Texte intégral
Je voudrais tout d'abord remercier chaleureusement le ministre des affaires étrangères, Wang Yi, pour son accueil. C'est mon premier déplacement en Chine comme ministre de l'Europe et des affaires étrangères mais nous nous sommes déjà rencontrés à plusieurs reprises dans différentes instances internationales. Cette visite ici, je m'y étais engagé depuis longtemps, me fait beaucoup de plaisir. Cela témoigne de l'importance que la France accorde à ses relations avec la Chine. Puisque nous avons en plus en point d'orgue la visite d'État du président français, M. Emmanuel Macron qui viendra en Chine en visite au début de l'année prochaine.
Ma visite m'a d'ores et déjà permis d'entretenir avec le Premier ministre Li Keqiang, la vice-Premier ministre Liu Yandong, le conseiller d'État (affaires étrangères) Yang Jiechi ainsi que le ministre du commerce Zhong Shan. À chacun d'eux j'ai exprimé la volonté qui anime la France d'un partenariat placé sous le signe de la confiance et de la réciprocité, à l'image des intérêts mutuels que nous partageons aujourd'hui. Je suis convaincu qu'il existe un potentiel inexploité pour renforcer encore nos liens dans un esprit d'ouverture et de respect mutuel.
Pour ma part, je souhaite souligner trois axes. D'abord le multilatéralisme. La scène internationale est marquée par des incertitudes, des tensions, des crises et dans ce contexte la France et la Chine doivent rappeler leur volonté de coopération, leur volonté d'ouverture à l'échelle mondiale et rappeler aussi leur attachement aux règles et aux normes multilatérales. Trois mots pourraient résumer cela : multilatéralisme, libre-échange, Nations unies.
Le changement climatique a été l'un des dossiers prioritaires de nos entretiens. Nous avons discuté de la mise en oeuvre de l'Accord de Paris et la France et la Chine partagent la même analyse : l'Accord de Paris ne sera pas renégocié, cet accord est de portée universelle et doit donc être appliqué. Et la France sait qu'elle pourra compter sur le soutien de la Chine lors du sommet international sur le climat qui se tiendra à Paris le 12 décembre.
J'ai dit multilatéralisme. Deuxième axe : la gestion de crise. Nous en avons parlé déjà. Nous allons en reparler tout à l'heure. Les tensions régionales et les défis globaux mettent en péril la stabilité internationale. La France et la Chine, membres du conseil de sécurité des Nations unies, puissances nucléaires et membres du G20, ont donc à jouer un rôle ensemble à la mesure de leurs responsabilités internationales. Ce qui veut dire que nous échangeons souvent sur toutes les crises et qu'en fait nous aboutissons souvent à avoir des positions communes voire parfois identiques.
Enfin, troisièmement, au-delà de ces enjeux multilatéraux, le but de ma visite est aussi de faire avancer un certain nombre de sujets concernant notre relation bilatérale. Dans le domaine économique, la France est le troisième partenaire commercial de la Chine en Europe, et la Chine, notre premier partenaire commercial en Asie. La coopération franco-chinoise dans le domaine du nucléaire civil est exemplaire avec notamment l'arrivée en service prochainement du premier EPR au monde - qui est franco-chinois - à Taishan et avec, en particulier, le partenariat industriel noué autour d'Hinkley Point au Royaume-Uni. Nous souhaitons continuer à développer ces partenariats fructueux entre nos entreprises dans de multiples secteurs : l'aéronautique, mais aussi dans de nombreux autres domaines tels que l'innovation, les services financiers, l'agro-alimentaire, la santé, l'économie du vieillissement, le développement urbain durable, le tourisme et évidemment le sport dans la perspective des Jeux olympiques d'hiver en Chine et des Jeux olympiques d'été à Paris. Et dans tous ces domaines, la France et les entreprises françaises possèdent une expertise reconnue. Nous avons fait l'inventaire des possibilités de partenariats que nous pourrions avoir et qui seront validés lors de la venue du président Macron.
