Texte intégral
ELIZABETH MARTICHOUX
Bonjour Jean-Yves LE DRIAN.
JEAN-YVES LE DRIAN
Bonjour.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous vous exprimez extrêmement rarement, donc merci d'avoir choisi RTL au lendemain de la fin de la Semaine des Ambassadeurs que vous avez organisée et présidée. Vous étiez avant cela en Irak le week-end dernier pour traiter, entre autres, de la question épineuse des djihadistes français. A mesure que Daesh perd du terrain et ça a été encore le cas hier d'ailleurs, on en parlera peut-être certains sont ou peuvent être arrêtés. Ils seront renvoyés en France ou jugé sur place ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Lorsque des combattants français sont arrêtés par des forces irakiennes, c'est qu'ils ont combattu contre l'Irak. Les combattants français sont des combattants qui font partie de Daesh, qui font partie de l'armée terroriste de Daesh, comme les autres. Pas plus, pas moins. Et à partir du moment où les forces irakiennes arrêtent des combattants français ils doivent être jugés par la justice irakienne. Ils ont agressé l'Irak, ils ont combattu. Quand on va à Mossoul ce n'est pas pour faire du tourisme, donc ils doivent être jugés par les éléments de justice irakiens avec néanmoins le suivi du Consulat de France, qui le fait aujourd'hui pour quelques cas qui sont identifiés.
ELIZABETH MARTICHOUX
On parle de 6 à 700 djihadistes français en Irak, combien sont mineurs parmi eux ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Non, dans les 600-700 dont on parle ce sont des combattants avec des hommes et des femmes. Il peut y avoir des enfants mais ces enfants ne sont pas soumis pénalement.
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors en plus il y a les enfants qui sont mineurs. Qu'est-ce qu'ils deviennent ces enfants ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y en a très peu qui sont aujourd'hui retenus d'une certaine manière, très peu. Si le cas intervient, ce qui est effectivement aujourd'hui le cas pour trois ou quatre d'entre eux, en très bas âge, ils relèvent de la Convention internationale des droits de l'enfant et donc ils ne sont pas soumis eux à la justice irakienne et dans ce cas-là notre action c'est au cas par cas pour essayer de les faire revenir et de les placer dans des établissements spécialisés. Mais c'est très faible.
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est quelques cas qui reviennent
.
JEAN-YVES LE DRIAN
Ça peut arriver y compris sur les combattants, mais ça peut être aussi des combattantes.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et des combattantes qui sont retenues sur place, les combattantes. Il y a des femmes
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y a aujourd'hui des combattants français, un cas en particulier, une combattante qui a été arrêtée, mais c'est une combattante donc elle va attendre
ELIZABETH MARTICHOUX
Elle a des enfants elles ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Et donc il faut traiter le cas de ses enfants. Nous nous y employons.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et vous les faites revenir et vous les confierez si c'est possible
JEAN-YVES LE DRIAN
On va essayer de le faire à des instances spécialisées. Ça ne concerne que les enfants.
ELIZABETH MARTICHOUX
Selon le CANARD ENCHAINE de ce mercredi vous seriez très optimiste sur une fin prochaine des combats, de la guerre en Irak, contrairement à l'état d'esprit des militaires ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Mais non. Daesh est en train d'être battu en Irak. J'en reviens, j'ai pu le constater. Daesh est en train d'être battu parce que Mossoul est tombée ; Daesh est en train d'être battu en Irak parce que à Tal Afar, qui était un autre lieu de leur regroupement, la ville est tombée, parce que les forces irakiennes et les forces kurdes sont en train de reprendre l'ensemble du terrain. Il reste encore quelques poches. Nous sommes en Irak dans la préparation de l'après-Daesh. Et si je m'y suis rendu c'est parce que aujourd'hui les thèmes dont nous parlons c'est réconciliation, stabilité, reconstruction ; et nous en parlons avec le Premier ministre irakien monsieur AL-ABADI, parce qu'il va y avoir des élections en Irak, et il importe maintenant que Daesh est éliminé, est en train d'être éliminé, de faire en sorte qu'en Irak on retrouve une certaine sérénité qui passe par le respect des différentes communautés qui font partie de l'ensemble irakien. Et je crois que c'est la position du Premier ministre irakien, que nous soutenons dans cette démarche, mais il importe que la Communauté internationale soit au rendez-vous, et en particulier au rendez-vous de la reconstruction, au rendez-vous humanitaire, au rendez-vous des réfugiés, parce que si nous le faisons pas, alors il peut y avoir d'autres résurgences, d'autres formes de terrorisme ; c'est pas la première fois en Irak, donc c'est une occasion extraordinaire, exceptionnelle qu'il ne faut pas rater.
