Extraits d'une déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur les conditions de la France pour un bon accord au GATT, Paris le 9 novembre 1993.

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Circonstance : Colloque sur les privatisations organisé par l'International Herald Tribune, Paris le 9 novembre 1993

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec un plaisir particulier que j'ouvre ce colloque de l'International Herald Tribune, consacré à "l'Avenir des Privatisations en Europe".
Les changements intervenus chez nos partenaires de l'Europe de l'Est et la place croissante accordée au marché dans nos économies donnent la mesure de l'actualité du thème que vous avez choisi cette année. Les privatisations sont au coeur des réformes de nos économies.
Alors que de trop nombreux responsables européens ont les yeux rivés à la conjoncture déprimée de nos économies continentales, je ne puis que savoir gré aux organisateurs de ce colloque d'avoir, par le choix de ce thème, rappelé l'importance des problèmes structurels dans la gestion de l'économie. A défaut de leur trouver une solution, une situation de crise plus insidieuse prendrait le relais de la crise conjoncturelle actuelle.
C'est ce qu'il nous faut éviter au plan international, tout d'abord. La coopération et la négociation en vue d'assurer les conditions d'un échange équilibré et mutuellement avantageux entre les nations constitue, selon nous la seule méthode appropriée à cet objectif.
Au plan national, il appartient, bien entendu, à chaque pays de s'attaquer aux problèmes qui lui sont spécifiques. Pour cela, s'agissant de la France, nous souhaitons mener une politique de réforme approfondie de nos structures, de nos habitudes et de nos mentalités.
Les indices de raffermissement de l'environnement international se multiplient. Les économies de l'Asie du Sud-Est et de l'Amérique Latine sont dynamiques. La reprise des économies anglo-saxonnes est réelle et semble s'accélérer. Si la situation en Europe continentale est moins favorable, elle marque néanmoins depuis peu un retournement de tendance favorable. Pour les mois à venir, le scénario le plus vraisemblable est celui de la poursuite du redressement de l'économie mondiale.
(...)
La dimension internationale de notre politique économique complète les réformes de portée nationale que nous avons entreprises.
Je voudrais tout d'abord rappeler que la France est en faveur d'un accord au GATT. Elle souhaite que cet accord intervienne avant la fin de l'année.
La France a en effet intérêt à un accord au GATT : elle appartient à la Communauté européenne qui est l'un des ensembles les plus ouverts du monde.
La France est le quatrième exportateur mondial, le deuxième en matière de services et d'agriculture. Son économie est compétitive et prête à affronter une concurrence internationale accrue. Je suis convaincu que l'ouverture des marchés serait largement profitable à nos entreprises.
Nous voulons donc d'un accord, mais naturellement d'un bon accord.
Je ne crois pas que la signature d'un texte, quel qu'il soit, serait de nature, à lui seul, à relancer l'économie mondiale. Je ne crois pas aux chiffres mirifiques de croissance que nous promettent certains ; je ne crois pas davantage qu'en l'absence d'accord, le commerce mondial ferait un bond en arrière et que s'exacerberaient les tensions entre les grands ensembles économiques : nous avons vécu 7 années sans accord, et pourtant le commerce international a progressé et l'Occident a connu, certaines années, une fort belle croissance.
Ma conviction est donc que l'accord ne vaut que par ce qu'il contient. Je regrette qu'il faille énoncer de telles évidences, mais c'est parfois utile, tant on a l'impression que le discours politique et l'attention des médias se focalisent sur des symboles sans chercher à appréhender la réalité des choses.
Un bon accord, pour la France, c'est tout d'abord un accord qui permette l'ouverture réelle des marchés, notamment des marchés les plus fermés à la concurrence internationale. C'est à cette condition que les Etats-Unis et l'Europe pourront bénéficier de la formidable croissance de l'Amérique Latine et l'Asie du Sud-Est. Je vous rappelle par ailleurs qu'au sein même de l'OCDE certains pays - notamment dans la zone Pacifique - conservent des économies fortement protégées. Je ne fais pas seulement allusion au Japon. Il faut donc que se lèvent les barrières. Nous avons fait un pas dans cette direction lors de la rencontre quadrilatérale de Tokyo. Force est de constater aujourd'hui, malheureusement, que le processus engagé à Tokyo est menacé : plus de 50 pays n'ont pas déposé d'offres, certains Etats, au sein même de la quadrilatérale, demeurent en retrait, en dépit des efforts déployés par la Communauté. Dans son récent rapport au Conseil, Sir Léon BRITTAN fait état de son inquiétude face à cet état de chose. Je partage cette inquiétude.
La deuxième condition pour un bon accord, c'est le respect de l'équité et de l'égalité entre tous les acteurs de la scène internationale. Il ne serait pas admissible qu'au terme de la négociation du cycle d'Uruguay, tel ou tel dispose encore d'instruments unilatéraux dont il pourrait faire usage à l'encontre des membres du GATT.
Le maintien de telles armes serait à l'évidence une menace permanente qui entraverait le développement du commerce mondial. La France, pour sa part, ne peut accepter que se perpétuent des situations dissymétriques. La quasi-unanimité des membres du GATT partagent sa conviction. Je vous avoue mon inquiétude de constater que cet état d'esprit, qui est celui de tous les dirigeants européens, n'est pas perçu par tout le monde aux Etats-Unis. La discussion sur l'ALENA conduit aujourd'hui certains à réclamer un renforcement des procédures unilatérales, alors qu'un consensus international fort existe, pour souhaiter la disparition de ces procédures.
