Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur les relations franco-australiennes et sur les enjeux internationaux, à Sydney le 2 mars 2017.

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Circonstance : Déplacement en Australie, du 1er au 3 mars 2017

Texte intégral


Docteur Michael Fullilove,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je souhaite tout d'abord remercier chaleureusement le Lowy Institute, ce lieu prestigieux, de m'accueillir aujourd'hui. Cet institut, très tourné vers la France et l'Europe, a joué un rôle pionnier dans le dialogue entre les think tanks français et australiens. À ce titre, vous apportez votre contribution à ce partenariat stratégique qui se tisse entre nos deux pays et c'est essentiel dans cette période de l'histoire.
Mesdames et Messieurs,
L'Australie et la France sont aujourd'hui confrontées à un monde incertain.
La menace du terrorisme qui se nourrit des conflits au Moyen-Orient, pèse sur nos pays et nos sociétés. Elle est le produit complexe d'une propagande mortifère et nihiliste qui se répand sur les réseaux. Cette propagande trouve écho chez des jeunes en mal de repères, confrontés parfois à des difficultés d'intégration que nous n'avons pas suffisamment pris en charge. Il en découle une remise en cause de nos valeurs, de nos libertés, de la démocratie, au profit d'une caricature dévoyée de l'islam, dont les musulmans eux-mêmes sont les principales victimes.
Les conflits au Moyen-Orient ou en Afrique ont un impact direct sur nos pays car ils génèrent des flux importants de réfugiés qui fuient la guerre et que nous avons, en fonction de nos engagements internationaux, le devoir d'accueillir.
Les cyber-menaces deviennent réalité, avec des conséquences directes sur nos intérêts les plus vitaux. Ces menaces ne visent plus seulement nos forces armées ou nos infrastructures critiques, mais aussi nos institutions démocratiques et nos processus électoraux, grâce à la manipulation de nos opinions publiques par réseaux sociaux interposés - mais pas seulement - et cela passe aussi par des moyens de presse, de télévision très influents.
Les dérèglements climatiques et la dégradation de l'environnement font sentir leurs effets. Ils engendrent misère et destruction dans certains pays, mais aussi jettent les ferments des conflits à venir pour l'accès à l'alimentation, à l'eau ou aux ressources naturelles. Je le rappelle, ces risques ne sont pas des risques naturels : ils sont le résultat de l'activité humaine.
Ces menaces sont donc nombreuses, mais elles ne sont pas les seules à peser sur nos sociétés et notre avenir. Nous sommes aussi confrontés aux idéologies populistes, nationalistes qui, aux États-Unis, en Europe et ailleurs, pousse au repli sur soi et à la remise en cause de nos valeurs. Ceux qui se posent en pourfendeurs du système s'attaquent en réalité aux institutions démocratiques. Ceux qui proposent de construire des murs et de fermer les frontières n'apportent en fait aucune solution à la sécurité de nos nations et mettent leur prospérité en danger. Car en prônant le repli, les populistes se trompent à la fois de diagnostic mais aussi de remède. Faire le mauvais diagnostic implique un mauvais remède.
Les difficultés auxquelles nous devons faire face appellent davantage d'action collective, de coopération internationale et de multilatéralisme. Ma conviction, c'est que nous sommes plus forts ensemble que chacun isolé de notre côté.
Là intervient la diplomatie, le politique. Et c'est bien l'objectif de la France que d'agir avec ses partenaires à l'émergence d'un monde plus sûr, doté d'une gouvernance capable de trouver les réponses collectives aux défis communs auxquels nous devons répondre ensemble. La France a donc la volonté de se mêler des affaires du monde. Car nous pensons profondément que notre destin est lié à celui du reste de l'humanité. Cela correspond au monde tel qu'il est et c'est notre conviction, conforme aux valeurs universalistes qui caractérisent la France.