ELIZABETH MARTICHOUX
La Syrie, il faut construire la paix avec Bachar EL ASSAD ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Non. On ne peut pas construire la paix avec Bachar EL ASSAD.
ELIZABETH MARTICHOUX
Il est au pouvoir, contrairement à la doctrine française que vous ne partagiez pas je crois
.
JEAN-YVES LE DRIAN
La différence de situation entre l'Irak que je viens d'expliquer et la Syrie, en Syrie aussi Daesh va être battu, c'est plus long mais nous sommes dans le cheminement de cette victoire contre ces forces terroristes. C'est le cas en particulier en ce moment à Raqqa où progressivement celles qu'on appelle les forces démocratiques syriennes, les FDS, avec le soutien de la coalition, avec notre soutien, sont en train de reprendre la ville et l'environnement de la ville. Il reste encore des poches, ce n'est pas fini, mais à terme je n'ai pas fixé de date, on ne peut jamais fixer de date dans les combats c'est d'ici la fin de l'année, dans quelques mois, au printemps. En tout cas Daesh sera éliminé. Et alors en Syrie, alors qu'il y avait deux guerres, une guerre contre Daesh et une guerre civile, maintenant il n'y aura plus qu'une guerre ; et donc la question politique désormais se pose.
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce qu'on va devoir, je vous repose ma question, vous m'avez dit non, mais est-ce qu'on va devoir admettre que l'après-guerre, la réinstauration de la paix se fasse avec Bachar EL ASSAD, comme on a dit admettre finalement que la guerre se poursuive avec lui au pouvoir ?
JEAN-YVES LE DRIAN
La différence de situation c'est que nous serons désormais face à un seul conflit, et donc on ne pourra plus argumenter sur qui aide qui et comment est-ce qu'on fait pour combattre l'ennemi principal, qui était notre ennemi, qui était Daesh, parce que c'est Daesh qui nous a attaqué directement sur notre sol. Comment est-ce que l'on peut mener la transition politique ? C'est ça la question qui est posée.
ELIZABETH MARTICHOUX
La question qui est posée c'est qui peut faire partir Bachar EL ASSAD ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Le président de la République a fixé d'abord un certain nombre de lignes rouges autour desquelles doivent se retrouver tous ceux qui veulent trouver une solution politique, en particulier les grandes puissances. Je pense à l'interdiction des armes chimiques, je pense à la nécessité de faire en sorte que l'aide humanitaire arrive pour toutes les populations civiles, je pense à la nécessité du cesser le feu dans toutes les zones et à la nécessité de lutter contre toutes les formes de terrorisme interne, parce qu'il n'y a pas que Daesh
ELIZABETH MARTICHOUX
Si ces lignes rouges sont écartées.
JEAN-YVES LE DRIAN
Ceux qui sont d'accord avec ça - je pense à la fois aux pays de la région, mais je pense aussi aux puissances du Conseil de sécurité, aux membres permanents du Conseil de sécurité - ceux qui sont d'accord avec ça doivent se retrouver, doivent se regrouper pour proposer qu'un groupe de contacts, ce qu'on appelle un groupe de contacts en terme diplomatique c'est-à-dire le pays qui veulent bien avancer dans cette direction se retrouvent et puissent imposer une transition politique qui passera par une nouvelle constitution et par des élections. C'est ça le sujet. C'est ce que nous voulons faire maintenant avant même que l'on dise « il faut que Bachar s'en aille », on fait ça indépendamment, parce que si on attend que les Syriens se mettent d'accord entre eux, on va attendre très longtemps et il y aura encore des milliers de morts.
