Déclaration à la presse de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur le conflit syrien, la question ukrainienne et sur les relations entre l'Union européenne et les Etats-Unis, à Lucques le 11 avril 2017.

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Circonstance : Réunion des ministres des affaires étrangères du G7, à Lucques (Italie) le 11 avril 2017

Texte intégral


Le dernier G7 auquel j'ai participé était à Hiroshima. Celui des affaires étrangères permet d'englober la quasi-totalité des questions, on n'a pas le temps de parler de tout. Surtout, c'est une discussion qui a un caractère très libre, très informel. Ce qui fait qu'on peut déroger parfois à l'ordre du jour, prendre plus de temps sur une question que sur d'autres et, bien sûr, il y a un texte qui est produit avec la perspective que ce travail va servir au sommet du G7 qui aura lieu au mois de mai à Taormine avec les chefs d'État et de gouvernement. C'est le même processus qu'au Japon avec, après Hiroshima, le sommet d'Ise-Shima.
Je dois vous dire que nous avons passé un temps très long sur la question syrienne. Je ne dirai pas que c'est l'essentiel de nos échanges. Il y en a eu d'autres, il y a un autre point que j'évoquerai juste après et qui très important dans les relations entre l'Europe et les Etats-Unis. Mais je me concentre sur la Syrie pour commencer.
Il s'est passé quelque chose de grave, de plus grave encore dans ce conflit qui dure depuis maintenant 6 ans, qui a fait tant de morts, tant de réfugiés, de déplacés, de destructions, de prisonniers, que l'horreur augmente chaque jour. Mais là, avec un nouvel usage des armes chimiques, le régime de Bachar al-Assad avec le soutien de ses alliés, a montré une fois de plus, sa tragique réalité, malgré tous les engagements qui avaient été pris. En 2013, notamment la Russie avait contribué à obliger le régime après avoir utilisé les armes chimiques, à entrer dans le cadre international du traité sur l'interdiction des armes chimiques. Force est de constater qu'avec les yeux fermés, voire l'assentiment de ses soutiens, le régime de Bachar al-Assad a gardé des stocks d'armes chimiques et les utilise. Là, Il y a eu cette intervention américaine, à ce moment, pour dire stop en quelque sorte. Ce qui aurait pu être fait dès 2013 vous vous souvenez, mais je ne reviens pas sur le passé, mais je le mentionne quand même au passage. En tout cas c'était la position de la France.
Alors qu'est-ce qu'on fait maintenant ? D'abord Il y a l'enquête qui est engagée par l'OIAC, qui est en cours. C'est la mission de cette organisation, de vérifier exactement quelles ont été les armes chimiques utilisées, où ont-elles été utilisées, où sont-elles stockées ? Cette enquête de l'OIAC et de son organisme spécialisé est en cours. Par ailleurs, la France continue, et ce point de vue est partagé par les États participants, à exiger que le conseil de sécurité se prononce, sanctionne et prenne une décision claire pour condamner l'usage des armes chimiques en espérant que la Russie n'utilisera pas à nouveau son véto. Sur la base de cette enquête, sur la base des éléments dont nous disposons aujourd'hui, il ne fait aucun doute que la responsabilité du régime est engagée.
Maintenant, qu'est-ce qu'il faut faire pour sortir de cette situation ? Nous avons beaucoup discuté alors que le secrétaire d'État américain Tillerson se rend à Moscou, pour bien clarifier notre position commune. Nous avons même renforcé cette préparation par une réunion des pays arabes de la région et de la Turquie qui a eu lieu ce matin, qui était une réunion extrêmement intéressante et qui a permis, y compris dans la déclaration finale du G7, de dire très clairement à la Russie : maintenant, il faut sortir de l'hypocrisie, il faut vraiment rentrer, et sincèrement, dans le processus politique pour sortir de cette situation qui n'a que trop duré. Il faut assumer, en acte, les engagements pris dans le cadre de la résolution 2254 du conseil de sécurité de décembre 2015 et la déclaration de Genève de 2012 c'est-à-dire engager une vraie négociation politique pour une transition politique en Syrie
Alors la position de la France est très claire : c'est de dire à la Russie, vous avez tenté un cessez-le-feu après la tragédie d'Alep, Un cessez-le-feu qui est garanti à Astana avec la Turquie, l'Iran et la Russie. Manifestement cela ne marche pas, le cessez le feu n'est pas respecté. Le lendemain de l'utilisation des armes chimiques, il y avait à nouveau des frappes aériennes du régime de Bachar al-Assad sur les mêmes cibles. Il faut dire aux Russes maintenant ça suffit. Engageons-nous dans un vrai cessez-le-feu.
