Déclarations de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur le débarquement des forces alliées en Provence en août 1944, à Cavalaire et au Dramont le 15 août 1994.

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Circonstance : Cérémonie commémorant le cinquantième anniversaire du débarquement en Provence, Cavalaire le 15 août 1994

Texte intégral


- A Cavalaire -
Monsieur le Ministre,
Madame l'Ambassadeur,
Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Maire,
Madame la Maréchale,
Mesdames, Messieurs,
Depuis le 6 juin 1944, le cours de la guerre avait changé. Dans l'été, plus de la moitié du pays allait renaître à lui-même. Déchirés, aidés par nos alliés, nous reprenions peu à peu le chemin de la liberté. C'était aussi celui de l'unité.
Deux étapes décisives, dans cette histoire de la Libération, sont franchies avec les deux débarquements. Celui du printemps, au Nord-Ouest, opéré en majorité par des troupes alliées. Celui de l'été, au Sud-Est, opéré pour la plus grande part par des contingents français. Bientôt, le 12 septembre, les Forces Françaises Libres venues de l'ouest et du sud feraient leur jonction en Bourgogne pour former la Première Armée.
Le Général de Gaulle avait infléchi la stratégie alliée. La France reprenait droit de cité en assumant sa propre reconquête. La France combattante asseyait sa légitimité. Avec deux mois d'avance sur le calendrier prévu, la bataille de Provence, et déjà la bataille de France, était gagnée. Grâce à un homme et grâce à une armée. D'une opération longtemps repoussée, longtemps jugée secondaire, le Général de LATTRE de TASSIGNY sut faire une grande victoire.
Après la Corse à l'automne 1943, après les côtes de Normandie en juin 1944, c'est le Sud, enfin, qui, le 15 août, retrouve la liberté.
La voie s'ouvre, et, avec elle, l'avenir, désormais plus sûr. Elle passe par les Alpes et le Massif Central que les maquis contrôlaient déjà.
Le 15 août 1944, arrive sur le sol de la métropole, l'Armée Française : aux armées alliées débarquées sur la côte normande, aux forces de la Résistance intérieure depuis longtemps levées, à la 2e DB qui entrera dans la légende, venaient s'ajouter les glorieuses troupes du Général De Lattre.
Dans le rassemblement progressif de cette armée se jouait celui du pays tout entier. La Libération nous montra, une fois de plus, que la dignité des peuples et leur destinée sont blessées s'ils perdent leur unité. Gardons cette leçon que les grands stratèges, les grands hommes d'Etat de notre Histoire ont comprise et qui, seule, permet de marcher sur leurs traces !
De troupes éparses, le Général de LATTRE de TASSIGNY fit un corps d'armée unifié. Survivants de Norvège, fusiliers marins de Londres, forces venues des "cinq parties du monde", tous aussi épris de liberté, ils s'étaient rassemblés autour de ce chef prestigieux.
Ils sont venus de métropole et de tout l'Empire : Africains des pays de l'Afrique Equatoriale Française et de l'Afrique Occidentale Française, Malgaches, Algériens, Tunisiens et Marocains, Antillais, Indochinois et Pondichériens, Polynésiens, Calédoniens et Canaques du valeureux Bataillon du Pacifique. Tous, ils voulaient être de la vague libératrice.
Le Corps Expéditionnaire d'Italie en faisait aussi partie : Spahis de la 3e Division d'Infanterie Algérienne, tirailleurs des 2e et 4e Divisions d'infanterie Marocaine, Tabors, soldats de la 1ère Division Française Libre. Il a été rejoint par les 1e et 5e Divisions Blindées formées en Afrique du Nord et des éléments de réserve générale. Tous ces volontaires allaient rejeter définitivement l'envahisseur nazi loin de nos frontières beaucoup plus rapidement que prévu dans les plans alliés les plus optimistes.
La future 1ère Armée française était levée. L'hiver suivant, plus de 100 000 FFI se joindraient à elle. C'était l'armée de la France réunie.
C'était une armée de héros. Ils avaient fait les campagnes d'Erythrée et de Libye, de Tunisie et d'Italie. C'étaient les vétérans de la 1ère Division Française Libre du Général BROSSET, qui remonteraient sur Lyon, sur Belfort et Colmar. Ils franchiraient le Rhin, pour gagner le Danube et libérer l'Europe. A leurs côtés, la 3e Division d'Infanterie Algérienne du Général de MONSABERT, les marsouins de la 9e Division d'Infanterie Coloniale du Général MAGNAN, qui avaient pris l'île d'Elbe. A leurs côtés, encore, marchaient les commandos du Colonel BOUVET qui avaient libéré la Corse, et le Groupe Naval d'Assaut du Capitaine de Frégate SERIOT... Et bien d'autres encore, tous aussi courageux.
C'était l'armée de la France - soldats de la métropole, d'Afrique Noire et d'Afrique du Nord, soldats d'Outre-Mer, déjà fameux de par le monde. L'âme de ces hommes brûlait pour la liberté.
