Interview de Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes à France-Culture le 20 janvier 2017, sur la parité, les inégalités, les violences et la condition des femmes.

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Média : France Culture

Texte intégral


GUILLAUME ERNER
Et à l'occasion de la Women's March sur Washington demain, samedi 21 janvier en réaction à l'investiture de Donald TRUMP, France Culture consacre une journée d'antenne à la condition des femmes dans le monde et donne à entendre de grandes voix du féminisme. Bonjour Laurence ROSSIGNOL, vous êtes ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes. Pour débuter cet entretien, je souhaitais vous faire entendre la voix d'une femme, celle de Michelle OBAMA lors de son discours du 13 octobre 2016 sur les propos sexistes de Donald TRUMP.
(…)
GUILLAUME ERNER
Laurence ROSSIGNOL, votre…
LAURENCE ROSSIGNOL
Bonjour d'abord.
GUILLAUME ERNER
Réaction aux propos de Michelle OBAMA !
LAURENCE ROSSIGNOL
Les propos de Michelle OBAMA, elle appuie sur quelque chose qui est extrêmement dérangeant dans l'élection de Donald TRUMP. C'est que malgré tout ce que l'on sait sur à la fois ses comportements personnels avec les femmes, la manière dont il parle des femmes, son élection est une espèce d'autorisation implicite en fait donnée aux Américains de se comporter comme le président des Etats-Unis. Un président est exemplaire, il est exemplaire à la fois dans ses bons comportements, mais il peut être exemplaire aussi dans ses mauvais comportements. Et donc il y a une espèce d'amnistie d'un certain point de vue, de banalisation des violences faites aux femmes qu'incarne Donald TRUMP. Et ça veut dire… je ne crois pas que les Américains qui ont voté Donald TRUMP aient voté en raison de la misogynie et du sexisme de Donald TRUMP, mais ils ont voté pour lui malgré cette misogynie, malgré le sexisme. En fin de compte ce n'est pas grave tout ça, ce que dit Donald TRUMP et ce que dit son élection, ce n'est pas grave de mal parler des femmes, ce n'est pas grave de les agresser sexuellement, ce n'est pas grave de les considérer comme des objets sexuels, ça ne pèse pas lourd dans l'image qu'un président veut donner de lui-même. Et donc ce que dit Michelle OBAMA, c'est ce que chaque femme ressent, c'est-à-dire une espèce d'écoeurement à l'élection d'un homme aussi… qui s'affiche autant, aussi ostensiblement à contre-courant du mouvement de l'histoire, c'est-à-dire de celui de l'égalité et du respect.
GUILLAUME ERNER
Chaque femme qui n'a pas voté pour lui parce qu'il y a malgré tout beaucoup de femmes qui ont voté pour lui, il y a eu même une majorité de femmes blanches comme aux Etats-Unis ont fait ce type de statistiques, il y a eu une majorité de femmes blanches qui ont voté pour Donald TRUMP. Est-ce que vous comprenez en quelque sorte ce vote Laurence ROSSIGNOL ?
LAURENCE ROSSIGNOL
C'est ce que je disais il y a un instant, en fait ce n'est pas à cause de ça qu'elles ont voté pour lui, mais elles ont voté malgré cela pour lui. C'est-à-dire qu'on retombe dans la relativisation de ce que sont les comportements sexistes. En fait c'est anecdotique dans le profil politique de Donald TRUMP pour beaucoup de ses électeurs. Mais vous savez j'ai observé la même chose, moi je suis élue d'un département dans lequel le Front national fait depuis 20 ans des scores élevés, et je me suis posée la question : est-ce que les électeurs du Front national sont racistes ou antisémites comme l'est le Front national et comme il l'était encore plus ostensiblement avec Jean-Marie LE PEN ; ou est-ce que ça ne les dérange pas de voter pour un parti raciste. Et c'est ça qui est important en fait, ce sont des électeurs – aussi bien ceux de TRUMP que ceux du Front national – qui ne votent pas forcément par adhésion au racisme et à l'antisémitisme ou au sexisme, mais que ça ne gêne pas de voter pour un parti qui est raciste, antisémite ou sexiste.
GUILLAUME ERNER
En tout cas, le Front national a à sa tête une femme, Marine LE PEN, on l'écoute dans un débat organisé en 2012, elle s'exprimait au sujet de la parité.
