Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre sur la politique de défense et les missions de l'armée de terre, Canjuers le 5 octobre 1993.

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Circonstance : Déplacement de M. Balladur à Canjuers le 5 octobre 1993 pour une visite à l'armée de terre

Texte intégral

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Je suis heureux de rencontrer aujourd'hui l'Armée de terre, et de lui dire tout l'intérêt que je porte à ses activités, à un moment où elle vit un temps fort de sa très longue histoire. Notre armée est en effet confrontée simultanément à deux défis majeurs :
- le premier de ces défis consiste à conduire une réorganisation qui, par son ampleur, n'a pas de précédent depuis la fin des opérations en Afrique du Nord il y a trente ans ;
- le deuxième, c'est de faire face à un niveau d'engagement sur les théâtres extérieurs, qui n'avait - lui non plus - jamais été atteint depuis trente ans.
Armée de terre
Comme l'ensemble de nos forces - mais plus peut-être encore que les autres armées - l'Armée de terre est confrontée aux tensions, aux interrogations, aux défis qui traversent la société française toute entière. Facteur essentiel d'intégration, elle connaît - à travers la conscription - la nature et la richesse de notre tissu social.
La conjonction de ces défis met en lumière la part qui doit être accordée au changement et, parallèlement, celle qui revient aux valeurs permanentes de l'Armée de terre, à ses traditions et à son histoire. Ce sont ces deux thèmes que je voudrais brièvement évoquer devant vous.
Risques
Les nouvelles données de la situation internationale, sans cesse en mouvement depuis trois ans, nous ont amené à infléchir nos efforts ; à la posture essentiellement défensive adoptée pendant la guerre froide succède une stratégie qui laisse plus d'espace à l'action. A l'affrontement de jadis considéré comme probable unique et prévisible, a succédé le risque de crises plurielles, plus difficilement prévisibles, mais auxquelles nous devons nous préparer.
Réorganisation
Vous en avez déjà tiré des conséquences et, depuis plus de trois ans, vous vous êtes engagés dans une vaste réorganisation. Dans les dernières années, vous avez dû dissoudre plusieurs grandes unités des forces ; simultanément, les régiments étaient restructurés, et la durée du service militaire ramenée à dix mois, réduisant par contrecoup la disponibilité de nos forces.
Cette réforme a été très rapide. Elle a trouvé son terme provisoire dans les mesures annoncées au mois de mai dernier par le Gouvernement. Les décisions qui ont été prises n'étaient pas faciles à prendre. Je rends hommage à l'esprit d'ouverture et de rigueur avec lequel l'Année de terre a conduit ces changements. J'observe d'ailleurs que dans beaucoup de pays étrangers les mutations ont été extrêmement brutales et parfois plus rudes encore.
Défense (réflexion)
Mais il convient désormais de se donner le temps de la réflexion. C'est pourquoi j'ai veillé à ce que le budget du ministère de la Défense pour 1994 fournisse les moyens nécessaires à la stabilisation des effectifs.
À l'évidence, la diversité des conditions d'engagement et la complexité des moyens mis en oeuvre, toutes choses dont j'ai été le témoin ce matin, laissent peu de place à l'improvisation. Elles imposent l'articulation en groupements de forces équilibrés, la Force d'action rapide et le Corps blindé mécanisé, aptes à s'engager de manière autonome.
La souplesse d'emploi de nos moyens militaires, couplée à un encadrement qu'il faut renforcer, constitue en effet une exigence fondamentale d'adaptation à la situation du monde.
Livre blanc
La mission que j'ai confiée à Monsieur Marceau Long et à la Commission du Livre blanc permettra d'ailleurs d'orienter à cette fin l'évolution de l'ensemble de notre outil de défense. Je fais confiance à l'Armée de terre et à sa capacité d'innovation pour contribuer utilement à ces travaux.
Le Ministre d'Etat me rend compte régulièrement de leur évolution comme des mesures que vous continuez à prendre pour faire évoluer en permanence nos forces dans le nouveau contexte européen.
Corps européen
J'observe ainsi que la rapidité avec laquelle a été mis sur pied l'Eurocorps. dont l'état-major international commence à fonctionner à Strasbourg, montre l'aptitude de l'Armée de terre à intégrer les évolutions majeures de notre environnement. Ce corps européen est un signe supplémentaire de notre attachement à la construction de l'Europe, sous tous ses aspects. Mis sur pieds avec nos partenaires allemands, il voit se joindre à lui aujourd'hui des unités belges qui lui donneront sa vraie dimension européenne.
La capacité d'adaptation que j'évoquais est de surcroît imposée aux armées par l'évolution technique des matériels qu'elles mettent en oeuvre. La haute technologie a fait son entrée dans les équipements de l'Armée de terre. Cette évolution est sensible pour les matériels eux-mêmes, comme pour les réseaux qui assurent leur mise en cohérence.
La maîtrise de ces moyens complexes est difficile ; elle exige toujours davantage de la part des hommes chargés de les mettre en oeuvre, car il est vrai que les progrès techniques ne valent que par les personnels qui les servent. Leur compétence, la nécessité forte d'une formation professionnelle adaptée, sont autant d'atouts pour une carrière militaire que je souhaite attractive et valorisante pour ceux qui l'ont choisie.
Mais ce rôle premier dévolu aux hommes est une donnée essentielle et immuable dans l'histoire de l'Armée de terre ; son importance est aujourd'hui soulignée par tous nos engagements extérieurs. Sur chacun des théâtres où nous sommes engagés, la qualité humaine et professionnelle de nos soldats a fait l'admiration de tous.
Ce qui frappe en effet dans les engagements actuels n'est pas tant le poids des techniques que l'importance du comportement des hommes, dans les situations extrêmement diverses et souvent dramatiques qu'ils connaissent.
