Extraits d'un entretien de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec la radio-télévision australienne "SBS" le 3 mars 2017, sur les relations franco-australiennes, les courants populistes et sur la politique étrangère de la France.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement en Australie, du 1er au 3 mars 2017

Texte intégral


Q - Monsieur Jean-Marc Ayrault, bonjour. Bienvenue en Australie, en tout cas à Melbourne. Cela fait quelques jours que vous êtes là. Bienvenue sur l'antenne de SBS.
Vous avez rencontré la communauté française. Comment se sont passées ces rencontres ?
R - Très bien. Il y a ici une facilité d'échanges et de contacts qui est assez extraordinaire, ce n'est pas compliqué. Je ne parle pas seulement des Français, je parle aussi des Australiens. Je sais qu'il y a beaucoup de Français dont de très nombreux jeunes - il y en a 200.000 - qui profitent de ce passeport tourisme-travail. Ici, l'accueil est extrêmement facile et surtout chaleureux.
Q - Ce matin, vous avez rencontré votre homologue, Mme Julie Bishop...
R - Oui, je l'ai même vue deux fois car je l'ai vue hier : elle a assisté à l'entretien que j'ai eu avec Malcolm Turnbull - le Premier ministre - à Canberra. Puis, nous avons approfondi nos échanges lors d'une longue réunion suivie d'une conférence de presse où nous avons pu montrer qu'entre l'Australie et la France il y a des valeurs communes, une histoire commune et aussi, surtout, la volonté de jouer notre rôle maintenant, dans ce nouveau monde incertain dans lequel nous vivons. Sur la vision et la conception que nous avons du monde, nous avons pu voir que nous avions beaucoup de convergences sur la conception multilatérale et sur les solidarités nécessaires.
Puis, en ce qui concerne les relations entre la France et l'Australie, il faut bien dire que, depuis l'achat de sous-marins français par les Australiens, une nouvelle étape de nos relations est en train de se construire. Cet achat est un accord stratégique -pas seulement industriel - et un accord de confiance.
Q - Quand vous parlez de «nouveau monde», vous parlez de monde post-Brexit, de monde pré-Trump, c'est cela le nouveau monde pour vous ?
R - Je ne sais pas si c'est un nouveau monde mais c'est un monde où il y a des données nouvelles qu'il faut prendre en compte.
Le Brexit est une décision du peuple britannique, il faut la respecter. Une négociation entre l'Union européenne et le Royaume-Uni va commencer lorsque le Parlement britannique aura terminé ses votes. Cela va durer deux ans et nous allons négocier, dans la transparence, les conditions de la séparation.
Et puis, il y aura une autre négociation - qui va être très importante aussi - c'est celle qui va définir les relations durables et nouvelles entre l'Union européenne - qui va continuer son chemin - et le Royaume-Uni qui aura sans doute avec l'Union européenne un traité de libre-échange.
Tout cela va quand même changer beaucoup de choses, mais l'Union européenne continue. Et, c'est très important pour nos amis Australiens parce qu'ils sont très attentifs à la négociation - pour aboutir à un accord de libre-échange - qui s'ouvrira avec les Européens d'ici la fin de l'année 2017, du moins je l'espère.
Q - Quel est le rôle de la France dans tout cela ? Il est important que la France joue un rôle primordial.
R - La France joue un rôle moteur. Un rôle moteur à l'évidence, parce que la relation entre l'Australie et la France a été optimale pour arriver à cet accord sur les sous-marins. Ce n'est pas seulement un accord où l'on propose à l'Australie, un outil militaire - des sous-marins - pour la défense, mais c'est aussi un accord industriel, car ces sous-marins vont être fabriqués ici même. Certes, beaucoup de choses vont être faites en France au niveau de la conception,des bureaux d'étude et des entreprises de sous-traitance notamment. Et puis, il y a surtout un transfert de technologies qui permettra à l'Australie de disposer d'une autonomie stratégique. Et l'on sent bien que l'Australie veut assumer sa souveraineté notamment sur le plan militaire par rapport à son allié historique que sont les États-Unis.
L'opportunité qui a été donnée au gouvernement australien, à travers ce contrat de sous-marins, correspond à quelque chose de fort et de profond. Cet accord, c'est aussi un écosystème des industries militaires, des industries privées, des bureaux d'étude et des centres de recherche. Et cela peut servir de référence pour d'autres évolutions économiques dans nos relations. C'est pourquoi j'étais accompagné d'une très forte délégation du Medef international représentative de la diversité des entreprises, des grands groupes, des PME - dont des PME extrêmement innovantes - notamment dans le secteur du développement durable, de la transition écologique suite à l'accord de Paris qui, ici aussi, est à l'ordre du jour.
Q - Si l'on parle des rencontres que vous avez pu faire ici, on sait qu'en France, c'est assez tendu au niveau politique en ce moment avec la montée du populisme. Avez-vous ressenti cela ici aussi ou non ?
