Déclaration de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, sur les défis et priorités de la construction européenne, à Paris le 27 juin 2017.

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Circonstance : Réunion plénière du conseil économique, social et environnemental (« Refonder l’Union en mettant la société civile au cœur du projet européen »), à Paris le 27 juin 2017

Texte intégral

M. le Président. Madame la ministre, vous avez la parole.
Mme Loiseau. Monsieur le président du Conseil économique, social et environnemental, monsieur le président du Conseil économique et social européen, monsieur le commissaire Moscovici, madame la députée Morin-Chartier, mesdames et messieurs les conseillers, mesdames et messieurs, je voudrais d'abord vous dire tout le plaisir qui est le mien que ma première intervention en tant que membre du gouvernement - comme vous l'avez très justement dit, Monsieur le Président - ait lieu ici devant le Conseil économique, social et environnemental.
Dans mes fonctions précédentes, j'avais eu l'occasion de venir ici et de travailler avec vous à plusieurs reprises et je voudrais vous dire tout le prix que j'attache à votre institution et aux relations que nous pourrons poursuivre, vous et nous.
Je voudrais aussi vous féliciter d'avoir choisi un thème aussi fondamental : celui de la refonte de l'Europe et du rôle de la société civile. La pertinence de ce sujet en France est, à vrai dire, plutôt ancienne : peut-être depuis le référendum sur le Traité de Maastricht en 1992, certainement depuis celui de 2005 sur le projet de Constitution européenne. Il prend toutefois, me semble-t-il, un relief particulier au lendemain de l'élection présidentielle.
Je retiens de cette élection deux grands enseignements pour l'Europe.
Le premier, et il est source d'optimisme, c'est l'attachement profond des Français à l'Europe. Nos concitoyens ont conscience que notre avenir est à la fois au sein de l'Union européenne et avec l'euro. Le Frexit est d'abord pour eux, et à juste titre, un repoussoir. La victoire du Président Macron sur une ligne politique résolument pro-européenne a marqué une profonde rupture par rapport à ce qui était perçu - souvenons-nous en - comme la montée inéluctable des partis populistes et à la crainte d'une explosion de l'Europe sur le modèle du Brexit.
Ne soyons toutefois pas naïfs ; l'Union est très certainement affaiblie. Alors que la construction européenne paraissait aller de soi depuis 1957, chacun voit bien qu'elle est fragile et que les progrès accomplis, loin d'être inéluctables, sont réversibles. Mais l'élection du président de la République après les élections législatives néerlandaises a démontré qu'un sursaut était possible.
Le deuxième enseignement, et il n'est pas moins important que le premier, c'est l'insatisfaction des Français par rapport au fonctionnement actuel de l'Union européenne, perçue comme lointaine, technocratique, bureaucratique. S'il fallait résumer la situation que nous vivons en une formule, je dirais que les Français aiment l'Europe, mais qu'ils craignent que l'Europe ne les aime pas.
Cette insatisfaction, et parfois cette exaspération, sont la marque d'une déception qui peut mener à un rejet plus fondamental et qui a conduit au score élevé obtenu par des candidats qui se présentaient comme eurosceptiques.
Il faut donc aujourd'hui travailler à la fois à plus d'Europe et à une Europe plus convaincante, plus crédible, une Europe qui défende pleinement ses valeurs et qui protège ses citoyens. C'est l'ambition que le président Macron porte pour l'Europe et qu'il a demandé au gouvernement de défendre. Pour y parvenir, il me semble que notre action doit s'inscrire dans deux temporalités.
D'abord celle du temps court, de l'affirmation de notre vision de l'Europe sur des thèmes d'importance majeure qui nécessitent une intervention immédiate.
C'est ce que le président de la République a fait dès son entrée en fonctions et dès le Conseil européen de la semaine dernière en y défendant la vision d'une Europe qui protège.
Dès avant le Conseil a démarré la renégociation de la directive sur « Les travailleurs détachés », sur laquelle le Conseil économique, social et environnemental avait publié un avis en septembre 2015. Nous en attendons plus d'ambition dans quatre domaines :
- les rémunérations avec le principe « à travail égal, salaire égal dans le même pays » ;
- la lutte contre les fraudes, y compris contre les entreprises « boîtes aux lettres » sans rapport réel avec le travailleur détaché ;
- la limitation des périodes de détachement, y compris de façon cumulée ;
- la pleine application du détachement aux transports routiers.
Cette négociation va se poursuivre et s'intensifier et nous souhaitons aboutir à l'automne à une réforme qui n'opposera pas l'est et l'ouest de l'Europe, mais qui facilitera une convergence de tous vers le haut.
Cette action immédiate a aussi été celle du président de la République lors du Conseil européen des 22 et 23 juin 2017. D'abord sur le terrorisme en encourageant la Commission à présenter rapidement une proposition législative permettant de contraindre les acteurs d'internet à retirer de façon automatique les incitations au terrorisme et à la haine, et à travailler sur les communications cryptées.