Mais comment le garantir ce cessez-le-feu? Cela veut dire quoi concrètement ? Cela veut dire interdiction aux avions syriens de décoller, extinction des tirs anti-aériens du régime, cantonnement des forces du régime : ça c'est un vrai cessez-le-feu. La question est comment on le contrôle ?
J'avais déjà en septembre, au nom de la France, à New York, en marge de l'assemblée générale fait cette proposition d'un mécanisme, d'un monitoring plus collectif, parce qu'on voit bien que les trois composantes d'Astana ne garantissent rien. Il faut l'élargir au minimum au P5 et peut-être à un certain nombre d'autres pays notamment de la région, je pense à l'Arabie Saoudite, au Qatar, peut-être les Émirats, pourquoi pas le G7, en tout cas, une garantie collective avec des systèmes d'observation, de contrôle pour que le cessez-le-feu soit effectif.
Un cessez-le-feu effectif permet alors d'engager sincèrement une discussion, espérons le plus vite possible à Genève, y compris en commençant par des choses très concrètes. La transition politique c'est quoi ? La transition politique c'est comment préparer la suite, l'avenir de la Syrie sans Bachar. Ce n'est pas un préalable Bachar mais c'est la conséquence de ce qui s'est passé. Ce qui est sûr c'est que tous les participants à la réunion du G7, comme à la réunion des autres pays du groupe des affinitaires ont clairement dit : il n'y pas d'avenir de la Syrie avec Bachar al-Assad. Il faut donc construire cette transition et le faire intelligemment. Nous pourrions parfaitement commencer en effet par aborder la question de la constitution. Pourquoi ? Parce que d'abord cette question a été évoquée y compris par les Russes. Il ne s'agit pas d'ostraciser les Russes. Il ne s'agit pas de leur dire on n'a pas besoin de vous, il s'agit de leur dire vous pouvez jouer un rôle positif et constructif, rentrez dans ce processus plutôt que de vous isoler et de vous arc-bouter dans ce soutien au régime avec l'Iran. Mettez-vous dans un autre processus. Cessez le feu. Commencer la discussion et encourager aussi l'opposition à jouer le jeu pour préparer cette transition politique.
Et puis, un autre volet très important que nous avons réaffirmé, c'est la nécessité de condamner au conseil de sécurité l'utilisation des armes chimiques. On ne peut pas laisser faire cette situation. Ce point a demandé du temps.
J'ai eu une rencontre bilatérale avec le secrétaire d'État Tillerson. Nous avons eu une longue discussion au dîner, qui avait d'autres sujets à l'ordre du jour et qui s'est passé longuement sur ce sujet. Nous en avons encore parlé ce matin. Nous avons complété le texte de la déclaration pendant la nuit, qui a été approuvé ce matin. Nous avons encore abordé beaucoup de questions, encore récemment nous avons encore il y a quelques instant parlé de la Libye. Et puis nous avons parlé aussi de l'Ukraine. C'était une discussion intéressante parce que personne ne veut porter atteinte au droit des frontières, au respect de l'intégrité territoriale des États. C'est ce qui s'est passé pour la première fois sur le continent européen, l'annexion par un autre État d'une partie d'un État et d'une atteinte à ses frontières c'est la première fois que cela s'est produit, avec un conflit armé avec 10.000 morts. On ne peut pas accepter. Tous les participants autour de la table ont convergé sur la nécessité de respecter les accords de Minsk, de travailler à leur mise en oeuvre et personne n'a mis en cause le format Normandie.
