Interview de Mme Corinne Lepage, présidente de Cap 21 et candidate à l'élection présidentielle, à RTL le 23 novembre 2001, sur ses propositions pour la police, l'environnement, la lutte contre la drogue et les droits de la défense.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief Vous avez été ministre de l'Environnement d'A. Juppé. Aujourd'hui, vous êtes candidate à l'élection présidentielle. Et avec votre parti, Cap 21, vous lancez votre campagne, demain, à l'occasion d'un colloque de discussion. A quoi sert votre candidature, lorsque par exemple, concrètement, des policiers défilent dans la rue et demandent l'amélioration de leurs conditions de travail ? Qu'allez-vous apporter, vous, sur des questions concrètes, quotidiennes ?
- "J'ai des réponses à apporter, par exemple, sur la police. Il serait indispensable de remettre en route une véritable police d'investigation. On a fait de la police de proximité en bas des tours et des maisons. C'est très bien, mais cela ne suffit évidemment pas. Il faut remonter les filières. Pour cela, on a besoin d'une police d'investigation. Voilà une proposition concrète."
Vous vous présentez comme une femme de la société civile et pas vraiment comme une écologiste...
- "L'un et l'autre. L'environnement n'appartient absolument pas aux Verts, pas plus qu'à la droite ou à la gauche. L'environnement, la santé, la sécurité sous toutes ses formes, de l'assiette au bioterrorisme - et c'est l'objet de notre réunion de demain -, c'est l'affaire de tous. Et c'est un peu le message que j'ai envie de délivrer durant cette campagne, en faisant des propositions tout à fait concrètes et précises."
Je reviens sur cette "sécurité" qui est au coeur des préoccupations des Français aujourd'hui, on s'en rend compte tous les jours. Les chiffres de la délinquance dans la région Ile-de-France sont en augmentation. Encore une fois, qu'est-ce qu'une candidate comme vous peut apporter sur ces questions ? Vous avez dit "police d'investigation" il y a un instant. Mais concrètement ?
- "C'est tout à fait concret, parce que cela permet de remonter les filières. Quand on sait que 60 % de la petite délinquance urbaine a pour origine la drogue, il faut absolument remonter les réseaux. On a maintenant des adjoints de sécurité, mais la police, en fait, a constamment baissé de qualité. Et par conséquent, ce n'est pas seulement un problème de moyens, c'est également le souci de mettre les gens là où on en a besoin, et un problème de qualité. Ce mouvement des Français derrière la police montre que c'est notre affaire à tous. Et ce que j'ai envie de dire aux Françaises et aux Français durant cette campagne, c'est qu'ils sont un peu responsables des grands débats et des grandes orientations que la société prend. La sécurité, c'est un droit fondamental, c'est l'article I de la déclaration des droits de l'homme. Nous avons le droit à l'intégrité physique. Cela n'a rien de réactionnaire ni de sécuritaire que de le rappeler. Et pour moi, la sécurité, c'est un tout : cela commence dans l'assiette, cela finit dans le bioterrorisme."
Vous trouvez que les politiques d'aujourd'hui - je pense évidemment au Gouvernement - n'assurent pas assez cette sécurité, ne répondent pas assez à ces droits ?
- "Je ne crois pas. Nous nous sentons tous menacés à des degrés divers, que ce soit par ce que l'on mange, ce que l'on boit, ce que l'on respire lorsqu'on se promène dans la rue ou avec le terrorisme. Et là, il y a un véritable besoin, tout à fait fondamental, tout à fait respectable, autant que la liberté et l'égalité, et il doit être satisfait."
Vous l'avocate, est-ce que vous pensez qu'il faut revoir cette loi sur la présomption d'innocence, qui est très critiquée aujourd'hui ?
- "D'une manière générale, nous avons beaucoup trop de lois. Avant de les changer ou de les modifier, il faut voir très clairement comment elles s'appliquent. Le temps est un peu court pour le moment pour savoir exactement comment cette loi va s'appliquer. Mais il faut savoir quelles sont les priorités. Je suis avocate, donc les droits de la défense sont pour moi quelque chose de fondamental. La présomption d'innocence est essentielle. Il n'en demeure pas moins que les policiers doivent pouvoir travailler et que et que la justice doit effectivement rendre des décisions, sans se prendre dans des méandres de procédures à n'en plus finir. Les gens ont besoin d'une justice qui ne soit pas expéditive mais rapide, qui réponde aux besoins des victimes, qui doivent être reconnues comme telles. Et ce n'est pas toujours le cas : vous déposez plainte, et la plainte est classée. C'est désespérant."
