Texte intégral
Monsieur le Président Directeur Général,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, les Députés et les Sénateurs,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais vous dire à quel point je suis heureux d'être accueilli aujourd'hui pour célébrer avec vous, le cinquantième anniversaire de la fondation du premier grand quotidien édité dans la France libérée, "Ouest-France". Heureux et, croyez-le, ému aussi de me retrouver dans ce mémorial, en ce lieu où souffle l'esprit de ceux qui sont morts parce qu'ils savaient, comme le dira André MALRAUX en 1945 à la Chambre des Députés, que "La liberté appartient à ceux qui l'ont conquise".
Je sais que ce souffle, dans le monde entier souvent, dans ce pays même, parfois, des forces obscures voudraient le voir anéanti dans l'oubli. Elles voudraient que les peuples des Etats républicains s'égarent jusqu'à ne plus savoir qu'un peuple sans mémoire est un peuple sans âme. Jusqu'à ne plus savoir que ce souffle qui monte de ces tombes jusqu'à nos consciences nous est nécessaire pour affronter les barbaries qui sans cesse renaissent. Elles voudraient qu'en ce temps de crise où prolifèrent les intégrismes, les tentations dictatoriales, le racisme et antisémitisme, nos héros venus de toutes les républiques combattre pour la liberté n'aient plus d'auditoire. En ce lieu du monde, hanté à la fois par l'esprit et par le courage, à quelques centaines de kilomètres de la Bosnie et de ses drames, nous réapprenons que les droits de l'homme ne sont pas un héritage mais une conquête permanente. Que les hésitations et les tergiversations des démocraties, lorsqu'il en va de la liberté des peuples, se payent du prix du sang et des larmes.
Comment ne pas associer ce combat pour la liberté à la naissance de Ouest-France, 3 jours après la libération de Rennes, le 7 août 1944 ? Par les armes et par la plume, c'est bien le même combat mené. Dans cette France qui n'était pas encore tout à fait sortie de la nuit, la parution du premier organe de presse libre, un journal qui faisait de la recherche de la vérité pour le bien public le centre de son action, était plus qu'un symbole.
Les républicains de 1789 nous ont appris que la liberté de la presse n'est pas un luxe des démocraties mais sa clef de voûte. C'est bien pourquoi, le 26 août 1789, ils votèrent l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, article qui proclame : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi". De la loi républicaine bien entendu.
Ils avaient en effet pris conscience, comme les pères fondateurs américains, qu'une République ne pouvait vivre sans la création d'un espace public dans lequel les citoyens pouvaient s'informer et discuter, pour rechercher en commun les moyens d'atteindre le bien collectif. Sans liberté de la presse et sans son pluralisme, il leur apparaissait clairement qu'ils ne pourraient résister au retour de la tyrannie au service d'un homme, d'une élite ou d'une fraction organisée en parti.
Derrière ce combat pour l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, une conception du monde était à l'oeuvre. En refusant de croire qu'en matière politique et sociale, quiconque puisse s'autoriser d'une vérité pré-établie pour imposer aux citoyens des choix qui les concernent, ils renversaient l'ordre hiérarchique jusqu'alors considéré comme naturel et mettaient la citoyenneté au coeur de la souveraineté. Et puisque les citoyens devenaient détenteurs de la souveraineté, il revenait aux moyens de médiation, notamment ceux que l'on appelle aujourd'hui les médias, d'être à leur service, d'être des intercesseurs.
Cette conception du monde imposait naturellement que soit assuré le pluralisme de la presse. En plaçant les citoyens au centre de l'espace public, les républicains voulaient en effet créer non une communauté mais une société. C'est-à-dire une association d'individus porteurs de droits égaux, habités par des intérêts divergents, voire conflictuels, traversés par des perceptions et des pensées diversifiées. Bref, ils acceptaient la pluralité. Ils avaient conscience que cette pluralité est la véritable richesse des nations, à condition toutefois qu'elle ne conduise pas à des replis communautaires, à l'éclatement des liens sociaux. Les médias, en mettant chacun à égalité dans le jeu démocratique, leur semblait l'un des moyens qui permet que les décisions prises à la majorité fussent acceptées par tous. Autrement dit, dans, cette conception républicaine du monde, le pluralisme des médias est l'une des clefs de la légitimité : il permet en effet à l'autorité élue et renouvelable. d'une part d'être acceptée par tous, d'autre part de pouvoir être critiquée par tous.
Mais si la liberté de la presse est apparue alors aussi cruciale aux défenseurs des droits de l'homme, c'est qu'ils connaissaient les limites du principe majoritaire. Partisans de la société ouverte, la formule subordonnant la vérité juridique à la majorité politique ne leur aurait pas paru juste. Si la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme, c'est précisément que, dans ce monde souvent imprévisible, la majorité peut se tromper. Qu'il est quelquefois nécessaire, pour défendre les droits individuels, de trouver les moyens de mobiliser l'opinion. Et si les médias ne sont pas la seule garantie des droits individuels, indéniablement, ils y ont leur part. Que la presse critique les lois ou les actes d'un Gouvernement, voilà qui fait certainement aussi partie de son rôle. Qu'une partie critique et qu'une autre soutienne, cela ne peut gêner que les ennemis de la liberté.
