Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Toute la presse ce matin de droite comme de gauche pour s'en féliciter ou s'en inquiéter est d'accord sur un point : la réforme du code du travail est historique pour la France. Muriel PENICAUD, bonjour.
MURIEL PENICAUD
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Ministre du Travail. Dans un an, on vous invitera, c'est promis, à nouveau sur France Inter. Vous annoncerez combien d'emplois créés grâce à cette réforme ?
MURIEL PENICAUD
La création d'emploi, c'est la priorité de tout le monde. Elle relève de plusieurs choses. La première, c'est la croissance des marchés et on a ces signaux-là, donc il faut le saisir. Il y a un volet qui est le code du travail, il y aura un volet qui est la réforme de la formation professionnelle et l'investissement dans les compétences. Parce que s'il y a la croissance, qu'il y a des besoins d'emploi mais qu'on n'a pas les compétences en face, c'est une perte d'opportunité pour les demandeurs d'emploi de trouver un emploi, mais c'est une perte de compétitivité pour les entreprises et la France. C'est un ensemble. Et donc dans un an, on fera - j'espère qu'avant un an on verra beaucoup de choses. On verra les effets de la réforme du code du travail mais ce n'est pas une baguette magique qui réduit le chômage. C'est un ensemble cohérent de politiques qui va permettre de le faire.
NICOLAS DEMORAND
Il n'y a pas de lien de cause à effet entre une réforme du code du travail et la création d'emploi ?
MURIEL PENICAUD
Il n'y a pas d'effet mécanique d'une seule réforme mais par contre, l'ensemble code du travail formation professionnelle apprentissage augmentation du pouvoir d'achat, oui. Tout ça aura des effets sur l'emploi dans une perspective encore une fois où il nous faut saisir les opportunités de la croissance. Car le problème, ce n'est pas simplement d'avoir de la croissance, c'est une croissance riche en emploi. Et pour ça, il faut libérer les énergies des entreprises et il faut aussi former les demandeurs d'emploi car la meilleure sécurité pour eux c'est la compétence. Et donc, c'est un ensemble cohérent qu'on verra dans les mois qui viennent.
NICOLAS DEMORAND
Cinquante salariés, c'est la ligne de partage des eaux désormais entre les salariés qui ont des droits et ceux qui en ont moins ?
MURIEL PENICAUD
Absolument pas.
NICOLAS DEMORAND
Comment ça ?
MURIEL PENICAUD
Moi, je pense que ce qu'on est en train de résoudre qui n'est jamais arrivé, c'est qu'il puisse y avoir un dialogue social et que les salariés aient leur mot à dire dans l'entreprise à toutes les tailles d'entreprise. Historiquement, le code du travail et c'est normal, ça correspondait à une époque a été beaucoup fait par des négociations et par des lois qui pensaient un modèle où on avait un emploi à vie dans une grande entreprise industrielle. Et donc, l'essentiel du travail a été conçu pour les grandes entreprises et par des grandes entreprises et les organisations syndicales et plutôt au plus haut niveau. C'est une loi de décentralisation. C'est une loi où on veut permettre à un entrepreneur, aux salariés, aux représentants des salariés, organisations syndicales autant que possible, et sinon des petites entreprises des élus du personnel, d'avoir leur mot à dire sur ce qui les concerne au quotidien. C'est ça. La rupture, c'est la décentralisation par rapport à une France administrée.
NICOLAS DEMORAND
Mais on est tout de même d'accord sur le fait qu'il y aura moins de droits pour les entreprises - je vous repose exactement la même question pour les salariés des entreprises de moins de cinquante personnes.
MURIEL PENICAUD
Pourquoi il y aura moins de droits ? Il y a des accords de branche qui s'appliquent à tous, qui auront des dispositions enfin adaptées aussi aux petites et moyennes entreprises et si l'employeur et les salariés veulent faire autre chose, je ne vois pas les salariés tellement, ou encore moins les organisations syndicales, signer des choses défavorables à eux-mêmes. Ils peuvent faire autrement, ils peuvent faire plus. Sinon, il y a tout le code du travail qui s'applique. C'est la loi, elle est au-dessus de tout, c'est le cadre général.
