Interview de M. Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire, à Europe 1 le 2 juin 2017, sur l'annonce par le président Donald Trump du retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris sur le climat.

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Média : Europe 1

Texte intégral

THOMAS SOTTO
Nicolas HULOT qui, il y a quelques jours encore, disait que la sortie des Etats-Unis de l'Accord de Paris sur le climat serait un contresens tragique de l'Histoire. Bonjour Nicolas HULOT.
NICOLAS HULOT
Bonjour.
THOMAS SOTTO
Eh bien voilà, on y est, Donald TRUMP l'a annoncé clairement et fermement hier soir, les Etats-Unis se retirent de l'Accord de Paris.
NICOLAS HULOT
C'est un message d'une violence inouïe, qui est envoyé à ces millions d'hommes, de femmes et d'enfants, qui chaque année, à cause des conséquences des changements climatiques sont obligés de quitter leur territoire. C'est un message d'une violence inouïe aux familles de ceux et celles qui par millions meurent chaque année de la pollution due à l'utilisation des énergies fossiles. C'est un message d'une violence inouïe aux générations futures, au moment où nous sommes sur un seuil étroit de tolérance. C'est aussi, comment dire, un message, c'est une forme d'injure à l'avenir, avenir d'ailleurs dans lequel le président des Etats-Unis rentre à reculons, mais tourner le dos aux faits n'empêchera pas les faits de nous rattraper. Parce que ce message, quelque part, c'est dire après avoir imposé une espèce d'ordre universel, on va imposer une tragédie au monde. Ce n'est pas l'avenir de la planète qui est en train de se décider, c'est l'accomplissement de l'Humanité, ce sont les conditions d'existence de l'Humanité. Donc, ce n'est pas un petit sujet, je ne veux pas forcer les traits, on n'avait pas besoin de ça. Maintenant, il ne faudra pas s'étonner que cette violence dans l'attitude, une forme de désinvolture tragique, il y ait une onde de choc qui puisse se traduire par toutes sortes de comportements, et dans la tension du monde on n'avait pas besoin de ça. Mais pourtant…
THOMAS SOTTO
A quoi vous penser ?
NICOLAS HULOT
Non, mais… vous savez, le cynisme de l'instant peut provoquer l'intégrisme de demain, voilà. Je dis simplement que l'Histoire elle n'est jamais amnésique, et là c'est la grande Histoire qui est en train de se déterminer. Alors, je ne veux pas en rajouter, parce qu'il peut y avoir dans cette, comment dire, attitude-là, ou dans cette décision-là, peut-être quelque chose de positif qui en sort. D'abord je pense qu'il y a un axe autour de la solidarité universelle qui va se créer, et peut-être un axe inattendu, entre l'Europe, la Chine, l'Inde, dont nous allons recevoir le président samedi, et y compris…
THOMAS SOTTO
Oui, mais certains disent attention, il y aura peut-être un effet domino, la Russie va peut-être se retirer.
NICOLAS HULOT
On n'en n'est pas là ; y compris aux Etats-Unis, où des forces de rappel, dans notamment les Etats, les grandes villes, je pense notamment au maire de New York. Et y compris les acteurs économiques, quand vous voyez que les actionnaires d'EXXON, eux-mêmes, considèrent que l'attitude de TRUMP n'est pas compatible avec la réalité économique d'aujourd'hui et de demain, ces forces de rappel vont peut-être se renforcer sur cette décision qui, comme vous le rappelez, est un contresens tragique et pathétique de l'Histoire.
THOMAS SOTTO
Ça veut dire qu'on pourra continuer à avancer sans Donald TRUMP, sans l'Etat fédéral, mais avec les villes, les Etats de bonne volonté. L'Accord de Paris est mort ou pas ?
NICOLAS HULOT
Non, il n'est pas mort, il va se… au contraire, d'ailleurs, vous voyez, la France elle-même va, au lieu plutôt que de baisser ses ambitions, nous allons nous-mêmes les réviser à la hausse, et je pense qu'on va entraîner dans notre sillage nombre d'Etats. C'est un cas isolé. Evidemment, j'aurais préféré que ça ne soit pas le cas, parce que quand ça vient d'un pays qui émet, par habitant, 4 fois plus d'émissions de gaz à effet de serre notamment, que la Chine. Il faut comprendre que, c'est un sujet, ce n'est pas simplement un sujet environnemental, c'est un sujet de justice, de dignité…
THOMAS SOTTO
Vous disiez d'Humanité, c'est l'avenir de l'homme qui est en jeu aujourd'hui ?
