Déclaration de M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat au développement et à la francophonie, sur l'accord économique et commercial global entre l'Union européenne et le Canada, à l'Assemblée nationale le 2 février 2017.

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Circonstance : Examen de la proposition de résolution européenne pour un débat démocratique sur l’accord économique et commercial global (CETA), à l'Assemblée nationale le 2 février 2017

Texte intégral


Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Députés, permettez-moi tout d'abord de rappeler l'émotion et la solidarité du gouvernement, et j'imagine de l'Assemblée tout entière, après l'attaque terroriste de Québec. En cet instant, alors que nous échangeons sur un sujet commun à la France et au Canada, nous tenons à exprimer notre solidarité avec le peuple de ce grand pays ami.
Le projet de résolution invite à «un débat démocratique» sur l'accord économique et commercial global entre l'Union européenne et le Canada. Je tiens d'emblée à rappeler que, précisément, le premier mérite du gouvernement et singulièrement de Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, est d'avoir créé les conditions d'un débat démocratique.
Je reviendrai sur les trois points de cette résolution : l'opportunité du soutien de la France au CETA, les modalités d'application provisoire de l'accord, et votre demande d'un référendum populaire pour autoriser la France à ratifier cet accord.
En premier lieu, il faut mettre fin à une confusion : le CETA n'est pas le TTIP.
L'accord signé en octobre 2016 par l'Union européenne et tous les États membres est un accord équilibré qui prend en compte nos intérêts commerciaux. Nous avons négocié et obtenu des garanties claires et précises en réponse aux inquiétudes dont une part de la représentation nationale et une partie de la société civile se font régulièrement l'écho. Ce sont des acquis auxquels le Parlement peut donner de la force.
Il en va autrement du TTIP, auquel la France a retiré son soutien politique parce que les négociations en cours, dans un déséquilibre flagrant, ne traduisaient pas la conception moderne, sociale et environnementale que nous avons des accords commerciaux, et ne respectaient pas nos intérêts économiques. Dans ces conditions, la France a clairement appelé à l'arrêt des négociations.
S'agissant du CETA, nous avons jugé sur pièces. Nos intérêts économiques sont clairement identifiés. Certes, nous avons déjà un excédent commercial avec le Canada, mais notre relation commerciale n'est pas à la hauteur de son potentiel. Avec 3,2 milliards d'euros d'exportations pour 0,5 milliard d'euros d'excédent, elle équivaut aujourd'hui à celle que nous entretenons avec la Thaïlande ou le Nigeria.
Les accords commerciaux réussis sont ceux qui créent de l'activité et donc des emplois dans nos entreprises exportatrices. Nous avons des points de comparaison : depuis que l'Union européenne a signé un accord avec la Corée du Sud en 2013, elle a augmenté de 55% ses exportations dans ce pays. Or la Corée du Sud est un pays comparable au Canada par son PIB.
Nous estimons que plusieurs secteurs bénéficieront particulièrement de cet accord : les vins et spiritueux, premier poste des exportations de la France, le textile-habillement, où la France détient la deuxième part de marché parmi les pays européens, les cosmétiques ou encore les produits agricoles transformés. En ouvrant également ses marchés aux services, le Canada offre des opportunités pour un secteur très favorable à la France et à nos entreprises.
Nous avons obtenu l'engagement du Canada sur la réciprocité dans les marchés publics à tous les échelons administratifs, non seulement au niveau fédéral mais aussi au niveau des provinces. L'offre d'accès aux marchés publics est la plus complète faite jusqu'ici par le Canada à un pays tiers, y compris les États-Unis. Le Canada ouvrira ainsi largement ses marchés publics à nos entreprises, ce qui pourrait représenter pour celles-ci un gain potentiel de près de 70 milliards d'euros.
Aujourd'hui, 75% des 10.000 entreprises exportatrices françaises au Canada sont des PME. Cet accord représente pour toutes ces entreprises dans nos territoires des opportunités nouvelles, dans une conjoncture mondiale atone. C'est pourquoi elles espèrent le voir entrer en vigueur rapidement.
Le CETA est aussi un accord économique moderne parce qu'il marque des progrès importants dans la prise en compte des sujets démocratiques, environnementaux et sociaux.