La troisième condition pour un accord au GATT est le règlement équitable, acceptable par tous de dossiers sectoriels importants qui concernent notamment l'acier, l'aéronautique, l'agriculture, l'audiovisuel. Je ne vais pas développer chacun de ces thèmes, ce serait trop long.
Mais je sais que c'est sur ces sujets que la position de la France et de la Communauté est souvent la plus mal comprise. Permettez-moi deux mots d'explication sur l'audiovisuel et l'agriculture.
L'Europe importe des Etats-Unis 3,750 milliards de francs de programmes et de films. Elle en exporte vers les Etats-Unis 250 millions de francs. 80% des recettes en salle en France sont réalisées par des films américains. Ces chiffres montrent que nous sommes ouverts, largement ouverts à l'industrie cinématographique américaine qui est d'ailleurs de très grande qualité. Ce que nous demandons c'est la possibilité de continuer à aider la production cinématographie européenne, qui véhicule nos cultures et nos langues. Est-ce illégitime ? Veut-on la disparition de toute production européenne ? A qui fera-t-on croire qu'il y a là une menace pour les intérêts américains ?
Sur l'agriculture, je serai également bref. Je dirai simplement que la France, l'Europe comprennent parfaitement qu'il faut baisser les soutiens à l'agriculture, aux Etats-Unis et en Europe pour retrouver des conditions de marché. Mais qui pourra m'expliquer que limiter à 23,5 MT les exportations de blé européen quelles que soient les conditions du marché mondial est conforme aux règles du libre-échange ? J'y verrai pour ma part l'amorce dangereuse d'un commerce administré.
Il faut savoir par ailleurs que l'application de cette limitation des exportations pourrait conduire l'Europe à porter le taux de gel des terres en 1999 largement au-delà des niveaux déjà conséquents retenus dans le cadre de la réforme de la PAC. Pense-t-on que c'est socialement acceptable et conforme à la rationalité économique ?
Sait-on qu'en contrepartie de tous ces avantages qui seraient concédés par l'Europe et qui sont pérennes, on ne consentirait à celle-ci qu'un délai de grâce de 6 ans au terme duquel la Politique Agricole Commune pourrait faire l'objet de nouvelles attaques ?
La France, vous le voyez, ne demande rien d'autre qu'un traitement équitable et égal pour tous. Elle souhaite que les négociations progressent rapidement dans tous les domaines. Mais, vous le savez, la situation est inquiétante : à moins de 45 jours de l'échéance, aucune discussion sérieuse n'a été engagée à Genève sur le projet de compromis présenté par le précédent secrétaire général du GATT, M. DUNKEL ; aucune discussion agricole sérieuse n'a encore eu lieu entre la Commission et les Etats-Unis ; les offres communautaires, en matière d'accès au marché, demeurent sans réponse. Sur tous ces sujets, le blocage n'est pas imputable à l'Europe, en revanche, les Etats-Unis porteraient une lourde part de responsabilité en cas d'échec de la négociation, ce qu'encore une fois je ne souhaite d'aucune manière.
J'attends un sursaut de nos partenaires et une prise de conscience des dangers pour tous du blocage actuel : il faut travailler rapidement et sérieusement si l'on veut aboutir avant la fin de l'année.
La portée des négociations du GATT doit aussi être appréciée par référence au Système monétaire international. Dans le cadre des négociations sur le GATT, nous cherchons, en effet, à éliminer les subventions et les obstacles tarifaires à l'échange international ; mais avons-nous prêté une attention suffisante aux mouvements erratiques des changes qui peuvent constituer des obstacles importants aux échanges commerciaux ?
La France, pour sa part, souhaite depuis de longues années que l'économie mondiale puisse bénéficier des avantages d'un environnement monétaire international plus stable. Elle souhaite, en particulier, que les travaux engagés par les banques centrales, à la suite des réflexions des Dix pour renforcer les règles prudentielles en matière d'opérations de change, aboutissent rapidement. Au-delà de ces travaux techniques, il conviendrait que les grands pays industrialisés réfléchissent à la stabilisation du SMI dans l'esprit des accords du Louvre.
Il me reste à rappeler notre conviction que la pleine efficacité du marché unique et le développement des échanges en Europe supposent le maintien d'une zone de stabilité monétaire. C'est pourquoi nous sommes très attachés à une plus grande convergence des performances et des politiques économiques, et, à une meilleure coordination des politiques monétaires en Europe. L'objet de la deuxième phase de l'Union économique et monétaire est de réaliser ce double objectif à partir du 1er janvier 1994.
C'est une banalité de le dire : le monde va s'unifiant sans cesse davantage. Cela signifie que l'interdépendance entre les nations, entre les politiques, entre les systèmes sociaux est de plus en plus forte.
Dés lors, l'action de réforme rendue indispensable par la chute du communisme et l'entrée dans une ère nouvelle de l'histoire doit concerner aussi bien la société internationale que les sociétés nationales. Il serait vain de prétendre libérer le commerce international sans, en même temps, remettre de l'ordre dans le système monétaire ; il serait vain de prétendre retrouver la croissance sans, en même temps, organiser les solidarités essentielles permettant de mettre les hommes à l'abri du besoin. Pour moi tout est lié, la situation de la France, celle du monde, les questions sociales, monétaires, commerciales, industrielles, agricoles.Nous devons cesser de regarder les choses isolément, séparément, chacun pour notre compte. Nous devons développer, non seulement une vision internationale des problèmes, mais une action internationale pour les résoudre, dans un esprit de partenariat entre les nations, d'égalité et de respect mutuel. Telle est, j'en suis convaincu, ce que doit être l'évolution du monde.