Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les efforts en faveur du commerce extérieur, à Jouy-en-Josas le 29 août 2017.

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Circonstance : Séance plénière "Quelle équipe de France pour conquérir le monde ?" de l'université d'été du MEDEF, à Jouy-en-Josas le 29 août 2017

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Q - Monsieur Jean-Yves Le Drian, vous conduisez les affaires européennes, les affaires étrangères et vous êtes en charge de conduire l'équipe de France à l'étranger. Ces jours-ci, nous sommes à un moment un peu historique, jeudi prochain, il se passera quelque chose de très attendu notamment ici avec le Code du travail, et peut-être aussi attendu par les dirigeants à vos côtés.
R - J'ai un peu d'expérience de l'équipe de France à l'exportation car, dans une vie antérieure, il m'est arrivé de vendre certaines petites choses à l'étranger - dans le genre aviation ou sous-marins - j'en ai tiré quelques leçons. Je le dis ici devant vous, je compte faire en sorte que les leçons que j'ai pu tirer de cette expérience de vendeur puissent être généralisées, d'une certaine manière, à l'ensemble des activités à l'exportation. Nous avons quand même un problème. En effet, notre déficit de biens et de services est considérable et nous ne pouvons pas rester comme cela, quelque chose «cloche». Peut-être y reviendrons-nous, mais on ne peut pas faire comme si tout allait bien.
J'en reviens à mon expérience de vendeur. Le contrat le plus significatif n'est pas celui des Rafales, mais plutôt celui des sous-marins en Australie qui est le plus récent, d'autant plus que c'est le plus gros contrat jamais passé - 34 milliards d'euros - et c'était un contrat sur lequel la France n'était pas attendue, puisque nous étions considérés comme les derniers dans la concurrence avec le Japon et avec les Allemands. Nous avons gagné à la surprise générale.
Qu'est-ce que je retiens comme leçon de cette opération dont les effets vont être considérables, y compris pour vous tous, avec la présence de la France dans cette partie du monde qui est très porteuse en ce moment ? Je retiens tout d'abord qu'il faut avoir un bon produit, mais je pense que chacun le dit, et que nous n'avons peut-être pas suffisamment la fierté des produits que l'on vend. Avoir un bon produit made in France, robuste, reconnu, efficace, de haute technologie et d'un grand savoir-faire, je pense que cela existe, mais dans le cas précis, il fallait le croire et en être convaincu. Il faut donc être convaincu de ce que l'on veut faire et avoir la fierté de ce que l'on a comme production.
Par ailleurs, il faut faire en sorte de répondre à la demande du client. Je pense que c'est un principe de base dans le commerce, mais dans le domaine particulier dont je fais état, ce n'était pas toujours le cas parce que souvent, le principe était de dire que le client ne comprend pas que son intérêt n'est pas de faire ce qu'il souhaite mais de prendre le produit qu'on lui offre, parce qu'il est meilleur que ce qu'il pense. Eh bien non. Répondre à la demande du client, c'est ce que nous avons fait.
Enfin, il faut agir dans une unité d'actions. Dans ce type de marchés, mais il y en a d'autres qui ne sont pas uniquement militaires, y compris dans le numérique, dans les infrastructures, dans les grands chantiers ou dans l'énergie, ce sont des chantiers énormes qui supposent une discussion, souvent d'État à État. Il faut donc avoir une unité d'actions, c'est-à-dire, faire agir l'industriel, faire agir l'État, faire agir l'ambassadeur ou le ministre à des moments précis et en fonction d'un plan d'action commun, ce qui ne tombe pas sous le sens.
Depuis que je suis dans mes nouvelles fonctions, je connais des endroits où des Français sont concurrents sur un même marché qu'ils vont perdre, et en plus qui ne chassent pas en meute. Ce sont des habitudes à prendre. Peut-être est-ce le rôle de l'État, mais cela peut aussi être le rôle d'autres acteurs. Faire en sorte qu'il y ait ce minimum de discipline. Sinon on perd, parce que les autres ne fonctionnent pas ainsi. Dans ce domaine-là, mais peut-être dans d'autres, il faut également veiller à la discrétion, et ne dire que l'on a gagné que lorsque le client l'a déclaré lui-même. Sinon, on risque d'avoir beaucoup d'inconvénients pour l'avenir.
Voilà quelques leçons que je retire, cela a fonctionné et cela peut continuer ailleurs, sous réserve de ces conditions-là. La fierté, la conviction, l'esprit de meute, la discrétion : on ne fête la victoire que lorsqu'elle est là.
Q - Merci Monsieur Le Drian pour ce beau programme. Vous donnez là une feuille de route assez serrée, très cadrée ; on voit que vous sortez du ministère de la défense et que vous avez en effet réussi à décrocher de très gros contrats. Par quoi cela passe-t-il ? Allez-vous demander à tous les patrons qui sont devant vous un peu plus de discipline, allez-vous leur demander de chasser en meute ?
R - Je ne suis qu'au début de mes réflexions, elles ne vont pas durer très longtemps. Tout à l'heure vous parliez de feuille de route à venir jeudi par le Premier ministre, il y en a une autre déclarée ce matin par le président de la République concernant la diplomatie économique. C'est une feuille de route importante que je vous conseille d'écouter et de lire. Il est de ma responsabilité de la mettre en oeuvre, sans doute faudra-t-il réorganiser un certain nombre de dispositifs.
