Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur Jean Moulin et son engagement dans la Résistance, Paris le 3 septembre 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Inauguration du musée Jean Moulin, à Paris le 3 septembre 1994

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Maire,
Mesdames, Messieurs,
Les difficultés que notre pays doit surmonter aujourd'hui ne sont plus celles d'il y a cinquante ans. Mais nous pouvons encore compter sur les forces que la France libérée a héritées.
Des blessures subsistent encore de ces quatre années d'épreuves et de souffrances. Elles seront longues à guérir, tant elles tiennent de place dans notre mémoire collective. Mais en retrouvant la paix, en entreprenant de se reconstruire, notre pays n'était pas démuni. Il prenait appui sur la volonté des Français de ne jamais revivre ce qui venait d'être vécu, sur le courage qu'inspire l'espoir d'un avenir meilleur. Notre pays pouvait reprendre son élan. La voie était ouverte par les vrais héros de notre temps. Les Français pouvaient, devaient marcher sur leurs traces. Rien ne donne autant confiance que l'exemple. A la Libération, nous avons reçu un dépôt précieux, la mémoire des héros qui ont sauvé la patrie. Jean MOULIN est de ceux-là.
Quand je dis "héros", je pense à ces figures dont le destin particulier se confond avec celui de la nation. Fameux ou moins connus, ils ont le même mérite. Je pense à ces hommes, à ces femmes, à ces jeunes gens, parfois ces très jeunes gens, dont les décisions personnelles ont orienté notre avenir collectif. Je pense à ces destins extraordinaires dont Jean MOULIN est l'emblème et qui ont amené un même homme à prendre des visages aussi différents. Dans la paix, il défendit ses convictions par l'humour, par le dessin et la caricature. Dans la guerre, il opposa à la barbarie les vraies armes que sont l'humanité, la dignité, le refus de subir, le courage.
Ne nous y trompons pas ! Notre temps est fertile en notoriétés faciles, en célébrités souvent fugaces ou provocatrices. Mais les héros véritables sont ceux des causes éternelles, la liberté, la patrie, le refus de la haine, le respect de l'homme, et non ceux que portent, parfois, dans l'opinion publique, des sentiments ou des entraînements passagers.
Mais la mémoire a besoin de relais. C'est le rôle de ce musée consacré à Jean MOULIN de transmettre de lui une image fidèle, qui ne se prête pas aux pièges de lectures rapides et partielles. Les héros de l'Histoire ne sont pas ceux des romans, ni même ceux des médias. Ils ont une densité, une profondeur, une vérité qui les distinguent de tous les autres.
Ce sont ceux dont l'ambition est généreuse, idéaliste, au sens vrai du terme. Ce sont ceux qui, dans l'action, dépassent les limites ordinaires. Ce sont ceux qui oeuvrent pour l'humanité. C'est pourquoi leur mémoire est immortelle.
Jean MOULIN refusa de mentir et de signer un protocole infamant pour notre armée, le 17 juin 1940. Arrêté une seconde sois, il refusa de parler, le 21 juin 1943. il en mourut. C'est l'un des évènements les plus bouleversants de la lutte commune, fraternelle, de citoyens venus d'horizons si divers, au service de la dignité nationale, de la dignité de l'homme.
Parce qu'il était un grand serviteur de l'Etat, Jean MOULIN fut aussi un grand résistant. L'image du résistant et de son oeuvre clandestine, entrée -à juste titre- dans la légende, estompe parfois celle du préfet. Et c'est pourtant de cette idée qu'il se faisait du service de l'Etat qu'il dut tirer la détermination avec laquelle il s'engagea dans la Résistance.
Jean MOULIN était proche de ses administrés. Il veilla avec un soin particulier à leur sécurité et à leur approvisionnement dans les conditions difficiles de la guerre et de l'occupation. Les responsabilités qu'il exerçait, l'attachement qu'il montrait pour une fonction qu'il assuma jusqu'au bout de ses convictions, ne se dissociaient pas du désir, plusieurs fois exprimé, de prendre part à la lutte armée.
Il entendit l'appel du Général de Gaulle qu'il rejoignit à Londres. Celui-ci lui donna sa confiance. Fort de cette investiture du chef de la France libre, Jean MOULIN parvint à rassembler l'ensemble des mouvements de la Résistance, les partis politiques, les centrales syndicales sous une autorité unique. A la veille de la Libération, les patriotes en armes étaient unis, au sein du Conseil National de la Résistance.
Venu de la grande famille radicale, juriste de formation, Jean MOULIN était profondément républicain. Il avait ce sens de l'Etat que donne la conscience du Droit et que renforce l'exercice du service public. Préfet et résistant, il contribua à rétablir la Nation dans ses droits et à restaurer l'Etat républicain. En définitive, c'est bien ce sens de la légitimité historique qui triompha en ces temps troublés et assura la continuité républicaine. Le premier Président du Conseil National de la Résistance fut aussi le Premier Délégué Général du Gouvernement Provisoire de la République.
En lui rendant hommage aujourd'hui, en inaugurant ce musée, nous réaffirmons avec force nos convictions nationales et démocratiques.
Son action, puis son martyre, ont contribué à refonder notre Etat républicain. Comme le déclarait la constitution du 24 juin 1793, "l'oubli et le mépris des droits naturels de l'homme sont les seules causes des malheurs du monde".
C'est pour que ces droits ne soient plus jamais oubliés ni méprisés que Jean MOULIN lutta, qu'il se sacrifia. C'est pour l'égalité, pour la liberté, pour ces droits fondamentaux que menaçait la tyrannie nazie, que des Français sont devenus des héros.
Il fallait rebâtir la France, dans l'esprit qui avait fait la force de la Résistance, dans un souci de liberté, de justice. Il fallait bâtir les fondations de la société nouvelle à laquelle, après les malheurs de la guerre, les Français aspiraient. La tâche était immense. Elle l'est toujours. Elle ne sera jamais terminée, car les changements du monde nous imposent de changer nous-mêmes.Sachons rester fidèles à l'exemple de Jean MOULIN et des héros de la Résistance. Nous sommes aujourd'hui rassemblés, pour les honorer, parce qu'ils demeurent dans nos coeurs un impérissable exemple.