Extraits d'un entretien de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec France 3 le 15 janvier 2017, sur la politique étrangère du nouveau président américain, la construction européenne, les relations franco-africaines, la situation en Syrie et sur la question israélo-palestinienne.

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Média : France 3

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* États-Unis - Union européenne - Mali - Syrie
Q - Dans cinq jours, Donald Trump arrive à la Maison Blanche, cela vous inquiète-il ?
R - Arrêtons de spéculer sur tout cela. Il y a eu une élection présidentielle et le 20 janvier prochain, le président des États-Unis sera Donald Trump. Il a été élu par le peuple américain et je respecte ce choix. La France est un allié et un partenaire des États-Unis qui agit pour la défense de ses propres intérêts en toute indépendance avec une vision multilatérale du monde.
Q - Cette vision ne vous fait-elle pas peur ?
R - C'est la question que nous allons poser aux Américains. Dès que mon futur partenaire, M. Rex Tillerson - le secrétaire d'État des États-Unis qui va remplacer John Kerry - sera nommé, je l'inviterai à venir en France. Et, au début du mois de février, j'aurai l'occasion de le rencontrer en Allemagne, dans le cadre d'une réunion ministérielle du G20. Je pourrai donc lui poser des questions.
Q - Donald Trump a reconnu que les services secrets russes avaient joué un rôle dans la campagne présidentielle. On sait qu'ils ont été en partie à l'origine de la révélation des mails d'Hillary Clinton. Donald Trump est-il un président sous influence russe ?
R - Je ne fais pas ce genre de commentaire. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut se méfier de cette nouvelle donne en terme de menaces avec la technologie du numérique et les cybers menaces. Lorsque le sommet de l'OTAN a eu lieu à Varsovie, il y a eu tout un volet consacré à cette défense.
Q - En particulier de la part des Russes d'ailleurs.
R - Peut-être mais pas seulement. Je crois qu'il y a à la fois des États qui peuvent être agressifs, qui peuvent utiliser cette technologie et déstabiliser d'autres États. Il se peut également que ce soit des entreprises privées, des mafias etc. Les démocraties doivent s'organiser si elles veulent continuer à défendre leurs valeurs, leur mode de vie, leur fonctionnement et leurs intérêts. C'est vrai au niveau de l'OTAN, c'est aussi vrai, et cela doit l'être de plus en plus, au niveau de la France. En tant que Premier ministre, j'avais contribué à l'augmentation des moyens et c'est aussi vrai au niveau de l'Europe.
Q - 2017 sera marqué par des élections en Allemagne notamment.
R - En tout cas, nous quoiqu'il arrive, nous continuons de travailler avec l'Allemagne pour l'avenir de l'Europe. Car, il est de notre intérêt que l'Europe ne prenne aucun risque quant à son avenir et qu'elle se consolide. Je trouve d'ailleurs que, dans les débats de la présidentielle en France, on ne parle pas assez de l'Europe ou très peu. Cela ne peut se faire que s'il y a une bonne entente entre l'Allemagne et la France - et c'est le cas d'ailleurs - et il faut encore la renforcer.
Q - Il vous reste quatre mois au ministère des affaires étrangères, le temps de faire le tour du monde en 80 jours ou presque. Vous rentrez d'un déplacement au Mali avec François Hollande avant une conférence de paix sur le Proche-Orient qui a commencé ce matin et qui se poursuivra cet après-midi.
Diriez-vous que l'action de François Hollande est plus reconnue à l'étranger qu'en France ?
R - Elle est vraiment reconnue, d'une certaine façon cela peut être paradoxal et je l'ai ressenti souvent. François Hollande est un grand président de la République. Dans tous mes déplacements, on me parle de lui comme un grand représentant de la France, mais aussi de sa vision des relations internationales. Une vision multilatérale, une vision pacifique basée sur des valeurs qui sont celles que la France représente dans le monde. Je l'ai vu encore ces dernières heures au Mali. Vous savez, la décision qui a été prise d'intervenir au Mali était une décision risquée et dangereuse.
