Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur l'évènement culturel "La Nuit des Idées" et sur la construction européenne, à Paris le 26 janvier 2017.

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Circonstance : Lancement de la "Nuit des idées", à Paris le 26 janvier 2017

Texte intégral


Monsieur le Ministre des affaires étrangères de la République fédérale d'Allemagne,
Monsieur le Président exécutif de l'Institut français,
Madame la Directrice générale déléguée de l'Institut français,
Mesdames et Messieurs les Membres du Comité de parrainage de la Nuit des Idées,
Mesdames et Messieurs les Partenaires et Intervenants de la Nuit des Idées,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de vous ouvrir, ce soir, les portes du Quai d'Orsay pour le lancement de la deuxième édition de la Nuit des Idées.
Il y a un an presque jour pour jour, la première Nuit des Idées se tenait ici. Près de 5.000 personnes étaient réunies autour d'une programmation riche, en présence d'intervenants issus des mondes culturel et universitaire, de la société civile et de la sphère politique. Ce fut un véritable succès, révélateur de l'engouement toujours très vif du public français pour le débat. La Nuit des Idées avait dès lors vocation à devenir un rendez-vous régulier et international.
Ce soir, cette nuit, les idées vont parcourir notre «monde commun». Dans plus de 40 pays et autant de villes, de Tokyo à Los Angeles en passant par Paris, Marrakech ou Mexico, une diversité de tons, d'opinions et d'approches s'exprimera à travers le monde, ce monde qui est notre bien commun et pour lequel nous devons agir ensemble.
«Un monde commun» : c'est, vous le savez, le thème retenu cette année. Un monde commun, car l'ambition de la Nuit des Idées 2017 est de tisser des liens entre tous les continents, le temps d'une nuit, grâce à la circulation des idées et grâce au débat. Les enjeux de notre temps sont placés, ce soir, sous les feux croisés de la réflexion philosophique, des savoirs scientifiques, des pratiques artistiques et des expériences littéraires.
Pilotée par notre opérateur, l'Institut français, que je remercie, et accompagnée par de nombreux partenaires, la dimension internationale de la Nuit des Idées 2017 repose également sur notre réseau culturel à l'étranger, qui organise une série de rencontres originales, parfois jumelées, ou en écho avec des événements parisiens. Ce sera notamment le cas, ce soir, au Quai d'Orsay, lors du second débat qui verra intervenir le metteur en scène polonais Krystian Lupa, alors qu'au même moment, à l'Institut national de l'audiovisuel de Varsovie, intellectuels et artistes débattront autour du thème «Liberté et création, l'art engagé».
La Nuit des Idées s'ouvre, par ailleurs, en 2017, à de nombreux lieux de cultures et de savoirs en France. C'est le cas à Paris, avec le Centre Pompidou, l'École normale supérieure, la Maison de la Radio, la Gaité lyrique ou encore le Centquatre. C'est aussi le cas en région, avec le MUCEM à Marseille, la Villa Gillet à Lyon, le Magasin à Grenoble, la Cité de la Mer à Cherbourg ou encore le Lieu unique à Nantes.
Ce foisonnement d'initiatives est prometteur. Je salue toutes celles et ceux qui, par leur énergie, leur enthousiasme, mais aussi par leur disponibilité, vont donner à la Nuit des Idées 2017 son ampleur et sa pertinence. Je tiens également à remercier les équipes du ministère.
Je souhaite enfin souligner l'importance que j'attache personnellement au lancement de la Nuit des idées au Quai d'Orsay. La culture est en effet au coeur de la diplomatie française pour laquelle la circulation des idées, leur confrontation et leur partage sont autant d'atouts dans ce monde complexe et incertain. La France y joue un rôle déterminant, grâce à son réseau d'enseignement à l'étranger, grâce aux 300.000 étudiants étrangers qu'elle accueille chaque année. Elle y contribue par sa langue et la francophonie, par le biais des nombreuses manifestations proposées par son réseau culturel. Il était donc à la fois naturel et nécessaire pour le ministère des affaires étrangères de célébrer en ses murs la Nuit des Idées.