En revanche, il y a eu une question de M. Tillerson qui était très intéressante : et les Européens, que veulent-ils ? Est-ce que c'est aux Américains de se substituer aux Européens ? J'ai eu un dialogue avec M. Tillerson tout à fait intéressant mais qui est le début d'un dialogue. J'espère qu'il pourra se poursuivre et j'ai dit très clairement d'abord que les Européens ont tenu bon dans leur unité dans le respect des engagements qu'ils avaient pris concernant les sanctions concernant la Russie à cause de cette annexion, cette agression mais que leur vocation, aux Européens aujourd'hui à 28 et demain à 27, étaient d'être plus forts et pas seulement économiquement mais aussi du point de vue aussi de leur stratégie autonome de défense en complément de l'OTAN et que pour les Américains, avoir une Union européenne forte était à la fois une garantie pour leur propre sécurité mais était aussi une garantie pour la prospérité économique du monde. J'ai commencé une échange avec le secrétaire d'État américain en faveur d'une conception multilatéraliste du monde et puis aussi de l'intérêt pour tous, d'une Union européenne forte et non pas d'une Union Européenne faible, morcelée ou divisée puisque la question était posée : mais quel est l'intérêt des contribuables américains à s'intéresser à l'Ukraine en dehors du respect des textes du droit international ? J'ai dit que l'intérêt des contribuables américains c'est que l'UE soit forte. Qu'elle soit forte politiquement, qu'elle soit forte en matière de sécurité, qu'elle soit forte économiquement. On s'est quitté là-dessus parce qu'il partait à Moscou. On lui a souhaité bonne chance. Mais ce qui était intéressant, c'est qu'il y a eu un dialogue qui s'est amorcé entre les membres du G7 et notamment le secrétaire d'État américain justement sur ces questions de lutte contre le terrorisme d'une part mais aussi de la conviction qu'il ne peut pas y avoir de lutte contre le terrorisme efficace et en particulier en Syrie contre Daech et al-Nosra, si en même temps, il n'y a pas le règlement politique syrienne. Cette discussion a vraiment eu lieu. Je ne sais pas si cette approche s'inscrit dans la durée. Je souhaite qu'elle s'inscrive dans la durée. En tout cas, elle conforte la France dans son approche. Celle que nous avons toujours eue depuis le début. Et je pense que c'est important de le rappeler.
Q - Sur cet échange avec M. Tillerson. C'était lors de la bilatérale ?
R - Il y a eu la bilatérale où cette question a été abordée dans les termes que je viens de vous exposé.
Q - Sur le volet européen ?
R - Le volet européen, c'est lors du G7 à l'instant. Le volet Syrie, lutte contre Daech et l'association à la question du processus politique en Syrie et les propositions que j'ai faites, je les ai faites d'abord en bilatéral et je les ai refaites hier et encore ce matin notamment lors de la réunion des affinitaires. Il y a une constance de la position française. C'est une position qui a sa logique et sa cohérence. Je pense que les faits sont en train de nous donner raison, à ceux qui doutaient que la France n'avait pas la bonne position.
Q - Dans l'échange bilatéral sur l'intérêt des contribuables...
R - Ca, ce n'était pas bilatéral. C'était collectif. C'était au moment où on a parlé de l'Ukraine.
Q - C'était une ambiance...
R - Oui, c'était un langage, en fin de réunion. Tillerson dit mais quel est l'intérêt des contribuables américains, dites-moi, de s'intéresser à l'Ukraine en dehors du fait que les États-Unis ont une responsabilité internationale et que le droit international ça compte. Voilà, je lui ai apporté la réponse.
Q - Est-ce que M. Tillerson a évoqué sa possible rencontre avec V. Poutine ?
R - Ca, je ne sais pas, je ne me suis pas occupé du programme dans le détail de M. Tillerson.
Q - Est-ce que vous avez parlé aussi des sanctions ?
R - Oui, je viens de vous le dire.
Q - Il y a eu un accord ?