Cet héritage, il faut s'en inspirer. Il peut aujourd'hui nous être d'un grand secours. L'arrivée d'une nouvelle administration américaine, qui affiche une volonté de rupture et donne l'impression du retour d'une certaine tradition isolationniste, doit nous inciter à redoubler d'efforts. Efforts pour convaincre nos nouveaux interlocuteurs que notre monde exige une mobilisation commune. Efforts pour rappeler que sa complexité n'est pas réductible à une série de «deals», au mépris de l'absolue nécessité d'une vision globale, tant les défis et les réponses qui peuvent leur être apportées sont interdépendants. Efforts pour rappeler l'acquis que représente la solidarité issue du passé et notamment notre engagement à défendre la liberté au cours des deux guerres mondiales qui ont façonné l'ordre international que nous nous efforçons d'adapter à l'évolution du monde. Parce que le monde a changé.
L'Europe doit, elle-même, faire face au Brexit. Ce choix du peuple britannique, nous le regrettons, mais nous le respectons. Il nous appartient désormais d'organiser sereinement la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Telle est la volonté du peuple britannique. Cette négociation, qui s'engagera dès que le Royaume-Uni aura activé la procédure de l'article 50 du Traité qui porte sur les conditions de sortie de l'UE, devra respecter certains principes. Je rappelle notamment que l'appartenance à l'Union européenne comporte un ensemble d'avantages et d'obligations. Il n'est pas possible de retenir les uns en oubliant les autres. Il n'était pas envisageable pour les négociateurs qu'il y ait de «cherry picking».
Quant à elle, l'Union européenne continuera sa course en se réformant et en renforçant son unité. C'est ainsi qu'elle demeurera la première puissance économique et commerciale au monde, un des plus grands espaces de liberté et de démocratie, une zone de stabilité et une référence pour le reste du monde. Deux pays ont une responsabilité particulière. La France et l'Allemagne y veilleront - elles s'y sont engagées - en trouvant les compromis susceptibles de faire avancer le projet européen. Car notre volonté politique demeure entière, par-delà les échéances électorales, dans nos deux pays.
J'ai participé récemment à la conférence sur la sécurité de Munich où des dirigeants expliquaient leur vision du monde contemporain qui serait celui de un monde post-occidental ; un monde bâti sur les ruines de l'Union européenne et dans l'espace laissé vide par une Amérique repliée sur elle-même. D'abord, c'est sonner un peu trop vite le glas de nos institutions. Les crises auxquelles nous faisons face sont sérieuses - mais nous en avons connu d'autres - et nous n'avons pas dit notre dernier mot, loin de là. Mais surtout, l'artifice est trop visible : cette description de l'avènement d'un monde post-occidental, de quoi s'agit-il ? Ce monde soit disant occidental, c'est bien sûr le monde libre et démocratique, le monde fondé sur la déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948. Et, ceux qui en espèrent la chute, ce sont les régimes autoritaires, ligués pour défendre leurs intérêts contre ceux de leurs propres peuples, et qui voudraient faire croire à un conflit de cultures ou de civilisations. Assez de propagande. Il y a bien longtemps que nous considérons, nous, que le monde est post-occidental, comme il est heureusement post colonial. L'enjeu, ce n'est pas de défendre un modèle soit disant occidental, mais justement de défendre un modèle universel de droits, de libertés et de démocratie.
Face à ces enjeux, la France veut aussi agir en concertation étroite avec tous ses alliés, ceux qui partagent ses valeurs, qui soutiennent cette conception multilatéraliste et la primauté du droit, qui oeuvrent à un monde plus sûr car reposant sur une gouvernance mondiale inclusive.
De ce point de vue, l'Australie est devenue pour la France un partenaire stratégique. Nos deux pays partagent la vision d'un monde ouvert aux échanges humains, économiques, commerciaux, intellectuels. Notre lien est d'autant plus solide qu'à cette communauté de valeurs s'ajoutent notre voisinage géographique et historique. Il n'y a pas une seule des menaces que je viens d'évoquer, pas un seul de ces défis, qui ne soit commun à nos deux pays.
C'est dans les tranchées et sur les champs de bataille de la Grande guerre qu'est né le lien qui unit nos peuples. Cet épisode de notre histoire commune, nous le commémorons en ce moment même. Après la double visite du gouverneur général en 2016, nous nous souviendrons, en 2017, de la bataille de Bullecourt avant d'inaugurer en 2018 le centre d'interprétation de Villers-Bretonneux qui permettra aux visiteurs de mieux comprendre l'histoire de ce site.
