, en s'efforçant de semer au sein de nos sociétés la division et la haine.
Le fonctionnement interne de l'Union européenne est en cause. Des tensions existent à l'intérieur de chaque État membre. C'est vrai en Pologne, c'est vrai en Hongrie, c'est vrai en Autriche, en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Italie ; c'est également vrai en France. Aujourd'hui, les populistes tirent argument des évolutions du monde, de la menace terroriste, de la peur du déclin, pour remettre en cause le projet européen et pour contester les valeurs qui en sont le fondement. Ils font fausse route.
C'est pourquoi l'Europe a un devoir de lucidité et doit s'adapter pour répondre concrètement aux inquiétudes des Européens. Mais elle n'est pas la seule en cause. La crise financière de 2008 a laissé des traces profondes. Les mutations qui sont à l'oeuvre dans le monde créent de nombreuses opportunités mais davantage de risques pour les plus vulnérables. Les inégalités s'accroissent. La préférence accordée à la rémunération du capital sur celle du travail creuse les écarts. Conjuguée à une révolution du numérique faiblement créatrice d'emplois, cette évolution pèse particulièrement sur les classes moyennes et les plus modestes, laissés à la tentation des extrêmes.
Les tensions qui en découlent sont perceptibles partout, y compris aux États-Unis. Les électeurs américains ont choisi une personnalité qui incarne une rupture ; mais pour quoi faire ? Pour l'instant, ce sont surtout les interrogations qui dominent sur le cours que souhaitera donner cette nouvelle administration à sa diplomatie après le 20 janvier. L'Union européenne et la France ont une histoire commune avec les États-Unis, des valeurs partagées. Ces intérêts communs continueront à régir, j'en suis sûr, nos relations avec ce pays dans le long terme. Et nous trouverons un terrain d'entente sur les enjeux les plus centraux du moment, notamment la lutte contre le terrorisme à laquelle les États-Unis comme l'Union européenne contribuent à l'échelle mondiale.
La France et les États-Unis sont alliés, cela ne changera pas. La France développera rapidement avec la nouvelle administration des relations étroites. Aucun effort ne sera épargné pour convaincre que l'intérêt des États-Unis est mieux protégé lorsque nous luttons ensemble contre le changement climatique, dans le cadre d'une approche collective. Ou lorsque le commerce international se développe sur la base de règles acceptées par tous, dans le respect de la réciprocité et de l'équité. Face à la tentation unilatérale ou à l'idée que des «deals» peuvent suffire à régler les affaires du monde, la France fera entendre sa voix. Elle pourra, par exemple, faire en sorte que l'Europe incarne, avec beaucoup plus de force, une vision du commerce international bénéfique au plus grand nombre.
Face aux défis globaux, la seule réponse possible, c'est ma conviction, c'est une réponse portée par une volonté politique collective. La fondation de l'Union européenne en est l'un des exemples les plus beaux et les plus pérennes.
Depuis soixante ans, l'Union européenne a été suffisamment forte pour nous faire émerger du pire, de cette guerre fratricide qui a endeuillé et meurtri notre continent, des horreurs qu'elle a engendrées, jusqu'à la négation même de l'humanité. Robert Schuman ou Jean Monnet, des hommes nés au 19ème siècle, ont marqué le siècle suivant en dépassant les différences entre les pays pour mettre en avant, protéger et renforcer les valeurs et les objectifs que nous avons en commun. Ces valeurs et ces objectifs sont restés les mêmes : la démocratie, le respect de l'État de droit, l'égalité de tous et la capacité à réunir les peuples de l'Union grâce à des réalisations concrètes, permettant la naissance d'une solidarité commune.
Et quelle réussite. Car l'Europe est un succès collectif. Elle donne à chacun de nos États membres une voix plus forte et un rayonnement plus grand dans le monde du 21ème siècle.
L'Europe est la première puissance économique et commerciale au monde. Elle promeut les intérêts de ses États membres tout en agissant pour le bien commun en contribuant à faire progresser les normes sociales et environnementales, en favorisant le développement durable dont dépend l'avenir de notre planète.
L'Europe est un des plus grand espaces démocratiques dans le monde, l'un des plus grands espaces de liberté, pour la circulation des biens, des capitaux, des services, mais aussi et surtout des hommes. Elle est la région du globe où les richesses sont les mieux réparties, où l'égalité des chances est la mieux garantie. L'Union et ses États membres contribuent en outre à plus de la moitié de l'aide au développement dans le monde.