R - Sur la Syrie ? Non. C'était évoqué de façon connexe par B. Johnson mais sans qu'il y ait de discussion sur le sujet. Il n'y a pas eu de discussions là-dessus. La vraie position c'est : la fermeté. Elle s'est exprimée par ces frappes et il est clair que ce n'est pas supportable que cela ait eu lieu et que cela recommence ou que cela puisse recommencer. Il ne faut pas se faire d'illusions. Si certains étaient tentés de recommencer, ce serait lourd de conséquences. Et puis ensuite, il faut la condamnation au conseil de sécurité par une résolution sans veto sur la base des enquêtes et il faut, en parallèle à tout cela, dire à la Russie : jouez le jeu. Cessez-le-feu, transition politique, négociations et sans tarder, sans délai. Maintenant. Ce n'est pas ostraciser la Russie, c'est de dire à la Russie vous avez votre rôle à jouer, jouez-le. Vraiment pas dans les apparences; il y a le mécanisme de surveillance du cessez-le-feu. Cela sera le gage de sincérité. Parce que sinon c'est des faux-semblants. Sinon c'est Astana avec des déclarations et les combats qui continuent. Il faut changer la méthode, il faut changer le cap, il faut garder l'objectif. Et puis il y a le processus politique. La Russie est face à ses responsabilités. Qu'elle arrête d'être prisonnière de ce jeu terrible sans issue dans la durée avec Bachar al-Assad et ses alliés. J'ajouterai quelque chose de très important c'est qu'il faut dire aux Russes, on a besoin de vous dans la lutte contre le terrorisme, contre Daech mais aussi contre al-Nosra, donc on est prêts a voir de quelle façon on peut coopérer. En tout cas, c'est la position de la France. C'est celle que j'ai demandé qu'elle soit défendue à Moscou. Je ne suis pas à Moscou aujourd'hui mais quand je reverrai les Russes, je leur redirai cela.
Q - Vous avez bien dit contre Daech et contre al-Nosra ?
R - Oui, oui bien-sûr. Il faut qu'il n'y ait absolument aucune ambiguïté. Nous combattons les terroristes quel que...
Q - Vous avez dit Daech et al-Assad ?
R - Non, contre al-Nosra. C'est pour cela que j'ai parlé de réforme de la constitution pour permettre une transition politique sans Bachar. Il faut garantir une Syrie unitaire qui respecte ses différentes composantes et qui en même temps ne donne pas d'espace à des groupes d'inspiration djihadiste. Il faut vraiment donner des garanties sur tous ces plans sur la future Syrie. C'est très important. C'est pour cela qu'il faut une vraie discussion, sincère. Cela a été dit autour de la table ce matin. Ça, c'est aussi notre position. C'est pour cela qu'il ne faut pas qu'il y ait d'ambigüité sur la lutte contre les autres groupes qui sont de même logique. Ils ne doivent pas, non plus, avoir d'avenir en Syrie. Il faut une Syrie stable et une Syrie qui donne sa place à toutes ses composantes, qui soit inclusive, y compris ses minorités nationales, religieuses et qui en même temps permette la reconstruction et le retour des réfugiés sinon on aura toujours la guerre. On aura toujours le terrorisme. Avec ce qui s'est passé ces derniers jours avec cette attaque chimique et la réaction qui s'en est suivie, il y a là une petite porte qui s'est entrouverte pour repartir sur d'autres bases. La question est de savoir et c'est le message que j'adresse aux Russes et je souhaite qu'il soit porté aussi : les Russes entrent dans cette logique là ou pas ? C'est leur responsabilité. Donc ce n'est pas une position d'agressivité à l'égard des Russes mais c'est plutôt une main tendue, dans la clarté.
Q - Ce qui me frappe, peut-être pas vous, c'est le franc-parler de Tillerson. Vous-même, est ce que vous avez été frappé par ses propos, de parler des contribuables ?
R - Non, cela ne me choque pas du tout. Ce qui est bien c'est que cela permet un dialogue. C'est toujours utile de dialoguer. Et là il y a eu un dialogue, depuis hier, qui n'avait pas encore eu lieu jusqu'à présent malgré les différentes rencontres. Donc il n'est jamais trop tard pour commencer à parler sérieusement.
Q - Vous avez l'impression que c'est un processus de discussions qui s'organise...
R - L'avenir nous le dira. Je ne peux pas répondre à votre question. Simplement, je saisis toutes les opportunités quand elles se présentent. Il ne faut surtout pas les rater.
Q - Quel est le bilan que vous tirez de ce G7 par rapport à la question syrienne ?