Q - Et la France était seule...
R - Oui mais elle a été suivie ensuite par l'Union européenne, par l'Union africaine et par les Nations unies qui ont, pour une grande partie, pris le relais. Et surtout, ce sommet de Bamako c'est le sommet entre l'Afrique et la France. Que cela ait pu avoir lieu au Mali, alors qu'en 2013 les terroristes étaient en train de s'emparer de ce pays, c'est bien parce qu'il y a eu l'intervention de la France. Ce que nous avons vécu ces dernières heures c'était un moment historique.
Q - Un autre pays a traversé le quinquennat, c'est la Syrie. Bachar al-Assad est toujours au pouvoir, la diplomatie française a zigzagué sur le dossier de la Syrie, à un moment, Laurent Fabius disait même qu'il fallait armer certains rebelles. Aujourd'hui, n'est-ce pas un échec collectif ?
R - Mais c'est l'échec de tout le monde, de la communauté internationale.
Q - Parlons de la France elle-même. La diplomatie française n'a-t-elle pas trop zigzagué sur cette question ?
R - Non, elle est toujours restée sur la même ligne, c'est-à-dire la solution politique et non pas la solution militaire. Nous sommes engagés dans une coalition internationale contre Daech, mais nous ne sommes pas une force belligérante en Syrie. Ce n'est le cas ni de la Russie, ni de l'Iran directement ou indirectement qui soutiennent le régime de Bachar al-Assad, qui bombardent l'opposition et qui sont allés jusqu'à détruire Alep.
Q - La France ne soutient pas le régime de Bachar al-Assad mais elle accepte qu'il soit autour de la table ?
R - Pour nous, ce qui est important, c'est de respecter les engagements pris par la communauté internationale auxquels la France a contribué et qui se résument dans une résolution adoptée par le conseil de sécurité des Nations unies à l'unanimité il y a un peu plus d'une année, le 19 décembre 2015. C'est la résolution 2254 qui est la base politique pour le processus de paix par la voix de la négociation.
Le 23 janvier prochain, il y aura normalement une réunion à Astana au Kazakhstan pour préparer la réunion convoquée à Genève par les Nations unies.
Q - Avec aussi les parties syriennes anti Bachar qui pourraient y assister.
R - Il faut absolument que toutes les composantes de l'opposition à Bachar al-Assad soient autour de la table. Que veut-on aujourd'hui ? Cette négociation, c'est à la fois les représentants du régime, les représentants de l'opposition avec la garantie des Nations unies et les puissances qui en font partie.
Q - Mais à l'initiative des Russes !
R - Non, la résolution 2254 du conseil de sécurité des Nations unies et la réunion de Genève sont sous l'égide des Nations unies. Ce qui est à l'initiative des Russes, à la suite d'un accord avec les Turcs, c'est la réunion qui aura lieu à Astana. Une réunion qui, je l'espère, pourra contribuer à la préparation de cette première étape à venir, après un vrai cessez-le-feu, à Genève le 8 février prochain.
Q - Bachar al-Assad est toujours au pouvoir et il distribue les bons et les mauvais points. Il trouve formidable que M. Trump arrive au pouvoir.
R - Ce que nous disons, c'est qu'il faut qu'une politique soit basée sur des principes. Ce n'est pas refuser de discuter ni de négocier, mais à la fin du processus de négociation, dans le cadre des Nations unies, Bachar al-Assad ne peut pas continuer à diriger ce pays. À la fin du processus, je le dis, il doit partir parce qu'il est responsable de 400.000 morts, il y a encore 10 millions de déplacés dont la moitié de réfugiés et il y a une Syrie détruite qu'il faudra bien reconstruire. Cela ne peut se faire que par la voie de la négociation et par une solution politique. (...).
* Israël - Territoires palestiniens
(...)