(…)
GUILLAUME ERNER
Une critique contre la parité de Marine LE PEN, critique classique (on l'entend) en dehors du Front national, qu'en pensez-vous Laurence ROSSIGNOL ?
LAURENCE ROSSIGNOL
D'abord je trouve amusant que Marine LE PEN dénonce celles qui arriveraient à des responsabilités politiques parce qu'elles sont des femmes, elle-même a hérité d'un parti politique, d'un nom en politique et maintenant d'un financement de sa campagne électorale par son père et sa famille. Donc elle est d'un certain point de vue au-delà même des questions des quotas, elle est là aussi parce qu'elle a été choisie. C'est une critique qu'on entend fréquemment…
GUILLAUME ERNER
Mais c'est suffisamment rare de voir une femme à la tête d'un parti, vous pourriez le saluer. On a vu par exemple le débat de la primaire de la gauche hier, il y avait une seule femme, c'est malgré tout une pierre dans le jardin de la gauche !
LAURENCE ROSSIGNOL
Non, moi je ne salue pas une femme à la tête d'un parti si elle n'est pas féministe. C'est bien d'avoir des femmes à la tête des partis, d'avoir des femmes à la tête des grandes entreprises. Encore faut-il, pour qu'elles fassent progresser la cause des femmes, qu'elles soient féministes, c'est-à-dire qu'elles portent l'envie de faire progresser la cause des femmes. Ce qui n'est pas le cas de Marine LE PEN puisque ce qu'elle explique sur la parité est une critique en général faite par les hommes opposés à la parité ; et qui vient en fin de compte conforter l'idée que le mouvement naturel de la politique c'est la cooptation entre hommes, et que cette cooptation – qui lui a permis à elle aussi d'être à la tête d'un parti politique – ne doit pas être bouleversée. Et la parité, c'est la fin justement de ce système et ce n'est pas simplement le rétablissement d'une justice politique à l'égard des femmes, c'est aussi le moyen de renouveler et de changer la vie politique.
GUILLAUME ERNER
Quels sont les autres combats à mener encore sur la cause des femmes selon vous, Laurence ROSSIGNOL ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Oh ! Il y en a plusieurs. D'abord je voulais faire une remarque peut-être sur la marche des femmes. Je trouve que c'est un moment important parce que depuis une vingtaine d'années, le féminisme avait un peu perdu de sa dimension internationaliste. Alors qu'à l'origine, le féminisme est un international parce que la condition des femmes, elle est la même sur toute la planète, la condition des femmes c'est-à-dire surexploitation, violence sexuelle, commerce de leur corps à la fois par les proxénètes et par les clients, sous-capacité juridique, cette condition elle est séculaire et planétaire. Et depuis une vingtaine d'années, parce qu'il y a eu de nombreux progrès dans quasiment tous les pays du monde, les femmes… les féministes étaient mobilisées dans leur propre pays à faire avancer leurs droits et leur combat. Et de fait, la dimension internationaliste était un peu marginalisée et ce qui se passe aujourd'hui, qui a commencé d'ailleurs avec le mouvement de solidarité avec les femmes polonaises, et leur combat contre la remise en cause de la toute petite possibilité pour elles d'accéder à l'IVG ou ce qui se passe aujourd'hui à propos de l'élection de Donald TRUMP avec ce mouvement parce que ces marches auront lieu partout sur la planète, c'est le retour d'un féminisme internationaliste, c'est le retour d'une cause des femmes qui est universel. Ca c'est très important. Par ailleurs ce qui est aujourd'hui dans les principales conquêtes qu'il nous faut à la fois conforter et aussi faire progresser, premièrement l'égalité salariale, c'est-à-dire que nous sommes 40 ans après les premières lois sur l'égalité professionnelle toujours avec un écart de salaire qui est entre 20 et 25 %, donc l'égalité salariale c'est la clé parce que l'autonomie financière des femmes c'est la clé de leurs droits et de leur liberté. Seconde