Interview de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail à RTL le 29 novembre 2017, sur le vote définitif de la loi Travail et le renforcement du dialogue social.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

YVES CALVI
Elizabeth MARTICHOUX, vous recevez ce matin Muriel PENICAUD, ministre du Travail.
ELIZABETH MARTICHOUX
Bonjour Muriel PENICAUD.
MURIEL PENICAUD
Bonjour.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci d'être dans ce studio de RTL, au lendemain du vote définitif de la loi Travail hier à l'Assemblée nationale, très large majorité. Quand est-ce qu'elle aura des effets sur les embauches ? Sachant qu'un des objectifs, vous l'aviez dit, c'était de lever les freins à l'embauche, des entreprises.
MURIEL PENICAUD
Alors, la loi sur le renforcement du dialogue social, commence à avoir des effets, mais on en aura aussi beaucoup à moyen terme. Des effets pourquoi ? Parce que les ordonnances sont publiées depuis le 22 septembre et qu'on voit... j'ai vu beaucoup, notamment de chefs d'entreprise et de salariés dans les TPE et les PME – Petites et Moyennes Entreprises – et il y a, oui, il y a un réflexe de confiance accrue, qui fait que, avec la confiance qui repart, en même temps, bien sûr, il faut des marchés pour créer de l'emploi. Il y a cette envie de créer des emplois. Mais, ceci dit, c'est surtout du travail, c'est surtout des effets à moyen/long terme, et il faut aussi les conjuguer avec tout ce qu'on va faire sur la formation, l'apprentissage, parce que maintenant il faut que les entrepreneurs trouvent des compétences, et les marchés repartent, mais il faut aussi qu'ils trouvent des compétences.
ELIZABETH MARTICHOUX
Les compétences, on va y revenir, avec votre nouvelle loi, mais vous l'avez dit, le chômage, enfin, vous l'avez dit, vous le savez, le chômage reste très élevé, les chiffres font du yoyo, on a encore vu une légère hausse du chômage le mois dernier. Alors, vous ne commentez pas au mois le mois les chiffres, mais enfin, la tendance n'est pas encore très nette, la reprise économique est là, pourquoi ça ne se voit pas sur le marché de l'emploi ?
MURIEL PENICAUD
Alors, la reprise économique est là, mais il y a encore... D'abord, on est dans une économie en pleine mutation, donc il y a des créations d'emploi, mais il y a des destructions d'emploi, et puis aujourd'hui...
ELIZABETH MARTICHOUX
Il y a plus de créations d'emploi.
MURIEL PENICAUD
Il y a plus de créations d'emploi, on est en créations d'emploi importantes, mais pour faire baisser le chômage, on a 150 000 personnes nouvelles qui arrivent chaque année sur le marché du travail. Donc, on commence à faire baisser le chômage, quand on crée plus de 150 000 emplois, ce qui est le cas, mais donc ça ne peut pas être du jour au lendemain, et puis surtout maintenant, il faut que l'on travaille aussi sur les compétences, parce que comme on a eu un chômage de masse pendant très longtemps, malheureusement il y a beaucoup de demandeurs d'emploi qui ont un peu perdu leur métier, ou dont le métier a évolué, il faut leur donner la chance d'acquérir une nouvelle qualification, qui va leur permettre de bénéficier de cette croissance, pour avoir un emploi.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ça veut dire, aujourd'hui, concrètement, trop d'emplois non pourvus, et trop de chômeurs sans qualification.
MURIEL PENICAUD
C'est ça.
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est ça l'état du marché du demandeur d'emploi.
MURIEL PENICAUD
C'est l'état du marché, donc voilà, il y a une action à mener entre les deux, ça va être l'objet du grand plan d'investissements compétences et des prochaines réformes, c'est de réduire.
ELIZABETH MARTICHOUX
Compétences, hein, compétences, c'est le nouveau mot, vous l'avez déjà dit deux, trois fois, et la semaine dernière vous avez écrit dans Le Monde : « Je veux construire une société de compétences ». Juste, combien d'emplois non pourvus aujourd'hui ? Puisqu'il y a des chiffres contradictoires.
MURIEL PENICAUD
Oh, on ne sait pas exactement, mais c'est... Voilà, il y a des chiffres contradictoires parce qu'il n'y a pas un répertoire national.
