Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur l'aide française en faveur du développement de l'Afrique, à Paris le 12 avril 2017.

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  • Jean-Marc Ayrault - Ministre des affaires étrangères et du développement international

Circonstance : Intervention à l’Institut du monde arabe à l’occasion de la visite de M. Alpha Condé, président de Guinée, à Paris le 12 avril 2017

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
Vous avez échangé et débattu sur le thème de la contribution de la France à la croissance de l'Afrique et sur celui d'une nouvelle approche du continent africain. Vos travaux ont été ouverts par M. Alpha Condé, président de la République de Guinée, qui est en visite d'État en France. C'est une visite très importante et M. Alpha Condé, qui est également président de l'Union africaine et que je viens de rencontrer, est très heureux d'avoir pu ouvrir ce débat ici, à Paris.
Cette approche est nécessaire, j'en suis profondément convaincu.
J'ai en effet été frappé, au cours de mes nombreuses visites sur le continent africain, par la rapidité et l'ampleur des mutations qui sont en cours. J'ai pu mesurer l'impact de l'appropriation des évolutions technologiques par les gouvernements comme par les citoyens. Je pense à la bancarisation accélérée grâce au «mobile banking» ou encore à la diffusion des énergies renouvelables et à l'électrification. J'ai vu partout la société civile, et notamment la jeunesse, s'emparer de ces nouvelles capacités.
J'ai également pu mesurer le profond changement de discours et d'approche qui se fait jour chez les dirigeants africains, qui parlent plus volontiers d'investissements que d'aide publique au développement ; qui parlent même plus volontiers d'émergence, d'innovation, que de développement. Je n'oppose pas les thèmes les uns aux autres, mais c'est une réalité qui est très intéressante et qui correspond à une évolution.
Cette évolution répond à l'attente des acteurs économiques, porteurs d'une forte dynamique entrepreneuriale. Et je le ressens aussi, je le répète, dans la jeunesse.
Nos propres opérateurs économiques portent un regard nouveau sur l'Afrique. Vous avez reçu le président du MEDEF, M. Gattaz, qui vous a parlé avec enthousiasme. Il s'agit peut-être d'un langage nouveau, mais je crois qu'il est sincère, que quelque chose s'est produit, une prise de conscience, compréhension et une approche nouvelles, comme un «déclic». D'ailleurs, il a lui-même parlé, au sujet de l'Afrique, non pas de «nouvelle frontière» mais de «dernière frontière». Nous pouvons nous en réjouir, même si nous savons que ces évolutions ne suffiront pas, à elles seules, à transformer le continent africain. Elles ne suffiront pas à assurer une accélération de la croissance économique, dont la répartition équitable des bénéfices permettrait de répondre aux besoins des populations, car l'attente est considérable et nous le savons bien.
Il nous faut contribuer à créer l'environnement nécessaire à la libération du potentiel africain. Cette contribution, elle passe d'abord par une amélioration de la gouvernance et un renforcement de l'État de droit. Tout cela est en marche, même s'il y a des exceptions, on le sait bien, il y a des zones de conflit, des territoires en très grande détresse. Mais, cette contribution passe aussi par la consolidation de l'effort d'équipement en infrastructures. Enfin, elle suppose une accélération des intégrations régionales en cours.
L'Agence française de développement est parfaitement outillée pour accompagner ce mouvement, dans tous les domaines. La disparition d'une frontière entre l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne doit lui donner les moyens de le faire davantage et de le faire mieux.
Je vois dans cette réforme autant de cohérence que d'ambition.
De la cohérence, d'abord, dans notre perception du Sahara, qui a toujours été et doit redevenir une zone d'échanges plutôt qu'une frontière. Les liens entre les économies et les sociétés, de part et d'autre du Sahara, sont anciens, depuis le Kanem Bornou et le Songhaï jusqu'aux Almoravides. L'Histoire est là pour nous le rappeler. Ce sont des liens qui demeurent très forts. J'ai pu le constater encore la semaine dernière lorsque je me suis rendu au Mali et en Mauritanie.
De la cohérence, ensuite, dans l'approche continentale des défis communs aux États africains. Je suis conscient de la grande diversité des situations des 54 États africains, ce serait absurde de le nier. Mais je vois aussi des défis communs, qui appellent des réponses régionales ou continentales. Je pense notamment à celui de la sécurité, de la lutte contre le terrorisme, et à celui de l'emploi des jeunes et des migrations. Je pense aussi au réchauffement climatique, à la désertification et aux politiques agricoles.
Au-delà de ces défis, il importe de pouvoir accompagner plus efficacement l'intégration régionale et continentale de l'Afrique.
Cette nécessité découle d'une réalité économique, perceptible à l'ampleur des nouveaux investissements des États du Maghreb et de l'Égypte au Sahara, ou encore à ceux de l'Afrique du Sud en Afrique centrale. C'est particulièrement vrai pour le Maroc, dont les investissements ont précédé la réintégration dans la famille africaine.
Cette réalité économique s'accompagne du développement d'infrastructures régionales et continentales. Je pense au développement de nouveaux corridors ou encore à la gestion régionale de l'électricité - les «power pools» - que l'AFD connait bien.
Cette intégration régionale a par ailleurs connu des progrès vers la constitution d'un marché unique continental, avec la conclusion d'un accord tripartite de libre-échange entre le COMESA, l'EAC et la SADC, qui crée un ensemble commercial de 26 États d'Alexandrie au Cap.
L'AFD doit pouvoir contribuer plus directement et plus efficacement à cette dynamique. Elle doit pouvoir travailler plus encore avec les acteurs africains continentaux comme l'Union africaine, la Banque africaine de développement et le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique.
