Déclaration de M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur, sur les impératifs de la formation des commissaires de police dans le contexte post-attentats de 2015 et 2016, à Saint-Cyr-au-Mont d'Or le 19 janvier 2017.

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Circonstance : Baptême de la 68ème promotion "Emmanuel Grout" de commissaires de police, à Saint-Cyr-au-Mont d'Or (Lyon) le 19 janvier 2017

Texte intégral

Monsieur le Préfet,
Monsieur le Préfet de Police,
Madame et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Directeur général de la police nationale,
Mon Général,
Mesdames et Messieurs les directeurs et chefs de service de la Police nationale,
Monsieur le Directeur de l'Ecole nationale supérieure de la Police,
Mesdames et Messieurs les représentants des missions diplomatiques,
Mesdames et Messieurs les commissaires de police,
Mesdames et Messieurs,
C'est la première fois que je préside la cérémonie de baptême d'une promotion d'élèves-commissaires de police et je veux vous dire le plaisir et l'honneur qui sont les miens d'être avec vous aujourd'hui.
En venant, cet après-midi, à l'Ecole Nationale Supérieure de la Police, à Saint-Cyr-au-Mont d'Or, je tenais à marquer l'importance de ce moment partagé, l'importance de votre entrée solennelle au sein d'une institution prestigieuse, la Police nationale, l'importance de votre intégration dans un corps d'élite, uni par une histoire et par des valeurs communes.
J'ai conscience qu'il s'agit là, pour vous, d'un moment particulièrement fort et émouvant, qui constitue une étape décisive dans votre parcours professionnel et dans votre engagement au service de l'Etat et de la République.
L'année 2016, comme d'ailleurs celle qui l'a précédée, restera dans nos mémoires comme une année extraordinairement difficile, une année tragique, même, et à bien des égards. Une année durant laquelle les forces de l'ordre auront, à nouveau, manifesté un niveau maximal de mobilisation pour garantir la sécurité des Français dans un contexte sans précédent. Il a fallu tenir bon face à la menace du terrorisme djihadiste et aux attentats qui ont, une nouvelle fois, endeuillé notre pays, à Nice, à Magnanville, à Saint-Etienne-du-Rouvray. Parmi vous, je sais d'ailleurs que certains ont déjà eu à affronter cette menace, en 2015, dans une fonction ou dans une autre, sur le terrain ou bien en cellule de crise. Je veux leur adresser un salut particulier.
Il a fallu, aussi, gérer les conséquences sur notre sol de la crise migratoire euro-méditerranéenne, d'une ampleur inédite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il a fallu assumer la gestion de graves troubles à l'ordre public, lors des manifestations du printemps et de l'automne derniers. Il a fallu, également, relever le défi de la sécurisation de l'Euro 2016 de football. Et tout cela, bien sûr, en continuant de lutter chaque jour, sans relâche, contre toutes les formes de délinquance et de criminalité, et notamment contre la délinquance du quotidien, celle qui, dans certains quartiers, empoisonne la vie de nos concitoyens.
Ces missions, qui toutes comportent leur part de risque, de difficulté, de grandeur aussi, les policiers et les gendarmes de France les ont accomplies avec un professionnalisme de chaque instant, un sens de l'Etat et de l'intérêt général, une exigence, une rigueur, qui font honneur à la République. Aussi, je veux profiter de l'occasion qui m'est offerte aujourd'hui pour leur adresser, en votre présence, mes plus sincères remerciements et leur exprimer ma très grande reconnaissance pour le travail réalisé – et ce à tous les personnels de la Police comme de la Gendarmerie nationales, quels que soient les services et les unités, les grades et les spécialités. En cette nouvelle année qui commence à peine, je sais, nous savons, les Français savent qu'ils peuvent compter sur leur dévouement – sur VOTRE dévouement – pour veiller sur eux, les protéger face à toutes les atteintes susceptibles de les frapper.
Élèves-commissaires de la 68e promotion, vous voilà désormais pourvus des insignes qui symbolisent les fonctions qui sont maintenant les vôtres. Elles renvoient d'abord à l'Etat de droit au service duquel vous vous êtes mis. Vous avez fait le serment de défendre jusqu'au bout les lois de la République, celles-là mêmes que le peuple français, dans le plein exercice de sa souveraineté, s'est données à lui-même. Vous serez ainsi les gardiens vigilants de la sécurité de nos concitoyens et de nos institutions. Vous serez les fermes garants du respect de nos libertés fondamentales. Aussi, je souhaite que vous soyez fiers du choix que vous avez fait.
Ces insignes que vous portez symbolisent également l'autorité républicaine, celle qui se fonde sur l'honneur et le mérite, et non sur les privilèges de la naissance – la seule autorité qui vaille dans notre Etat de droit, la seule qui justifie que l'on puisse commander à autrui. Ne l'oubliez jamais. Vous êtes ce que vous faites. Vous serez les chefs que vous avez choisi d'être, grâce à votre travail, grâce à vos compétences personnelles, grâce à votre capacité à mobiliser vos équipes.