L'intégration européenne a permis de construire un espace de stabilité, de paix et de démocratie. Les Européens défendent ensemble les valeurs universelles que sont les droits de l'homme, les libertés, l'égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre la peine de mort. Ils agissent en faveur du règlement pacifique des conflits, au Moyen-Orient, en Afrique et ailleurs. Ils font en sorte que le multilatéralisme l'emporte sur la tentation unilatérale et les dangers d'une dérive progressive vers la confrontation des nationalismes.
L'Union fait beaucoup. Elle soutient la croissance et favorise l'investissement. Elle agit de manière concrète et déterminée pour la sécurité de ses citoyens et au-delà. Elle construit une stratégie ambitieuse en matière de défense et de sécurité. Elle forme un espace de recherche dense, attractif et favorable à l'innovation. Enfin pour les accords de libre-échange, c'est l'UE qui reçoit mandat de négocier au nom de tous ses membres, ce qui nous rend plus forts. Une fois sorti de l'UE, il faut renégocier tous ses accords de libre-échange un par un, et par ses propres moyens.
Nous devons continuer à agir pour amplifier les résultats déjà obtenus par l'UE. Nous avons adopté une feuille de route à Bratislava en septembre dernier et nous devons désormais mettre en oeuvre les engagements pris.
Pour autant, au sein de l'Union européenne, l'année 2016 a aussi été marquée par une rupture, avec la décision des Britanniques de ne plus contribuer à ce grand projet lancé au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Résultat inattendu d'une tactique politique hasardeuse de David Cameron, expression d'un particularisme insulaire, volonté assumée de répondre à des défis migratoires, par ailleurs largement instrumentalisés pendant la campagne : beaucoup a été dit sur les motivations de ce vote. Les conséquences de ce «coup politique» seront encore longues à se manifester, comme le montrent les difficultés rencontrées par le gouvernement de Theresa May à mettre en oeuvre la volonté exprimée par son peuple et à éviter de mettre en péril la cohésion du Royaume-Uni lui-même.
Les traités européens ont prévu un calendrier de négociations, un cadre posé avec une procédure, transparente, démocratique et respectueuse de chacune des institutions de l'Union européenne : la Commission, le Conseil - et donc les États membres -, le Parlement - et donc les citoyens européens. L'Union européenne est prête à entamer les négociations avec le Royaume-Uni, dès que celui-ci aura officiellement notifié son intention de se retirer de l'Union et activé l'article 50 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Les dirigeants européens sont unis dans ce processus et ont fixé plusieurs principes qui guideront la négociation à venir. Le choix du Royaume-Uni de quitter l'UE soulève bien sûr des interrogations quant à l'avenir de l'Union européenne sans le Royaume-Uni. Ma conviction, c'est que l'Europe saura surmonter ces difficultés passagères et que la construction européenne offre toujours un avenir à notre continent.
En 1957, nous étions 6. Aujourd'hui nous sommes 28. Nous serons 27 demain. Nous formons un ensemble politique unique qui a été capable d'abord de préserver la paix en Europe, ensuite de traverser des crises profondes et d'adapter son fonctionnement.
Ainsi, dès le lendemain du référendum britannique et à de nombreuses reprises depuis, les États membres de l'Union européenne ont rappelé leur confiance dans la construction européenne, leur attachement à ce qui fait notre identité et à ce que sont nos valeurs qui ne sont pas des incantations mais notre réalité et notre projet.
Nous avons un devoir de lucidité face aux interrogations de nos populations. Celles-ci ne veulent pas «moins d'Europe». Elles veulent une Europe qui réponde vraiment à leurs préoccupations. Qui défende nos valeurs, qui assure la prospérité économique et le progrès social, qui offre à chacun davantage d'opportunités au sein de sociétés libres, ouvertes au monde et tournées vers l'avenir.
Des projets européens ambitieux sont en cours notamment pour mieux assurer la sécurité de ses citoyens, pour lutter contre le terrorisme et son financement, comme contre tous les trafics. L'Union européenne est une puissance clé pour son voisinage, mais aussi une force de paix à l'échelle mondiale. Elle entend, dans les années à venir, apporter des réponses décisives aux enjeux globaux et continuer à soutenir un ordre international reposant sur la primauté du droit, sur le règlement pacifique des différends et sur le multilatéralisme.