L'effacement d'une frontière artificielle entre le nord de l'Afrique et l'Afrique subsaharienne doit faciliter le développement de nouveaux partenariats avec ces acteurs.
Le président de la République a souhaité que le volume des engagements financiers de l'AFD augmente de 50% et passe de 8 à 12 milliards d'euros par an. La moitié de ce volume sera consacrée au continent africain comme le président l'a redit lors du sommet Afrique-France de Bamako.
Nos engagements antérieurs en termes de répartition des activités de l'AFD consacraient 40% de ces engagements à l'Afrique subsaharienne.
Cette nouvelle approche ne devra pas se traduire par une diminution de cet effort, mais bien par une addition, grâce au développement de synergies continentales. Vous avez parlé d'un partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations, dont le directeur général a fait sa première visite en Afrique depuis 200 ans, c'est tout un symbole. Ce qui est intéressant dans le partenariat avec la Caisse des dépôts, ce «fonds souverain» français, c'est qu'il a des antennes régionales, et qu'il va venir compléter ce que fait l'AFD, en particulier en mobilisant les territoires français. Ces territoires, ce sont les régions, les métropoles, parfois de plus petites collectivités, qui sont engagées dans des politiques de coopération décentralisée et qui peuvent aussi mobiliser, dans le domaine de l'entreprise, les PME. Ces PME ont, à côté des grands groupes présents partout sur le continent africain, un énorme potentiel d'innovation et de capacités pour répondre à de nouveaux besoins, dans l'esprit de ce que les Africains eux-mêmes souhaitent.
Quelque chose est en train de changer en profondeur, à la fois du côté des Africains, qui réfléchissent et proposent, et du côté français. Nous sommes à une nouvelle étape, à un tournant, et il va falloir réussir. Cela nécessite une très grande détermination et une très grande volonté pour inscrire ces principes dans la durée et dans une attention permanente. Cette attention permanente doit notamment se porter sur les crises, qui touchent en ce moment 30 millions de personnes dans la Corne de l'Afrique, dans la région des Grands Lacs, là où il y a des conflits, des guerres civiles, des menaces terroristes. Il y a également l'épreuve de la grande sécheresse, des pays qui sont confrontés aux conséquences du réchauffement climatique qui poussent des populations à partir, simplement pour survivre.
Donc, il faut une approche globale de l'avenir du continent africain, sur la base des principes sur lesquels vous avez travaillé et échangé, mais surtout, ne pas négliger la gestion des crises, ou c'est l'ensemble qui se déstabilise. Nous devons faire preuve de la plus grande vigilance, du plus grand engagement, c'est ma conviction. Lorsque j'ai pris mes fonctions de ministre des affaires étrangères, j'ai considéré que parmi mes priorités il y avait l'Afrique. Bien sûr, ce n'était pas le début d'une politique, cela avait commencé avant moi, ce serait prétentieux de dire le contraire, mais j'ai voulu faire partager cette conviction, en particulier au niveau européen. L'Union européenne intervient de plus en plus sur le continent africain, elle s'est dotée de moyens et va continuer à le faire. Mais il y a surtout une prise de conscience politique, on n'a jamais autant parlé de l'avenir du continent africain que ces dernières années et ces derniers mois, et je m'en félicite. J'étais il y a quelques jours, avec mon collègue allemand, Sigmar Gabriel, nouveau ministre des affaires étrangères, à Gao et à Bamako. Il y a un fort engagement de l'Allemagne dans la MINUSMA, mais également sur les projets de développement, sur le partenariat en matière économique, d'innovation et de transition énergétique.
Quelque chose est en train de se passer, beaucoup de pays se sentent maintenant concernés et abordent de façon positive l'avenir du continent africain et non plus l'Afrique comme un problème. Bien sûr il y a des problèmes, les grands défis migratoires par exemple, mais de plus en plus - et c'est le message que la France veut faire partager - c'est que l'Afrique ce n'est pas «le problème», mais c'est «la solution». C'est à nous, ensemble, d'y travailler.
Cette approche continentale n'est pas nouvelle pour la France. J'en veux pour preuve le format des sommets qui réunissent les chefs d'États d'Afrique et de France. Ces sommets associent depuis plus de 20 ans l'ensemble des États africains. J'en veux aussi pour preuve la couverture continentale de notre réseau diplomatique et le renforcement constant de notre présence économique hors de ce que l'on appelait le «pré-carré» et qui est vraiment une notion à oublier, qu'il faut effacer. L'Afrique, pour nous, est un grand continent avec des nations, différentes, c'est vrai, mais qui veulent être de plus en plus solidaires. Je souligne, et je l'ai dit encore à Alpha Condé tout à l'heure, combien nous sommes attachés au renforcement de toutes les institutions dont se dotent les pays africains, et l'Union africain est essentielle.
Mais je suis conscient que nous franchissons désormais une étape supplémentaire. J'ai bien sûr à l'esprit le puissant appel de Kwame Nkrumah : «Africa must unite». La France doit être un partenaire actif de cette unité. Elle doit le faire grâce à ses propres acteurs africains. Je pense au potentiel encore sous-exploité que représente la diaspora africaine de France, qui doit être au coeur de notre relation avec le continent et de nos efforts pour accompagner son émergence. Je pense aussi à la France de l'océan Indien, où l'AFD est présente et active, et dont l'avenir passe par une meilleure intégration économique avec le continent africain.
Je ne doute pas que l'AFD saura relever ces défis d'un tout Afrique ambitieux et solidaire.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 avril 2017