ELIZABETH MARTICHOUX
Pour être clair, qui peut faire partir Bachar dans le cadre du processus que vous dites, ce sont les puissances mais ce sont les Russes
JEAN-YVES LE DRIAN
Ce sont les puissances, ce sont les membres du Conseil de sécurité, regroupés avec les pays majeurs de la région qui trouvent une voie qui doit s'imposer aux acteurs syriens. C'est le moment de le faire. C'était très difficile de le faire avant parce qu'il y avait ces deux combats en même temps. Aujourd'hui il y a une clarté et donc il faut aboutir à cette solution. Je m'y emploie, c'est le président de la République qui a souhaité que je fasse les démarches nécessaires en ce sens. Au moment de l'Assemblée générale des Nations Unies, qui va se tenir dans dix jours, la question sera abordée avec les grandes puissances c'est-à-dire aussi avec les Russes.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ce que vous dites c'est que la doctrine française, puisque c'est vous qui la défendez, vous voulez jouer un rôle, la doctrine française c'est que Bachar EL ASSAD ne soit plus, une fois tout ce processus
JEAN-YVES LE DRIAN
Il ne peut pas être la solution !!
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais quelle est la solution pour le faire partir ? Vous l'avez dit, mais quel est l'acteur ?
JEAN-YVES LE DRIAN
La solution c'est de trouver avec l'ensemble des acteurs, dont je viens de parler, un calendrier de transition politique qui permettra d'aboutir à une nouvelle constitution et à de nouvelles élections qui permettront d'assurer la transition. Et cette transition elle ne peut pas se faire avec Bachar EL ASSAD qui a assassiné une partie de son peuple et qui a amené plusieurs millions de Syriens à quitter son territoire, on ne voit pas comment on va dire à ces Syriens-là « vous allez revenir mais c'est toujours Bachar », ça ça ne marche pas.
ELIZABETH MARTICHOUX
Va-t-on rouvrir notre ambassade à Damas ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ce n'est pas à l'ordre du jour.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ce n'est pas du tout une option sur la table ? Pas du tout.
JEAN-YVES LE DRIAN
Ce n'est pas le sujet principal.
ELIZABETH MARTICHOUX
Faut-il avoir peur de la Corée du Nord, puissance nucléaire, qui envoie des missiles survoler le Japon ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui. Là la situation est très grave, et on en parle, je trouve, assez peu. Parce que qu'est-ce qui se passe dans cette partie du monde ? Ou d'une manière générale ? Le XXème siècle a apporté à la sécurité mondiale deux éléments importants, après toutes les guerres. Le premier élément c'est l'interdiction de l'usage de l'arme chimique et de l'arme biologique pour tout le monde. Et deuxièmement, la non prolifération du nucléaire. Ça veut dire : ceux qui ont l'arme nucléaire ok vous l'avez mais vous allez commencer à descendre. Et ceux qui ne l'ont pas, il ne faut pas l'avoir parce que la prolifération c'est un danger pour l'ensemble de la sécurité du monde. Et aujourd'hui on voit l'Iran qui était susceptible d'accéder à l'armée nucléaire, qui a signé un accord important sur lequel la France, Laurent FABIUS en particulier, s'est beaucoup battu, et qui évite cette dérive et cette prolifération ; et on voit une Corée du Nord qui se fixe comme objectif d'avoir demain, sans doute après demain, à la fois l'arme nucléaire, mais aussi missiles permettant de transporter l'armée nucléaire. Ils ne l'ont pas encore, mais ils font des essais en permanence pour dire « attention ça va venir ». Et ça c'est insupportable.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ils l'ont presque.
JEAN-YVES LE DRIAN
Pas tout à fait, mais dans quelques mois
ELIZABETH MARTICHOUX
On en est sur ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Dans quelques mois cela sera une réalité, et à ce moment-là lorsque la Corée du Nord aura les moyens de toucher par l'arme nucléaire les Etats-Unis, voire même l'Europe, en tout cas au moins le Japon et la Chine, alors la situation sera explosive. C'est pourquoi il faut anticiper. Il y a eu une résolution des Nations-Unies que la France a votée pour mettre en place des sanctions à l'égard de la Corée du Nord ; il faut que la Corée du Nord retrouver le chemin de la négociation. Je me suis entretenu hier avec mon collègue chinois sur ce point, la Chine est aussi inquiète
ELIZABETH MARTICHOUX
La Chine qui est le pays clé avec Donald TRUMP pour
JEAN-YVES LE DRIAN
Le pays clé il faut qu'il puisse si je prendre un terme militaire à la manoeuvre diplomatique pour faire en sorte que
ELIZABETH MARTICHOUX
Elle est ambigüe la Chine ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Elle est à la fois inquiète, elle a voté les sanctions, elle est le partenaire principal. Le ministre chinois m'a indiqué hier qu'il allait vraiment faire en sorte que les sanctions soient respectées ; et si les sanctions récentes sont respectées ça veut dire que la Corée du Nord pourra difficilement exporter. Mais il faut trouver les voies d'une négociation et en particulier avec l'appui des cinq membres permanents du Conseil de sécurité dont la Chine et la Russie.