R - Il y a une volonté collective très forte, d'une part de faire preuve de la plus grande fermeté contre l'usage des armes chimiques de la part du régime de Bachar al-Assad, qui s'était engagé à ne plus le faire à partir de 2013, en rejoignant le traité d'interdiction des armes chimiques. Pourtant ils ont gardé des stocks, la preuve c'est qu'ils les ont utilisés donc il faut qu'il y ait une condamnation qui soit la plus ferme possible par le conseil de sécurité, sans aucune ambiguïté. Il ne faut pas jouer avec ça. Et en même temps montrer que si cette ligne rouge est à nouveau franchie cela sera avec la même fermeté que nous réagirons. Nous avons partagé cette appréciation, il faut que là aussi chacun soit bien conscient que ce n'est plus possible, cela ne peut pas et que cela ne peut pas et ça ne doit pas recommencer.
Ensuite, ce que nous voulons c'est rentrer vraiment dans une logique politique d'un processus de paix en Syrie. Donc, il y a une fenêtre de tir qu'il faut vraiment utiliser en ce moment et qui commence d'abord par un véritable cessez-le-feu parce que le cessez-le-feu qui a été annoncé à maintes reprises à Astana, soit-disant garanti par les Russes, les Iraniens et les Turcs ne fonctionne pas. La guerre continue, les bombardements continuent, comme si on avait oublié Alep, et juste après l'arme chimique, il y a des bombardements qui ont lieu, par le régime, donc ça ce n'est plus possible. Ce qu'il faut c'est obtenir que les Russes jouent le jeu d'un vrai cessez-le-feu, mais qu'il faut pour cela le garantir et pas seulement par les trois pays, Russie, Iran, Turquie, c'est-à-dire qu'il faut au minimum les pays du P5, c'est-à-dire par les membres permanents du conseil de sécurité mais sans doute avec plusieurs pays arabes pour qu'il y ait un vrai mécanisme de surveillance du cessez-le-feu, que les avions syriens ne puissent plus décoller, que les forces anti-aériennes soient éteintes, que les forces syriennes soient cantonnées. Pour cela, il faut un mécanisme de surveillance, d'observation, pourquoi pas des observateurs au sol, donc il faut un accord politique, c'est la priorité des priorités.
Et en même temps il faut reprendre les négociations à Genève, dans le cadre des Nations unies, sur la base des résolutions adoptées par le conseil de sécurité sur la transition politique. Et nous pouvons, à nos yeux, commencer par une réforme de la Constitution, qui permettrait d'amorcer la perspective d'un État unitaire syrien, mais sans Bachar, ce processus se mettant en place par cette réforme, qui débouchera ensuite sur des élections. C'est ce qu'il faut mettre à l'ordre du jour et le mettre sur la table. Et donc c'est à la Russie de répondre à cela, est-ce-que la Russie est sincère lorsqu'elle dit il y aura pas de solution militaire au conflit syrien ? Eh bien là, il faut en donner maintenant la preuve. Il y a urgence à le faire parce que sinon ce conflit va durer.
Nous avons aussi une autre priorité qu'il ne faut pas oublier, c'est la lutte contre le terrorisme. La lutte contre Daech, la lutte contre al-Nosra qui est un groupe de même nature, en Syrie, et là nous pouvons tendre la main aux Russes pour leur dire écoutez venez coopérer avec nous, nous sommes dans la coalition internationale, qui s'est réunie récemment à Washington, travaillons ensemble. Mais travaillons ensemble pour permettre l'arrêt des hostilités, c'est la priorité, et de permettre une transition politique qui ensuite donnera la chance à la Syrie de se reconstruire, de permettre le retour des réfugiés, parce qu'aujourd'hui ils sont plusieurs millions à l'extérieur du pays, et on sait très bien que cette situation n'est pas durable.
Q - Et le G7 en quelque sorte, juste un dernier mot, missionne Washington pour porter ce message à Moscou ?
R - C'est un grand mot, simplement il se trouve que dans l'agenda du secrétaire d'État américain juste aprs le G7, il va à Moscou, donc nous avons souhaité que cela ne soit pas seulement le message des États-Unis, mais nous puissions nous concerter pour avoir un langage commun et c'est ce que nous avons fait. Nous y avons passé plusieurs heures, j'ai moi-même passé un temps directement avec le secrétaire d'État américain pour faire passer le message de la France, la position de la France, parce que je pense que c'est important qu'elle soit bien comprise, parce que je crois que la position de la France est juste et nous avons eu également une réunion avec les pays arabes et la Turquie pour partager la même analyse, le même diagnostic et le même objectif donc ce n''est pas du temps de perdu mais ça ne veut pas dire évidemment que les Américains vont avoir l'exclusivité de la relation avec la Russie. La France parle aussi avec les Russes mais c'est le hasard du calendrier, il faut l'utiliser à fond pour sortir de cette terrible crise et de cette terrible tragédie.
