Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur le mécénat humanitaire et notamment le mécénat d'entreprise pour l'aide humanitaire, Paris le 15 avril 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Premier salon sur le mécénat humanitaire (Humagora), colloque sur le mécénat humanitaire, Paris le 15 avril 1994

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
J'ai été très sensible à l'invitation que vous m'avez adressée. C'est avec plaisir que j'ai accepté de prendre aujourd'hui la parole à l'occasion du colloque que vous avez décidé de consacrer au mécénat humanitaire.
Le développement continu de l'exclusion fait peser sur la cohésion sociale de notre pays une menace grave et immédiate. Aussi, la collectivité nationale ne doit-elle ménager aucun effort pour remédier à cette situation.
C'est un fait : les solidarités essentielles qui faisaient la force de notre société, sont aujourd'hui soumises à rude épreuve. L'urbanisation anarchique, la crise économique, l'aggravation du chômage, l'apparition dans les rues de nos cités de la nouvelle pauvreté : tous ces phénomènes se traduisent par l'affaiblissement des solidarités familiales, professionnelles ou de voisinage.
Un nombre croissant de nos compatriotes font face à des situations d'isolement. Pour les plus défavorisés d'entre eux, pour les moins bien armés, l'exclusion menace, sous toutes ses formes.
Nous savons tous que le chômage est la première des exclusions. Nous savons aussi que lorsque le chômage se prolonge, l'étape suivante est la perte du logement, symbole du glissement vers la pauvreté, de l'impossibilité de mener une vie familiale et sociale normale. Nous savons enfin que, trop souvent, la perte du logement est irréversible et que, de ce seul fait, des centaines de milliers de personnes ne peuvent pas, ne peuvent plus trouver dans la société la place qui leur revient.
En d'autres termes, l'exclusion n'est pas seulement un drame personnel pour ceux qui la subissent. Elle entraîne aussi un appauvrissement collectif considérable. L'isolement matériel et moral qui frappe un nombre croissant de Français est insupportable humainement. Il est inacceptable pour notre pays.
Il s'agit là, à n'en plus douter, de l'un des plus lourds défis que notre société ait à relever. Peut-être n'en a-t-elle pas encore pris totalement conscience.
C'est pourquoi je me réjouis que les initiatives de la nature de celle qui nous réunit aujourd'hui puissent être prises.
Le Gouvernement, en effet, est prêt à relever le défi, et il l'a montré. Mais l'action qu'il conduit ne sera couronnée de succès que si l'ensemble de la collectivité nationale est décidée à faire en sorte que la société française ne laisse personne sur le bord du chemin.
Gardien des valeurs de générosité et de solidarité qui font que notre pays est ce qu'il est, le Gouvernement ne peut réussir que s'il est aidé.
Depuis un an, les pouvoirs publics ont entendu lutter contre l'exclusion sur deux fronts : la prévention, les mesures d'urgence.
Prévenir l'exclusion, stopper la progression du chômage : telle est la priorité de l'action du Gouvernement.
A cette fin, une politique économique nouvelle a été mise en oeuvre. Elle passe par des mesures de soutien de l'activité et par des réformes du mode d'organisation du travail. Cette politique commence à porter ses fruits. La croissance est de retour. La progression du chômage se ralentit de manière très sensible.
Dans le même temps, l'action du Gouvernement consiste à conduire des politiques actives dans des secteurs essentiels pour le logement, pour la formation professionnelle, pour les personnes âgées, pour la famille.
Toutes les dispositions prises ou à prendre à ces titres répondent à un même souci : éviter que l'exclusion ne continue de se développer dans notre pays.
Naturellement, plus vite l'économie française renouera avec la croissance, plus vite ces mesures déploieront leurs effets.
Si importante soit cette action des pouvoirs publics, elle ne peut prétendre répondre aux situations de détresse qui se multiplient.
C'est pourquoi le Gouvernement s'est attaché à promouvoir une politique d'aide directe et indirecte aux personnes les plus touchées par l'exclusion.
Le plan d'urgence pauvreté-précarité a permis d'héberger, pendant la période d'hiver, les personnes privées de tout moyen de logement. Un programme exceptionnel de création de 10 000 places d'hébergement a été mis en place en Ile-de-France.
Par ailleurs, l'Etat a accru son aide aux associations caritatives et aux structures d'urgence, au premier rang desquelles les centres d'hébergement et de réadaptation sociale.
Enfin, le Gouvernement prépare activement un programme de lutte contre la pauvreté, qui sera présenté dans les prochaines semaines.
Il appartient en effet à l'Etat de coordonner les efforts de tous et de répondre à l'élan humanitaire qui se fait jour dans notre société et qui montre que notre pays demeure capable du meilleur.
Après avoir été presque exclusivement du ressort du milieu associatif, cet élan est devenu au fil des ans une préoccupation à part entière des pouvoirs publics, notamment à l'extérieur de nos frontières.