On se souvient que vous avez défendu les victimes de l'Erika - on y revient dans un instant. Mais parlons de la situation internationale. La France se veut engagée aux côtés des alliés et des Américains dans ma bataille en Afghanistan contre le terrorisme. Néanmoins, elle est un peu bloquée aux frontières. La France n'est-elle pas assez présente ? C'est un peu ce qu'on a entendu dans l'hémicycle à l'Assemblée nationale il y a quarante-huit heures. C'est votre sentiment ?
- "Oui tout à fait. Il y a plusieurs raisons à cela, mais j'en vois au moins deux. La première, c'est que nous n'avons pas vraiment choisi si nous voulions une construction d'une Europe politique et s'il fallait faire tout ce qu'il fallait en ce sens. Ce qui me frappe, c'est la présence de l'Allemagne et l'absence de l'Europe. Le deuxième point, c'est que nous avons une attitude pas vraiment ambiguë, mais pas non plus extrêmement courageuse [...]."
Vous voulez dire timide, timorée ?
- "Un peu timide. On a dit qu'on allait envoyer des troupes, mais elles ne sont pas parties. On a vu l'opinion publique française un peu partagée. Est-ce l'effet de la cohabitation, qui freine un peu les initiatives qui auraient pu être prises ? Je n'en sais rien. Le résultat est là : nous ne jouons plus le rôle qui devrait être le nôtre, alors que nous sommes un des membres du Conseil permanent de sécurité."
Et si on avait été plus "pro-américain", on aurait joué un rôle plus important ?
- "Si nous avions été davantage présents en Afghanistan, aux côtés des Etats-Unis, tout en gardant les réserves que nous devions avoir sur les orientations qui devaient être prises, la conférence se tiendrait peut-être aujourd'hui à Paris et pas à Bonn."
Vous êtes d'accord avec J. Bové, par exemple contre les OGM. On vous a vue aussi dire des choses semblables à P. de Villiers sur l'Erika, puisque vous avez défendu les victimes. Vous n'aimez pas D. Voynet, parce que vous trouvez qu'en tant que Verte, elle confisque un peu l'environnement...
- "Elle n'a pas fait grand-chose. C'est surtout cela que je lui reproche. Ce n'est pas qu'elle le confisque, mais qu'elle le confisque pour ne rien faire."
Et vous êtes en même temps d'accord avec elle, par exemple contre le troisième aéroport. On a envie de vous demandez pour qui vous roulez ?
- "Je roule pour des idées et pour ce qui me paraît fondamental pour les Français."
Ce n'est pas de la langue de bois ?
- "Pas du tout. La preuve : la description très rapide que vous venez de faire montre que je suis une femme parfaitement indépendante. Si c'est être de droite que d'être pour la liberté, je suis de droite. Si c'est être de gauche que d'être pour la justice, je suis de gauche. Autrement dit, pour moi, ce n'est pas le clivage essentiel."
Je voudrais citer C. Goasguen de DL, qui a dit récemment qu'il y avait trop de candidats à droite et qui vous a citée dans la liste...
- "C'est son analyse des choses. Je me bats pour les grands sujets de société. Pour convaincre toutes celles et tous ceux qui voteront pour moi que les engagements que je prendrai au cours de la campagne, que ce soit sur les questions de sécurité - au sens le plus large du terme -, sur la santé, le lien entre la santé et l'environnement, sur les OGM, je me battrai jusqu'au bout pour qu'ils soient tenus au deuxième tour."
Au deuxième tour, vous vous désistez pour qui ? Chirac ou Jospin ?
- "Je n'en sais rien du tout à ce jour. Je ne vous le dirai pas, parce que je ne le sais pas. Je me bats vraiment pour des idées, je roule pour ce qui me paraît fondamental en ce début de XXIème siècle, pour nous tous, c'est-à-dire notre avenir, l'avenir de nos enfants, ce qui va se passer à l'école, sur la planète, dans la nature. C'est cela qui me fait rouler. Rien d'autre."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 23 novembre 2001)