préoccupation principale, les violences à l'encontre des femmes, qu'elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles, c'est un des axes forts de la politique que j'ai conduite également. Et puis enfin de manière… en deuxième plan, posons-nous la question de pourquoi malgré toutes ces lois, malgré un consensus apparent sur l'égalité femme-homme, aujourd'hui personne, rares sont ceux qui disent être opposés à l'égalité femme-homme, pourquoi malgré ce consensus les droits des femmes et les inégalités ne se resserrent pas davantage, ne progressent pas plus ; et pourquoi les inégalités ne se réduisent pas davantage. Parce que derrière la loi, il y a les comportements, le sexisme en particulier qui vient éroder et aussi amortir les ambitions politiques et législatives. Le sexisme est encore extrêmement présent dans toutes sociétés et, d'ailleurs, ce qui caractérise Donald TRUMP c'est la manière dont il affiche le sexisme comme étant une caractéristique naturelle selon lui et qui fait partie en gros des bonnes relations dans une société, c'est son point de vue sur les rapports femme-homme. Et ce point de vue-là, il existe encore aujourd'hui dans toute la société française et c'est ce sur quoi…
GUILLAUME ERNER
Vous le voyez comment, quelles sont les manifestations selon vous de ce sexisme Laurence ROSSIGNOL ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Le sexisme, il va du harcèlement de rue par exemple, le fait que les femmes… presque toutes les femmes qui prennent les transports en commun disent avoir été à un moment donné victimes de harcèlement ou d'attouchements. Le sexisme c'est l'ensemble de ces petites phrases, de ces représentations, de ces idées qu'on véhicule sur les femmes. Dès que quelqu'un dit « les femmes sont ainsi » en désignant des qualités naturelles des femmes ou « les hommes sont ainsi » en désignant d'autres qualités naturelles, c'est déjà une remarque sexiste. Le sexisme consiste à assigner aux femmes –et aux hommes d'ailleurs – des qualités naturelles qui justifient ensuite une répartition sexuée des rôles dans la société, dans la famille et aussi dans l'entreprise.
GUILLAUME ERNER
Critique adressée à ce discours antisexiste Laurence ROSSIGNOL, une critique qui consiste à dire que finalement cela victimise les femmes et que cela les place là aussi en position de suggestion. Que répondez-vous à cette remarque ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je réponds que 280.000 femmes sont chaque année frappées et victimes de violence dans leurs relations avec leur compagnon ou leur ex-compagnon. Je réponds qu'il y a des dizaines de milliers de viols encore en France aujourd'hui. Je réponds qu'il y a les écarts de salaires que j'évoquais il y a un instant. Je réponds que les femmes n'ont pas accès à la vie politique dans la même représentation que les hommes et que ce n'est pas victimiser les femmes que de dénoncer, de désigner en quoi les inégalités sont encore aujourd'hui extrêmement prégnantes. Et en fait ce discours sur la victimisation, il vise simplement à nous intimer de ne pas dire le réel et le réel, c'est effectivement aujourd'hui les inégalités et les violences spécifiques à l'encontre des femmes. Malgré ça, elles avancent, elles conduisent leur vie, elles se battent au quotidien pour se déployer, pour faire valoir leurs droits, pour agir en toute égalité. Les femmes sont extrêmement courageuses, elles portent seules l'exigence d'égalité, parfois…
GUILLAUME ERNER
Pourquoi portent seules, il y a aussi des hommes qui les portent.
LAURENCE ROSSIGNOL
Alors laissez-moi y venir, elles la portent individuellement cette exigence d'égalité dans leur propre vie. Et aujourd'hui elles s'affichent, elles s'affirment comme féministes et ainsi, elles mobilisent des hommes qui effectivement viennent rejoindre la cause des femmes. Mais c'est le mouvement des femmes qui a permis que leurs droits avancent.