R - L'Australie est une démocratie très vivante. J'ai rencontré le Premier ministre, M. Malcolm Turnbull, au Parlement, et j'ai pu voir que l'agenda était très chargé. Le Premier ministre comme ses ministres sont au Parlement car entre deux rencontres, il faut retourner en séance pour voter, répondre aux questions, débattre. C'est une démocratie vivante et parfois c'est rude. Mais c'est une démocratie. J'ai rencontré les représentants de la majorité et aussi ceux de l'opposition - puisqu'il y a un «shadow cabinet» comme dans la tradition du parlementarisme britannique - avec une spécificité australienne puisque c'est un État fédéral. Il y a les États avec le Premier ministre, il y a le Commonwealth, comme on dit, le gouvernement fédéral. C'est très intéressant ; c'est à la fois différent mais c'est très stimulant.
Q - D'accord, mais sur cette montée du populisme...
R - Oui, il y a une inquiétude partout.
Q - On en parle beaucoup ici quand même...
R - Oui, même en Australie il y a des courants populistes. Ils sont loin d'être majoritaires mais ils existent. Ils se développent et ils utilisent de la propagande en se servant des peurs, des angoisses, des inquiétudes qui peuvent exister. Ces peurs peuvent être la sécurité, les menaces terroristes, les phénomènes migratoires et la peur de perdre le modèle économique et social auquel on est attaché. Ce sont des thèmes sur lesquels les parties d'extrême droite et les partis nationalistes surfent en permanence. C'est vrai en Europe mais ce n'est pas vrai qu'en Europe.
On en parle beaucoup parce qu'il y a des élections présidentielles en France mais si vous regardez les autres élections en-dehors de la France - aux Pays-Bas, c'est le 15 mars -, l'extrême-droite est présente aussi. Même en Allemagne, qui était un peu à l'écart, on voit que l'extrême-droite est en train de monter ; il y a aussi l'Italie et les pays d'Europe orientale également.
Il faut faire attention parce que c'est une menace pour nos démocraties, c'est un recul, c'est une régression, c'est l'illusion qu'il suffirait de fermer les frontières, de revenir en arrière, d'arrêter toute politique d'échanges, notamment économiques, pour que les choses se règlent. Ce n'est pas vrai.
Qu'est-ce que cela voudrait dire concrètement pour les Européens ? Cela voudrait dire la fin de l'Europe et pour la France, la fin de l'euro. Mais, j'ai confiance - et c'est ce que j'ai dit à tous mes partenaires ici à l'occasion de ma visite en Australie - : le peuple français ne voudra pas choisir le retour en arrière et, au moment du vote crucial - c'est-à-dire au deuxième tour des élections présidentielles - le choix qui sera fait sera, je crois, le choix de l'avenir et non pas de la régression.
(...)
Q - Pour le Premier ministre, c'est très différent ?
R - Être ministre des affaires étrangères, cela permet des contacts avec le monde entier. Au bout de quelques mois, je connaissais déjà la plupart de mes collègues même si, parfois, il y a des changements. C'est très intéressant et en tant que ministre des affaires étrangères de la République française, je me dis que ceux qui dans notre pays ont tendance à s'auto-dénigrer et à parler du déclin de la France ont tort. À travers mes déplacements, mes contacts et mes échanges, je peux vérifier que la France est respectée et attendue. Elle doit jouer un rôle qu'elle a bien l'intention de continuer à jouer dans ce monde incertain, parce que nous croyons à certaines valeurs qui sont des valeurs universelles. Nous voulons les défendre et c'est pour cela que la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, est écoutée et respectée.
Je voulais aussi saluer la communauté française et vous m'en avez donné l'occasion. Je pense notamment aux services que l'ambassade et le consulat apportent. Il y a eu des efforts importants pour améliorer l'accès au service consulaire à Sydney - il y en aura d'autres à Perth et dans d'autres villes. Je pense que c'est très important pour la vie quotidienne de nos compatriotes pour montrer que nous pensons à eux - même si nous sommes loin - et que nous faisons attention à leurs conditions de vie en facilitant tout ce qui peut améliorer leur vie en Australie.
Q - La France est donc plus qu'un passeport ?
R - Oui. Vous m'interviewé dans un lieu qui est celui de l'Alliance française et c'est aussi cela la France. C'est la culture, ce sont les débats d'idées, les rencontres et les échanges.
L'ambassade a lancé un très beau programme qui s'appelle «la Conversation» qui permet des débats sur tous les sujets.
Le premier thème était l'Accord de Paris, la transition énergétique et le défi du réchauffement climatique et on m'a demandé de faire la première intervention pour ouvrir «la Conversation». Je trouve ce mot,la conversation, formidable car cela veut dire parler tranquillement sans s'agresser, échanger et essayer de réfléchir ensemble, pour relever ensemble, dans un débat le plus vif et le plus clair possible, les défis de notre temps.
Les alliances françaises contribuent beaucoup à tout cela, c'est aussi là que l'on apprend le Français et je suis aussi le ministre de la Francophonie, je ne l'oublie pas.
Q - Et vous avez vu cela à travers le monde ?
R - je l'ai vu partout dans le monde. Vous avez à la fois les instituts français, les alliances françaises qui contribuent à la promotion de la langue française et à la culture française qui sont aussi des lieux de rencontres et d'échanges : des expositions, des débats, des concerts, des festivals de cinéma, toujours dans cette idée de l'échange.
Il y a aussi notre réseau d'enseignement français à l'étranger, il est sans doute le plus beau réseau d'enseignement au monde, il fonctionne très bien notamment en Australie. (…)
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 mars 2017