Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur le débarquement allié du 6 juin 1944 et la libération du continent européen, Sainte Mère l'Eglise le 5 juin 1994.

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Circonstance : Cérémonies commémoratives du débarquement allié du 6 juin 1944 à Sainte Mère L'Eglise, le 5 juin 1994

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Quel lieu pourrait mieux convenir à la célébration de l'amitié qui lie les Français aux Américains que celui de Sainte-Mère-Eglise ?
C'est dans ce village aujourd'hui célèbre qu'il nous fallait vous redire notre reconnaissance pour être venus, il y a cinquante ans, libérer le continent européen.
Ces côtes de Normandie, à jamais entrées dans l'Histoire, portent désormais les noms de votre action : UTAH, OMAHA, GOLD, JUNO, SWORD, tels furent pour nous les premiers mots de la liberté. Plus de 100.000 soldats vinrent, des Etats-Unis d'Amérique et de quatorze autres nations alliées, infléchir le cours de la guerre. Paris serait bientôt libéré et l'Europe rendue à elle-même.
Dès l'aube du jour J, une vague de C 47 largua sur le canton de Sainte-Mère-Eglise les premiers parachutistes de la 82ème division Aéroportée. L'infanterie, à son tour, débarquait quelques heures plus tard. Dès ce moment, les Alliés ont pu mesurer le prix de leur solidarité, tellement furent nombreux ceux qui laissèrent ici leur vie, dans les marais avoisinants ou sous le feu de l'ennemi.
A l'aube du jour J, le destin de l'Europe avait changé. Aussi la reconquête de Sainte-Mère-Eglise est-elle aujourd'hui présente à toutes les mémoires.
C'est le souvenir fameux du soldat John STEELE qui survécut, suspendu quatre heures au clocher de l'église. Mais ce sont aussi toutes ces tombes qui marquent à jamais nos rivages et témoignent de leur engagement.
Sainte-Mère-Eglise et la France toute entière savent, anciens combattants ici rassemblés, ce que nous devons à vous et à ces hommes qui sont morts pour la liberté. Que ce cinquantième anniversaire du débarquement renforce encore les liens noués aux heures les plus noires de notre siècle.
Que cette commémoration nous incite aussi à tout mettre en oeuvre pour le maintien de cette paix qu'ensemble nous avons si chèrement acquise !
Au-delà de la victoire de 1945, nous savons la part prise par les Etats-Unis dans le maintien de la paix sur le sol européen. La libération n'a en effet pas mis fin à leur effort et c'est avec l'appui de nos Alliés américains que l'Europe de l'Ouest a pu se reconstruire et vivre en paix pendant cinquante ans.
Aujourd'hui le monde a changé. La réussite du modèle Ouest européen, fondée sur la liberté n'est plus contestée; le mur de Berlin qui séparait le continent n'est plus.
L'Europe toute entière est en pleine évolution. Nous nous en sommes réjouis. Mais ces mutations portent en elles-mêmes leurs risques.
Pour la première fois depuis 1945, la guerre a reparu sur le sol européen et ravage le territoire de l'ex-Yougoslavie.
En ce jour de commémoration, nous devons réaffirmer notre refus de voir bafouées la liberté et les valeurs auxquelles, ensemble, nous croyons.
Nous devons également tout entreprendre pour que de telles situations ne puissent pas se renouveler.
Le pacte de stabilité, que la France propose pour l'Europe pourrait demain prévenir les crises.
L'Union Européenne devra mieux prendre en charge sa Défense aux côtés de l'Alliance atlantique qui restera le fondement essentiel de la solidarité entre les deux rives de l'Atlantique.
Ainsi défendue, la paix restaurée il y a cinquante ans, forte sur tout le continent d'une véritable assise démocratique se nourrira des liens indéfectibles que donne, des deux côtés de l'Atlantique, la conviction de partager les mêmes valeurs, forgées dans les épreuves du passé.