Je souhaite que la Nuit des Idées soit aussi un moment de recul et de réflexion. Ce recul est d'autant plus indispensable que notre monde fait face à de nombreux défis : des conflits sans fin, la tentation du repli identitaire, une tendance à l'uniformisation des modes de pensées. Nous avons donc besoin, plus que jamais, du débat intellectuel, pour ne pas nous résigner et trouver la force et les réponses à toutes ces grandes questions qui agitent nos pays et nos sociétés.
Mesdames et Messieurs,
Je vous souhaite une nouvelle fois la bienvenue au Quai d'Orsay pour cette Nuit des Idées. Je forme le voeu qu'elle favorise un échange aussi enrichissant que fructueux.
Je vous remercie.
(...)
Vous avez raison d'applaudir, à la fois le sens profond de l'intervention que vient de faire devant nous Frank-Walter Steinmeier, mais aussi pour le remercier. Ce que je fais bien sûr volontiers puisque c'est son dernier déplacement en tant que ministre des affaires étrangères. Je sais que ce n'est pas sans émotion - quand il est arrivé, il me l'a dit -, je le sais car notre relation, pas seulement d'amitié mais aussi cette relation qu'il a eue avec la France comme ministre des affaires étrangères a été très forte.
Oui, il est vrai qu'il a été beaucoup question de l'Europe entre nous et, en particulier, ces derniers mois, souvent en écho aux crises qui la traversent - la menace terroriste, l'afflux des réfugiés, la montée des populismes - et aussi un certain éloignement des peuples, sur son fonctionnement avec ses imperfections, et puis également le choix historique d'un de ses membres de la quitter. Il est vrai que nous sommes dans la grande salle à manger du Quai d'Orsay, dans la pièce d'à côté, c'est le salon de l'Horloge où, le 9 mai 1950, Robert Schuman lançait son fameux appel, sa déclaration. Il disait : «la construction européenne ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble». La construction européenne a été, pour reprendre son expression, justement la construction patiente de réalisations concrètes créant d'abord des solidarités de fait. Elle s'est construite par soubresauts. Certains disent qu'elle a grandi dans les crises, qu'elle s'est constituée en inventant toujours des réponses nouvelles aux crises.
On l'oublie trop souvent d'ailleurs, il est important que nous, les responsables politiques nous le rappelions : la construction européenne est l'histoire d'un des plus fantastiques projets politiques de l'Histoire universelle. Il faut le revendiquer avec fierté et avec conviction parce que son creuset réside dans l'histoire singulière de l'Allemagne et de la France au cours du siècle écoulé. Il est important de rappeler cela, pour la jeunesse bien sûr ; il est vrai que souvent l'on pense que c'est une évidence.
J'étais tout à l'heure aux côtés du président Gauck, président de la République fédérale d'Allemagne, qui va quitter ses fonctions. Il était à Paris, lui aussi, il a rencontré le président Hollande, j'assistais à cet entretien et il y avait beaucoup d'intensité, d'émotion et de références historiques. Puis, cet après-midi, il était reçu par l'Académie française ; c'est l'un des rares chefs d'État qui est venu dans ce cénacle, dans ce lieu magnifique, où il y a une règle du jeu, un échange, une confrontation autour d'un mot du dictionnaire. Ce mot qui a été choisi, ce n'est pas par hasard, c'est le mot «romantisme» qui a permis d'aborder des questions extrêmement profondes dans l'Histoire de nos deux pays. En montrant d'ailleurs que le romantisme français et le romantisme allemand n'étaient pas la même chose. Et cela a permis au président Gauck de parler de l'Histoire et aussi des tragédies de l'Histoire, en partant de sa propre histoire personnelle - né en 1940 - et en parlant des deux dictatures qu'il a connues pendant une grande partie de sa vie, et du bien précieux qu'a représentée la construction européenne. C'est important de dire cela.