L'élan humanitaire a aussi gagné le monde universitaire. C'est pourquoi, nous y avons favorisé et soutenu, par exemple, la création d'enseignements de médecine humanitaire et de droit humanitaire, car la professionnalisation de ceux qui agissent en ces domaines est bien le meilleur garant de leur efficacité. Ces enseignements rencontrent un succès indéniable.
La volonté d'agir, jointe à l'esprit de générosité, se manifeste donc dans toute notre société.
Force est pourtant de constater que la générosité ne trouve pas toujours à s'exprimer faute d'interlocuteurs adéquats. Les uns ont en effet des idées, les autres ont l'expérience requise pour les mettre en oeuvre, d'autres encore ont les moyens financiers d'en assurer la réalisation, mais l'ensemble de ces conditions est cependant rarement réuni.
Trop de projets généreux sont ainsi morts-nés, faute d'avoir pu concilier la volonté d'agir et les moyens d'accomplir. Il reste donc à favoriser le dialogue entre tous ceux qu'anime l'esprit humanitaire.
C'est dans cet esprit que, depuis son installation, le Gouvernement a amorcé et développé un dialogue fructueux avec les principaux acteurs du mouvement humanitaire. J'ai moi-même reçu à plusieurs reprises des associations humanitaires et j'ai pu constater, à cette occasion, leur besoin de dialogue et de concertation. C'est pourquoi, le Gouvernement a décidé de mettre en place une commission consultative de l'action humanitaire qui permettra de réunir tous ceux qui concourent à l'action humanitaire de la France, afin de faciliter et d'améliorer encore ce dialogue et cette concertation. Des initiatives et des actions communes sont prises, pour que l'expérience des uns et l'action du Gouvernement fassent l'objet d'échanges réguliers.
Enfin, et votre présence ici l'atteste, cet élan humanitaire a gagné le secteur de l'entreprise. Nombreux sont ceux qui, dans leur milieu professionnel, souhaitent désormais participer à ces initiatives.
C'est chose faite avec ces premières rencontres internationales des partenaires de l'action humanitaire. Elles doivent permettre au monde associatif et au monde de l'entreprise de se rencontrer, de mieux se connaître et d'unir leurs efforts.
Les années 90 seront les années du mécénat humanitaire. Nous avons toutes les raisons de le croire en voyant la mobilisation de toutes les personnes présentes ainsi que l'intérêt que suscite cette manifestation dans le public.
L'énergie et la générosité manifestées par tous sont au diapason de la politique suivie par les pouvoirs publics dans le domaine humanitaire. Bien entendu, beaucoup reste à faire. Il convient notamment de donner plus de moyens d'action à ceux qui sont en mesure de répondre aux situations de détresse. Il faut aussi accroître le professionnalisme de ceux qui souhaitent faire de l'action humanitaire leur métier.
N'oublions pas en effet que pour beaucoup de jeunes, l'engagement humanitaire n'est pas seulement justifié par un désir d'action ou par le pur souci de réaliser un idéal. Souvent, il représente aussi l'occasion d'entrer dans la vie professionnelle par la grande porte, j'allais presque dire la porte la plus noble. Il faut donc favoriser l'engagement humanitaire, même temporaire, de tous ceux qui y aspirent. Ainsi par exemple, et je m'adresse plus spécialement aux chefs d'entreprise, pourquoi cet élan de générosité ne serait-il pas pris en considération dans le cadre de mesures sociales et d'emploi ? Pourquoi ne pas valoriser l'engagement humanitaire des demandeurs d'emplois dans les procédures de recrutement des entreprises ? Ne pourrait-on pas envisager un "congé humanitaire" rémunéré et sans pénalisation de carrière ? Pourquoi ne pas intégrer des activités humanitaires dans les plans sociaux ou de reconversion ? Toutes les hypothèses méritent, je crois, d'être examinées. En tout état de cause les pouvoirs publics encourageront les initiatives et les propositions utiles que vous ne manquerez pas de formuler.
Les principales forces vives du réseau humanitaire français sont ici rassemblées. Il nous appartient de conjuguer nos efforts pour renforcer ce réseau et accroître son dynamisme. Chacun d'entre nous, entrepreneurs, associations, bénévoles, représentants des pouvoirs publics, nous possédons un certain savoir faire. Nos compétences respectives ne se concurrencent pas, mais bien au contraire, se complètent si nous nous donnons la peine de nous rapprocher et de travailler en commun. L'enjeu est de garantir au réseau de solidarité français une place de premier rang.Je tiens à exprimer la gratitude du Gouvernement envers toutes les personnes qui ont pris l'initiative de cette rencontre. Je souhaite que, tous ensemble, nous puissions unir nos efforts pour faire en sorte que notre société devienne ou redevienne plus humaine et plus soucieuse de la dignité de chacun.