Texte intégral
Merci Monsieur le Professeur Emmanuel Vallon,
Cher Monsieur Hamad,
Chers Amis syriens,
Mesdames, Messieurs,
Cher Jack Ralite,
Vous avez trouvé le ton, vous avez trouvé les mots pour parler de cette tragédie syrienne. Il y a six ans jour pour jour des citoyens syriens descendaient manifester par milliers dans les rues de Damas pour réclamer la liberté, ainsi que le respect de leurs droits et de leur dignité, comme vous venez de le rappeler il y a quelques instants. Et c'est cette aspiration que dès le début de «l'Appel d'Avignon» la France a voulu soutenir.
C'est à Deraya qu'ont d'abord éclaté les manifestations pacifiques - et je tiens à le rappeler - avant de se répandre comme une traînée de poudre à l'ensemble du pays. C'était l'époque du printemps arabe. Mais rapidement ces mouvements populaires se sont heurtés à une réponse, la réponse brutale d'un régime dictatorial au pouvoir depuis plus de quarante ans : il faut sans cesse rappeler que c'est par un bain de sang que Bachar al-Assad, sourd aux revendications démocratiques du pays, a choisi de répondre à cet élan qui se nomme liberté. Et, c'est cette répression terrible qui a ouvert la voie à la crise dans laquelle la Syrie est aujourd'hui plongée avec son cortège de morts et de tragédies.
Bachar al-Assad pouvait changer le cours de l'histoire, il a choisi de conduire son pays à la ruine.
Six ans plus tard, c'est dans un abîme de chaos et de barbarie que continue de s'enfoncer la Syrie chaque jour davantage. Les chiffres, Jack Ralite les a donnés et je ne veux pas les répéter parce qu'ils parlent d'eux-mêmes. Il ne faut pas oublier que c'est près de la moitié de la population syrienne qui est déplacée, que ce soit à l'intérieur du pays, ou exilée dans les pays voisins, en Turquie, en Jordanie et au Liban, et aussi en Europe.
Les prisonniers que vous avez mentionnés, avec des chiffres horribles et les traitements qu'ils subissent, y compris sur les femmes comme sur les enfants. C'est une politique d'État d'extermination pour reprendre les termes de la commission d'enquête internationale de l'ONU, et il est important que cette commission existe. Et, au-delà des chiffres et des statistiques il y a la terrible réalité, le quotidien d'un peuple déraciné et exténué par six années de guerre. Ce soir je m'associe à l'hommage que vous avez voulu rendre à tous les morts, martyrs et victimes de ce conflit.
L'année 2016 aura tristement marquée l'histoire de cette guerre. Je pense, bien sûr, à la chute d'Alep en décembre dernier après plusieurs mois de siège et à la suite de l'offensive meurtrière du régime, appuyé par ses alliés russe et iranien et les milices du Hezbollah.
Vous savez ce que la France a tenté de faire sans relâche pour tenter de sauver la deuxième ville de Syrie, cette ville de culture inscrite au patrimoine de l'humanité de l'UNESCO, ainsi que d'autres sites qui sont dans la même situation. Je pense également aux attaques chimiques que continue d'utiliser le régime contre son peuple, comme en ont attesté les rapports des organisations internationales. Ici aussi il y a des organisations internationales qui disent la vérité.
Récemment nous avons défendu une résolution au conseil de sécurité des Nations unies pour condamner l'usage des armes chimiques, mais un des membres permanents - comme vous le connaissez - a utilisé, une nouvelle fois, son droit de véto.
Le refus du régime de respecter le nouvel accord de trêve conclu entre la Russie, la Turquie et l'Iran - qui se sont porté garants - est, pour la France, une source de vive préoccupation. D'une part, il nous fait craindre de nouveaux déplacements forcés de population qui pourraient être, rappelons-le, constitutifs de crimes contre l'Humanité. Le régime cherche cependant à poursuivre ses avancées dans l'objectif de faire définitivement plier l'opposition, et céder les populations civiles.
Vous le savez bien, Monsieur, vous qui êtes journaliste. Hier j'étais au téléphone avec M. Hijab, le président du conseil pour la négociation et pour l'opposition, qui aspire à une démocratie, c'est une situation terrible. En effet, pour Bachar al-Assad -et il l'a redit il y a peu lors d'une interview à une radio française - il n'y a pas d'opposition en Syrie, il n'y a que de terroristes. Nous savons que ce n'est pas la vérité. Il s'agit de discréditer et d'empêcher sur le terrain les avancées de l'opposition.