Conjuguée avec "la domination du ciel", "la maitrise de la mer" garantissait "l'assaut du continent". Le Général de Gaulle avait vu juste. Dans sa préparation, dans son exécution, l'opération "ANVIL"-"DRAGOON" - l'action commune de l'Enclume et du Dragon cuirassé - compte parmi les grands succès de la dernière Guerre Mondiale.
Le 15 août, à l'aube, des commandos français et des rangers américains prennent pied en Provence. Ils seront bientôt 400 000, constituant au large de Saint-Raphaël et du Lavandou, la plus importante armada qu'ait jamais portée la Méditerranée... Et pour couvrir les deux mille bâtiments, deux mille avions prêts à l'envol.
Quel dut être le sentiment de ces marins, de ces soldats, de ces pilotes qui approchèrent nos côtes ! "Sur tous les navires, écrit le Général de LATTRE de TASSIGNY, éclate la Marseillaise la plus poignante qu'on ait jamais entendue". Des Français revoyaient enfin - les côtes de la mère patrie. Cinquante ans plus tard, - Alliés et Vétérans de Provence ! - la mémoire de ces retrouvailles est tout aussi émouvante.
Ils venaient de Tarente et de Brindisi, d'Ajaccio et de Bastia, d'Oran et d'Alger. D'abord, prête à se déployer, la 7e armée américaine du Général PATCH : elle accostait, avec les trois divisions d'infanterie du 6e Corps d'Armée américain et la 1ère Division aéroportée anglo-américaine.
Vint alors la vague française. Ils débarquèrent, le 16 août, à la Croix-Valmer, à Sylvabelle et à la Foux. ils foncèrent vers l'Ouest. A l'assaut frontal initialement prévu, le Général de LATTRE de TASSIGNY donnait une plus vaste envergure. Un large mouvement d'enveloppement par le Nord et le triomphe serait complet...
La ligne de résistance allemande fut enfoncée. Les alliés progressèrent vite et loin. - Ils ne savaient pas encore tout leur succès. Dès le lendemain, l'ennemi avait ordre de reculer.
Face aux 25 000 Allemands qui occupent le camp retranché de Toulon, 16 000 Français, 30 chars et 80 canons de la 3e Division d'Infanterie Algérienne et du bataillon de choc, commandés par le Général de MONSABERT. L'audace et la bravoure l'ont emporté.
La 1ère Division Française Libre, avait pour mission périlleuse de percer les plus solides défenses allemandes. Mais, aux hommes qui portaient la Croix de Lorraine, aux héros de Karen et de Bir-Hakeim, de Takrouna et du Garigliano, rien n'allait résister. Toulon était libéré. Marseille le serait bientôt.
Ce fut une victoire éclatante. Elle eut un prix. Ne l'oublions jamais, entre le 6 juin et le 15 août, d'innombrables martyrs permirent cette avance foudroyante : gardons la mémoire de ces sacrifices ... Tulle et Oradour-sur-Glane, Mussidan et Gourdon, Argenton-sur-Creuse, le Vercors et la Provence... Tant de régions de France marquées par la douleur, tant de noms dans chaque ville, dans chaque village, gravés sur les pierres froides de la mémoire, gravés dans notre souvenir !
Car, à chaque fois, l'offensive extérieure fut éclairée, secondée, suppléée même par les Français qui résistaient dans l'ombre. Dans les Maures, la 1ère compagnie des Francs Tireurs Partisans Français de Provence s'était constituée, l'un des plus importants maquis de la région. D'autres camps se cachaient dans le Haut-Var, sapant le dispositif ennemi.
Le jour même du 15 août, la réussite militaire et stratégique n'empêcha pas la perte - cruelle - d'hommes valeureux. Je pense au Groupe Naval d'Assaut du Capitaine de Corvette MARCHE, qui tomba sur la pointe minée de l'Esquillon. Je pense aux planeurs alliés qui se brisèrent sur le sol de France. Je pense aux tués de l'Estérel. Je pense à ces Français de l'intérieur, qu'unissait aux libérateurs la fierté de l'honneur retrouvé.
Rendons leur l'hommage qu'ils méritent ! Sachons le prix de leur action ! Parce qu'ils ont lutté et donné leur vie pour la France, parce qu'ils partageaient les mêmes valeurs, venus des cinq continents, ils ont permis à la Liberté de triompher, au milieu de l'été, sur les plages de Provence.
A jamais, la France leur est reconnaissante.
- Au Dramont -
Monseigneur,
Madame l'Ambassadeur,
Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Maire,
Mesdames, Messieurs,
Le Général DAHLQUIST et la 36e Division d'Infanterie américaine conquirent, voici tout juste cinquante ans, la petite plage du Dramont. Elle est restée dans toutes les mémoires comme le symbole du débarquement allié de Provence en ce mois d'août 1944.
Deux mois après "Overlord", l'opération "Anvil-Dragoon", menée par nos amis et alliés renforce notre reconnaissance envers eux !