NICOLAS DEMORAND
Mais on peut y déroger. On peut y déroger par référendum.
MURIEL PENICAUD
Pourquoi vous croyez que les salariés Vous par exemple, si on vous propose un référendum
NICOLAS DEMORAND
Nous, on est plus de cinquante. On est plus de cinquante. Ça change tout, ça change tout.
MURIEL PENICAUD
Par référendum, vous croyez que les salariés vont signer un truc qui leur est défavorable ? Et les syndicats, vous croyez qu'ils vont signer ?
NICOLAS DEMORAND
Dans certains contextes, oui.
MURIEL PENICAUD
Il faut faire confiance aux acteurs.
NICOLAS DEMORAND
Oui, il faut faire confiance aux acteurs mais dans certains contextes par exemple d'une grande difficulté économique, le rapport de force n'est plus équilibré entre les patrons et les salariés.
MURIEL PENICAUD
Ce qui est vrai, c'est que le contrat individuel n'est pas équilibré. Parce que le lien de subordination, il est réel entre un salarié et son employeur.
NICOLAS DEMORAND
Oui. C'est pour ça qu'il y a un code du travail pour rééquilibrer cette relation.
MURIEL PENICAUD
C'est pour ça qu'il y a un code du travail et c'est pour ça qu'il y a de l'organisation collective et c'est pour ça qu'il y a des représentants du personnel. Et le mode, j'allais dire le modèle social à la française, il est basé sur cette idée d'un équilibre par la représentation des salariés. Or aujourd'hui la réalité, c'est que dans les entreprises de moins de cinquante salariés, il n'y en a pas. Pourquoi ? Parce que comme le dispositif prévu ne fonctionne pas dans les petites, il y a 4 % de délégués syndicaux dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Aujourd'hui les salariés des petites entreprises sont moins représentés, ont moins leur mot à dire que les grandes.
NICOLAS DEMORAND
Donc on en prend acte et on passe à autre chose, c'est ça ?
MURIEL PENICAUD
Non. On va donner un moyen pour qu'ils aient une voix. Aujourd'hui, ils n'en ont pas. C'est donc un apprentissage de la négociation. Au fur et à mesure que l'entreprise grandit, il y a une maturité de la négociation et là on va vers le modèle qu'on souhaite qui est un débat patronat-syndicats dans l'entreprise, qui permet vraiment de faire à la fois de la performance économique et du progrès social.
NICOLAS DEMORAND
On pourra renégocier au sein d'une entreprise treizième mois, primes, ancienneté ?
MURIEL PENICAUD
Alors, les primes sont principalement discutées au niveau des branches. Mais dans une entreprise où l'employeur et la majorité, les organisations syndicales avec un accord majoritaire, décident de faire autrement, ils pourront faire autrement.
NICOLAS DEMORAND
Donc on peut casser un accord de branche à la majorité des salariés ?
MURIEL PENICAUD
Si les syndicats le signent. Je vais vous donner un exemple.
NICOLAS DEMORAND
Mais je croyais qu'ils avaient disparu dans les entreprises de moins de cinquante personnes.
MURIEL PENICAUD
Le sujet de la négociation contient toutes les tailles. Mais même dans une entreprise de moins de cinquante, il y aura des élus du personnel. Imaginez que c'est une jeune entreprise innovante. La moyenne d'âge est trente ans. Aujourd'hui, la branche vous dit : « Vous faites une prise d'ancienneté. Par contre, vous n'avez pas de prime de garde d'enfant, vous n'avez pas de prime pour l'innovation. » Moi, je pense qu'il y a des salariés qui seront plus intéressés pour discuter : « Est-ce que je peux avoir une prime de garde d'enfant ou une prime d'innovation qu'une prime d'ancienneté alors que j'ai 28 ans et que j'ai l'impression que j'aurais changé trois fois d'entreprise d'ici-là ? » Voyez, il faut s'adapter à la réalité du terrain. Parce que ce qui intéresse les salariés, ce qui intéresse les employeurs, ce n'est pas des droits théoriques plaqués, c'est leurs droits à eux.
