Interview de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec LCI le 17 juillet 2017, sur les relations franco-israéliennes, la question israélo-palestinienne, la diplomatie d'Emmanuel Macron, son rôle comme secrétaire d'Etat et sur les budgets de l'aide au développement et de la défense.

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Texte intégral


ADRIEN GINDRE
Bonjour Jean-Baptiste LEMOYNE.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Bonjour.
ADRIEN GINDRE
Secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères. Vous avez été le premier parlementaire Les Républicains à rejoindre Emmanuel MACRON, on en parlera, mais on va commencer par une image ou plutôt deux. Celle d'une accolade entre le président français et le Premier ministre israélien ; c'était hier à l'occasion des 75 ans de la rafle du Vél' d'Hiv à Paris. On a vu la même un peu plus tard à l'Elysée. Ça veut dire quelque chose ? On est entré dans une nouvelle ère de la relation franco-israélienne ? Ou ça, c'est une image pour les caméras ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Non mais il ne vous a pas échappé qu'il y a eu hier une séquence effectivement avec beaucoup d'émotion, poignante, à l'occasion de la commémoration de ce 75ème triste anniversaire de la rafle du Vél' d'Hiv. Tous les témoignages vraiment étaient très prenants, les survivants, et le président de la République a fait un discours très fort et il était légitime que, je crois, les deux hommes marquent à travers ce geste une empathie réciproque. Vous savez, la France depuis 1948 a accompagné effectivement Israël dans sa naissance et puis ensuite, après cette séquence effectivement très émouvante, il y a eu une réunion de travail où ç'a été l'occasion d'évoquer tous les sujets chauds du moment dans la région Proche et Moyen Orient parce qu'entre la Syrie, entre l'Etat islamique, entre la crise du Golfe, l'Iran, il y a un certain nombre de sujets sur lesquels une concertation avec les pays importants de la région s'imposait, voilà.
ADRIEN GINDRE
Sur le cas de ces Israélo-palestiniens, la position de la France – on est d'accord – c'est toujours la reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens, la solution à deux Etats, la condamnation de la colonisation. C'est la même chose pour Emmanuel MACRON que pour ses prédécesseurs.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Emmanuel MACRON a réaffirmé effectivement la position française, il l'a dit très clairement.
ADRIEN GINDRE
Il n'y aura pas de tonalité Macron particulière.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
D'ailleurs lors du point presse de la déclaration qui a suivi la réunion de travail, il a été très clair en étant aux côtés du Premier ministre israélien. D'ailleurs il l'a réaffirmé, il l'a réaffirmé dans la réunion de travail. Maintenant, au-delà de cela, il y a tout un travail bilatéral qui doit se faire en matière économique, en matière culturelle. Vous savez 2018, il va y avoir justement une saison culturelle croisée de la France en Israël et d'Israël en France au deuxième semestre, donc ce sera l'occasion de mettre en avant des artistes. Et puis il y a également une mission d'entreprises qui va être envoyée là-bas parce que sur l'innovation, on a beaucoup de choses à partager.
ADRIEN GINDRE
Mais ce n'est quand même pas facile comme dossier. François HOLLANDE, pas plus tard qu'en janvier dernier, a organisé une conférence internationale sur le Proche-Orient à Paris. A l'époque, le Premier ministre israélien parle d'imposture diplomatique. Emmanuel MACRON, il peut faire quoi lui ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Vous savez, ce n'est pas tout seuls avec nos petits bras qu'on arrivera à résoudre ce qui n'a pas été résolu depuis des décennies.
ADRIEN GINDRE
Donc MACRON ne sera pas le nouveau CLINTON version 93, accords d'Oslo. On n'aura pas la poignée de mains Israéliens-Palestiniens.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
La France et Emmanuel MACRON ont une force, c'est que nous parlons à tout le monde ou en tout cas à beaucoup de personnes sur la planète. Il y a une initiative américaine qui a été prise sur le conflit israélo-palestinien. Je pense que la France, au regard des contacts qu'elle peut avoir dans un certain nombre de pays de la zone, peut aussi avoir une valeur ajoutée et j'ai pu le mesurer d'ailleurs lors de la réunion de travail hier. Donc encore une fois, la France a une partition à jouer mais on n'est pas forcément là pour être « cocorico ! c'est nous qui prenons les initiatives », on est là pour être utile autant que de besoin, parce que ce qui compte, c'est arriver à progresser pas à pas.