Vous devrez en effet guider et commander les effectifs que vous aurez sous vos ordres. Par là même, vous devrez faire preuve de rigueur et de justesse à l'égard des femmes et des hommes qui, comme vous, consacrent leur vie professionnelle à la protection des Français. C'est à vous, en premier lieu, qu'il incombera d'expliquer, sur le terrain, comment répondre aux attentes de nos concitoyens. C'est à vous qu'il reviendra de veiller à la bonne exécution des missions de sécurité et d'en contrôler la mise en œuvre.
Vous devrez également rester à l'écoute des policiers placés sous votre autorité, veiller à leurs conditions de travail et à leur sécurité. Vous devrez être à l'écoute de vos collaborateurs et repérer les éventuels signes de fragilité ou de détresse.
Cette écoute, vous la devrez aussi aux victimes, quelle que soit la gravité de la situation à laquelle elles sont confrontées. Je n'ignore pas les difficultés que vous rencontrerez, les impatiences, les incompréhensions, parfois les malentendus, qui vous seront opposés. Je n'ignore pas non plus la pression, la fatigue ni le stress que vous devrez apprendre à gérer pour vous-mêmes et pour vos effectifs. Mais là encore, vous devrez veiller à conserver le comportement exemplaire qui seul peut asseoir votre autorité et rendre possible un rapport de confiance réciproque avec vos subordonnés, mais aussi avec nos concitoyens. C'est là une dimension essentielle de votre mission.
Diriger, commander, ce n'est pas seulement donner des ordres, c'est d'abord analyser, comprendre et anticiper pour mieux décider. Et décider n'est pas chose facile. Cela implique de trancher à chaque fois entre plusieurs options, d'arbitrer entre de multiples paramètres d'ordre humain et opérationnel, mais aussi technique et même budgétaire. Décider, c'est aussi être capable d'expliquer ses choix et d'en rendre raison. C'est donner du sens à l'action collective, susciter l'adhésion et insuffler un véritable esprit d'équipe qui fera de vous ce que l'on appelle dans la police un véritable « chef ».
C'est là le grand et beau défi qui vous attend. Vous êtes, Mesdames et Messieurs, quarante élèves-commissaires, des femmes et des hommes, âgés de 22 à 49 ans, issus, pour certains d'entre vous, du concours externe et, pour les autres, des voies de recrutement interne. A vos côtés, se trouvent également une haut-fonctionnaire de talent et un magistrat réputé qui, détachés dans le corps de conception et de direction, suivent la formation initiale, de même que deux élèves-commissaires de nationalité luxembourgeoise.
Nous sommes d'ailleurs très honorés que le Luxembourg ait une nouvelle fois sollicité la France pour assurer la formation initiale de certains de ses commissaires de police, au sein de l'ENSP. Ce partenariat témoigne, s'il en était besoin, de l'excellente coopération existant entre nos deux pays, mais aussi du prestige dont jouit la Police française en Europe. J'ai une pensée toute particulière pour l'un des élèves luxembourgeois de votre promotion, victime d'un grave accident de la route le 26 décembre dernier : je lui souhaite un prompt et complet rétablissement, et j'espère qu'il pourra très vite reprendre à vos côtés sa formation.
Je tiens également à saluer la présence dans vos rangs d'un commissaire de police, ancien commandant à la BRI de la Préfecture de police, qui a fait partie de la colonne d'assaut qui a investi le Bataclan le soir du 13 novembre 2015. Votre camarade a été alors sévèrement blessé par balle à la main, au cours de la fusillade avec les terroristes. Policier d'élite, il a été promu commissaire de police en juin dernier en récompense de sa bravoure exceptionnelle. A lui aussi, je souhaite un total rétablissement, ainsi qu'une pleine réussite dans ses affectations futures.
Ce recrutement varié garantit la richesse du corps de conception et de direction de la Police nationale. Il renforce notre institution. Cette richesse participe en effet de la nécessaire curiosité intellectuelle dont doit faire preuve tout commissaire de police, lequel devra sans cesse s'adapter, concevoir et imaginer des solutions pour répondre aux enjeux sécuritaires du pays, dans un contexte en constante évolution.
Quel que soit le chemin qui vous a conduits jusqu'ici, vous êtes désormais les commissaires de l'unique 68e promotion, membre d'un seul corps, celui des commissaires de police. Profitez de cette riche période de formation pour vous construire une culture professionnelle commune, celle de policier tout d'abord, mais aussi celle de chef, avec toutes les exigences que cela impose. Quand on veut commander, on doit en effet en assumer toutes les responsabilités et toutes les contraintes. Jamais vous n'aurez le droit de vous défausser sur vos subordonnées. C'est aussi cela, être un chef.
Votre promotion est la première à commencer sa formation après les attentats qui ont endeuillé le pays en 2015 et en 2016.
Cela signifie, pour les élèves externes, que vous avez passé le concours en ayant en tête ces événements tragiques. Pour les élèves internes, cela signifie que vous avez souhaité prendre des responsabilités plus importantes à l'heure où nous sommes engagés dans une lutte de longue haleine contre le terrorisme, et alors même que les enjeux de sécurité occupent une place centrale dans la vie de la Nation et dans le débat public.