Ces succès ne signifient pas, bien entendu, qu'aucun effort n'est plus à faire : je viens d'évoquer avec le ministre Wang Yi l'importance d'une relation économique équilibrée, fondée sur l'ouverture et la réciprocité, qui sont l'assurance de relations économiques mutuellement bénéfiques dans la durée. C'est une nécessité pour convaincre nos concitoyens des bienfaits de l'ouverture commerciale et de sa comptabilité avec le respect de nos souverainetés respectives. Et avec les autorités chinoises, nous sommes convenus de promouvoir davantage encore les synergies entre les plans «Industrie du futur» et «China manufacturing 2025». La France souhaite accueillir d'avantage d'investissements chinois dans le cadre de projets porteurs de croissance et d'emplois pour nos deux pays, toujours selon le même principe - que nous partageons - de respect mutuel de nos souverainetés. C'est aussi le sens de l'ambition européenne renouvelée de notre pays ; celui d'une Europe souveraine dans le domaine économique et capable de projets collectifs majeurs dans l'industrie, les nouvelles technologies, l'innovation. L'Europe est un pôle mondial de stabilité. C'est aussi le premier partenaire commercial de la Chine. Nous souhaitons donc que notre partenariat puisse également aller de l'avant dans ce cadre.
Nous avons rendu publique une déclaration commune à la suite du quatrième dialogue sur les échanges humains ce matin. Donc je ne reviendrai pas sur ce point et vous remercie de votre attention.
Q - J'aimerais savoir ce que la France attend de la Chine dans le dossier nord-coréen. Est-il urgent d'accroitre la pression ou êtes-vous d'accord avec Wang Yi de forcer le dialogue ? Que pensez-vous de la proposition de la Chine d'un double moratoire ?
R - Je vais compléter sur les propos de mon ami Wang Yi sur la situation en Corée du Nord. D'abord, il y a eu un saut qualitatif dans le risque et dans la menace que l'on n'a pas mis suffisamment en avant et que je veux dire ici. Les derniers essais de missiles balistiques, d'une part, - en raison de leur capacité d'allonge en particulier - et, d'autre part, les derniers essais nucléaires sont d'un niveau beaucoup plus important qu'auparavant.
Il y a eu un saut technologique très significatif. Si d'aventure il y avait la militarisation de la charge nucléaire pour permettre son portage par l'engin balistique - des engins balistiques qui ont été tiré récemment - cela perturberait considérablement la situation géopolitique et mettrait en grave difficulté et en grave situation de menace beaucoup de pays. Tout cela se fait à la frontière de la Chine.
On n'est plus dans la même histoire. Ce n'est plus le même type de capacité qu'il y a encore deux ou trois ans. Et c'est vrai que la Corée du Nord est allée très vite dans l'acquisition de ces capacités, et qu'elle peut encore aller très vite pour aller jusqu'au terme. C'est bien le sujet : qu'elle n'aille pas jusqu'au terme. D'où l'urgence. Parce qui si d'aventure la prolifération était au rendez-vous, alors elle peut se généraliser. D'autres peuvent être saisis par cette idée. Et demain ou après-demain, on a une menace de guerre nucléaire, et c'est ce contre quoi les pays membres permanent du conseil de sécurité s'élèvent. La meilleure preuve est que, sur les dernières résolutions, la Chine y a contribué, donc nous sommes en accord. Les dernières résolutions visaient à renforcer les sanctions, à dissuader pour amener les autorités de Corée du Nord à la table des négociations. Pour aboutir à une dénucléarisation de l'ensemble de la péninsule. C'est cela l'objectif, seule la pression et donc les sanctions peuvent amener à la négociation. Il n'y a pas de solution militaire, ou alors la solution militaire, c'est la solution extrême que précisément personne ne souhaite. Il faut donc forcer les négociations et trouver les voies et moyens pour ce faire. C'est vrai que la Chine est bien placée pour pousser. Mais sur l'appréciation de la menace et l'appréciation du risque, je crois que nous sommes d'accord.
Ensuite, nous avons un point de désaccord mais qui, me semble-t-il, est second par rapport à ce que je viens de dire. Nous avons un seul point d'appréciation différent. Je ne crois pas beaucoup à la stratégie de la double suspension, parce que d'abord je ne vois pas aujourd'hui la Corée être prête à négocier le principe même de ces programmes nucléaires - parce que c'est cela le principe de la double suspension - et d'autre part, compte tenu de l'aggravation de la menace, les États-Unis et la Corée du Sud peuvent difficilement accepter une réduction de leurs exercices conjoints, qui sont d'une certaine manière une forme de réassurance pour la population sud-coréenne. Donc, si elle aboutit cette logique - l'objectif étant la dénucléarisation de la péninsule - tant mieux. Mais je ne crois pas vraiment que ce soit la bonne approche. Il faut donc établir, pendant la période de pressions et de sanctions, d'autres mesures pour réamorcer le dialogue. Il faut trouver les mesures du dialogue pour que tout le monde se mette à la table des négociations. C'est - je crois - la position de la Chine et la position de la France.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 décembre 2017