L'Australie, de nouveau, est venue au secours de la France et de la liberté pendant la Seconde guerre mondiale et j'aurai le plaisir, au cours de ma visite, de remettre la plus haute distinction française, la Légion d'Honneur, à des vétérans australiens.
Ce lien historique est au fondement de la confiance réciproque qui a notamment conduit l'Australie à choisir la France pour le renouvellement de sa flotte de sous-marins de classe océanique. La France a, pour sa part, fait le choix politique de proposer à l'Australie des transferts de technologie touchant aux domaines essentiels pour la sécurité nationale de nos deux pays. C'est un choix commun de confiance. Ce choix commun de la France et de l'Australie, c'est de s'engager dans un programme qui contribuera, pour les cinquante prochaines années, à bâtir une industrie australienne souveraine et pérenne et à lier leur destin. C'est un contrat d'un type nouveau ; il ne s'agit pas seulement de vendre et acheter du matériel. C'est bien plus.
La France pense qu'il est dans son intérêt de dialoguer avec une Australie forte, qui contribue à la stabilité d'une région où la France est présente. Une Australie forte qui assume des responsabilités croissantes à l'échelle internationale. Une Australie forte avec laquelle nous avons une communauté de vues sur l'essentiel des enjeux. Il y a parfois des débats entre nous bien sûr, qui reflètent d'ailleurs les débats au sein de nos propres sociétés démocratiques, par exemple sur la lutte contre le changement climatique, ou sur la manière de gérer humainement la difficile question des réfugiés et des migrants.
Mais aujourd'hui, nous faisons face ensemble aux mêmes menaces, aux mêmes défis. La France et l'Australie combattent côte à côte au Moyen-Orient au sein de la coalition contre Daech, une fraternité d'armes qui perpétue celle qui, il y a un siècle, a scellé notre alliance. Plus globalement, notre coopération en matière de renseignement se situe aujourd'hui à un niveau jamais atteint, avec une préoccupation partagée sur les processus de radicalisation, sur la question du retour des combattants étrangers mais également sur le financement du terrorisme.
Le sens de notre partenariat rehaussé, qui va faire l'objet d'une signature demain à Melbourne avec mon homologue Mme Julie Bishop, c'est de se développer dans tous les domaines.
Nos échanges économiques et commerciaux se portent bien. Les entreprises françaises sont présentes dans tous les secteurs, en Australie, où elles emploient plus de 60.000 personnes. Nous pouvons faire mieux, notamment en attirant davantage d'investissements australiens en France. Je suis d'ailleurs accompagné ici par une délégation d'entreprises françaises de haut niveau. Nous allons renforcer notre coopération scientifique et technologique, nos échanges de jeunes chercheurs dans les domaines clés pour la société et l'industrie du futur : le numérique, l'intelligence artificielle, l'ingénierie de pointe, la biodiversité, la santé, le spatial ou encore la recherche agro-alimentaire.
Nous voulons aussi davantage d'échanges culturels et d'échanges entre nos peuples. Nous ne partons pas de rien, puisque plus de 20.000 jeunes Français se rendent chaque année en Australie dans le cadre du programme vacances-travail. Près de 4.000 autres viennent étudier en Australie. La France accueille dans l'autre sens plus d'1,2 millions de touristes australiens chaque année. Mais nous avons l'ambition de faire davantage.
Une autre dimension, fondamentale, de notre relation tient à notre proximité géographique. Beaucoup d'entre vous savent que nous sommes voisins dans l'océan Pacifique. Moins, sans doute, ont conscience que nous le sommes également dans l'océan Indien. La France, vous le savez, a une importante présence outre-mer. C'est une part indissociable de son identité, de sa culture. Dans l'Océan Pacifique et l'Océan indien, vivent plus d'un million six cent mille de mes compatriotes.
