Déclaration de Mme Florence Parly, ministre des armées, sur la protection des victimes dans les conflits armés, à Paris le 16 novembre 2017.

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Circonstance : Comité international de la Croix rouge, à Paris le 16 novembre 2017

Texte intégral


Monsieur le président de l'Assemblée nationale,
Monsieur le ministre,
Monsieur le président du CICR,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Le droit et la morale sont des choses fragiles. Les acquis patients de décennies ne tiennent qu'à l'ardeur avec laquelle on les défend à chaque instant.
Et force est de constater que les dernières années n'ont pas été bonnes.
Tournons les yeux vers un seul endroit pour nous en convaincre : la Syrie.
Est-il une règle de droit et de morale qui n'y ait pas été foulée au pied par le régime syrien? Le bombardement indiscriminé des villes. Le ciblage délibéré de civils. Les enfants et les femmes enceintes qu'on vise pour les tuer. Les hôpitaux détruits méthodiquement ; les médecins et les secouristes qu'on assassine. Le viol et la torture pour briser les volontés. Le recours à l'arme chimique, comme les Nations Unies viennent d'en attribuer la responsabilité aux tueurs de Bachar al-Assad.
Est-il aussi un seul tabou qui ait été épargné par les jihadistes ? Les attentats aveugles. Les mutilations. Les mises en scène odieuses. Les enfants embrigadés jusqu'à l'horreur. Rien, rien n'aura été épargné à ce territoire meurtri, sur les rives de notre Méditerranée.
Bienvenue au XXIème siècle, cent ans après la première guerre mondiale, soixante-dix après la seconde - après toutes les promesses que cela n'aurait plus jamais lieu.
La guerre ne peut pas, ne doit pas être ce moment de sauvagerie, où la finalité justifie tout, et où la conscience s'éteint. Cela, la France ne peut pas l'accepter. Cela, il est dans l'identité même de notre pays de le refuser, et de le combattre, de toute notre vigueur et de toute notre force. Page 3 sur 5
La protection des victimes dans les conflits armés est un combat ancien de la France. Il est malheureusement plus que jamais d'actualité.
Je remercie donc le Comité international de la Croix Rouge de s'être saisi de cette question et de permettre au cours de ces échanges, notamment lors des trois tables rondes qui s'annoncent tout à l'heure, de débattre de la protection des victimes à l'heure des conflits modernes. C'est une réflexion déterminante et je me réjouis qu'elle ait pu réunir des intervenants nombreux, divers et de qualité.
Un colloque d'une telle tenue est, je crois, le plus hommage qui pouvait être rendu aux Protocoles additionnels pour leur 40e anniversaire.
La réflexion que nous menons aujourd'hui s'impose d'autant plus que les conflits ont changé, ont changé profondément.
Sur le terrain, la France fait face à des ennemis plus résolus, mieux armés et qui n'obéissent à aucune règle. Le droit est évidemment inconnu des soldats du fanatisme, de ceux pour qui chaque enfant peut être une bombe et chaque civil un bouclier.
Face à ces combattants, c'est l'honneur de la France de respecter, toujours, les règles du droit.
Le général George Marshall avait écrit : « la puissance militaire remporte des batailles, la force morale remporte des guerres ». C'est la conviction même de notre République. Répondre à la barbarie par la barbarie ne permettra aucun succès. Seul le droit, le respect des règles et des populations civiles permettront nos victoires.
Dire que les conflits ont changé, c'est aussi prendre conscience des défis charriés par les nouvelles technologies. Le droit, bien souvent, n'y apporte pas encore de réponses. Ce colloque intervient justement à point nommé, car aujourd'hui même se réunit pour la première fois, à Genève, un groupe d'experts gouvernementaux pour examiner la Page 4 sur 5
problématique des systèmes d'armes létaux autonomes, les SALA. Plus connus sous le nom inquiétant de « robots tueurs », nous devons anticiper leur utilisation et leur développement. C'est ce que nous ferons en rappelant tout à l'heure à Genève, avec l'Allemagne, qu'une solution peut venir du droit et notamment de l'article 36 du premier protocole additionnel.
C'est pourquoi je veux l'affirmer clairement : sur les champs de bataille, le droit n'est pas une contrainte : c'est une arme.
Chaque décision, à chaque niveau, doit respecter les principes cardinaux du droit international humanitaire. Ces principes, qui sont autant de guides, nous les connaissons : l'humanité, la proportionnalité, la distinction, la nécessité et la précaution. Pour en faire des réalités, nous appliquons deux impératifs : tendre à n'infliger aucun dommage collatéral et adapter en permanence nos moyens et nos méthodes d'action.
Respecter ces principes, comme ceux du droit international des droits de l'homme, est un véritable défi. Mais ce respect est la condition de la légitimité de l'usage de la force, de la préservation des populations civiles et de l'acceptation de notre présence sur le terrain.
Relever le défi du droit, c'est aussi oeuvrer, pleinement, avec des partenaires humanitaires.
Au premier rang de nos partenaires humanitaires se trouve bien sûr le Comité international de la Croix rouge. Je tenais, Monsieur le Président, à saluer ici l'action exceptionnelle du CICR, partout dans le monde.
Le CICR est un exemple de courage, de réactivité et d'engagement pour l'aide humanitaire. Nous savons ce que nous devons au CICR ; nous savons, par exemple, quel a été son secours pour protéger les victimes ou les personnes capturées ou détenues lors des opérations Serval puis Barkhane.
La France croit profondément dans l'action des organisations humanitaires. Elle leur donne une voix, elle souhaite les associer et les protéger. C'est le sens, notamment, de l'engagement de notre pays en faveur de la protection des personnels humanitaires et médicaux.
La France n'oublie aucune victime, surtout pas les plus vulnérables. Et je suis fière de l'action de notre pays pour la protection des enfants dans les conflits. Les enfants sont enrôlés, endoctrinés puis utilisés comme bombes humaines. Sur tous les champs de bataille, les enfants sont d'abord des victimes et nous nous devons de les protéger.
Je sais ce qu'est la guerre. En six mois, j'ai rencontré nos femmes et nos hommes partout dans le monde. Je sais la difficulté de leur mission et leur engagement exemplaire. Et cet engagement, vous le savez, se fait à la fois « pour l'observation des lois et le succès des armes de la France ».
J'aimerais, pour conclure, partager avec vous une réflexion du biologiste Jean Rostand : « la faiblesse des démocraties, c'est qu'il leur faille trop souvent se renier pour survivre ». Je le crois.
La France est un pays libre, un pays de droit. En République, il n'y a pas de petite entorse à la loi, pas de petite égratignure à la démocratie. Et c'est en étant exemplaires que nous puiserons la force et la ressource pour vaincre nos ennemis, préserver les populations et protéger nos valeurs.
Je me réjouis à nouveau que le CICR ait choisi de se saisir de ce thème et je vous souhaite d'excellents débats. Merci à tous.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 17 novembre 2017