Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les relations entre la France et l'Espagne, à Madrid le 20 octobre 2017.

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Circonstance : Déplacement en Espagne- rencontre avec la communauté française, à Madrid le 20 octobre 2017

Texte intégral


Monsieur l'Ambassadeur,
Madame la Députée,
Mesdames et Messieurs, Mes Chers Compatriotes,
Je suis très heureux d'être là, un pays si cher à mon coeur ; je suis heureux de vous accueillir ce soir, dans notre magnifique résidence de l'ambassade de France à Madrid, avec mon épouse, Maria : à chaque fois que nous sommes ici, en Espagne, on a l'impression d'être à la maison.
La France est l'amie de l'Espagne, dont la voix est essentielle sur la scène européenne et dont le parcours démocratique a été exemplaire depuis 1981. Mais vous l'avez noté - Monsieur l'Ambassadeur, vous l'avez rappelé -, ma visite intervient à un moment très particulier, un moment difficile pour ce pays, à plusieurs titres.
Je voudrais tout d'abord exprimer l'amitié et la solidarité de la France face aux incendies qui ont frappé l'Espagne et toute la péninsule. Nos pensées vont aux familles des victimes, que ce soit en Espagne ou au Portugal.
Ensuite, parce qu'il y a une crise politique et institutionnelle - j'ai pu m'entretenir de cela avec mon homologue Alfonso Dastis, j'ai pu lui redire l'attachement indéfectible de la France à l'unité de l'Espagne. Nous appelons de nos voeux à sortir de l'impasse actuelle, dans le respect du cadre constitutionnel espagnol et dans le respect des traités européens : ceux-ci protègent l'intégrité territoriale des États qui la composent.
Cette position est cohérente avec l'engagement renouvelé en faveur de l'Europe que nous portons, en particulier le président de la République, et cet engagement-là implique évidemment un esprit de solidarité à l'égard de l'Espagne, une Espagne que nous souhaitons unie et forte.
En troisième lieu, je n'oublie pas que j'ai effectué ma précédente visite, ma première visite comme ministre des affaires étrangères, après les attentats de Barcelone et de Cambrils. Dans ces attaques, près de vingt personnes ont perdu la vie, des dizaines d'autres ont été blessées, parmi lesquelles plusieurs compatriotes. Et à ce moment-là, dans ces circonstances tragiques, j'avais affirmé ma solidarité, celle de la France, à l'égard de l'Espagne. Aujourd'hui, mes pensées se portent vers toutes les victimes de ces actes criminels, et vers leurs proches. Et ceci étant, j'ai aussi, en vous disant cela, une pensée pour les victimes des attentats en France, en particulier parce que Raqqa est tombée, sous l'impulsion des forces démocratiques syriennes mais aussi avec l'appui de la coalition, où la France joue un rôle majeur. Raqqa est tombée, et chacun sait que c'est à partir de ce lieu, qui était devenu le creuset de l'action de Daech, c'est à partir de ce lieu qu'ont été décidés, commandités, dirigés, les attentats que nous avons subis. Et, ainsi, lorsque j'ai appris que Daech était expulsé de Raqqa, j'ai eu cette émotion, qui me rappelait cette nuit terrible du 13 novembre.
Puisque j'évoquais les attentats, ceux de Barcelone en commençant, je voudrais, à cette occasion, exprimer la gratitude de la République à l'ensemble du personnel diplomatique et consulaire qui s'est immédiatement mobilisé, avec dévouement, à Barcelone, à Madrid et à Paris pour porter assistance aux victimes et à leurs proches. Ils font la grandeur du service public ; je les ai vus au travail, et je voulais aussi les remercier chaleureusement.
Il m'appartient aussi de vous dire très fortement que la sécurité de nos concitoyens à l'étranger sera pour moi une priorité absolue ; l'ensemble du ministère est engagé en ce sens, au quotidien. Notre détermination à assurer votre sécurité est totale, partout dans le monde. C'est naturellement le cas en Espagne où vous êtes nombreux : je pense tout particulièrement aux 22 établissements scolaires français, qui accueillent près de 22.000 élèves, dont 40% de Français et de binationaux, avec des résultats tout à fait exceptionnels, et je m'en réjouis. J'ai constaté, moi-même, tout à l'heure, durant ma visite du Lycée français de Madrid, et au cours de mes entretiens avec les chefs d'établissements scolaires français venus à cette occasion, que les mesures nécessaires étaient en train d'être prises ou avaient été prises pour renforcer la sécurité de nos établissements. Et vous vous souvenez, Monsieur l'Ambassadeur, que lorsque j'ai réuni l'ensemble des ambassadeurs français, à la fin du mois d'août, je vous ai donné comme orientation prioritaire la sécurité de nos compatriotes, tout particulièrement dans les établissements scolaires.
