Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, à RFI le 24 septembre 2001, sur la possibilité d'une intervention américaine en Afghanistan, la lutte contre le réseau Al Qaida et l'éventualité d'une intervention française à partir de Djibouti

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Dans la nuit, votre collègue américain M. Rumsfeld a tenu une conférence de presse. Il ressort qu'il y a effectivement des survols d'avions d'observation sans pilote, des drones, actuellement en Afghanistan et qu'il pourrait y avoir aussi un appui plus important au maquis anti-taliban du Nord de l'Afghanistan. Alain Richard, est-ce que les hostilités ont commencé ?
Non. Le travail des drones, comme vous le sous-entendez, c'est un travail d'observations et de repérages. Parmi les hypothèses d'actions sur lesquelles travaillent les Etats-Unis et sur lesquelles nous sommes les uns et les autres amenés à réfléchir, il y a en effet une action qui permettrait de mettre fin aux bases que détient le groupe Al Qaida, le groupe de Ben Laden dans toute la partie est de l'Afghanistan. Evidemment, si l'on veut agir juste il faut faire le maximum de repérages. C'est ce qui est en train de se produire.
Et cela préjuge peut-être ensuite d'opérations au sol ?
Non, c'est un préparatif. Il y a eu 7000 morts décidés de sang froid et nous n'avons pas de raisons de penser que ce groupe d'assassins a décidé définitivement de s'en tenir là. Nous avons donc une vraie responsabilité, les uns et les autres : apprécier la portée de ce danger criminel et agir contre. Autrement dit, il faut travailler sur toute une gamme de moyens de réponses et je pense en particulier, dans nos démocraties, en Europe, aux moyens policiers, c'est-à-dire faire un travail encore plus intense de détection des préparatifs et des organisations à but terroriste. Mais il faut bien aussi s'attaquer au centre parce que c'est de lui que viennent les ordres de morts.
A-t-on la certitude aujourd'hui qu' Oussama Ben Laden est impliqué dans ce qui s'est passé?
Non seulement nous avons beaucoup d'indices qui conduisent dans ce sens et nous nous les échangeons entre partenaires internationaux, mais pour être tout à fait franc, on ne voit aucun début de signe selon lequel un autre groupe pourrait être impliqué.
Vous venez de le dire à l'instant, est-ce que la réponse à ce qui s'est passé aux Etats-Unis n'est pas davantage policière, police financière incluse, que strictement militaire ?
Je crois qu'il faut agir sur les différents tableaux. Cette organisation meurtrière a tout de même un centre névralgique, qui a des moyens importants, avec une petite force armée et il faut y mettre fin.
Mettre fin à cette force armée, cela voudra dire à un moment donné peut-être aller la combattre en Afghanistan. Quels sont les risques ?
Les risques existent comme dans toutes les actions. Il y a des politiques sans chance, il n'y a pas de politique sans risques et il faudra se protéger entre deux choses principalement: d'une part, les effets de rebond d'une telle action peuvent entraîner des sources de conflit dans la région, dans la région d'Asie centrale et d'Asie du sud. D'autre part, il faudra évidemment, si c'est bien le choix d'action qui est retenu, parce qu'on est encore assez loin des choix, que cette action soit retenue dans l'emploi de la force de manière à n'atteindre que les gens visés.
Cela veut dire à ce moment-là des combats sur le terrain très précis contre ces quelques 5000 personnes ?
Je n'emploie pas ce chiffre, parce que nos renseignements ne sont pas assez complets pour formuler un chiffre, mais en effet il y a une petite force armée. Il peut y avoir des actions de défense, au moins de certaines factions armées des Taliban pour soutenir ce groupe terroriste et il est évidemment important à ce moment-là d'avoir véritablement le contrôle des espaces, c'est-à-dire d'avoir une action au sol.
Est-ce qu'éventuellement dans ce cas-là, des Français y participeraient ?
Nous avons dit à plusieurs reprises que nous n'avions pas de restriction quant aux modes d'actions et je veux souligner que nous considérons cela comme un danger très grave pour les démocraties. Il faut que nous soyons attentifs, c'est d'ailleurs le cas de la grande majorité des citoyens français, qui se disent qu'il y a bien sûr des risques et des responsabilités particulières à agir, mais aussi un grand danger à ne pas agir.
Alain Richard, soyons très concrets, par exemple dans ce type d'hypothèse, quel serait le rôle de la base de Djibouti où il y a actuellement quelques 2000 soldats français, un peu plus même ?
Si vous vous placez dans l'hypothèse d'une action concernant l'Afghanistan, Djibouti n'est pas un élément essentiel, c'est tout de même à 3.000 km, c'est une distance trop longue pour avoir une fonction de soutien importante. S'il doit y avoir des accords avec des pays tiers pour avoir une base d'appui pour des actions prolongées et organisées sur la région de l'Afghanistan, il faut que ce soit beaucoup plus près du site, c'est-à-dire dans les pays du Golfe et dans les pays d'Asie centrale.
Et des interventions vers certains pays plus proches de Djibouti pourraient impliquer cette base ?
Oui, mais je n'en entrevois pas.
Commencent ces jours-ci, en Egypte, des manuvres, de très grandes manuvres de grande envergure, auxquelles participe un gros détachement français, quel en est le but ?
Cela fait plusieurs années maintenant que nous avons ces manuvres conjointes en Egypte avec principalement comme partenaires les Américains et les Egyptiens. Le but est de confirmer, de consolider l'entraînement des forces des uns et des autres à agir sur un terrain éloigné.
Et dans le contexte actuel, ces manuvres prennent-elles un sens particulier ?
Non, parce que ce besoin d'agir sur des terrains éloignés est maintenant confirmé et permanent et nous avons besoin d'entretenir l'aptitude de nos forces à cela.
Au-delà du technique, est-ce qu'il était politiquement pertinent de les maintenir dans le contexte du 11 septembre ?
Oui, parce que si vous commencez à désorganiser tout votre plan d'entraînement et de préparation de vos forces à chaque fois qu'il y a un événement international, vous ne pouvez plus travailler.
(source http://www.defense.gouv.fr