NICOLAS DEMORAND
Une prime d'ancienneté, un treizième mois, ce n'est pas un droit théorique.
MURIEL PENICAUD
Quand vous avez 28 ans et que, par contre, vous n'avez pas les primes pour les sujets qui vous concernent, c'est un droit théorique parce que vous n'en bénéficierez pas.
NICOLAS DEMORAND
Pourquoi restreindre les choses au lieu de les étendre ? Il y a bien une logique de retirer les droits, un certain nombre de droits aux salariés. Vous dites : « Ils n'ont pas nécessairement les primes qu'ils veulent. » Pourquoi est-ce qu'il faut faire un choix entre les droits des salariés ?
MURIEL PENICAUD
Je crois que ce n'est pas du tout ça. L'état d'esprit qu'on veut changer à travers cette évolution du code du travail, c'est qu'on fait confiance aux acteurs. C'est-à-dire qu'évidemment, si on pense que tous les employeurs n'ont qu'une idée, c'est de licencier les gens et que tous les syndicats, les représentants du personnel, n'ont qu'une idée, c'est de ne rien négocier et de ne pas avancer, et de ne pas défendre leurs droits, évidemment il ne faut rien faire. Mais nous, on fait le pari de l'intelligence collective. On fait le pari que dans une majorité d'entreprises, une très grande majorité et ça, c'est mon expérience de terrain qui parle, je peux vous dire que je connais plein d'exemples de mon expérience, d'autres expériences. J'étais il y a quelques semaines dans une entreprise de menuiserie industrielle, ils font un dialogue social formidable. Ils avaient des opportunités de marché, ils ont décidé de travailler le dimanche, d'embaucher des femmes, de revoir toute l'ergonomie des postes de travail. Ça existe, il faut aller sur le terrain, il faut voir ces entreprises. Ils n'ont qu'une idée, c'est qu'on les laisse avancer pour faire plus de progrès économiques, plus de progrès social. Cette loi, c'est la différence entre ceux qui n'ont pas confiance dans les acteurs et ceux qui ont confiance que les acteurs sur le terrain, encadrés par la loi, feront du mieux social et du mieux économique.
NICOLAS DEMORAND
Vous avez confiance dans les multinationales qui vont pouvoir en France gérer les choses différemment qu'à l'échelle du monde ?
MURIEL PENICAUD
Il y a vingt mille entreprises étrangères en France qui ont créé des millions d'emplois. Il y a des multinationales. Vous savez, les comportements les plus avancés socialement ne dépendent pas de la taille des entreprises. Ils dépendent des chefs d'entreprise, de leur philosophie et il y a beaucoup de chefs d'entreprise qui ont une vision vraiment du dialogue social, qui veulent les syndicats, qui savent que c'est important et puis il y en a d'autres que ce n'est pas le cas. Mais ce n'est pas lié à la taille, c'est plutôt lié à la philosophie managériale et puis aussi quelles organisations syndicales ils ont en face.
NICOLAS DEMORAND
Oui, mais quand on a des champions de l'optimisation fiscale, qu'est-ce qui vous dit que la gestion des ressources humaines sera soudainement éthique ?
MURIEL PENICAUD
Alors le code du travail protège et met les bornes, et heureusement, et il sanctionne quand il y a des excès. Typiquement, le juge est habilité et le sera et le restera si une entreprise créée des difficultés artificielles financières pour j'allais dire faire des mesures sociales négatives. Il y a tout ce qu'il faut dans le code du travail pour pouvoir en juger et pour pouvoir la condamner. Mais il ne faut pas confondre la minorité d'entreprises pour lesquelles il faut absolument un code du travail très protecteur et qui soit capable de sanctionner sévèrement et puis une majorité où les gens ont envie d'avancer ensemble.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 septembre 2017