NICOLAS HULOT
Je ne le dis pas moi du haut de ma boule de cristal, simplement, ce qui a changé, c'est que la science a validé le diagnostic, ce sont bien les conditions d'existence de l'Humanité qui sont en péril. Tant qu'il y avait l'alibi du doute ou de l'ignorance, mais le diagnostic a été confirmé par les Etats-Unis eux-mêmes à Paris, donc si un jour…
THOMAS SOTTO
TRUMP a dit « ça n'aura pas d'impact sur le climat », « le retrait des Etats-Unis n'aura pas d'impact sur le climat. »
NICOLAS HULOT
Eh bien écoutez, c'est une forme de négation vis-à-vis de la science et vis-à-vis des 196 pays qui ont proclamé, affirmé, scellé un constat, et qui se sont fixés une feuille de route, et dans son propre pays, très sincèrement, sur ce sujet-là, cette parole, et cette attitude, et ce constat, n'est pas dominant.
THOMAS SOTTO
Nicolas HULOT, le 29 mars vous avez tweeté « ce que fait Donald TRUMP contre le climat sera sanctionné par l'Histoire comme crime contre l'Humanité. » Est-ce que vous reprenez ces mots ce matin ?
NICOLAS HULOT
On va les mettre, les adapter à ma fonction, mais l'Histoire n'est pas amnésique et c'est vrai que, et c'est pour ça que les mots ont un sens, c'est bien l'Humanité qui est en péril. Et en vous entendant tout à l'heure dire que Thomas PESQUET revient sur terre, il aurait été bon que le président Donald TRUMP voit notre planète de l'espace pour prendre la mesure de sa vulnérabilité.
THOMAS SOTTO
Est-ce qu'on peut encore travailler avec les Etats-Unis de Donald TRUMP sur le climat, est-ce que c'est possible ? Il a dit qu'il voulait reprendre les négociations. Est-ce qu'aujourd'hui c'est encore un interlocuteur ou pas ?
NICOLAS HULOT
Les négociations on ne les reprend pas, elles ont été faites à Paris, il y a un accord…
THOMAS SOTTO
Donc il n'y aura pas de reprise des négociations sur l'Accord de Paris ?
NICOLAS HULOT
On ne remettra pas à plat l'Accord de Paris et il restera cette feuille de route en l'état, que l'on devrait revoir en urgence à la hausse, et en aucun cas à la baisse.
THOMAS SOTTO
On a entendu l'appel lancé par Emmanuel MACRON hier aux chercheurs, aux ingénieurs américains : « venez chez nous. » Au-delà de ça, est-ce que la France va prendre une initiative, est-ce qu'il va y avoir un sommet d'urgence, qu'est-ce qui va se passer dans les semaines qui viennent ?
NICOLAS HULOT
On est en train, on y a travaillé avec le président une bonne partie de la nuit, on est en train avec nos partenaires allemands, avec nos partenaires chinois, avec l'Inde, avec certains pays européens, on est en train d'envisager, ensemble, évidemment, de renforcer l'alliance. Et puis…
THOMAS SOTTO
Ça pourrait passer par un sommet d'urgence, par quelque chose comme ça ?
NICOLAS HULOT
On est en train d'y travailler. Et, dans le message du président il y a évidemment une main tendue, et notamment aux scientifiques, aux acteurs économiques américains, pour leur dire écoutez, si vos travaux, si ce potentiel économique » - parce que l'enjeu climatique et l'enjeu écologique ce n'est pas simplement une contrainte, c'est une opportunité économique, si elle ne trouve pas débouché aux Etats-Unis, j'espère que l'Europe créera les conditions d'accueil à toute cette communauté qui doit, honnêtement, aux Etats-Unis, être dans une tristesse profonde. Vous savez, même les négociateurs américains que j'ai rencontrés à Berlin il n'y a pas longtemps, je lisais sur leur visage plus qu'un désarroi, une profonde émotion. Parce que c'est plus qu'une tristesse, c'est une colère qui nous submerge, mais une fois que la colère va être passée, il faut, encore une fois, penser que peut-être, au contraire, que ça va ressouder et renforcer des coalitions totalement inédites dans l'ordre mondial du monde.
THOMAS SOTTO
Je reviens un peu sur la Russie, vous avez des inquiétudes, vous, sur la Russie, qu'on cite comme un pays qui potentiellement pourrait profiter de l'opportunité, une sorte « d'effet d'aubaine », c'est une inquiétude pour vous ou pas ?
NICOLAS HULOT
Ecoutez, j'ai beau être ministre, je ne suis pas dans le secret des dieux, mais de ce que le président MACRON m'a dit de ses entretiens avec le président POUTINE, ça ne fait pas partie de ses inquiétudes.
THOMAS SOTTO
Et envisager des sanctions contre les Etats-Unis, est-ce que c'est une piste ? De la même manière qu'on a pris des sanctions économiques contre la Russie à cause de l'Ukraine, par exemple.