ELIZABETH MARTICHOUX
Non, mais vous, quel étiage, quel niveau ?
MURIEL PENICAUD
C'est évidemment plus que quelques dizaines de milliers d'emplois et...
ELIZABETH MARTICHOUX
Des centaines de milliers d'emplois.
MURIEL PENICAUD
C'est des centaines de milliers, mais je ne sais pas combien.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et pourquoi vous ne voulez pas, d'ailleurs, juste par parenthèse ? Pourquoi, ça a l'air d'être si touchy, si sensible, de mesurer précisément le nombre d'emplois dans Paris.
MURIEL PENICAUD
Non mais c'est très compliqué, il s'en crée tous les jours, donc c'est compliqué à mesurer.
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, votre deuxième réforme en cours, c'est de précisément modifier le système de formation, construire cette société des compétences. Vous avez écrit aussi la semaine dernière qu'il était aujourd'hui trop centré et focalisé sur la gestion des dispositifs. Ça veut dire que la politique actuelle c'est d'entretenir des dispositifs qui ne sont pas pertinents ?
MURIEL PENICAUD
Je crois que les dispositifs de formation et d'apprentissage, et chacun d'entre nous peut le voir, ne sont pas à la hauteur des besoins. Aujourd'hui il y a seulement un chômeur sur dix, chaque année, qui peut se former, alors qu'on sait très bien que la qualification c'est la meilleure protection contre le chômage. A bac+2 et au-dessus, il y a simplement un peu plus de 5 % de chômage.
ELIZABETH MARTICHOUX
Un chômeur sur dix seulement qui a une formation. Alors que ce sont eux qui en ont le plus besoin.
MURIEL PENICAUD
Mais quand on n'a pas de qualification, c'est 18 %, donc presque un sur cinq qui n'a pas... qui est au chômage. Donc c'est vraiment un enjeu majeur et aujourd'hui dans les entreprises, c'est pareil, si vous êtes salarié d'une petite entreprise, vous avez une chance sur trois d'accéder à une formation, deux chances sur trois dans une grande. Si vous êtes ouvrier ou employé, vous avez une chance sur trois d'accéder à la formation, deux chances sur trois si vous êtes un cadre. Or tout le monde va avoir besoin de compétences, les métiers se transforment, on estime à un emploi sur deux qui va être transformé dans les ... ans qui viennent, on voit bien, le numérique, transition écologique, ça touche tous les métiers, et donc c'est un enjeu pour que chacun puisse vraiment choisir sa vie professionnelle, pas subir, avoir une protection contre le chômage c'est un enjeu stratégique pour les entreprises, mais stratégique pour chacun d'entre nous. C'est pour ça que les dispositifs actuels, ils sont d'abord très compliqués, puisque, qui sait se servir de son compte personnalisé de formation ? Est-ce que vous savez... ?
ELIZABETH MARTICHOUX
Ah ben non.
MURIEL PENICAUD
Voilà.
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est resté quand même assez abstrait, d'ailleurs.
MURIEL PENICAUD
Eh bien c'est resté très abstrait, donc il faut rendre quelque chose qui est très simple pour l'usage de chacun, et puis qu'il y a...
ELIZABETH MARTICHOUX
Qui sera très individualisé, à portée de main, à portée de clic, si je puis dire.
MURIEL PENICAUD
Voilà, à portée d'un clic, d'applis, ou d'un conseil...
ELIZABETH MARTICHOUX
D'un téléphone, presque.
MURIEL PENICAUD
Ou d'un téléphone pour ceux qui sont moins à l'aise. Il faut que ce soit à portée de chacun, et puis que, voilà, on change aussi d'échelle et que ce soit beaucoup simple et beaucoup utile.
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, par exemple, il y a 66 000, je crois, organismes de formation aujourd'hui.
MURIEL PENICAUD
Oui...
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que vous allez faire, vous allez crier, pardon, trier le grain de l'ivraie ou ?
MURIEL PENICAUD
Alors, le nom, ce n'est pas le sujet, mais la qualité peut l'être. Donc on va, oui, mettre en place un système de certification pour les organismes...
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, ça veut dire qu'il y a aujourd'hui des organismes qui ne font pas de qualité, qui font de l'argent sans qualité.
