Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, dans "Le Point" du 23 novembre 2001, sur ses propositions en matière de sécurité et de réfome de la justice.

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Média : Le Point

Texte intégral

Vous sillonnez la France dans votre bus depuis des semaines ? Dans quel état la trouvez-vous ?
Un pays formidable et bloqué. Formidable parce qu'il ne ressemble à aucun autre, grâce à des atouts uniques : sa modernité, sa culture, ses paysages, la place que l'Histoire y occupe, sa qualité humaine Mais, en même temps, la France se trouve en situation de blocage lourd et désespérant sur des sujets anciens, qui sont pourtant en voie de résolution partout ailleurs. La situation des banlieues est à pleurer, malgré les dizaines de milliards qui ont été mis dans la politique de la ville depuis des années. La sécurité, dont tout le monde ne cesse de parler, devient une obsession partout en France. La question des retraites est toujours là Ces problèmes n'ont été réglés ni par ce gouvernement ni par les précédents, alors que les uns et les autres usent et abusent des mêmes mots de " tolérance zéro ", de " priorité à la sécurité " La pratique du pouvoir est devenue archaïque, technocratique, méprisante à l'égard des citoyens, qui ne sont jamais considérés comme des acteurs.
Vous parliez de sécurité. Que va proposer le candidat Bayrou sur ce sujet ?
D'abord, il nous faut assumer la fermeté. Jusqu'à maintenant, ce langage était toujours porté par des extrémistes. Eh bien, il convient dorénavant que les humanistes, les modérés se l'octroient. Ainsi, je pense qu'on doit construire un véritable ministère de la Sécurité : il faut en finir avec la police dépendant du ministère de l'Intérieur, la gendarmerie de la Défense, les douanes du Budget. Il faut aussi rendre le maire ou le président de la communauté d'agglomération, solution qui a ma préférence, responsable de la police de proximité. Enfin, je souhaite la création d'une police départementale spécialisée dans l'ordre urbain ; 250 quartiers dans lesquels aucun représentant de l'Etat ne peut plus entrer sont à reconquérir.
Et pour la justice ?
Les chiffres sont clairs. Tout le monde parle de " tolérance zéro ", alors que c'est le règne de l'impunité à plus de 95 %. La loi sur la présomption d'innocence doit être révisée. Quand quelqu'un est arrêté, il n'est pas normal que la première lecture qui lui soit faite soir celle lui annonçant qu'il a tout loisir de ne pas répondre aux questions ! Il faut également inventer une sanction immédiate, imposant la réparation, sur le modèle de ce qui existe dans le Code de la route. Quand vous faites un excès de vitesse, on vous enlève, sans qu'il y ait besoin d'un jugement, des points de votre permis, voire carrément votre permis. Eh bien, pour un tag, une incivilité, une dégradation, cela doit être pareil. Enfin, il faut que la justice ait la possibilité d'enlever les jeunes les plus violents de leur milieu. Pour cela, il faut créer des milliers de places dans des institutions alliant surveillance et éducation ferme.
Dites donc, c'est un Bayrou très sécuritaire qu'on entend là
Pour réintégrer les quartiers en déshérence dans la République - et c'est une tâche digne de la reconstruction de l'après-guerre ! - il faudra naturellement commencer par l'ordre et la loi. Mais je ne dis pas que c'est ce qui résoudra le problème. Le principal drame des banlieues, c'est l'abandon des jeunes à la vacuité du chômage. Rien à faire de la journée ! Ou bien seulement le choix entre délinquance et loisirs. Or le foot et le rap, cela ne suffit pas Des jeunes, l'autre jour à Marseille, me disaient : " Nous, on est des gens normaux, on veut travailler. " Eh bien, je pense que la diffusion du travail doit être la priorité des priorités. C'est pourquoi je veux transformer le RMI en RMA, c'est-à-dire en revenu minimum d'activité et non plus d'insertion. Sauf raison médicale, il faut qu'il y ait une activité obligatoire pour celui qui est au RMI. Pourquoi, lorsqu'on réhabilite les cités, ne pas faire appel aux habitants des cités eux-mêmes ? Formons-les, employons-les ! Et là, je peux vous garantir qu'il n'y aura plus de dégradation. Enfin, pourquoi ne pas réserver la défiscalisation pour les entreprises installées dans les quartiers dits en zones franches à celles qui emploient réellement les habitants de ces quartiers ?
Quelle réponse faites-vous à ceux qui s'inquiètent de l'intégrisme musulman ?
D'abord, je pense que c'est une question qui relève du président de la République, et non du ministre de l'Intérieur. C'est l'institution présidentielle qui est en charge de l'unité du pays. Deuxièmement, il est très important d'éviter de donner une prime à l'intégrisme. Pour cela, l'implication financière de l'Etat doit être forte, afin d'éviter que des Etats extérieurs conduisant une politique d'islamisation intégriste le fasse à notre place. C'est un sujet qu'il faut traiter les yeux ouverts.
Une question à l'ancien ministre de l'Education : quelle mesure phare allez-vous proposer en matière d'éducation ?
Pour moi, il y en a deux. Premièrement, on ne doit plus pouvoir faire entrer en sixième un élève qui ne sait pas lire. On ne peut plus accepter que 15 % des enfants soient exclus à vie simplement parce qu'on a échoué à leur apprendre la lecture. Cela aura d'ailleurs un effet en cascade : on ne laissera plus passer un enfant d'une classe à une autre sans qu'il sache lire. Deuxième mesure : il faut mettre les 5 % d'élèves violents dans des institutions adaptées. Le respect des enseignants est le commencement de l'équilibre.
L'insécurité, les quartiers, l'illettrisme Ce sont des sujets évoqués par tous les candidats. Quel sera le " plus " Bayrou ?
Une démarche nouvelle : des institutions plus fortes pour sortir de l'impuissance et, sur trois ou quatre sujets vitaux, une démarche de rassemblement national. Il y a des sujets qui légitimement doivent donner lieu à une confrontation droite / gauche : la dépense publique, le travail, l'idée qu'on se fait de la fiscalité Mais il y a aussi des sujets - ceux que l'on vient d'évoquer - qui doivent désormais être sanctuarisés, c'est-à-dire considérés comme échappant à l'affrontement bloc contre bloc. Sinon, on n'arrivera jamais à régler le problème de la sécurité, des banlieues D'ailleurs, aucune des mesures dans ce domaine que je viens de vous énoncer ne relève d'une politique de droite ou de gauche, mais de ce que j'ai baptisé une "France réunie".
Vous faites le pari que les Français sont prêts à entendre ce discours ?
Les Français, oui. Mais le problème, c'est que le monde politique ne nous a pas habitués à sortir des sentiers largement battus. La gauche est prisonnière de son idéologie et la droite depuis vingt ans est incapable de se renouveler. Ce sont les mêmes usages et les mêmes discours, les mêmes attitudes et les mêmes mots. Si rien ne change, on retrouvera les mêmes échecs. Voilà pourquoi la question de la relève est cruciale pour la France.
Propos recueillis par Ludovic Vigogne

(Source:http:www.udf.org, le 23 novembre 2001)