Entretien de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, avec "RMC-INFO", le 15 décembre 2001, sur la situation en Afghanistan, la force internationale en Afghanistan, le nouveau régime politique de l'Afghanistan et l'aide de la France à l'Afghanistan.

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Texte intégral

Q - Charles Josselin, bonjour. Merci d'être en direct quelques heures seulement après votre retour de Kaboul. Quelle situation avez-vous trouvé sur place ?
R - Une ville détruite mais pas au cours des dernières semaines, tout au long des conflits qui, depuis vingt ans, oppose les Afghans entre eux mais aussi avec l'intervention des Soviétiques et puis, évidemment, les Taliban. Une ville qui se remet, me semble-t-il, à vivre ; beaucoup de monde dans les rues mais pas d'atmosphère fiévreuse ni trop lourde mais par contre beaucoup d'incertitude, évidemment, sur la capacité que va avoir ce nouveau gouvernement, qui sort de la conférence de Bonn, et qui doit s'installer le 22, donc cette semaine ou la semaine prochaine, à maîtriser notamment la question de la sécurité à Kaboul bien sûr, mais plus généralement dans l'ensemble du pays, d'où la question posée de la fameuse force multinationale dont on a commencé à discuter à Laeken et dont le Conseil de sécurité devrait décider les modalités la semaine prochaine.
Q - Justement, Monsieur Josselin, vous avez eu un certain nombres d'entretiens avec des responsables sur place. Il semblerait quand même que les Afghans ne soient pas "très chauds" pour cette force.
R - Des contacts que j'ai eus avec le ministre de l'Intérieur comme le ministre de la Défense et le président Karzaï qui m'a reçu avant hier soir, tard dans la nuit, il semblerait en effet que l'utilité de cette force multinationale n'est reconnue par les Afghans que comme un signal, en particulier vis-à-vis de leurs voisins, et ils pensent au Pakistan. Mais ils souhaitent aussi que cette force multinationale ne vienne pas se substituer en quelque sorte à la capacité que se reconnaissent les Afghans à rétablir la sécurité eux-mêmes à Kaboul. Bref, il faudra que cette force multinationale soit probablement limitée en nombre et que ses missions soient limitées, elles-aussi, à la protection des personnes et des biens, et l'on pense aux bâtiments publics. Mais je ne pense pas qu'il faille attendre de cette force multinationale qu'elle patrouille en ville, qu'elle organise la circulation aux carrefours, bref qu'elle occupe la ville. Ceci, je crois, ne serait pas accepté par les Afghans.
Q - Et les Afghans eux-mêmes, pensez-vous quand même qu'ils arriveront à une certaine stabilité pour reconstruire leur pays ?
R - Je le crois en ce qui concerne la partie nord de l'Afghanistan parce que là, il y a une cohésion au niveau de l'Alliance du Nord, même si entre le général Dostum à Mazar-i-Charif et le général Fahim à Kaboul, il y a encore quelques nuances. L'inconnu, c'est le sud. Et là, c'est une sorte de zone grise, on ne sait pas très bien ce qui s'y passe. Nos ONG n'y sont pas très présentes non plus. Je rappelle que c'est la zone la plus proche du Pakistan, la zone pachtoune. Des Pachtounes qui s'estiment encore insuffisamment représentés dans le gouvernement provisoire. C'est de là que des tensions peuvent survenir mais, je le répète, le président Karzaï qui est un pachtoun lui-même se dit confiant. Attendons. Mais j'espère tout de même que les Afghans auront pris la mesure de l'autodestruction dans laquelle ils étaient engagés et que cette fois, ils vont faire prévaloir l'intérêt de leur pays. Il faut que la solidarité internationale se manifeste. La France va s'y engager fortement. Je rappelle qu'un avion humanitaire se posera directement à Bagram, c'est-à-dire près de Kaboul, mardi matin, qui emporte dans ses soutes quelques dizaines des tonnes de fret humanitaire, de tentes, de couvertures et aussi un centre de réanimation à l'attention de l'hôpital de Ali Abad et que, dans l'avion, il y aura des médecins français, je pense en particulier à des médecins de l'hôpital de Lyon, qui va établir, je l'espère durablement, une coopération avec cet hôpital qui est au centre de Kaboul et qui assez lié avec nous, parce que l'enseignement y a été fait longtemps en français et qu'il y a encore une présence francophone forte qu'il faut, je l'espère en tout cas, préserver.
Q - Maintenir et protéger ?
R - Voilà.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 décembre 2001)