MURIEL PENICAUD
Et aussi, que chacun des gens qui ont été dans un stage, eh bien ils pourront savoir combien de personnes ont eu le diplôme, s'il y en a un, combien de personnes ont eu un emploi derrière, combien ils ont été payés, et puis ceux qui ont été en formation, ils pourront témoigner aussi, vous savez comme le Tripadvisor, comme ça, la qualité, on va la réguler un peu par le haut, mais aussi par les citoyens qui pourront dire ce qu'ils pensent.
ELIZABETH MARTICHOUX
Par la base. Ça, ces premiers changements, c'est pour quand ?
MURIEL PENICAUD
Alors ça, cette appli numérique, enfin, et cet accès à l'information, ça c'est un chantier de grande échelle parce qu'il s'agit de toutes les formations, pour tous les actifs en France, donc là on en a quand même pour 12/18 mois. Et puis dans la réforme de la formation professionnelle, j'ai demandé aux partenaires sociaux de réfléchir aussi sur justement ces changements d'échelle et puis cette capacité pour chacun de pouvoir s'y repérer. Un cadre collectif, il y aura du conseil pour ceux qui le souhaitent, mais il faut que chacun soit quand même libre de ses choix et non pas soit subisse simplement ce qu'on lui propose ou ce qu'on ne lui propose pas.
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc dans 2 ans à peu près, on peut imaginer qu'il y aura cette, effectivement, cette individualisation...
MURIEL PENICAUD
Mon but c'est qu'il y ait...
ELIZABETH MARTICHOUX
... ce compte de formation sur son téléphone.
MURIEL PENICAUD
Voilà, au plus tard dans deux ans. J'espère avant.
ELIZABETH MARTICHOUX
Avec la possibilité, chacun, d'être mettre de son destin, avec quand même, parce que c'est ça le but, c'est quand même que ce soit conforme aux besoins des entreprises, sinon est sinon on rate la cible.
MURIEL PENICAUD
Oui, bien sûr. D'ailleurs c'est pour ça qu'il faudra que dans les informations, il y ait « combien en sont d'emploi » ou derrière. Mais alors, on travaille par ailleurs avec les branches professionnelles, avec les partenaires sociaux, sur ce repérage des besoins des entreprises.
ELIZABETH MARTICHOUX
Les partenaires sociaux, se sont eux qui organisent la collecte de l'argent, aujourd'hui, non ?
MURIEL PENICAUD
Oui.
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est combien d'ailleurs ? 31 milliards, c'est ça ?
MURIEL PENICAUD
Alors non. Les 32 milliards d'euros, dedans il y a 13 milliards pour les salariés, 6 milliards pour les fonctionnaires, 6 milliards pour l'alternance et 6 milliards pour les demandeurs d'emploi. Donc tout n'est pas pour les salariés.
ELIZABETH MARTICHOUX
L'apprentissage progresse ou baisse en France ? Est-ce que vous avez les derniers chiffres ?
MURIEL PENICAUD
L'apprentissage, depuis des années, est quasi stable, enfin il a baissé beaucoup il y a quelques années et il est à un étiage...
ELIZABETH MARTICHOUX
Il ne progresse pas, c'est ça la formation aussi.
MURIEL PENICAUD
Il y a seulement 400 000 apprentis en France. Et pourquoi c'est dommageable ? Ça veut dire que seulement 7 % des jeunes en France ont la chance, et je dis bien la chance, d'aller en apprentissage. Or cette 7 apprentis sur 10, 7 mois après ils un emploi, donc c'est vraiment un départ dans la vie qui est très important.
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous savez que ça fait 20 ans qu'on dit que l'apprentissage ne marche pas en France, qu'il y a des freins culturels. 20 ans, quand je dis 20 ans, c'est 30 ans.