Mais je reviens sur la construction européenne. L'Europe est d'abord une institution productrice de droit. C'est une institution qui ne correspond à aucune autre, à tel point d'ailleurs que certains juristes l'appellent une construction politique et juridique sui generis tant elle ne correspond à aucune des catégories préexistantes du droit international de l'organisation politique que les hommes et les nations ont voulu se donner. C'est donc une idée, au départ, j'allais dire pragmatique, pour avancer, mais qui part aussi d'une volonté politique qui nous lie, nous, Allemands et Français, Français et Allemands.
Car il n'était pas si facile que cela, en 1950, de tendre la main. Et la main a été tendue à l'Allemagne pour qu'elle puisse retrouver sa place dans la communauté internationale, en commençant par l'Europe. Cette main tendue a été acceptée et l'on voit tout ce que nous avons fait ensemble de précieux, de formidable.
Donc, il est vrai qu'il faut regarder le chemin parcouru. On parle des normes, on parle souvent des normes européennes comme d'une contrainte. Mais elles nous ont permis de faire des avancées considérables, non seulement sur le plan économique, de la prospérité, mais aussi sur le plan environnemental, sur le plan social, sur le plan sanitaire. Évidemment, il y a encore énormément de progrès à faire car les défis aujourd'hui sont immenses. Nous sommes arrivés au niveau de normes protectrices le plus élevé au monde. Maintenant, il y a le défi - comme tu l'as dit - de la protection des citoyens face à de nouvelles menaces, de nouveaux risques. C'est à l'Europe de continuer à apporter concrètement cette protection.
Ce projet politique est effectivement traversé par des doutes. Ce sont ces crises multiples qui les provoquent. Il y a eu la crise financière - elle a fait beaucoup de dégât -, et puis aussi la guerre effroyable qui déchire la Syrie et qui a provoqué cet afflux massif de réfugiés, auquel l'Union européenne n'était pas préparée. Et pourtant elle tient bon, elle doit proposer encore plus car ces crises et leur impact sur nos sociétés jettent le trouble sur le projet européen lui-même et provoquent la tentation d'abandonner ce qui a été construit.
Tu as évoqué la proposition que nous avons faite tous les deux. Lorsque j'ai pris mes fonctions en février de l'année dernière, j'ai fait mon premier déplacement à Berlin comme ministre des affaires étrangères et nous avons, ensemble, décidé de travailler pour faire une proposition en commun pour la suite de l'histoire de l'Europe. Ensuite, on a pensé, quand nous avons publié ce document, que nous l'avions fait à cause du Brexit - mais nous avions décidé de le faire sans savoir qu'il y aurait le Brexit - cela a été publié au bon moment. Ce travail que nous avons fait en commun, nous a permis de mettre en débat des propositions. Certains ont dit : «encore les Allemands et les Français», puis, très vite, dans les contacts personnels que nous avons la chance d'avoir, toi comme moi, dans nos échanges, on nous a dit : «vous avez eu raison de mettre sur la table toute une série de propositions ; nous n'acceptons pas tout mais vous avez le mérite de les avoir mises en débat». Donc, il ne faut pas se résigner.
Il va y avoir tout à l'heure, une table ronde sur l'avenir de l'Europe, c'est le début de la Nuit des Idées. Il faut mettre les idées sur la table et surtout ne pas abandonner l'idéal, ne pas abandonner l'ambition. Je pense que, dans ce monde incertain et qui présente beaucoup de risques, ce qui a été construit si patiemment ne doit pas être défait. Il doit être renforcé, il doit être amélioré, il doit retrouver aussi toute sa force. Cela dépend de nous, cela dépend du choix que font les citoyens. Les hommes et les femmes politiques ont aussi le devoir d'apporter des réponses aux angoisses qui existent et ne pas les mépriser, de les écouter, d'essayer de comprendre ce qui les provoque et d'apporter des réponses. Cela ne se fait pas en cercles fermés entre hommes et femmes politiques, cela se fait aussi avec les citoyens et c'est le sens de cette Nuit des Idées. Alors, à vous la parole. Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 février 2017