GUILLAUME ERNER
Laurence ROSSIGNOL, au sein de votre parti, au sein du Parti socialiste, ce discours est-il difficile à entendre puisqu'encore une fois lorsqu'on voit la primaire de la gauche, peu de femmes sont présentes, une seule, est-ce que vous avez-vous aussi à combattre un certain nombre de pesanteurs à l'intérieur de ce parti ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Bien sûr que nous avons à combattre des pesanteurs. Le Parti socialiste est un parti qui se définit comme féministe, c'est-à-dire dans sa charte il affiche être un parti féministe, c'est-à-dire que le féminisme est une valeur de la gauche aujourd'hui. Pour autant les habitudes, les pesanteurs, la reproduction des comportements antérieurs, ce que j'évoquais il y a un instant, la cooptation extrêmement présente dans tous les partis politiques. Mais pour autant, regardons bien comment les droits des femmes et l'égalité politique a progressé. Qui a fait la parité ? La gauche avec Lionel JOSPIN. Qui a fait la parité dans les Conseils départementaux ? La gauche avec Manuel VALLS en 2014. Qui a porté l'égalité politique femme-homme ? C'est le parti socialiste et c'est la gauche. Pour autant, nous ne sommes pas satisfaites de l'ensemble des résultats. Mais je voudrais dire une chose sur la primaire, moi aussi comme vous quand je regarde les débats, je trouve que ce débat est terriblement masculin, mais ça révèle d'autres choses. Je connais au moins 2 femmes qui se sont posé la question d'être présente dans la primaire, au moins 2 femmes qui ont réfléchi et qui se sont demandé si leur candidature allait apporter quelque chose de supplémentaire dès lors qu'elles n'étaient pas en situation de remporter cette primaire. Et l'une et l'autre ont considéré…
GUILLAUME ERNER
Qui sont ces femmes ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je pense à Marie-Noëlle LIENEMANN, Marisol TOURAINE le dit également. Et l'une et l'autre ont considéré que le sens des responsabilités devait les conduire à ne pas être candidate pour être candidate. Mais je vois qu'il y a dans cette primaire des hommes qui se sont subitement piqués de devenir candidats et qui ne se sont pas posés la question de savoir si leur candidature allait ou non apporter à la primaire des éléments importants et supplémentaires pour aider la gauche à gagner la présidentielle.
GUILLAUME ERNER
A qui pensez-vous ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je pense par exemple à… je ne veux pas désigner qui que ce soit mais les candidatures tardives…
GUILLAUME ERNER
Oh ! Par exemple Vincent PEILLON.
LAURENCE ROSSIGNOL
Des candidatures tardives par exemple ont été pour moi surprenantes et effectivement, il faut être un homme, il faut ne pas douter de soi et de sa place dans le monde pour décider un matin qu'on est candidat à une primaire… à la présidence de la République.
GUILLAUME ERNER
Laurence ROSSIGNOL, vous dénoncez le sexisme, vous dénoncez les violences faites aux femmes et dans la perspective de la cérémonie des César, Roman POLANSKI a été nommé président de cette cérémonie. Quelque chose qui choque du fait du crime dont il a été accusé. Votre réaction par rapport à ce choix !
LAURENCE ROSSIGNOL
Je trouve que c'est un choix, qui témoigne de la part de ceux qui ont décidé de le nommer président des César, d'une indifférence à l'égard des faits qui lui sont reprochés. En fait, ce n'est pas grave pour les organisateurs que Roman POLANSKI soit poursuivi aux Etats-Unis et ait à son actif le viol d'une jeune fille de 13 ans, d'une enfant de 13 ans. Et ça s'inscrit à mon sens dans une espèce de banalité à l'égard du viol, c'est ce que les féministes désignent comme étant la culture du viol dans laquelle nous évoluons. C'est-à-dire que les agressions sexuelles, le viol, tout cela n'est pas si grave, ça ne pèse pas tant que ça sur la conscience d'un homme.
GUILLAUME ERNER
Alors est-ce que vous allez demander quelque chose, je ne sais pas moi…
LAURENCE ROSSIGNOL
Je ne demande rien…
GUILLAUME ERNER
Auprès de la ministre de la Culture.
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais la ministre de la Culture n'a pas de pouvoir de tutelle sur les César. Les César, elle ne choisit pas…
GUILLAUME ERNER
Est-ce qu'elle a protesté ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Comment ?
GUILLAUME ERNER
A-t-elle protesté ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais moi je… alors si elle n'a pas protesté, moi à cet instant je vous dis que ce n'est pas un bon signal qui est envoyé aujourd'hui…
GUILLAUME ERNER
Pour vous, vous penseriez normal qu'elle proteste ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Non, je ne pense pas, elle est ministre de la Culture, je suis ministre des Droits des femmes, nous n'avons pas à nous prononcer sur une décision qui a été prise par un organisme qui est indépendant…
GUILLAUME ERNER
Vous pourriez le faire…
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, je viens de dire… en tant que ministre des Droits des femmes, je viens de vous dire que je trouve surprenant et choquant que l'histoire d'un viol dans la vie d'un homme ne pèse pas au moment où on met cet homme en situation de représenter et d'être sur scène pendant toute une soirée. Je crains que ça révèle de la part de ceux qui l'ont désigné une forme d'indifférence à l'égard de quelque chose qui, aujourd'hui, reste grave et que nous cherchons par ailleurs à combattre.
GUILLAUME ERNER
Merci Laurence ROSSIGNOL.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 janvier 2017