Avec nos partenaires canadiens, et notamment avec le gouvernement Trudeau, nous nous sommes engagés à rechercher le niveau de normes le plus exigeant et le plus protecteur. C'est une étape fondamentale pour intégrer pleinement aux négociations commerciales des principes et des valeurs progressistes. À l'heure où se multiplient les offres bilatérales, souvent dénoncées par le président Xi Jinping mais prisées du président Trump, nous devons mesurer notre responsabilité pour soutenir la conclusion d'accords modernes, équilibrés et justes.
Je veux vous donner quelques exemples d'acquis qui pourraient, sans le CETA, ne jamais voir le jour.
En matière de démocratie, nous avons avec le CETA l'opportunité de créer la première «cour publique des investissements» afin de mettre un terme au système aberrant de l'arbitrage privé aujourd'hui en place. Ce dernier, vous le savez, permet aux multinationales d'attaquer les États quand une réglementation leur fait perdre des profits. Les États-Unis, à l'aise avec l'arbitrage privé, refusaient d'en débattre dans le cadre du TTIP.
Ce système de cour publique est novateur parce que les États nommeront et rémunéreront les juges appelés à se prononcer sur les différends avec les entreprises. Pour en finir avec les conflits d'intérêts, ces juges seront contraints à des règles de déontologie strictes et leurs décisions pourront être frappées d'appel. C'est véritablement un premier pas vers la «cour publique multilatérale des investissements» que la France appelle de ses voeux.
En ce qui concerne l'objectif environnemental, le Canada a accepté d'ajouter une déclaration contraignante conjointe mentionnant l'accord de Paris, qui est intervenu après la conclusion des négociations du CETA.
Le CETA ne se substitue pas aux normes européennes. Pour avoir accès au marché européen, il faudra respecter les normes européennes, notamment les normes sanitaires, qui continueront de s'appliquer aux producteurs canadiens. C'était notre ligne rouge : elle a été respectée.
S'agissant des aspects sociaux, le CETA innove également puisque nous avons fait intégrer deux dispositions majeures. Premièrement : un niveau d'application exemplaire des normes sociales et de droit du travail - je vous signale que le Canada est actuellement en train de ratifier la convention de l'OIT, ce qu'il n'avait pas fait jusqu'à présent ; deuxièmement : la préservation totale de la capacité des États et des collectivités à créer et maintenir des services publics nationaux et locaux.
À l'heure où le nouveau président américain met en avant sa défiance à l'égard de l'Union européenne, le CETA est un exemple d'accord réussi qui porte nos valeurs et atteint un équilibre propre à la relation de partenaires respectueux les uns des autres.
Pour terminer, je souhaite ajouter un point qui concerne l'agriculture et a suscité de nombreuses interrogations. Le CETA ouvre largement le marché canadien à nos produits agricoles et agroalimentaires. Les droits de douane canadiens seront supprimés pour 92% des produits. C'est vrai pour les fromages européens, dont le Canada a accepté l'importation libre de droits pour un quota de 18.500 tonnes alors que ces produits font aujourd'hui l'objet de droits de douane très élevés. C'est une victoire majeure.
Concernant le boeuf et le porc, le CETA les inscrit comme des produits sensibles à protéger. S'agissant de la viande bovine, les exportations du Canada vers l'Union européenne ne représentent pas des flux visant à noyer le marché européen puisqu'un quota annuel de 45.840 tonnes de viande canadienne de boeuf est prévu. Au-delà de ce volume, les droits de douane sont maintenus. Quant au boeuf ainsi importé de façon restrictive dans le cadre de l'accord, il sera - cela est inscrit et sécurisé - sans hormones.
De plus, des contrôles aléatoires sont toujours prévus pour éviter, dans le cadre de cet accord comme dans d'autres, d'éventuels contournements. Ainsi les intérêts de notre secteur agricole et notre conception de ce secteur sont défendus.
En parallèle, nous avons renforcé les instruments de notre «diplomatie des terroirs» visant à garantir et l'authenticité et l'attractivité de nos produits en inscrivant dans le CETA la protection de 42 indications géographiques françaises et 173 à l'échelle européenne.
Un débat a été ouvert à propos d'indications géographiques qui n'auraient pas été protégées dans le CETA. Permettez-moi de préciser, d'une part, que le principe est de ne protéger que les produits qui font l'objet d'usurpations ou risquent d'en faire l'objet ; d'autre part, et pour sécuriser l'avenir, nous avons fait insérer un dispositif permettant très facilement et très rapidement l'ajout d'un produit si un risque venait à apparaître pour celui-ci - c'est l'article 20.22.