ELIZABETH MARTICHOUX
« Emmanuel MACRON a des rêves de grandeur, il vise une présidence héroïque, il ambitionne pour la France qu'elle permette - je cite Le Point de cette semaine - à l'Europe de devenir le leader du monde libre ». Vous appréciez ce lyrisme ? Vous appréciez le style MACRON ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Moi je me sens bien avec cet homme-là, si je peux me permettre cette expression. Il a une stratégie, il a une vision, il a aussi beaucoup de détermination, et ce qui me frappe le plus dans mes déplacements c'est que cette élection un peu inattendue ce tsunami politique que nous avons vécu, et l'apparition de ce leader jeune comme président de la République, a un effet considérable pour l'image de la France dans le monde. Et donc du coup ça lui permet une capacité d'initiative très forte, qu'il a pu mettre en oeuvre récemment lorsque lundi dernier il réunit autour de lui à la fois la Chancelière, le président italien, espagnol, et des présidents africains pour poser la question des migrations. Il le fait sur son image et sur la force de ce qu'il représente. Donc la donne a changé. Et ce qui lui donnera d'autant plus de force de faire en sorte que l'Europe puisse réfléchir à sa refondation.
ELIZABETH MARTICHOUX
L'Europe qui effectivement est beaucoup plus présente, comme enjeu politique, dans le discours d'Emmanuel MACRON précédemment. Jean-Yves LE DRIAN vous êtes aussi heureux au Quai d'Orsay qu'à la Défense ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je pense que je vais l'être oui. Aujourd'hui je prends mes marques mais je sors de ce qu'on appelle la Semaine des Ambassadeurs où j'ai réuni depuis le début de la semaine tous nos Ambassadeurs dans le monde, c'est une force et un atout considérables
ELIZABETH MARTICHOUX
« Je pense que je vais l'être », c'est pas un oui massif ? Ce n'est pas un oui enthousiaste ?
JEAN-YVES LE DRIAN
On ne l'est que lorsqu'on a fini !! Moi j'ai passé cinq ans à la Défense, lorsque vous m'auriez interrogé au bout de trois mois je vous aurais dit « je pense que je vais l'être ». Mais à la fin je dis « oui je l'ai été ». Je pense aussi que ce sera le cas au Quai d'Orsay parce que c'est une aventure formidable et j'ai grand plaisir à servir la France dans cette mission.
ELIZABETH MARTICHOUX
Un tout petit mot encore, vous connaissez très bien les militaires, on sait, qui ont beaucoup apprécié votre tutelle, est-ce que le conflit entre le président et le Général De VILLIERS a été une tempête dans un verre d'eau ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il n'y a pas de conflit !!
ELIZABETH MARTICHOUX
Si, il y a eu une démission tapageuse et spectaculaire.
JEAN-YVES LE DRIAN
Il ne peut pas y avoir de conflit. Il y a un chef des Armées qui est le président de la République, qui fixe la ligne. Si on n'est pas d'accord avec lui on en tire les conséquences.
ELIZABETH MARTICHOUX
Il n'a pas été là autoritariste, si vous me permettez
JEAN-YVES LE DRIAN
Moi je reste très arque bouté sur la hiérarchie qui existe au sein de l'Etat, et sur la force du pouvoir du président de la république. C'est comme ça.
ELIZABETH MARTICHOUX
Jean-Yves LE DRIAN, ministre presque complètement dans ses marques au Quai d'Orsay, ministre des Affaires étrangères, de l'Europe, du Tourisme, du Commerce extérieur était notre invité ce matin. Merci beaucoup Jean-Yves LE DRIAN.
JEAN-YVES LE DRIAN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 septembre 2017