Mission des armées
Le monde bipolaire qui a été le nôtre jusqu'en 1989 nous avait conduit à adopter une stratégie simple et continue. Les missions que recevaient les armées étaient simples aussi. Celles qui sont les vôtres aujourd'hui, notamment au service de l'ONU, sont autrement plus complexes et plus difficiles, même si les risques potentiels paraissent moindres.
Ces missions requièrent des moyens, une organisation et des vertus toutes militaires en même temps que la prise en compte de la "dimension civile" des interventions. Elles mettent en relief la variété des modes d'action possibles pour imposer le droit et la paix face à la violence des factions.
Tous les témoignages recueillis par les membres du gouvernement et les parlementaires qui ont pu se rendre sur le terrain soulignent le dévouement, la compétence, la générosité, l'efficacité et la réussite de vos unités ; les témoignages qui m'ont été transmis par Monsieur le Ministre d'Etat sont confortés par ceux de nos alliés qui oeuvrent avec nous dans ces régions. Notre pays tout entier éprouve admiration et gratitude pour les hommes et pour les femmes engagés sur les théâtres extérieurs.
J'ai aujourd'hui une pensée toute particulière, faite de considération et de respect, pour les familles de ceux qui ont donné leur vie et pour vos camarades, vos frères d'armes, qui ont été gravement mutilés au cours de ces derniers mois. A travers leurs sacrifices, ce sont des milliers de femmes et d'enfants qui ont été sauvés, au Cambodge, en Somalie, et sur le territoire de l'ancienne Yougoslavie. Je mesure l'ampleur des efforts qui ont été consentis par les armées ; ils n'ont pas été vains. Ces sacrifices contribuent au rayonnement de la France, à son image dans le monde tout entier.
Service national
Les appelés du contingent ne sont pas absents de ces opérations. C'est à la lumière de ces constatations qu'il appartiendra au Gouvernement, le Livre blanc publié, d'apprécier quelle doit être l'évolution du service national. Il faut souligner que depuis 18 mois ce sont plus de 10 000 appelés qui se sont portés volontaires pour servir sur les théâtres extérieurs. C'est un motif de satisfaction pour notre pays que de voir des jeunes s'engager dans ces missions ; ils en acceptent le risque, car ils ont le sentiment que leur action est utile. Mais c'est aussi un motif de satisfaction particulier pour l'Armée de terre.
En effet, c'est pendant qu'ils effectuent leur service que la plupart de ces jeunes se portent volontaires. S'ils acceptent de partir, c'est parce qu'ils ont confiance dans ceux qui les encadrent, c'est par sympathie, par solidarité avec eux.
Commandement
J'y vois le signe de la qualité des relations de commandement et des rapports humains qui se tissent dans les unités. S'il est une tradition qui est - et doit être - maintenue dans l'Armée de terre, c'est bien celle de la qualité du commandement, de l'autorité juste qui s'exerce en donnant au subordonné la possibilité de pleinement s'épanouir, dans le cadre des principes du commandement et de la hiérarchie. Une armée vaut essentiellement, en effet, par la qualité de ses cadres ; ceux de l'Armée de terre accomplissent aujourd'hui avec un plein succès des tâches multiples et extrêmement difficiles, alors que leur nombre n'est pas toujours suffisant. Je tiens à les en féliciter. L'un des objectifs de la loi de programmation sera justement - dans un volet concernant les effectifs - de renforcer l'encadrement de nos forces au cours des 5 années de la loi.
Je demande aussi à ces cadres de garder confiance dans l'avenir. Les missions et les moyens des armées évolueront dans les années qui viennent, mais les cadres militaires, sous-officiers et officiers, ne doivent pas craindre cette évolution. Ils doivent au contraire la prévoir et la précéder. Et tout débat sur la défense - je demande au Ministre d'État d'y veiller - doit être nourri et enrichi par les réflexions de celles et ceux qui ont choisi cette vocation, dont nous savons bien, vous et moi, qu'elle est l'une des plus belles qui soient. Les tâches qu'ils se verront assigner demain seront plus diverses et plus riches que celles qu'ils ont assumées avec abnégation pendant la "guerre froide".
Défense
Le but premier et ultime de la Défense restera toujours d'assurer la survie de la Nation ; à ce titre, l'Armée de terre, par sa nature et par ses hommes, concourt efficacement, avec les autres armées, à garantir la défense de notre nation et de notre sol.
Mais notre sécurité ne se garantit pas uniquement sur notre territoire national ou à ses abords immédiats. Notre monde est plus "étroit" qu'hier. Au sein des Nations Unies et à la place éminente de membre permanent du Conseil de sécurité qui est la nôtre, nous sommes déterminés à agir en faveur d'un monde plus stable. Nous le faisons par la voie de la diplomatie; nous le faisons également par la voie des armes, dans le cadre de l'organisation des Nations-Unies et pour l'application du droit de la communauté internationale.
Au service de toutes ces missions, l'Armée de terre a un rôle majeur et irremplaçable à jouer. Pour continuer à faire face à ces tâches multiples, il lui faut conserver le sens du devoir, les vertus de discipline et d'abnégation, les capacités professionnelles et humaines, dont elle témoigne aujourd'hui en toutes circonstances.Le gouvernement lui accorde toute sa confiance et tout son appui. L'Armée de la République a besoin d'être comprise et respectée par la nation toute entière. C'est à quoi je m'emploie en vous rendant visite ici, à Canjuers, et en prenant en charge vos préoccupations. Le Gouvernement est attaché à votre réussite comme il est convaincu de la valeur et de la qualité de votre engagement, parce que cette réussite et cette valeur, ce sont celles de la France.