Q - Vous avez un message à la Russie?
R - Le message est clair : il ne peut pas y avoir la moindre complaisance à l'égard du régime syrien qui a utilisé, à nouveau, les armes chimiques. En 2013, c'était le cas et la communauté internationale, la Russie y avait apporté sa part, c'est obliger la Syrie à adopter le traité contre l'usage des armes chimiques. Malheureusement la Syrie a gardé des stocks d'armes chimiques, non seulement elle les a gardés mais les a utilisés, à plusieurs reprises et encore récemment.
Ce n'est plus acceptable, ce n'est plus supportable, nous avons tous en mémoire ces images d'enfants, de morts, qui, une fois de plus, symbolisent la tragédie de la guerre en Syrie et de l'horreur du régime de Bachar al-Assad. Il y a eu cette frappe américaine, un message fort, ce n'est pas rien, une décision que nous aurions pu prendre nous, nous voulions la faire en 2013 mais qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
D'abord il y a une sanction et un condamnation qui doivent intervenir au conseil de sécurité, le plus vite possible, pour dire non à l'usage des armes chimiques et dire quelles sont les responsabilités, celles du régime, et là nous demandons à la Russie de ne pas utiliser, une nouvelle fois, son droit de veto, et puis en même temps à la Russie nous tendons la main pour dire travaillons ensemble à la paix mais ça commence par un vrai cessez-le-feu et jusqu'à présent il n'y a pas de cessez-le-feu. Il y a eu des discussions à Astana qui avaient donné lieu à des annonces de cessez-le-feu, garanties par la Russie, l'Iran et la Turquie. Mais sur le terrain c'est toujours les bombardements, c'est toujours la guerre. Après Alep, ça a continué, donc il faut un vrai cessez-le-feu, et c'est là qu'on testera la sincérité de la Russie, et nous nous sommes mis d'accord au G7 pour demander ce cessez-le-feu. Nous avons discuté avec les pays arabes, la Turquie, et également aujourd'hui pour adopter une position commune. Le cessez-le-feu il faut le garantir. Et c'est donc au minimum les membres permanents du conseil de sécurité, plusieurs pays arabes, et en même temps exiger que le cessez-le-feu soit contrôlé, pour vérifier que les avions syriens ne décollent plus, que ne fonctionnent plus les tirs anti-aériens, et que les troupes syriennes soient cantonnées. S'il n'y a pas ce mécanisme de surveillance alors il n'y aura pas de cessez-le-feu. Mais le cessez-le-feu c'est une étape, une condition indispensable, mais qui peut donner une chance à la paix.
Et la deuxième démarche que nous proposons c'est de discuter de la transition politique, de revenir à Genève, dans le cadre des Nations unies et d'aborder notamment la question de la constitution, c'est à dire celle qui permettrait de changer les règles du jeu et qui donnerait des perspectives politiques de transition à la Syrie. Et puis, en même temps, proposer aux Russes de nous associer davantage pour lutter contre Daech et al-Nosra, d'avoir en quelque sorte un objectif politique : la paix et la lutte contre le terrorisme. La construction de la Syrie de l'avenir, c'est-à-dire une Syrie qui permet à toutes ses composantes de vivre ensemble, dans la garantie, de la stabilité et qui en même temps permet le retour des réfugiés et la reconstruction. Ça c'est un objectif et une ambition que la France a depuis toujours. Là il y a en quelque sorte une porte étroite qui s'est entrouverte, après cette tragédie de l'usage des armes chimiques, il faut en faire une chance pour la paix, c'est une porte étroite, elle est étroite mais il faut l'emprunter absolument, c'est une nécessité.