Je voudrais vous dire aussi, plus largement, que nous menons avec les autorités espagnoles une coopération anti-terroriste extrêmement dense, extrêmement confiante, à un niveau de confiance qui, je crois, n'a jamais été égalé jusqu'à présent ; le ministre de l'intérieur a eu l'occasion d'évoquer tout cela lors du G6 de Séville, le 16 octobre dernier. Je tiens à vous assurer que, y compris après les attentats de Barcelone, la coopération entre nos services de sécurité a été exemplaire et continue d'être exemplaire, y compris pour les suites de Barcelone, dont nous ne sommes pas encore arrivés jusqu'au terme.
Je voudrais, Mes Chers Compatriotes, chacun le comprendra, saluer les militaires qui sont présents parmi nous, et au-delà d'eux-mêmes, saluer tous leurs camarades. Certains d'entre vous travaillent au Centre des opérations aériennes situé à Torrejón, au centre d'état-major de l'OTAN, où se trouve également le centre satellitaire de l'Union européenne. D'autres travaillent au sein de l'état-major espagnol dans le cadre de notre coopération de défense. Et je dois dire que notre coopération de défense est devenue, je crois, exemplaire : l'Espagne est une alliée fidèle qui nous appuie depuis 2013 au Sahel. Les avions espagnols assurent un quart de nos rotations de l'opération Barkhane, très loin devant les autres contributeurs. Le mois dernier, les hélicoptères espagnols étaient à bord du BPC Dixmude pour un entraînement conjoint jusqu'au Golfe de Guinée. Bref, nos deux pays ont établi ensemble, sous l'impulsion du ministre de la défense qui était mon partenaire pendant les 5 dernières années, Pedro Morenes, que je salue maintenant, et qui est loin, comme ambassadeur à Washington, un niveau de coopération exemplaire, et nous sommes, sur les grands enjeux de défense de demain, tout à fait en harmonie.
Chers Amis,
L'Espagne et la France sont unies par des liens étroits tissés au fil des siècles. Ce sont des liens d'amitié, des liens fraternels, des liens parfois intimes qui unissent nos deux peuples, au gré des rencontres et des histoires partagées qui rassemblent des Français et des Espagnols.
Ces liens, vous les renforcez par votre présence, par votre action, vous les 180.000 Français en Espagne. Je sais que vous croyez en ce pays, à un moment où les échanges n'ont peut-être jamais été aussi forts, dans tous les domaines. Et si la France et l'Espagne sont unies par une relation aussi dense, c'est grâce à vous, à votre engagement, à votre esprit d'entreprise et à votre enthousiasme pour ce pays.
À cet égard, je veux saluer le dynamisme de nos entreprises ; c'est un sujet qui retient tout particulièrement mon attention puisque je suis en charge de la montée en puissance de ce qu'on appelle - justement d'ailleurs - notre diplomatie économique. La place économique de la France en Espagne est considérable. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : nous sommes son premier client, son deuxième fournisseur, son quatrième investisseur étranger. Il y a 1700 filiales d'entreprises françaises ici, 300.000 emplois sont concernés ; c'est remarquable. Les exemples de réussite de nos entreprises sont légions. Je n'en citerai que deux : d'abord, l'automobile, avec plus du tiers du marché des véhicules vendus par les constructeurs automobiles à capitaux français, et puis il y a des opportunités de coopération importantes, je pense en particulier à celle sur laquelle nous avons travaillé ce matin et ce midi, avec mon collègue espagnol : c'est la mise en oeuvre de l'interconnexion qui mise sur un projet particulier, celui d'un câble électrique sous-marin dans le Golfe de Gascogne. Nous allons le construire ensemble pour un investissement total de près de 2 milliards d'euros : avec ce projet innovant, c'est toute l'ingénierie et le savoir-faire des gestionnaires de réseau espagnol et français qui vont démontrer leur excellence.
La force de notre relation repose également sur notre présence culturelle et éducative. Le rayonnement de notre langue et de notre culture constitue un investissement considérable sur l'avenir, et c'est la raison pour laquelle il faut préserver ces investissements de manière très scrupuleuse ; c'est ce que permettent notamment les 3.000 conventions interuniversitaires qui permettent aux étudiants de nos pays de se rencontrer et de se former ensemble, en particulier grâce au programme Erasmus.