Nous en avons vu un nouvel exemple, pas plus tard qu'en ce début de semaine, dans le quartier d'al Waer à Homs. Cet exemple ne peut que nous rappeler la reddition sans condition que la ville de Homs, assiégée et bombardée, a été contrainte de signer en mai 2014, dans des conditions sur lesquelles il mériterait que toute la lumière soit faite. Ce n'était pas un accord mais une soumission terrible.
Par ailleurs, la situation demeure très inquiétante dans la banlieue assiégée de Damas, la Ghouta, où l'on pourrait redouter dans les prochains mois la réplique du scénario d'Alep-Est.
D'autre part, depuis la signature de cette nouvelle trêve, aucun progrès n'a été observé sur le plan de l'accès humanitaire - ce droit n'est plus respecté en Syrie comme dans d'autres pays malheureusement. Rappelons que, depuis le début de l'année, seuls quelques convois d'aide ont été autorisés par le régime syrien, et ont pu être délivrés aux populations dans le besoin, qui sont aujourd'hui plus de 13 millions de personnes qui le nécessite. Les blocages de l'aide humanitaire, tout comme les sièges et les bombardements des infrastructures médicales, sont une violation caractérisée du droit international et nous demandons qu'ils cessent.
En dépit de ce sombre tableau que je viens de dépeindre, nous n'avons pas le droit de nous résigner. Certains sont tentés de le faire et de se soumettre à une certaine fatalité. Concernant la lutte contre le terrorisme, Daech recule partout en Irak et en Syrie. C'est positif et c'est le fruit du travail de la coalition internationale contre Daech, bien que l'option militaire ne soit pas suffisante pour éradiquer durablement le groupe terroriste. Ce qu'il faut pour toute la Syrie, c'est une solution politique, qui permettra de répondre au cercle vicieux dans lequel la spirale de la violence alimente sans cesse la radicalisation du terrorisme. Quand Bachar al-Assad dit qu'il lutte contre les terroristes, en fait il lutte d'abord contre l'opposition qu'il bombarde et pousse des gens à se radicaliser, même s'ils en étaient éloignés.
Que faisons-nous ? Nous poursuivons notre travail aux Nations unies visant à dénoncer les dangers de cet enchainement où la répression ne conduit qu'à plus de violence au risque d'enraciner à jamais la menace terroriste dans un pays durablement divisé. Soyons lucides, sans transition politique il sera impossible de vaincre durablement le terrorisme en Syrie.
Les réunions d'Astana et la reprise des négociations politiques à Genève vont à cet égard dans la bonne direction, malgré leurs faiblesses. C'est pourquoi nous devons continuer de nous mobiliser pour sortir de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons et faire valoir une solution d'une transition.
Les bases de cette transition politique ont été adoptées fin 2015 par le conseil de sécurité à l'unanimité - c'est la résolution 2254. Il y avait, avant, le communiqué de Genève, qui traçait les bases d'une transition politique.
À Genève il y a trois thèmes qui font partie de la reprise des échanges qui doivent reprendre le 23 mars prochain. Tout d'abord comment préparer cette transition politique dans une Syrie qui doit rester unitaire et protectrice de ses minorités et, dans le même temps préparer une nouvelle constitution et des élections. Le quatrième est celui de la lutte contre le terrorisme.
Imaginer le face-à-face du représentant du régime et de celui d'une opposition très large, cela laisse augurer d'une atmosphère terrible. J'admire la volonté de l'opposition qui a su constituer cette large délégation après des hésitations de tentatives de déstabilisation. Cette opposition a besoin d'un appui. Quand M. Hijab m'a parlé hier, il voulait vérifier si nous étions toujours solidaires, si la France était toujours solidaire. Car le risque existe - que nous finissions par abandonner - c'est ce que j'appelle la fatalité. Et, si vous êtes là ce soir, c'est parce que vous la refusez.
Mais le régime montre aussi qu'il est prêt à négocier et il est clair qu'il faut faire pression dans les enceintes internationales, sur le régime et ses alliés russe et iranien. On nous dit qu'il faut parler avec les Russes - c'est ce que nous faisons. C'est une ineptie de croire que nous ne leur parlons pas. Nous leur disons, qu'étant un allié proche, et avec leurs moyens militaires sur place, ils ont les moyens de faire pression sur le régime syrien. Il en est de même pour l'Iran. Je l'ai dit aux Iraniens quand je me suis rendu à Téhéran. Il ne faut pas de double langage en prônant, d'un côté, le cessez-le-feu et, de l'autre côté, laisser le régime continuer à bombarder la population. Il faut maintenir cette pression politique internationale et ce n'est pas de l'agressivité à l'égard d'un pays comme la Russie, c'est de la sincérité.