Dans le domaine de la défense, avec une avancée significative sur le Fonds européen de défense.
S'agissant des migrations, nous devons fortement progresser ensemble dans la gestion de nos frontières extérieures.
Dans le domaine commercial, le président l'a clairement affirmé : l'Europe est l'ensemble le plus ouvert au monde, mais nous ne devons pas être naïfs en restant ouverts lorsque nos partenaires sont fermés, qu'il s'agisse de commerce, de marchés publics ou d'investissements étrangers dans les secteurs stratégiques.
Enfin, je citerai le climat. L'Europe peut et doit être à la tête de la lutte contre le dérèglement climatique et montrer le chemin au moment où le président Trump a fait le choix - pour l'instant du moins - du repli.
Progresser dans ces différents domaines est fondamental pour commencer à rebâtir la confiance dans le projet européen.
Mais, au-delà de ce temps court, il doit également y avoir une réflexion de moyen terme. Nous allons en effet faire face à des choix fondamentaux. Il nous faudra imaginer l'Europe à 27 - sans le Royaume-Uni - alors que nous n'avons jusqu'à présent envisagé que l'option inverse : celle de l'élargissement.
En parallèle, nous devons discuter de l'avenir de l'Union européenne. Le président Juncker a proposé cinq scénarios et le Conseil européen en débattra à la fin de l'année pour déterminer si nous devons aller vers plus ou moins d'intégration et si nous devons conserver ou restreindre le champ de compétence de l'Union.
Ce sont des questions essentielles car cela revient à définir des priorités qui seront ensuite financées de façon plus ou moins ambitieuse par le nouveau cadre financier pluriannuel post-2020. Le débat que vous allez avoir sur les cinq scénarios du Livre blanc sur l'Europe sera donc très important et nous regarderons de près la résolution que vous adopterez.
Nous devons également travailler à la réforme de la zone euro pour aller vers plus d'intégration en la dotant, par exemple, d'une capacité budgétaire propre et d'institutions à la fois plus efficaces et plus démocratiques.
Le président a évoqué dans sa campagne un ministre des finances de la zone euro pour donner une impulsion politique, un trésorier européen pour gérer cette capacité budgétaire et un meilleur contrôle parlementaire.
Des choix aussi lourds supposent de mieux comprendre quelles sont les attentes et les critiques de nos concitoyens vis-à-vis de l'Union européenne. Nous devons engager le débat, vous devez engager le débat.
Je retiens deux leçons de ma vie professionnelle antérieure à la fois comme diplomate et comme directrice de l'ENA. La première, c'est que le débat est indispensable et l'ENA y participe activement, s'agissant des questions européennes à Strasbourg. Mais, toute la question est de savoir avec qui débat-on. Débattre entre pro-Européens n'est pas inutile, mais largement insuffisant lorsqu'il s'agit de s'adresser à l'ensemble des Français, d'entendre leurs aspirations, de répondre à leurs préoccupations.
Il faudra donc organiser ce débat, au-delà des cercles restreints de ceux qui réfléchissent déjà aux sujets européens, pour toucher le plus grand nombre, pour mobiliser l'ensemble des Français. Il ne s'agira pas seulement d'écouter ceux qui sont déjà convaincus, mais bien de dialoguer avec tous, avec tous ces Français qui, s'ils ne rejettent pas l'idée européenne en soi, s'en sont parfois éloignés.
En diplomatie, on a coutume de rappeler qu'on ne fait la paix qu'avec ses ennemis. C'est donc vers ceux que l'Europe n'a pas su convaincre qu'il faut lancer des ponts. Sur la méthode, nous espérons de vraies avancées à condition d'être concret et de choisir les bons vecteurs.
Nous devons aller sur le terrain à la rencontre de ceux qui doutent, les écouter. C'est précisément pour cela que le président de la République a évoqué dans sa campagne l'organisation de conventions démocratiques, en France comme en Europe, pour donner la parole aux citoyens et débattre des priorités de l'Union.
C'est ainsi que nous pourrons démystifier l'Europe, pour qu'elle cesse d'être incomprise.
L'expérience du Conseil économique, social et environnemental comme celle du Conseil économique et social européen du président Georges Dassis sera très utile pour aller plus loin. Je compte sur vous pour me faire part de vos idées. Vous êtes idéalement placés, en lien direct avec les forces vives de nos sociétés, pour contribuer à faire vivre ce débat.
C'est ainsi, j'en suis persuadée, que nous saurons concilier l'envie d'Europe que nous portons et l'attente d'une autre Europe, que nous constatons. À nous de contribuer à l'émergence, ou à la réémergence, d'une conscience européenne chère aux pères fondateurs de l'Europe et d'un demos européen, pour reprendre les termes du président Macron.
Les élections au Parlement européen en 2019 seront un premier test du succès de ce projet ambitieux tout comme la présidence française du premier semestre 2022.
Je me réjouis de pouvoir travailler étroitement avec vous dans cette perspective et je vous remercie.
http://www.lecese.fr, le 24 juillet 2017