ADRIEN GINDRE
On va poursuivre sur Benyamin NETANYAHOU dans quelques instants, mais je voudrais juste qu'on s'arrête sur le contexte. On rappelle qu'il est venu pour les 75 ans de la rafle du Vél' d'Hiv. Le président français a eu ces mots hier : « C'est bien la France qui organisa la rafle du Vél' d'Hiv. » C'est une manière pour lui de quoi ? De laisser sa trace ? De parler à qui ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Je crois qu'Emmanuel MACRON, il est justement d'une génération qui n'a pas connu naturellement ce conflit mondial, qui n'a pas connu non plus les conflits postérieurs, coloniaux, et il a donc cette possibilité aussi de réconcilier les mémoires, de faire tout ce travail sur une part d'ombre dans notre histoire et de pouvoir dire les choses peut-être de façon très claire, pour que ce travail de mémoire se fasse, parce qu'encore une fois, les faits sont là. Et donc, je crois qu'Emmanuel MACRON n'est pas là pour laisser une empreinte en tant que telle. Ce qu'il a souhaité, c'est dire ce qui s'est passé, dire ce qui a été alors qu'un certain nombre de personnalités politiques dans le champ de l'extrême droite ont remis en cause…
ADRIEN GINDRE
Ça, c'est pour Marine LE PEN.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Voilà, exactement.
ADRIEN GINDRE
Qui pendant la campagne présidentielle avait contesté la responsabilité de la France. Il y a eu également dans ce discours très historique un commentaire très actuel à propos de Sarah HALIMI, une femme juive qui a été tuée au mois d'avril dernier. Le chef de l'Etat a demandé à la justice de faire toute la clarté. Est-ce que c'est le rôle du président de la République, patron de l'exécutif, de commenter une affaire judiciaire en cours, parce qu'à ce stade le caractère antisémite de l'agression n'a pas été retenu ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Faire toute la clarté, la justice le fera. Mais ce qu'on ne peut pas contester, vous voyez, c'est que sur les actes racistes ou antisémites qui se produisent sur une année, la moitié d'entre eux sont à connotation antisémite. Donc il reste beaucoup de travail pour arriver à endiguer ce type de phénomène et je crois que c'est pour ça qu'il a tenu à avoir des propos assez forts.
ADRIEN GINDRE
On évoquait tout à l'heure la rencontre à l'Elysée entre le président français et le Premier ministre israélien. Vous y avez assisté, vous étiez juste à la droite du président, assis. C'était quoi l'ambiance à l'intérieur, la rencontre ? Amicale ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
L'ambiance a été studieuse. Encore une fois, regardez tous les sujets qui se posent au Proche et au Moyen-Orient. Il y a la crainte pour certains de voir l'Iran s'étendre avec ses forces militaires présentent en Syrie, avec vous savez des crises qui sont en train d'éclater au Yémen, les tensions au Qatar, et donc tout cela commandait que cette réunion soit studieuse et elle l'a été. C'était ça l'état d'esprit.
ADRIEN GINDRE
Emmanuel MACRON a donné du « cher Bibi » à Benyamin NETANYAHOU. Il faut forcément cette proximité ? « Bibi », ç'a un côté extrêmement familier aussi.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Je crois que, vous savez, la force aussi d'Emmanuel MACRON c'est de pouvoir entrer en empathie avec ses interlocuteurs de la même façon qu'il a aussi eu un contact très fraternel avec Mahmoud ABBAS ; j'y assistais. On est capable de parler à tout le monde et je pense que ça peut être utile à un moment où justement parfois, quand il y a des tensions, la France est là pour pouvoir, en tant que de besoin, de façon discrète passer des messages.