Q - Aujourd'hui a lieu une conférence sur le Proche-Orient à Paris sous l'égide de la France, qui va se poursuivre cette après-midi. Le conflit Israël-Palestine, cela fait 70 ans que cela dure, ce n'est pas aujourd'hui que cela va être régler. C'est plus du symbole ?
R - Ce n'est pas que du symbole. La première réunion que la France a organisée, c'était le 3 juin dernier. Il y avait 34 pays représentés. Aujourd'hui, ce nombre est plus que doublé et il représente les pays de la communauté internationale. Et ces différentes initiatives de la France, - la France sait qu'il faut du temps, que tout ne sera pas réuni en une réunion -, ont permis de remettre à l'agenda international ce conflit qui dure depuis si longtemps. C'est un acquis.
Q - Mais le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, qui n'est pas à Paris, estime que cette conférence est une imposture palestinienne sous les auspices de la France. Que lui répondez-vous ?
R - Quand 70 pays plus les Nations unies, l'Union européenne et la Ligue arabe se réunissent à Paris le 15 janvier, cela ne peut pas être qualifié d'imposture. C'est une réalité politique qui s'inscrit dans une étape qui est intervenue le 23 décembre au conseil de sécurité des Nations unies où a été votée une résolution. C'est une étape très importante et qui est aussi le fruit des initiatives françaises, condamnant la colonisation qui empêche la perspective...
Q - C'est violent tout de même ! Voyez ce qu'il dit sur la France quand même !
R - Oui, mais que se passe-t-il sur place ? Il y a encore eu, dimanche dernier, un attentat à Jérusalem qui a fait des morts israéliens et que nous avons bien entendu condamné. Le gouvernement israélien a dit lui-même que c'était une initiative d'inspiration de Daech. Personne n'a envie qu'après les affrontements au quotidien qui risquent de s'amplifier Daech intervienne en plus dans cette situation. Pour nous, la question de la paix entre Israéliens et Palestiniens est une question clé pour la paix dans cette région et dans le monde.
Q - Pour éviter que les Islamistes n'entrent dans le...
R - Bien entendu. Il faut tout faire pour cela. Je parle en ami d'Israël et je suis pour que l'on assure sa sécurité dans la durée. Mais si on laisse se dégrader cette situation, si on continue de créer le désespoir, notamment dans la jeunesse palestinienne, où va-t-on ? Tous ceux qui sont autour de la table de la conférence partagent cette nécessité qu'Israéliens et Palestiniens reprennent enfin les négociations.
Q - Donald Trump veut installer l'ambassade américaine à Jérusalem. C'est une provocation ?
R - Bien sûr. Mais je crois qu'il sera dans l'impossibilité de le faire.
Q - C'est une provocation ou c'est pire que cela ?
R - Je crois que ce serait extrêmement lourd de conséquences. Ce n'est pas la première fois que cette question est à l'ordre du jour aux États-Unis. Mais aucun président américain, malgré les déclarations qu'ils avaient pu faire à certains moments, se sont laissés aller à cette décision.
Nous voulons rappeler, par cette conférence, la nécessité de la négociation pour que la perspective de deux États, un État israélien et un État palestinien vivent côte à côte en paix et en sécurité.
Q - Mais Donald Trump menace en disant cela, c'est une menace.
R - Quand on est président des États-Unis - et on va donc attendre le 20 janvier prochain -, sur cette question comme sur les autres, on ne peut pas avoir une position aussi tranchée et aussi unilatérale, il faut chercher à contribuer à créer les conditions de la paix. C'est cela notre conception, celle que j'ai rappelé de François Hollande, qui est celle de la France : une conception organisée du monde.
Et plus le monde évolue, que ce soit sur le plan économique, sur le plan technologique, sur le plan des échanges, plus il faut de l'organisation, plus il faut de la négociation, plus il faut de la régulation ; on le voit sur la transition énergétique sur l'accord de Paris. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 janvier 2017