NICOLAS HULOT
Moi je pense qu'il ne faut pas céder à une forme de surenchère, d'abord ce ne sont pas tous les Etats-Unis qui ont pris cette décision, c'est un président, et donc je pense que notre attitude… d'ailleurs, il n'est pas exclu que, moi, dans les temps proches, fasse un déplacement aux Etats-Unis, et j'irai rencontrer, aux Etats-Unis, des hommes, des femmes, qui sont nos alliés, qui demeurent nos alliés, et nous allons créer avec eux un axe de travail.
THOMAS SOTTO
Quand Donald TRUMP dit qu'il tient à l'environnement, « j'y tiens beaucoup » a-t-il dit hier ?
NICOLAS HULOT
Ecoutez, je pense que c'est une lecture un peu tronquée. Moi je n'oublie pas que les Etats-Unis, sur les sujets d'écologie, ont été pionniers à une autre époque, et que nous avons eu avec eux, et notamment à l'Accord de Paris, une coopération. Là il y a une rupture forte, évidemment, mais je pense qu'il y a, c'est plus qu'un angle mort, dans le radar du président TRUMP, je pense qu'il n'a pas pris la mesure, je pense que, peut-être comme certains, il pense simplement que c'est un pur problème environnemental. Non, se joue, en ce moment, l'accomplissement de l'Humanité.
THOMAS SOTTO
Si on est honnête, beaucoup de spécialistes disaient depuis longtemps que l'objectif des 2 degrés n'était déjà plus atteignable, est-ce qu'on ne se voile pas la face en disant maintenant que c'est la faute de Donald TRUMP ?
NICOLAS HULOT
Non, mais c'est une faute collective. Mais, ce qui est terrible c'est que, cette situation, que nous infligeons à des hommes et des femmes, elle est la conséquence d'un modèle que nous avons, les uns et les autres, provoqué, en tout cas conçu, qui s'est fait parfois sur le détriment de celles et de ceux qui souffrent des conséquences des changements climatiques. Donc, quand je dis que ça ajoute de l'injustice à l'injustice, de la souffrance à la souffrance, de la misère à la misère, moi c'est, c'est… comment dire… Ce qui m'a affligé hier soir en l'entendant, c'est, je me mettais à la place de ceux que j'ai déjà rencontrés, aux Philippines ou dans la bande sahélienne, la perception de ce message, c'est de dire : non seulement nous subissons les conséquences d'un modèle de développement dont on n'a pas profité, qui s'est fait sur notre dos, et en plus, au moment où vous nous avez dit on va vous aider à vous adapter et à vous émanciper, eh bien on fait un pas en arrière.
THOMAS SOTTO
Laurent FABIUS qui était le président de la COP21 parle de « faute honteuse » et « d'erreur majeure », « c'est calamiteux » dit le Premier ministre Edouard PHILIPPE. Est-ce qu'Emmanuel MACRON souhaite rencontrer Donald TRUMP pour en parler avec lui, est-ce que ça c'est prévu ou pas ?
NICOLAS HULOT
Ecoutez, en l'état je n'ai pas eu écho de ça, je pense que sa priorité c'est plutôt de rencontrer justement les chefs d'Etat avec lesquels on va renforcer notre dialogue et notre coopération, et la France a bien l'intention, j'en ai parlé avec Jean-Yves LE DRIAN, de maintenir, et même de renforcer, son leadership diplomatique sur ce sujet-là.
THOMAS SOTTO
Je voudrais que vous mettiez de côté une seconde votre costume de ministre, Nicolas HULOT. Est-ce que ça vous déprime cette reculade américaine ?
NICOLAS HULOT
Ça me fait peur. Ça me fait peur, parce que j'ai une conscience aigüe, encore une fois, qu'on est sur un fil du rasoir, que les choses se déterminent maintenant, que tout ça peut ajouter de la tension dans un monde qui n'en n'avait pas besoin. Mais que, paradoxalement, si le monde se jetait sans retenue sur la transition, notamment énergétique, et notamment dans le développement des énergies renouvelables – je fais une petite parenthèse – mais quand vous regardez tous les conflits auxquels nous avons assistés depuis la Deuxième Guerre mondiale, le pétrole, le charbon, le gaz, n'étaient jamais très loin. Si grâce à l'enjeu climatique, nous permettons à chaque village de produire son énergie dans ses frontières, vous allez rétablir l'équilibre du monde. Donc, d'un côté, si on ne fait rien, évidemment la guerre se rapproche, de l'autre côté, si on y va, c'est la paix qui va devenir la norme.
THOMAS SOTTO
Nicolas HULOT je vous propose de rester encore quelques petites minutes avec nous, dans un instant vous pourrez échanger avec Dany COHN-BENDIT.Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 juin 2017