MURIEL PENICAUD
Moi j'ai toujours entendu ça, donc voilà, mais moi je pense que les temps changent. Pourquoi ? Parce que d'abord je pense que tout le monde est concerné, dans sa famille, autour de soi, dans son voisinage, par le chômage des jeunes. Il y a un 1,3 millions de jeunes en France, qui ne sont pas en formation, pas en emploi. Donc ça c'est une priorité absolue. La deuxième chose, c'est que, avec Jean-Michel BLANQUER et Frédérique VIDAL, mes collègues de l'Education nationale et de l'Enseignement supérieur, on veut faire une réforme où aussi on pourra faire des passerelles, on pourra préparer le CAP ou le Bac Pro par l'apprentissage, revenir au lycée, revenir à l'université, repartir faire je ne sais pas quoi, l'ingénieur ou le master en apprentissage. Ça, ça va changer aussi l'état d'esprit. Parce qu'aujourd'hui, les familles, les jeunes, ils ont peur d'être dans une voie où après ils sont coincés. Il faut...
ELIZABETH MARTICHOUX
Il pourrait y avoir des bascules entre les différents statuts.
MURIEL PENICAUD
Voilà, il faut qu'ils puissent avoir des passerelles et qu'ils puissent...
ELIZABETH MARTICHOUX
Les régions, elles auront leur mot à dire ? Parce que bon, elles financent aussi beaucoup.
MURIEL PENICAUD
Les régions font partie du, évidemment, des partenaires importants.
ELIZABETH MARTICHOUX
Il y a le dossier compliqué de l'assurance chômage. Quand est-ce que vous la lancez, cette... vous avez pris beaucoup de retard.
MURIEL PENICAUD
Dans quelques jours.
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, c'est-à-dire ?
MURIEL PENICAUD
Retard !
ELIZABETH MARTICHOUX
Non mais c'est vrai, un petit peu de retard, vous pouvez l'admettre.
MURIEL PENICAUD
J'avais dit avant fin novembre, ce sera tout début décembre, je vous prie de m'excuser infiniment. Voilà.
ELIZABETH MARTICHOUX
La semaine prochaine ? La semaine prochaine vous réunissez tous les syndicats à Matignon, pour lancer la réforme ?
MURIEL PENICAUD
Ça va être dans quelques... Je dirai très bientôt quand, mais...
ELIZABETH MARTICHOUX
La semaine prochaine, quand le Premier ministre sera revenu de Nouvelle Calédonie.
MURIEL PENICAUD
Avant le 15 décembre. Voilà.
ELIZABETH MARTICHOUX
Avant le 15 décembre. Quelques questions. Emmanuel MACRON avait promis d'indemniser les démissionnaires et les indépendants, ça c'est assez populaire. Les indépendants, c'est aussi bien le médecin, que le chauffeur de VTC, que l'auto-entrepreneur ? Enfin, c'est aussi différent que ça.
MURIEL PENICAUD
Alors, c'est le travail préparatoire qu'on est en train de préparer, qu'on est en train de faire. Bien sûr, ça ne va pas concerner forcément tous les indépendants. Les médecins libéraux, ils ne demandent rien par exemple, parce que leur sujet ce n'est pas... De quoi il s'agit ? Il s'agit de d'apporter un filet de sécurité à tous, et donc évidemment les... Par contre les travailleurs qui sont sur les plateformes, des micro-entrepreneurs, des gens qui... des artisans qui font faillite, oui ça, ça peut les intéresser.
ELIZABETH MARTICHOUX
Assez compliqué comme réforme, c'est pour ça que vous prenez du temps pour consolider.
MURIEL PENICAUD
Nous n'avons pas peur d'être compliqués, si elles sont justes.
ELIZABETH MARTICHOUX
Juste, Jean-Claude MAILLY à votre place hier disait, qu'elle ne toucherait – cette réforme – ni à la durée, ni au montant des cotisations actuelles. Vous confirmez ?
MURIEL PENICAUD
C'est ce que j'avais dit aux partenaires sociaux. On ne va pas toucher le coeur du réacteur.
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc ça, ça ne bouge pas. Ça ne bougera pas, vous en prenez l'engagement.
MURIEL PENICAUD
Là on élargit à des nouveaux bénéficiaires en fait.
ELIZABETH MARTICHOUX
Eh bien on verra si ce n'était pas une prise de risques de prendre cet engagement. Les auditeurs ont beaucoup de questions à vous poser, vous les retrouvez avec Yves CALVI tout à l'heure. Merci Muriel PENICAUD.
MURIEL PENICAUD
Merci.
YVES CALVI
Questions posées au 32 10 et au 64 900, code matin. On vous retrouve après un café, Muriel PENICAUD. Merci de rester avec nous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er décembre 2017