ADRIEN GINDRE
Vous avez vu que la visite de Benyamin NETANYAHOU a aussi déclenché des critiques. Le Parti communiste, par exemple, disait : « Ce n'est pas l'homme du message fort de paix qu'il fallait dans de telles circonstances. » Les 75 ans de la rafle. Benyamin NETANYAHOU, c'est un personnage qui est contesté aussi.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Enfin pardon, mais les peuples votent et à partir de là, il y a des gouvernements, il y a des institutions et il est normal que d'institution à institution, il y ait un travail qui se fasse. Encore une fois, on s'inscrit dans le temps long, c'est-à-dire celui qui depuis 70 ans fait que la France et Israël travaillent ensemble, de la même façon que la France affirme aussi de façon récurrente son message quant à l'autorité palestinienne.
ADRIEN GINDRE
Trois visites diplomatiques emblématiques et trois polémiques. Benyamin NETANYAHOU, on vient de l'évoquer ; Donald TRUMP invité d'honneur du 14 Juillet ; Vladimir POUTINE reçu à Versailles. Pour quels résultats à chaque fois concrètement ? Est-ce que les fastes proposés à nos hôtes se sont traduits concrètement ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Vous savez, Emmanuel MACRON est entré en fonction il y a un peu plus de deux mois. Justement, il est important que ces prises de contact se fassent, qu'elles se fassent avec tout le respect que nous devons à des grandes nations, et la France en est une également, parce que c'est cela qui va permettre d'enclencher un cercle vertueux, je pense, dans les affaires internationales. Qui va faire que la France va pouvoir encore une fois être utile, faire progresser un certain nombre de chantiers et, on l'a vu, le respect n'empêche pas parfois l'affirmation forte de notre message. Souvenez-vous d'Emmanuel MACRON qui, juste après que Donald TRUMP ait dit que les Etats-Unis n'endosseraient pas l'accord sur le climat, a pris la parole urbi et orbi en anglais pour s'adresser au peuple américain.
ADRIEN GINDRE
Mais là cette fois, Donald TRUMP a quitté Paris en disant : « On verra. On verra si on revient ou pas dans l'accord de Paris. » Est-ce que ça suffit « on verra » quand on sait que les enjeux sont extrêmement importants ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Vous avez raison, les enjeux sont très importants. Parce que quand on regarde d'ailleurs le fuseau eurafricain, on imagine ce que ça donnerait en termes de guerre ou de nouvelle migration forcée si le climat devait continuer à dériver, à avoir un impact sur le continent africain. Donc oui, l'urgence elle est là. Maintenant, je pense qu'il ne vous a pas échappé que justement l'appel d'Emmanuel MACRON a été entendu par un certain nombre de villes, d'entreprises, d'Etats américains qui eux ont dit : « Nous, quoi qu'il arrive, on va rester dans cette dynamique-là. » Et donc, je crois qu'Emmanuel MACRON en recevant Donald TRUMP aussi peut-être lui fait prendre conscience de ces enjeux-là. Vous savez, le président américain effectivement peut évoluer.
ADRIEN GINDRE
Vous-même, vous êtes secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères. Emmanuel MACRON a fait le choix de ne pas faire apparaître les dossiers qui étaient confiés aux secrétaires d'Etat dans l'intitulé de leur poste. Concrètement, vous faites quoi ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ça veut dire qu'on fait beaucoup de choses parce que, effectivement vous l'avez rappelé, le choix du président de la République et du Premier ministre, Edouard PHILIPPE, c'est que les secrétaires d'Etat puissent intervenir aux côtés des ministres de tutelle sur l'ensemble du périmètre. Ça veut dire que très concrètement, en tant que bras droit de Jean-Yves LE DRIAN, je suis amené à faire comme lui des relations bilatérales. J'étais il y a deux jours en Tunisie pour rencontrer le Premier ministre tunisien, évoquer justement cette transition démocratique et puis les sujets sécuritaires de la région, mais également il y a un certain nombre de dossiers sur lesquels je vais épauler plus particulièrement Jean-Yves LE DRIAN. Je pense au commerce extérieur, je pense à la francophonie, aux Français de l'étranger, au développement. Ce sont des sujets qui demandent aussi beaucoup de temps parce que, vous savez, le monde est vaste et on n'est pas trop de trois avec Nathalie LOISEAU à ses côtés également pour pouvoir porter la voix de la France à l'étranger.