Dans ces deux régions, hautement stratégiques et par lesquelles transite l'essentiel du commerce mondial, la France, comme l'Australie, s'engagent à lutter contre les trafics, à garantir un développement durable et respectueux de l'environnement et des écosystèmes précieux pour les États et territoires insulaires, à garantir la liberté de navigation et à privilégier le règlement pacifique des différends dans le respect du droit international.
Tous ces principes, nous les partageons avec l'Australie. Ils guident notre coopération de plus en plus forte. Comme l'Australie, la France continuera à faire naviguer ses bâtiments et voler ses aéronefs partout où les besoins opérationnels le commandent et où le droit international l'y autorise.
J'ai conscience que la France n'a pas été toujours bien perçue en Océanie. Mais cette perception a commencé à changer. D'abord parce que la France a montré, par des actes forts, qu'elle respecte le choix des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le référendum sur l'auto-détermination de la Nouvelle Calédonie sera ainsi organisé en 2018. Ensuite, parce que mon pays s'est engagé pour l'environnement, pour la biodiversité marine et pour le climat, des enjeux vitaux pour les États et territoires insulaires si vulnérables dans cette partie du monde.
La France participe aussi activement aux efforts de développement dans le Pacifique, à titre bilatéral mais aussi comme membre fondateur de la Communauté du Pacifique et comme contributeur essentiel au Fonds européen de développement.
540.000 Français vivent en Océanie, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis et Futuna. Nouméa et Papeete bénéficient aujourd'hui d'une très large autonomie, qui leur permet de prendre des décisions dans la plupart des domaines à l'exception de la monnaie et de la défense. Les affaires étrangères sont une compétence partagée avec l'État, qui soutient et encourage ces territoires dans leurs efforts d'insertion régionale.
Le développement des liens entre ces territoires et leur environnement immédiat est fondamental. Il a connu un succès de premier plan, à l'occasion du dernier sommet du Forum des îles du Pacifique en septembre 2016 qui a accueilli la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française en tant que membres pleins. C'était une aspiration de longue date qui ne se serait pas concrétisée sans le soutien de l'Australie.
Mesdames et Messieurs,
Par leur histoire, par la place éminente que les populations d'origine conservent ou ont retrouvée dans la gestion de leurs affaires, ces deux archipels occupent une position exceptionnelle entre l'Europe et la Mélanésie, entre l'Europe et la Polynésie. Ces deux territoires ont la volonté de jouer, dans les années à venir, un rôle plus important dans la relation entre l'Union européenne et le Pacifique. Ils veulent également développer davantage leurs relations économiques régionales, y compris bien entendu avec l'Australie. La France continuera à les soutenir dans cette ambition.
Notre intérêt est aussi de renforcer nos liens dans l'Océan indien, où la France compte deux départements, Mayotte et la Réunion, peuplés de plus d'un million d'habitants. Membre de la Commission de l'Océan Indien depuis 1986, la France est également un «partenaire du dialogue» de l'Association des États Riverains de l'Océan Indien [IORA - Indian Ocean Rim Association], à laquelle elle souhaite adhérer.
Chers Amis,
Notre époque ne permet ni l'angélisme ni la naïveté. Mais nous ferions collectivement une grave erreur si nous succombions à la poussée des extrêmes en écartant les enseignements qui nous ont été légués par ceux qui ont connu les atrocités du XXe siècle et ont voulu en empêcher la répétition. L'heure plus que jamais est à l'alliance, pour défendre une vision ouverte et dynamique du monde. Cette alliance doit être lucide et déterminée. Elle doit reposer sur la conviction que la garantie de notre sécurité ne passe pas par le repli sur soi, mais par un effort pour doter la communauté internationale d'une architecture qui permettra de renforcer la sécurité collective, de faire en sorte que le commerce mondial bénéficie au plus grand nombre et de lutter contre le changement climatique et la dégradation de notre environnement. C'est ce que la France et l'Australie souhaitent faire. C'est là que nous pouvons agir ensemble. Et c'est ainsi que nous pourrons transmettre aux prochaines générations un monde d'espoir, un monde de paix, de sécurité, de liberté et de progrès. C'est important de tracer un chemin, de donner une direction à notre action. Je suis convaincu que nous sommes partis ensemble dans cette direction.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 mars 2017