Q - Inaudible
R - C'est une réponse à l'annexion d'un État par un autre, de toucher aux frontières des États, de toucher aux frontières issues de la Seconde guerre mondiale. Simplement à un moment le secrétaire d'État américain dit «mais quel est l'intérêt des contribuables américains de s'intéresser à l'Ukraine en dehors des grands principes. Est-ce que ce n'est pas à l'Europe de prendre ses responsabilités?». J'ai répondu très clairement que l'Europe prend ses responsabilités, elle a accepté des sanctions et ces sanctions sont toujours valables parce que l'Europe n'accepte pas qu'on touche aux frontières issues de la Seconde guerre mondiale, n'accepte pas qu'un État puisse se permettre d'annexer un morceau d'État car c'est la boîte de Pandore si on laisse faire et qu'on ferme les yeux.
Par contre j'ai dit à Rex Tillerson le secrétaire d'État américain que l'intérêt des États-Unis ce n'est pas d'avoir une Union Européenne faible, qui soit simplement économique mais c'est d'avoir une Union Européenne qui assume aussi ses capacités de défense, autonome en complément de l'OTAN et puis une Union européenne qui joue son rôle politique. C'est à la fois l'intérêt des Américains d'avoir une Union européenne forte pour leur propre sécurité si nous prenons nos responsabilités, en tous cas c'est la position de la France, et puis c'est d'avoir une Europe prospère parce que plus l'Europe sera prospère sur le plan économique, ce sera bien pour les Européens mais ce sera bien aussi pour la stabilité du monde, donc j'ai passé un message à Rex Tillerson, un message qu'après l'élection de Trump, ce n'était pas toujours très clair la manière dont les Américains voyaient l'avenir de l'Union européenne. J'ai réaffirmé que nous avions nos intérêts à défendre, chacun de nos pays, mais qu'en plus nous voulions jouer notre rôle et que les Américains devaient en être conscients que nous allons le faire.
Q - Sur la Syrie il y a un nouveau début de relations avec la Russie ou c'est réaffirmer le principe qu'on connaissait déjà?
R - Il s'est passé quelque chose de très grave : c'est l'usage des armes chimiques par le régime de Bachar al-Assad alors qu'il s'était engagé après 2013 à ne plus le faire, a signé le traité international interdisant les armes chimiques. Et là nous constatons quoi ? Qu'il a gardé les stocks, et qu'il les utilise contre son propre peuple, les images sont là, il n'y a aucun doute, donc il faut après l'enquête qui est en cours de l'OIAC, que le conseil de sécurité se prononce et condamne avec la plus grande clarté, la plus grande fermeté, et là nous appelons les Russes à ne pas utiliser leur véto, pour qu'il n'y ait aucune ambigüité, pour qu'ils ne donnent pas l'impression de fermer les yeux sur cette tragédie.
Et en même temps, il faut tendre la main aux Russes pour leur dire voilà il faut en sortir de cette tragédie syrienne qui a fait tant de morts, tant de malheurs, tant de réfugiés. Et donc ça commence par un cessez-le-feu mais un vrai cessez-le-feu, pas garanti seulement par la Russie, la Turquie et l'Iran, on sait que ça ne marche pas, que la guerre continue, mais un cessez-le-feu effectif, qui oblige les avions syriens à ne plus décoller, qui arrête les tirs anti-aériens, qui cantonne les troupes syriennes et qui soit garanti par la communauté internationale, c'est-à-dire les membres permanents du conseil de sécurité, les pays de la région, les pays arabes, et la Turquie, et qu'en effet ce cessez-le-feu soit effectif, concret et permette d'engager la transition politique, par la négociation à Genève dans le cadre des Nations-unies. C'est l'urgence, c'est ce que nous disons aux Russes, saisissez cette occasion de vous distinguer de l'horreur du régime de Bachar al-Assad et enfin de montrer votre sincérité que vous voulez la paix. Et en même temps de dire aux Russes, c'est la position française, battons-nous ensemble, ce que nous faisons dans la coalition internationale, contre Daech et al-Nosra. Associons nos forces contre le terrorisme mais associons nos forces pour dire le régime de Bachar al-Assad ça suffit, préparons la transition politique et ça commence par un cessez-le-feu. Donc on est là, je dirais, dans une période où il faut donner toute sa chance à la paix. Il y a un petit espace, il y a une petite fenêtre, il y a une petite porte, elle est très étroite, il faut l'emprunter.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 avril 2017