ADRIEN GINDRE
Vous avez évoqué le développement. Il y a aussi des économies à faire. Rien que pour l'aide au développement, c'est 140 millions d'euros d'ici la fin de l'année. Vous avez entendu les ONG qui vous interpellent. Ces 140 millions par exemple, ça pourrait permettre à 1,4 million de personnes atteintes du VIH d'avoir accès à un traitement vital. C'est un des objectifs et des exemples qui étaient pris. Est-ce qu'il n'y a pas un souci ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Non mais vous savez, sur l'aide au développement, il nous a été demandé en crédit de paiement, donc c'est-à-dire en argent décaissé sur des projets concrets effectivement des économies de 116 millions d'euros. Mais même avec ces économies, on aura un budget qui est supérieur en 2017 à celui qu'il était en 2016. Et donc ce qui compte c'est la dynamique, et la dynamique c'est que les crédits d'aide au développement avaient beaucoup diminué au début du dernier quinquennat, et que là, on reste néanmoins sur une phase qui est une phase de croissance à nouveau. Emmanuel MACRON a fixé un objectif et l'objectif ça sera d'ici 2025 effectivement. Et donc petit à petit, il faut qu'on arrive à garder cette dynamique.
ADRIEN GINDRE
L'armée aussi doit faire des économies, 850 millions d'euros d'ici la fin de l'année. Hier dans Le Journal du Dimanche, Emmanuel MACRON a dit : « Si quelque chose oppose le chef d'état-major des armées au président de la République, le chef d'état-major des armées change. » On sait que Pierre de VILLIERS s'est montré très critique. Est-ce que dans la situation actuelle avec autant de soldats français engagés à l'étranger dans des terrains si importants, on peut se permettre un tel changement ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Moi je crois qu'il faut avoir en tête l'article 15 de la constitution française, notre règle fondamentale. Le chef de l'Etat est chef des Armées. Après, il y a un chef d'état major des armées, mais le chef des Armées c'est le président de la République, et il a montré son attachement d'ailleurs à l'engagement des femmes et des hommes qui sont projetés en opération extérieure en faisant son premier déplacement justement au Mali auprès de ces hommes et de ces femmes. Si vous voulez, il l'a dit, il a pris des engagements : 2 % du budget pour la défense en 2025.
ADRIEN GINDRE
On peut changer le chef d'état-major des Armées ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Le président de la République a dit que dès lors… Il l'a reconfirmé le 1er juillet dernier. Dès lors que le sens de la hiérarchie est respecté, il peut continuer son travail. C'est ce qu'il disait dans le JDD hier. Mais il faut savoir que l'article 15 de la Constitution prévoit bien que le chef des Armées c'est le président de la République, et que donc voilà, on doit s'en tenir, je crois, au fait que l'armée ne fait pas de politique. C'est mieux comme ça.
ADRIEN GINDRE
Tous les matins sur LCI on pose une question, la question off mais devant les caméras. C'est off, entre nous. Dites-moi, Jean-Yves LE DRIAN c'est votre ministre de tutelle. Il a perdu sa voix ? On ne l'entend pas, jamais.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Vous me l'apprenez.
ADRIEN GINDRE
Où il est passé Jean-Yves LE DRIAN ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Jean-Yves LE DRIAN, je peux vous dire que ce week-end, il oeuvrait justement pour la crise golfique. Il s'est déplacé dans les différents Etats de la région, aux Emirats, au Koweït, au Qatar.
ADRIEN GINDRE
Mais il n'en parle pas, il n'en parle jamais. Il a laissé la lumière au président ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Parce que les affaires de défense ou de diplomatie – il était précédemment ministre de la Défense – exigent aussi une certaine discrétion pour être efficaces. Et donc je crois qu'effectivement il n'est pas dans la prise de parole de façon excessive mais pour le bien des affaires qu'il conduit. Voilà, je crois qu'il faut lui en porter crédit.
ADRIEN GINDRE
Si un jour il veut parler, dites-lui qu'il est le bienvenu sur LCI. Merci beaucoup, Jean-Baptiste LEMOYNE, d'avoir été avec nous ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 juillet 2017