Je sais aussi que notre industrie culturelle trouve en Espagne un vaste public, qu'il s'agisse de cinéma, de musique ou de peinture. Cédric Klapisch était hier, me dit-on, à l'Institut pour l'avant-première de son dernier film. C'est la moindre des choses pour le réalisateur de L'Auberge espagnole ! En début de semaine, une exposition sur Picasso et Toulouse-Lautrec a été inaugurée au musée Thyssen. Cette vitalité est une chance ; elle doit rester une priorité, grâce au travail des 5 Instituts, des 23 Alliances, comme de la Casa de Velasquez, que je tiens à saluer.
Je voudrais vous dire avec beaucoup de conviction : vous êtes, Français de l'étranger, Français en Espagne, une force et une richesse pour la France. Dans le monde, en Europe, votre dynamisme, vos talents sont des atouts pour notre pays. Vous êtes l'image que le président de la République entend donner de notre pays, celle d'une France qui refuse le repli, celle d'une France tournée vers l'avenir, celle d'une France qui entraîne. Je crois que votre présence en Espagne illustre aussi l'horizon européen qui est celui de la France, comme l'a rappelé le président de la République lors de son discours à la Sorbonne, qui traçait le destin et le dessein de ce que nous voulons pour l'Europe. Cette idée de l'Europe, vous la faites vivre à votre manière ; cela nous est très précieux à un moment où bon nombre de nos concitoyens doutent du projet européen. Je crois que, pour votre vie en Espagne, vous pouvez être les porte-voix de cette ambition européenne, et je vous invite déjà par anticipation à participer aux conventions démocratiques que la France propose d'organiser au premier semestre 2018 pour engager le débat sur l'avenir de l'Union européenne.
Dans ce projet de refondation de l'Europe, projet de refondation que la France appelle de ses voeux, l'Espagne, j'en suis convaincu, sera un partenaire essentiel. Je connais l'attachement des Espagnols pour l'Europe, j'ai encore pu le constater aujourd'hui. Sur tous les domaines où se joue l'avenir de l'Union, la sécurité, les questions migratoires, la politique étrangère, la transition écologique, le numérique et les questions économiques et monétaires, dans tous ces domaines, la France et l'Espagne se retrouvent sur l'essentiel. Plusieurs de nos coopérations bilatérales montrent d'ailleurs la voie, dans le domaine universitaire ou dans les enjeux de sécurité que j'ai rappelés. Et là, nous sommes dans une phase importante, puisque nous avons commencé à préparer le futur sommet franco-espagnol, puisqu'il y a cette régularité, depuis d'ailleurs très longtemps, et qui nous amène à nous rencontrer tous les ans - normalement tous les ans ; en 2016, pour des raisons propres à l'Espagne cela ne s'était pas tenu. Ce dernier sommet s'est tenu au mois de février 2017 mais il y a maintenant un nouveau quinquennat, un nouvel itinéraire, une nouvelle donne, avec des enjeux de refondation, qui nous sont très chers et sur lesquels nous serons très exigeants, et nous avons convenu tout à l'heure de tenir ce prochain sommet, sur l'ensemble des sujets de partenariat, au premier trimestre 2018, et cela se tiendra en France.
Voilà quelques messages que je voulais vous donner, Mesdames et Messieurs.
Notre entente repose sur un socle de valeurs communes, la démocratie, la culture, le respect du droit, la paix, le multilatéralisme, la coopération. Tout cela, c'est la quintessence du projet européen face aux grands défis de notre temps. Jamais, je crois, depuis la fin de la Guerre froide, nous n'avons vécu une période d'aussi fortes tensions, d'aussi fortes menaces, avec autant de risques, avec en même temps une perte de repères, des ambitions de grandes puissances qui reviennent, la crise du multilatéralisme, sans instance de régulation, sauf une ambition, celle de faire en sorte que l'Europe puisse être là, face à son vrai destin, et que nous puissions l'aider, nous aider nous-mêmes à relever ce grand défi. Les voies ont été tracées par le président Macron il y a quelques jours à la Sorbonne, ces voies sont partagées par les Espagnols, ce qui, aujourd'hui, nous en fait une espèce de boussole et de meilleur guide pour notre action commune : la vôtre, la mienne et celle de tous les gouvernements qui souhaitent rentrer dans cette nouvelle dimension et cette nouvelle aventure européennes.
Voilà ce que je voulais vous dire ; l'Espagne est à ce rendez-vous-là, et je suis convaincu qu'elle pourra relever le défi, la gravité de la situation à laquelle elle est confrontée en ce moment.
Merci de m'accueillir.
Vive l'Espagne, vive la République, vive la France !
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 octobre 2017