Aujourd'hui, les États-Unis voient d'un oeil inquiet notre accord avec le Canada. À titre d'exemple, parce que notre appellation «Champagne» est désormais protégée et reconnue au Canada, les Américains sont contraints de ré-étiqueter les bouteilles de ce qu'ils appellent «Champagne californien» en Sparkling Wine, ce qui participe d'une défense efficace de nos producteurs, de leur savoir-faire et de leurs intérêts.
J'ai hésité avant de prononcer ces mots, mais je l'ai fait pour la simple raison que c'est une appellation américaine. Il était donc légitime que je la cite en anglais.
Je voudrais maintenant aborder les modalités de l'application provisoire si cet accord venait à être adopté. La France s'est mobilisée, avec l'Allemagne, pour conforter le rôle de contrôle démocratique du Parlement européen et des parlements nationaux sur les accords commerciaux.
La politique commerciale est une compétence de l'Union européenne. C'est donc d'abord au Parlement européen, colégislateur avec le conseil, de se prononcer sur l'accord. La commission du commerce international, l'INTA, saisie au fond, a donné un avis favorable au CETA. Le Parlement européen en formation plénière se prononcera le 15 février.
La mise en application provisoire du CETA se fera alors, si et seulement si elle est approuvée par le Parlement européen et uniquement sur les dispositions de l'accord relevant de la seule compétence exclusive européenne. C'est la logique du droit communautaire que nous appliquons.
Avec nos partenaires allemands, le gouvernement s'est battu pour que l'accord soit reconnu comme mixte, en partie de compétence communautaire et en partie de compétence nationale. Il a ainsi obtenu que les parlements nationaux puissent s'exprimer sur l'accord dans sa totalité, même si le volet communautaire de l'accord était déjà entré en vigueur. Comme le gouvernement s'y était engagé, le Parlement aura le dernier mot.
Je tiens à saluer à cet égard le travail du parlement français, qui a auditionné mon collègue Matthias Fekl à plus de vingt-et-une reprises en deux ans et organisé de nombreux débats sur ces sujets.
Plusieurs parlementaires, qui en sont membres, ont participé avec assiduité aux travaux du comité de suivi stratégique, qui s'est réuni régulièrement au Quai d'Orsay. Le gouvernement s'est imposé un devoir de transparence, d'information et de débat démocratique pour que chacun puisse prendre ses responsabilités.
Ce travail s'impose partout dans le monde car les sujets commerciaux recouvrent des enjeux démocratiques. C'est ce que démontre le débat ouvert en Wallonie en toute fin du processus, qui était nécessaire et qu'il fallait respecter, avant que Paul Magnette puisse prendre ses responsabilités en approuvant le texte sur les mêmes bases que celles que, je l'espère, vous allez voter.
Il me reste à dire un mot sur la ratification du CETA par voie référendaire. Il faut tout d'abord relever que le recours au référendum n'est pas la procédure habituelle en droit français pour un accord commercial.
Ensuite, il me semble qu'il faut bien saisir ce qui est en jeu ici. Le débat sur le CETA n'est que la partie émergée de l'iceberg qui recouvre une question beaucoup plus vaste : comment assurer l'efficacité et la légitimité de la politique commerciale européenne ?
À cette question, le gouvernement a apporté une réponse claire et précise : il faut remettre les parlements nationaux dans le jeu, en les associant le plus étroitement et le plus en amont possible à la conception de la politique commerciale.
Il faut sortir de l'absurdité consistant à présenter un texte ficelé à un parlement qui n'aurait pu suivre que de très loin les négociations. C'est pour cette raison que ce gouvernement a multiplié les auditions, associé les parties prenantes et s'est engagé dans la voie d'un dialogue fructueux avec le Parlement.
Il faut désormais transformer l'essai et arriver au vote de ratification : si le Parlement s'en dessaisissait, ce serait un signal délétère envoyé à tous ceux qui souhaitent que les parlements nationaux reprennent leur place dans la politique commerciale.
Mesdames et Messieurs les Députés, pour toutes les raisons que je viens d'exposer, le gouvernement émet un avis défavorable à l'adoption de cette résolution européenne pour un débat démocratique sur l'accord économique et commercial global.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 février 2017