L'indépendance stratégique de l'Union européenne, grâce à celle d'États membres comme la France, est à cet égard son meilleur atout. Avec 16 opérations de gestion de crise, dont 6 opérations militaires menées dans plusieurs régions du monde, parfois en soutien aux opérations onusiennes, l'UE est un acteur incontournable. Elle est pour l'Inde un partenaire fiable. C'est le cas notamment dans l'Océan indien, où l'Union mène l'opération Atalante contre la piraterie en s'appuyant sur les capacités navales de ceux de ses États membres qui en disposent, au premier rang desquels la France. Cette opération a considérablement réduit ce fléau et renforcé la sécurité des voies de navigation stratégiques pour la communauté internationale en général et l'Inde en particulier. Une collaboration fructueuse s'est engagée en ce sens avec la marine indienne. D'autres coopérations peuvent être envisagées - je pense par exemple au maintien de la paix en Afrique, où l'Inde comme l'Europe sont particulièrement actives. Je pense également à l'Afghanistan, où l'Inde et l'Union jouent un rôle crucial pour la reconstruction, le développement et la stabilité.
L'Union européenne poursuit son ambition de bâtir une économie de la connaissance, en déployant des capacités d'investissements considérables, en faisant le choix de la recherche et du développement. Les capacités d'investissement de l'UE sont une ressource pour le financement des programmes lancés par l'Inde pour assurer la modernisation et le développement économique du pays. Nous pouvons renforcer nos coopérations dans ces domaines. Je veux ici rendre hommage à l'initiative prise par le Premier ministre Modi d'une Alliance solaire internationale, que nous avons pu ensemble lancer à Paris en marge de la COP21 et qui va demain contribuer au développement de l'énergie solaire partout dans le monde.
Les États membres de l'Union européenne s'engagent aujourd'hui dans une nouvelle voie en faveur du renouveau de leur projet. Au mois de mars prochain, la construction européenne fêtera ses 60 ans. Cet anniversaire donnera le signal d'un nouveau départ, de l'affirmation de notre volonté commune de résister au fatalisme et au défaitisme. Il marquera une étape déterminante dans la relance du projet européen. L'Europe est une communauté d'États-Nations, chaque Nation avec son histoire, ses traditions propres. Elles demeureront, mais l'originalité de l'UE est justement qu'elles ont décidé librement de mettre en commun ce qui les rend plus fortes. Dans le monde incertain dans lequel nous sommes désormais, cette Union originale et unique est plus nécessaire que jamais.
Mesdames et Messieurs,
L'UE et l'Inde sont unies par des valeurs communes. Elles partagent une vision des relations internationales fondée sur le multilatéralisme et le dialogue plutôt que sur les rapports de force.
L'Union européenne a la volonté et la capacité d'apporter des réponses collectives aux défis du monde. Cette volonté est précieuse, tout comme l'est l'implication des grands pays émergents sur la scène internationale, à l'heure où le niveau d'engagement des États-Unis dans le monde devient plus incertain et alors que l'inaction, l'indécision ou le repli sur soi nous exposent encore plus aux menaces.
L'Europe est le premier partenaire commercial de l'Inde et l'un des premiers investisseurs dans le pays. Avec un marché unique de 500 millions de personnes, elle offre aux entreprises indiennes des opportunités économiques sans équivalent. J'invite vos entreprises à choisir la France pour accéder à ce marché. La France, première destination des investissements industriels étrangers en Europe, dispose des atouts pour être, permettez-moi d'emprunter une expression anglaise : India's gateway to Europe.
C'est ensemble que l'Inde et l'Union européenne trouveront les moyens de répondre efficacement aux défis communs qu'elles doivent affronter. C'est ainsi qu'elles trouveront la voie d'un développement économique porteur d'une croissance durable et inclusive. Cette croissance devra reposer sur la recherche, l'innovation, la formation. Elle devra se faire au bénéfice de tous, y compris des plus vulnérables. C'est ensemble que nous répondrons au défi énergétique et climatique.
C'est ensemble, enfin, que nous répondrons à la menace du terrorisme international. L'Inde et l'Europe en sont toutes les deux victimes, précisément en raison de ce qui les rassemble et que les terroristes cherchent à fragiliser : la démocratie et la liberté. Nous ne répondrons à ce défi que conjointement, en coopérant plus étroitement, dans la surveillance des groupes terroristes, dans la lutte contre la radicalisation ou contre les réseaux de financement du terrorisme, dans le respect de ces valeurs fondamentales que nous avons en partage, mais qui ne sont malheureusement pas partagées par tous.
Mesdames et Messieurs,
L'Histoire est faite par les femmes et les hommes qui décident que le destin est le résultat d'une volonté collective. Forts de cette ambition, nous allons continuer à construire une Europe de paix, de démocratie et de prospérité durable et partagée. C'est aussi cette volonté politique que je vous propose de mobiliser pour construire ensemble l'avenir de la relation entre l'Union européenne et l'Inde et de l'amitié franco-indienne.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 janvier 2017