Nous ne sommes pas les adversaires de l'Iran ni de la Russie mais, il faut dire les choses telles qu'elles sont, sinon cela ne sert à rien. Nous ne sommes pas seuls à le penser. Nous avons des discussions au niveau européen et récemment au conseil des affaires étrangères.
La France ne va pas se résigner, et, sans relâche, nous avons tenté par tous les moyens de mettre fin à ce calvaire de la population syrienne et nous allons poursuivre en prenant toutes les initiatives qui sont à notre portée. Nous avons un objectif unique : mettre en oeuvre, dans les meilleurs délais, une transition politique qui réponde aux aspirations légitimes du peuple syrien et qui permette à la Syrie de retrouver le chemin de la paix et de la stabilité. S'il n'y a pas cette transition, le chaos durera, et il n'y aura jamais la paix dans cette région.
Tous ces réfugiés, et j'en ai rencontré beaucoup dans les camps, en Turquie et en Jordanie, notamment - la majorité m'ont dit qu'ils voulaient retourner dans leur pays. Aujourd'hui, ce n'est pas possible en raison des risques d'arrestations, mais aussi parce que le pays est détruit et qu'il n'y a ni sécurité, ni système de soins, ni écoles. Ils ne peuvent pas revenir même s'ils le veulent. Il faudra reconstruire le pays. Et là, l'Europe peut y contribuer, et, c'est l'Europe qui peut le faire le mieux. Je ne pense pas que les Russes n'ont pas les moyens de reconstruire la Syrie et les Américains le veulent-ils ? Je n'en suis pas sûr. Les pays arabes peuvent aussi le faire. Nous, Européens, nous avons pris la décision que nous étions prêts, financièrement et matériellement, à participer à la reconstruction de la Syrie. Mais nous mettons une condition - nous ne voulons pas être complice du régime - nous voulons la transition politique. Ce serait une trahison si nous reconstruisons sans transition politique.
C'est pourquoi Palmyre, qui a été évoquée comme un symbole de destruction par Daech, a aussi été utilisé comme un outil de propagande dès sa première libération par les Russes. Nous n'avons pas voulu accepter, nous l'avons bien fait. La nouvelle chute de Palmyre a montré la faiblesse de l'armée syrienne qui, à un moment, s'est trouvé délaissée par les forces russe et iranienne. Ce qui veut dire que l'armée syrienne seule est incapable de tenir un front. Sans ce soutien international, le régime serait déjà tombé.
C'est pourquoi nous voulons continuer à vous soutenir sur le chemin de la paix pour permettre le retour et la reconstruction. C'est une espérance et il y a l'urgence avec le soutien humanitaire. Nous souhaitons en faire plus mais comment y accéder ? La Croix-Rouge internationale a beaucoup de difficultés à accéder à des zones de conflit, car les équipes humanitaires sont décimées en Syrie, c'est la réalité du terrain.
Voilà quelques mots que je voulais vous dire. Nous voulons rester fidèles à nos valeurs et à notre engagement. Il y a une certaine continuité de la position française. Il y a un moment, nous avions pensé être plus efficaces - au moment où les armes chimiques avaient été utilisées par le régime en 2013 - et le président Hollande avec le président Obama étaient prêts à frapper la Syrie pour mettre un coup d'arrêt à ce franchissement de la ligne rouge.
À cette époque j'étais Premier ministre et, avec le président de la République, nous nous sommes retrouvés seuls car les Américains et les Britanniques se sont retirés. Si les choses avaient été différentes, sans doute ne serions-nous pas dans la situation actuelle.
Cela ne veut pas dire que pour autant qu'il faut renoncer à nos principes C'est pourquoi, ce soir, il est important de rendre hommage aux combattants de la liberté que vous représentez. Tous les jours ils résistent à la répression et font preuve d'un courage qui force le respect. Je voudrais vous dire à nouveau tout mon soutien et, je me souviens de cette rencontre avec les casques blancs, des rencontres avec le chef du conseil local d'Alep qui, avec des bouts de ficelle, faisait fonctionner des services pour les enfants et la santé. Vous symbolisez cette résistance et cet honneur qui doit nous inspirer. Votre présence aujourd'hui est la preuve que la lueur d'espoir qui brillait au début de la révolution syrienne ne s'est pas éteinte. Et c'est à nous, et vous l'avez fait ce soir, de veiller à ce qu'elle permette à la lumière de l'emporter sur les ténèbres. Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 mars 2017