Déclaration de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, sur la responsabilité des professionnels de l'information en matière de santé et les polémiques autour des scandales sanitaires, Paris le 27 novembre 2017.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral


Cher Richard Zarzavatdjian,
Cher Marc-Elie Weil,
Je suis heureuse d'ouvrir ces 7èmes Trophées Signature Santé, dont vous êtes les fondateurs et les organisateurs.
Si je suis heureuse d'être parmi vous ce soir, c'est parce que je sais que vous avez à coeur de transmettre à vos lecteurs, à vos auditeurs, à vos téléspectateurs, une information de qualité.
1. Or, cette responsabilité qui vous incombe est de plus en plus difficile.
1.1. D'aucuns, aujourd'hui, parlent de post-vérité, et adoptent une posture de défiance à l'égard des paroles expertes, rationnelles, qu'elles soient scientifiques, médicales, ou politiques.
Naturellement, cette défiance n'est pas tout à fait sans fondement :
- la vigilance des médias, comme l'attention des associations de patients ont été par le passé salutaires,
- comme en attestent certains scandales sanitaires mis en lumière.
Tel est le paradoxe de l'opinion publique :
- elle a, sans conteste, envie de transformation ;
- mais a parfois peur de ce qui pourrait lui arriver.
C'est pourquoi les pouvoirs publics doivent répondre à la nécessité de redonner à nos concitoyens confiance en l'avenir, nécessité plus que jamais impérieuse.
1.2. Votre responsabilité est d'ailleurs de plus en plus difficile, tant votre profession est prise entre deux feux :
- d'une part, le rythme rapide, accéléré, de l'information en continu ;
- d'autre part, la concurrence des réseaux sociaux, où règne :
* l'instantané ;
* le spontané ;
* et des informations ni vérifiées, ni vérifiables, qui relèvent bien plutôt de l'opinion personnelle.
Or, cette concurrence menace l'idéal même de vérité qui meut le journalisme au quotidien.
Cette information, en temps réel, ne laisse pas de place au recul, à la pensée complexe, à l'analyse, à la formation du sens, à la cristallisation de l'attention :
- un fait en chasse un autre, sans toujours faire droit à un ordre de priorités, à un contexte qui confère aux faits l'intelligibilité qui leur revient.
Enfin, votre profession connaît, non seulement des difficultés économiques, mais aussi un déficit de confiance de la part de l'opinion publique :
– déficit pour lequel, nous autres responsables politiques, ne sommes pas en reste.
2. Le métier de journaliste, en ce début de XXIe siècle, est donc un métier difficile. Pour autant, il n'a rien perdu de sa noblesse.
2.1. En raison même de ce climat de post-vérité, où l'opinion la plus commune concurrence sans vergogne le travail d'analyse, votre engagement est crucial.
Nos concitoyens, quels que soient leur niveau d'information, d'éducation, d'implication dans la vie de la Cité, ont tous le droit à une information de qualité, non seulement pédagogique, mais surtout qui soit vérifiée.
Votre analyse est d'autant plus essentielle que vos champs d'information touchent ce que chacune, ce que chacun d'entre nous a de plus sensible : sa propre santé, celle de ses proches, de ses enfants, ainsi que son entourage.
3. Cet engagement que vous portez, vous le savez, me tient à coeur depuis longtemps.
3.1. Il est même, pour tout dire, une des sources de mon engagement politique :
- prendre le temps d'expliquer les faits les plus complexes,
- et rendre accessible à tout un chacun les recherches scientifiques, comme la parole experte.
J'ai trop souvent vu la puissance publique, petit à petit, lâcher prise sur des questions pourtant fondamentales.
- Ne pas oser affronter dans les médias ou sur les réseaux sociaux, des adeptes de la post vérité.
Surtout, nous devons veiller :
- à ce que nos propos soient simples, sans être simplistes ;
- à vulgariser, sans pour autant laisser prospérer la parole la plus spontanée.
Nitzsche disait
« Le demi savoir triomphe plus facilement que le savoir complet. Il conçoit les choses plus simples qu'elles ne sont et en forme par la suite une idée plus saisissable et plus convaincante ».
C'est bien là la difficulté de notre époque, rapide, instantanée ou twitter a pris le pas sur certains de vos articles.
Mais il ne faut pas renoncer.
Nous devons toujours respecter notre auditoire, faire confiance à son intelligence : elle s'exprime toujours, pour peu qu'on la sollicite.
J'ai pleine confiance en vous pour m'épauler dans ce combat, où vous êtes, si j'ose dire, en première ligne.
Vous suivez cette voie étroite du journalisme, qui doit :
- refuser le sensationnalisme ;
- sans pour autant faire montre de complaisance à l'égard de la parole publique.
Cette voie étroite, c'est celle de la responsabilité.
3.2. Je pense en particulier aux polémiques entourant l'extension vaccinale.
Notre parole a été concurrencée par les réseaux sociaux, où les fausses informations circulent d'autant plus facilement, d'autant plus impunément, qu'elles ne rencontrent aucune contradiction. Comment dès lors rétablir la vérité :
- quand n'importe qui peut opposer aux études scientifiques ses propres croyances, parfois fantaisistes ?
- quand les anti-vaccins côtoient, sur les plateaux de télévision, les professeurs de médecine les plus respectés, sans relativiser la crédibilité des uns et des autres ?
- quand des célébrités ont tribune ouverte dans les médias pour endosser, sans fondement aucun, des théories du complot ?
Ces comportements sont d'autant plus regrettables, qu'il en va ici de la santé de nos concitoyens, de nos enfants.
4. Ce que vous apportez à vos publics, c'est aussi cette ouverture d'esprit, cet esprit critique aiguisé, nécessaire au plein exercice de la citoyenneté.
Vous défrichez avec vos publics de nouveaux domaines d'étude, de nouveaux champs d'interprétation.
C'est pourquoi il nous incombe de mettre en lumière celles et ceux qui osent innover, et améliorer le quotidien des Français.
Or, dans le secteur de la santé, ce ne sont pas les innovations qui manquent : la France est l'une des nations les plus innovantes, ce dont nous pouvons être fiers.
Vous savez aussi donner, redonner la parole à celles et ceux qui souffrent, qui ne sont parfois pas entendus, qui échappent aux antennes médiatiques.
- Pour les plus fragiles d'entre nous, restons vigilants.
Mesdames, Messieurs,
Je remercie une nouvelle fois les journalistes ici présents, reconnus pour la qualité de leurs travaux.
Comme tous les Français, je vous suis reconnaissante de la bataille de l'information que vous menez, contre la facilité, pour l'exigence, la probité et la rigueur.
Ce que le journaliste apporte, ce sont non seulement des faits, mais aussi des connaissances, une information vérifiée et vérifiable.
- C'est peut-être le point commun entre la scientifique que je suis et vous-même : l'idéal de vérité, qui nous distingue du régime de l'opinion, comme de celui de la croyance.
Nous le savons, les théories du complot sont comme les vers luisants : pour briller, elles ont besoin d'obscurité.
En ces temps de péril, où le doute cartésien laisse place au scepticisme buté, où le doute méthodique laisse place au doute pour douter, soyez toujours cette lumière : nos concitoyens, plus que jamais, ont besoin de vous.
Je vous remercie.
Source http://ajmed.fr, le 5 décembre 2017