Lorsque Paul HUTIN-DESGREES s'écrie "Vive la France", dans son éditorial du 18 septembre 1944, c'est cette France des droits de l'homme qu'il évoque. La France à laquelle il pense et dont il salue la renaissance, c'est cette France fidèle à son histoire, forte de sa mémoire, assise sur les principes républicains sans lesquels elle ne peut prospérer.
Ce "Vive la France" est un écho à ces 41 martyrs bretons qui, à l'heure où s'avançait le peloton des tortionnaires, chantaient la Marseillaise. "Vive la France", c'est aussi un écho à l'éditorial publié le 7 août 1944 dans le premier numéro de Ouest France et qui s'intitulait "Enfin libres !", un éditorial au dessus duquel on pouvait voir la photo de celui qui symbolisait cette France libre, cette France des droits de l'homme, cette France républicaine, le Général DE GAULLE.
Comment s'étonner si "Ouest France" est aujourd'hui le premier quotidien du pays ? N'est-ce pas la juste consécration d'une fidélité aux principes qui ont animé le combat de ceux qui affrontèrent la barbarie nazie ? De ceux qui ont résisté à toutes les vagues totalitaires ? Dans cette "Charte" du fait divers, que vous avez élaboré avec l'ensemble des journalistes, ne dites-vous pas, Monsieur le Président, Monsieur François Régis HUTIN, qu'il faut "dire sans nuire, montrer sans choquer, témoigner sans agresser, dénoncer sans condamner" ? Derrière ces mots, toujours l'esprit des droits de l'homme, le respect de la dignité humaine, cette dignité dont ceux qui sont tombés pour la France ont montré qu'elle valait que l'on meurt pour elle. Comme meurent dans le monde ces reporters qui vont chercher des informations indispensables pour éclairer les choix de la Cité. Derrière ces mots, Monsieur le Président, on reconnaît la fidélité à votre père et aux résistants qui, avec lui, prenant pour devise "justice et liberté", ont créé "Ouest France".
Par un travail incessant, en informant et multipliant les passerelles entre les citoyens, en collant à la vie quotidienne grâce à sa rédaction et aux 2200 correspondants locaux, en modernisant sans relâche ses moyens d'impression et de distribution, votre journal a su jouer ce rôle d'intercesseur exigé par l'esprit de la République. Evitant les facilités et la vulgarité, vous donnez à la presse ses lettres de noblesse. Et par cette vision du monde, alliée à une politique de modernisation efficace, vous avez démontré qu'il était possible de concilier la qualité de l'information, le succès industriel et le soutien du public.
Quelle plus belle récompense pour vous que de savoir aussi que les principes fondamentaux de votre journal, indépendance et pluralisme, sont respectés ? Et quelle leçon, puisque cette indépendance n'a pas interdit la prospérité et que la prospérité soutient, à son tour, l'indépendance ?
Votre journal est une réussite nationale.
La presse quotidienne régionale est née deux fois, a écrit un de ses bons connaisseurs : la première fois sous RICHELIEU, la seconde sous DE GAULLE. "République" et "Liberté" ont inspiré dès 1944, bien des créations de titres. Trop nombreux sont ceux qui n'existent plus aujourd'hui. Et même si son implantation forte, la fidélité de ses lecteurs et le dynamisme de ses dirigeants sont incontestables, la presse quotidienne régionale n'a pas échappé entièrement aux problèmes généraux de la presse. Le Gouvernement, dès son installation, a tenu à accorder une aide exceptionnelle et importante aux organes de presse, pour tenir compte de la situation.
De nombreux signaux nous indiquent aujourd'hui que la France reprend le chemin de la croissance et donc que le progrès est de nouveau possible : je m'en réjouis pour notre pays, il consommera bientôt plus et notamment plus de journaux ! La publicité, comme les petites annonces devraient suivre, à leur tour, ce mouvement de reprise et je sais que cela sera bénéfique à tous les titres. Il faut qu'ils continuent à vivre, qu'ils cultivent comme vous le souci de la morale, celui de la proximité et celui du modernisme.
Permettez-moi enfin de saluer plus particulièrement la décision prise par "Ouest-France" de couvrir le millier de manifestations prévues dans votre zone de diffusion, d'avril 1994 à mai 1995. Dans la droite ligne de votre tradition de groupe régional et d'entreprise-citoyenne, vous contribuez ainsi de manière décisive à maintenir vivant le souvenir de ce passé dont les enfants de France ont besoin pour grandir et continuer demain notre oeuvre républicaine.
"S'il est peu d'actions que les rêves nourrissent", comme le disait encore André MALRAUX, le rêve de ceux qui sont venus mourir ici sur cette terre de France, le rêve des survivants qui ont continué ce combat, ce rêve d'un monde orienté vers la défense des droits de l'homme, oui, ce rêve là, méritait que votre journal et tous ceux qui le font y consacrent leur vie, hier, aujourd'hui et demain. Il méritait aussi l'hommage du Gouvernement.