Votre génération débute sa carrière dans un contexte où l'exceptionnel peut surgir à tout moment, peut frapper en tout point du territoire national. La menace terroriste, l'état d'urgence, la présence massive des forces de sécurité intérieure dans tous les lieux publics exposés, l'utilisation élargie de matériels et d'armements jusqu'alors réservés aux unités d'intervention, la très forte exposition des policiers, la violence, parfois extrême, à laquelle vous serez confrontés, tout cela sera votre quotidien.
C'est donc, je le sais, en pleine connaissance de cause que vous avez fait le choix de devenir de commissaire de police.
Vous savez que le courage n'est pas une option. Votre engagement dans la Police nationale pourra même aller jusqu'au sacrifice ultime.
Vous savez que vous devrez témoigner chaque jour des valeurs d'intégrité, d'exemplarité et de dévouement.
Vous savez que la détermination, face à un ennemi qui chercher à nous diviser, à nous frapper dans nos principes les plus fondamentaux, à faire vaciller notre Etat de droit, est absolue. Vous en serez les futurs acteurs.
Vous avez déjà pu constater, lors de votre premier stage en service opérationnel, que vos pairs et vos futurs collaborateurs sont marqués par la gravité de la situation.
Vous savez que les postes qui vous attendent en sortie d'école ne sont pas des postes d'observation, d'apprentissage ou d'attente. Dès votre entrée en fonctions, vous devrez être pleinement opérationnels et assumer les hautes responsabilités que la nation vous confie.
Vos prédécesseurs de la 67ème promotion avaient choisi comme nom de promotion « Liberté », ce principe fondateur inscrit aux frontons de nos édifices publics, socle de notre démocratie. Elèves-commissaires de la 68ème promotion, vous avez, quant à vous, choisi comme nom de baptême celui du commissaire Emmanuel GROUT, assassiné, le soir du 14 juillet 2016, à Nice, sur la Promenade des Anglais, par un terroriste se réclamant de DAESH.
C'est là un choix qui vous honore. Il manifeste, d'une manière générale, votre volonté de rendre hommage aux policiers victimes du terrorisme.
Depuis novembre 2014, dans la continuité d'une brillante carrière, le commissaire Emmanuel GROUT occupait le poste de Directeur départemental adjoint de la Police aux frontières des Alpes-Maritimes, un service comptant plus de 400 policiers. C'est là un poste difficile, qui requiert un grand sens de l'engagement, une intelligence des situations, un discernement aigu. Toutes ces qualités, Emmanuel GROUT les possédait en propre et les avait progressivement confortées au cours de sa carrière.
Le soir du 14 juillet, Emmanuel GROUT n'est pas mort en service, mais il est mort en héros. En sauvant sa compagne et la fille de celle-ci, alors que le camion du terroriste se précipitait sur elles. Il y a laissé sa vie. Mais à jamais son sacrifice restera dans nos mémoires. Comme les lieutenants Franck BRINSOLARO et Ahmed MERABET, tombés sous les balles des terroristes auteurs de l'attentat contre « Charlie Hebdo ». Comme la brigadière Clarissa JEAN-PHILIPPE, jeune policière municipale de Montrouge, assassinée, le 8 janvier 2015, par un autre terroriste. Comme le commissaire Jean-Baptiste SALVAING et sa compagne, Jessica SCHNEIDER, elle aussi fonctionnaire du ministère de l'Intérieur, assassinés à leur domicile au seul motif qu'ils étaient des serviteurs de la République. Comme le gardien de la paix Thierry HARDOUIN, affecté à la préfecture de police, tué avec sa compagne à la terrasse du café « La Belle Equipe », le 13 novembre 2015.
A leurs familles et à leurs proches, je veux redire que la France n'oubliera jamais. La reconnaissance nationale va même au-delà du souvenir, elle est une dette morale : celle, impérieuse, de poursuivre les exigences, les buts, les rêves de celles et ceux qui sont tombés pour leur pays et pour l'idée qu'ils s'en faisaient.
A vous, élèves-commissaires de police de la 68ème promotion, je veux adresser tout mon soutien et tous mes encouragements dans les difficiles missions qui seront bientôt les vôtres. Vous attendez déjà avec impatience, je le sais, de prendre vos premières fonctions, à l'été 2018. Et je m'en félicite.
Gardez toujours en mémoire les belles valeurs de la République, celles-là même qu'Emmanuel GROUT et tous ses collègues tombés en mission avaient chevillées au corps et à l'âme.
A chacun d'entre vous, je souhaite une scolarité riche à l'ENSP et dans vos centres de stage.
J'attends beaucoup de vous. Soyez à la hauteur des espoirs que les Français placent en vous. C'est là ce tout que l'on vous demande.
Vive la Police nationale !
Vive la République !
Et vive la France !Source http://www.interieur.gouv.fr, le 23 janvier 2017