J'ai bien entendu M. Jean-Dominique Senard faire référence à son expérience territoriale, j'en ai également une assez ancienne qui m'a permis de travailler aussi avec des entreprises à l'exportation. Je pense qu'il faut séparer plusieurs choses que je vais exposer rapidement en quatre points.
Tout d'abord, concernant les grands contrats, les grands chantiers, les grandes opérations, j'en ai évoquées quelques-unes tout à l'heure, il faut selon moi procéder de la même manière que celle que nous utilisions pour les contrats défense. La même discipline, la même organisation, la même volonté et le même soutien collectif, chacun jouant sa partition avec une stratégie bien élaborée. Je le dis pour tous ceux qui sont ici, mais cela concerne surtout les grands groupes d'une manière générale. Cela veut dire aussi qu'il faut, dans le cadre de la diplomatie économique dont j'ai la charge, apprécier les situations géopolitiques sur lesquelles le ministère dont j'ai la responsabilité peut avoir des informations parce que nous sommes, nous le savons bien, dans un monde d'une très grande instabilité et d'une très grande imprévisibilité. Les tentatives de régulations qui se sont mises en oeuvre pour que chacun parlent à peu près le même langage, que les normes s'identifient, que l'on connaisse à peu près quelle est la réalité d'un marché, ne sont pas abouties. Aujourd'hui, elles sont parfois même en train de tomber, ne serait-ce que par la position des États-Unis qui prennent maintenant plutôt une logique de repli. Il faut donc apprécier les situations, je parle toujours des grands contrats. Très concrètement, au Moyen-Orient par exemple où la situation est très compliquée, et ensuite, sur ces grands contrats, chasser de la même manière que sur les contrats de défense. J'y suis prêt. Ce n'est pas uniquement une déclaration ici, il ne suffit d'ailleurs pas que le ministre se déplace une fois. Dans mon mandat précédent, je suis allé 14 fois aux Émirats-Arabes unis, 15 fois au Qatar, 10 fois en Égypte, 4 fois en Australie, mais cela donne des résultats. On ne peut pas ne faire qu'un coup, il faut de la durée dans l'action.
Je suis prêt pour agir ainsi sur les grands contrats dont plusieurs sont en gestation aujourd'hui.
Puis il y a le reste. C'est le fait que nous n'avons, dans les PME et ETI, qu'un nombre limité d'entreprises à l'exportation : 125.000. Nous sommes derrière l'Italie, et nous sommes derrière l'Allemagne. Nous avons du retard et je pense qu'il y a plusieurs raisons à cela.
Il y a d'abord je crois, mais je suis moins bien placé que vous tous pour le dire, une certaine forme d'appréhension à l'exportation qui est peut-être psychologique. Il faut y remédier et surtout, il faut avoir au point de départ, pour l'entreprise sur son territoire une entrée unique. Il y a de nombreux partenaires et tout le monde s'en occupe en fait. Et lorsque tout le monde s'en occupe, personne ne s'en occupe. Je souhaite vraiment, et je travaillerai dans ce sens, que sur les territoires, sur les régions, il y ait, pour l'exportation des PME et des ETI, une entrée unique avec les moyens d'agir. Cela ne veut pas dire une discipline militaire, mais cela veut dire que dans un seul lieu, on aura toutes les informations, tous les chemins à suivre pour une initiative à l'exportation que l'on voudra mener.
Disant cela c'est simple, mais la transformation ou la refondation, suppose de vaincre des corporatismes divers et variés, y compris mais pas uniquement dans le patronat. C'est vrai chez les élus et dans tous les organismes qui s'intéressent de près ou de loin à l'exportation. Si on ne fait pas cela, nous passerons à côté et en tout cas, je vais m'y employer. C'est la même chose à l'arrivée, car si la dispersion est au rendez-vous, on ne peut pas chasser en meute et on ne peut pas faire les interventions nécessaires sur tel ou tel marché et de manière cohérente.
Je souhaite la simplification, la transparence, la limpidité de l'action et l'efficacité des opérations d'un bout à l'autre : guichet unique à l'entrée et à la sortie.
Après, il faut désigner qui fait quoi à l'intérieur de tout cela. C'est mon job mais pas uniquement le mien, on peut même diversifier. On ne peut pas avoir la même solution en Azerbaïdjan qu'en Chine, mais il faut le même dispositif, la même incitation.
J'en terminerai en vous disant qu'il faut aussi un dernier aspect qui est l'appréciation par famille, par grande filière, des potentialités d'exportation, des cibles possibles sur l'ensemble mondial. Concernant les PME, cette appréciation ne peut se faire que dans un échange fructueux et régulier entre mon ministère et les branches et filières concernées, que ce soit l'agro-alimentaire ou la santé - je n'en ferai pas l'énumération - pour avoir régulièrement un point et une stratégie par filière. Si l'on réunit tout cela, nous aurons je pense un peu avancé.
J'ai compris ce matin que le président de la République voulait que je rende ma copie avant la fin de l'année, j'y serai obligé et je le ferai en concertation avec vous. Pour finir, je rappelle que l'ambassadeur de France que nous avions en Australie, M. Christophe Lecourtier, est devenu le directeur général de Business France. Il sera un élément de ce que l'on a fait par le passé et peut-être d'incitation pour l'avenir. Business France sera présidé par l'un de vos pairs, M. Cagni. Ce sera aussi des éléments qui permettront d'être plus performants à l'exportation. Nous avons à prendre toute notre place. Il faut que l'on dise que la France est de retour, à l'exportation.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 septembre 2017