Après l'assaut de Normandie, 230.000 combattants Français, 120.000 soldats Anglais et Américains venaient libérer les côtes de Provence. Les troupes du Général PATTON avaient percé les barrières allemandes d'Avranches, à la fin juillet. Au Sud, arrivaient les forces navales de l'Amiral HEWITT, - parmi lesquelles 300 bâtiments britanniques -, les forces aériennes du Général ENKER, les forces terrestres du Général PATCH et celles du Général de LATTRE de TASSIGNY. Deux grands mouvements : l'un, des confins bretons et normands vers le Sud du Bassin Parisien, et finalement Paris ; l'autre, du littoral varois vers Marseille, les vallées du Rhône et de la Saône.
Avec ses trois divisions d'infanterie, le Général TRUSCOTT, commandant du 6e Corps américain, lançait le premier assaut. Il lui fallait conquérir 70 kilomètres de côtes occupées, - du Cap Nègre à Agay, jusqu'au Muy et à la vallée de l'Argens.
Sur les péniches du débarquement s'avancent la 3e Division - l'"Alpha Force" du Général O'DANIEL -, la 45e du Général EAGLES - la "Delta Force" -, enfin, la "Camel Force" du Général DAHLQUIST. C'était la 36e, celle du Dramont où nous nous trouvons.
Celle qui affronta les plus grandes résistances allemandes, les défenses de la région de Saint-Raphaël. Celle qui dut, un temps, se rabattre au pied de l'Estérel, sur cette même plage de galets, où ils furent nombreux à tomber pour la liberté... Les Français n'oublieront jamais ces soldats du courage et de la liberté tombés sur les côtes de la Méditerranée.
Le 16 août, les fusiliers de la 36e Division s'emparent de Saint-Raphaël et de Fréjus, puis rejoignent la 1ère Division aéroportée du Général FREDERICK.
Le Général TRUSCOTT tenait les clés de la victoire. L'avance des Alliés s'étendait du Cap Nègre jusqu'au Muy, et à l'Est, de la côte à Saint-Aygulf. L'aile marchante de la 45e Division pénétrait dans l'intérieur des terres. Draguignan fut prise, les Maures et l'Estérel conquis.
Ainsi, la route était ouverte aux troupes Françaises de métropole et d'outre-mer, à cette "Armée d'Afrique" qui, avec l'aide inestimable de la Résistance, allait s'emparer de Toulon et de Marseille, puis remonter le Rhône, tandis que les Alliés suivaient la route "Napoléon".
Les alliances fortes font les plus sûres victoires. Nous étions, nous sommes, fiers de partager la gloire d'un succès, préparé et remporté ensemble !
Combattants anglais et américains, vous nous avez apporté votre vaillance, votre soutien logistique et militaire, votre générosité, à nous qui avions supporté seuls les premiers chocs de la guerre. Pendant la Grande Guerre, déjà, les soldats anglais s'étaient distingués sur nos champs de bataille. Déjà, les Etats-Unis s'étaient ralliés aux puissances de l'Entente. Déjà, combattants anglais et américains, vous aviez partagé avec nous les mêmes combats. Au nom des mêmes principes. En 1944 encore, vous veniez prouver à l'Europe asservie la forée de nos idéaux communs.
Le demi-siècle écoulé n'a cessé de le confirmer : la sécurité, la stabilité, en un mot la paix, sont oeuvre collective.
Les bouleversements survenus depuis la Libération ont rendu la solidarité internationale plus nécessaire que jamais.
Ces luttes passées nous ont unis. Le souvenir des hommes qu'ensemble nous avons perdus, tisse des liens indéfectibles. Soyons dignes de ceux qui sont morts pour la liberté ! Travaillons pour la paix, au sein de l'Union de l'Europe Occidentale, de l'Alliance atlantique, des Nations Unies.
Vétérans, soyez-en certains, nous saurons reprendre le flambeau. Nous saurons, nous savons assumer nos responsabilités internationales.
Avec la Grande-Bretagne, nous Français nous travaillons à renforcer ensemble notre défense. Nous venons de signer un projet de coopération pour construire une frégate anti-aérienne. Pareilles actions communes disent, cinquante ans après, combien la fraternité, éprouvée dans la guerre, vit et se fortifie dans la paix. Puissances nucléaires de même statut, nous avons des approches stratégiques comparables sur bien des points. Nous avons des capacités d'action extérieure importantes. Nous avons les mêmes idéaux. Et les mêmes devoirs.
Français, Anglais, Américains, notre engagement commun, notre bravoure commune ont formé la plus solide base du système de défense atlantique. La lutte que nous avons menée a fondé l'Alliance atlantique. Elle a assuré la liberté et la défense de l'Europe. Adapté à la situation nouvelle, ce lien sera durable et digne de l'exemple que nous avons reçu et que nous voulons transmettre.Il y a des guerres justes. Celle que nous avons dû faire alors l'était. C'est pour cela que, sur nos côtes, il y a cinquante ans, nos soldats ont débarqué ensemble. Amis et alliés, frères d'armes et de paix -, nous nous retrouvons aujourd'hui au Dramont. Lieu de notre vaillance et de notre fidélité à la liberté et à la paix.