Interview de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation à France 2 le 31 octobre 2017, sur la réforme de l'accession à l'université et la sélection universitaire.

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Média : France 2

Texte intégral


JEFF WITTENBERG
Bonjour à vous et on reçoit la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation. Bonjour madame Frédérique VIDAL.
FREDERIQUE VIDAL
Bonjour.
JEFF WITTENBERG
Merci d'être avec nous ce matin, on va effectivement parler du plan que vous avez présenté hier avec le Premier ministre. Est-ce qu'on peut dire que l'accession à l'université ne sera plus tout à fait universelle, est-ce qu'on peut résumer le plan de cette façon, ou au contraire vous trouvez que cette idée de sélection, il faut absolument la bannir du vocabulaire ?
FREDERIQUE VIDAL
Disons que moi ce que j'ai trouvé en arrivant dans ce ministère, c'est tout d'abord une sélection par le tirage au sort qui est absolument arbitraire et puis ce que je connaissais déjà, une sélection par l'échec qui est la plus injuste socialement. Donc nous avons passé plus de 3 mois à travailler avec l'ensemble des acteurs de l'enseignement supérieur, mais aussi les parents, les lycéens, les étudiants pour construire…
JEFF WITTENBERG
Pour aboutir à une autre forme de sélection…
FREDERIQUE VIDAL
Pour construire un plan. Non, en fait pour réaffirmer que le baccalauréat est le passeport de l'entrée dans l'enseignement supérieur, mais pour reconnaître aussi la diversité des bacheliers et que nous avions besoin de mieux prendre en compte cette diversité.
JEFF WITTENBERG
On a l'impression dans votre plan que tout va être fait pour le bonheur en quelque sorte des futurs étudiants, plus d'accompagnements en Terminale, la prise en compte du profil de chaque lycéen et de ses choix, une prise en charge personnalisée, une fois à l'université mais il y a forcément un deal pour ne pas employer un bon mot français, un échange qu'ont-ils à fournir ces étudiants en échange de ce que vous leur proposez dans votre plan ?
FREDERIQUE VIDAL
Eh bien tout d'abord, il va falloir qu'au moment de leur orientation donc globalement à partir du lycée, ils s'informent, ils s'intéressent, ils regardent qu'est-ce que… ; qu'ils soient capables en fait de passer d'une envie à un projet et à partir du moment où ils ont ce projet, le rôle des institutions, c'est de les accompagner pour réussir ce projet. On a besoin d'avoir des jeunes formés, des jeunes qualifiés en France et c'est tout l'objectif des différents plans de formation que nous mettons en place.
JEFF WITTENBERG
Madame VIDAL, vous savez bien qu'à 17 ou 18 ans, on ne sait pas toujours ce qu'on veut faire, ni comme étude et souvent encore moins comme métier, est-ce que c'est bon, est-ce que c'est juste de demander à des futurs étudiants de savoir donc, quel sera leur orientation, pourquoi on ne s'est pas inspiré par exemple du système américain qui prévoit un tronc commun dans le 1er cycle où il y a, où on peut encore changer de matières principales ?
FREDERIQUE VIDAL
C'est en fait exactement l'idée puisque la notion de spécialisation progressive de la licence, elle est inscrite dans le droit depuis plusieurs années, mais on n'avait pas les outils pour le faire. Donc là l'objectif c'est justement en fonction des aspirations, des profils de chaque lycéen et ensuite de chaque étudiant qu'on va l'aider à construire ce parcours, mais l'idée c'est qu'on puisse avoir des premières années pluridisciplinaires, mais celui qui sait ce qu'il veut faire, il veut faire des maths, il fera des maths et puis celui qui ne sait pas encore, eh bien, on peut lui proposer un parcours qui va être pluridisciplinaire.
JEFF WITTENBERG
Donc il ne pourra pas passer des maths à la sociologie en cours de cursus universitaire ?
FREDERIQUE VIDAL
L'idée, c'est que justement on soit en capacité d'associer des majeurs, des mineurs et donc finalement de s'orienter durant le premier cycle plutôt que d'être obligé de se réorienter en ayant échoué.
JEFF WITTENBERG
Alors votre plan prévoit par exemple qu'un deuxième professeur principal s'activera en quelque sorte pendant les classes de terminale, mais est-ce que vous vous êtes assuré par exemple que les enseignants sont prêts à accomplir cette charge supplémentaire, deux profs principaux, ça veut dire deux fois plus d'enseignants mobilisés ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors évidemment c'est un plan qui a été co-construit avec l'Education nationale donc bien sûr les recteurs, les proviseurs, tous les personnels de l'Education nationale ont été prévenus…
JEFF WITTENBERG
Donc aucune réticence de ce côté-là ?
FREDERIQUE VIDAL
On a écrit avec Jean-Michel BLANQUER… Je ne sais pas s'il n'y aura aucune réticence, on ne va pas forcer les professeurs à devenir professeurs principaux. Mais je suis absolument persuadée que l'ensemble du corps enseignant souhaite la réussite des élèves et des étudiants.
JEFF WITTENBERG
Alors c'est un plan ambitieux que certains saluent mais que d'autres contestent, par exemple un des syndicats de l'enseignement supérieur, le SNES Sup considère qu'il n'est pas assez financé, un milliard, vous avez annoncé ce chiffre sur 5 ans, ça fait 200.000 euros par an…
FREDERIQUE VIDAL
200 millions.
JEFF WITTENBERG
200 millions excusez-moi, ce n'est pas suffisant, disent-ils, pour accueillir les 50.000 nouveaux étudiants qui arrivent chaque année aux portes des universités.
FREDERIQUE VIDAL
D'abord peut-être que ce qu'il faut rappeler, c'est que le budget de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, a augmenté de 700 millions d'euros pour l'année 2018 et qu'il s'agit bien d'un milliard d'euros supplémentaire…
JEFF WITTENBERG
Sur le quinquennat.
FREDERIQUE VIDAL
Absolument mais, c'est quand même de l'argent supplémentaire qui va être ajouté. 500 millions d'euros pour créer des places dans les filières en tension puisque notre objectif c'est que chacun puisse trouver justement une place dans la filière de son choix. C'est aussi des recrutements d'enseignants et d'enseignants-chercheurs, c'est la reconnaissance et la valorisation de l'engagement.
JEFF WITTENBERG
Alors qu'est-ce que vous répondez à ces syndicats qui disent que ce n'est pas suffisant, notamment pour accueillir les nouveaux étudiants ?
FREDERIQUE VIDAL
Ce que je leur réponds, c'est qu'il y a deux solutions, soit on ne fait rien, soit on fait quelque chose. Et nous, notre objectif, c'est de faire en sorte que les étudiants réussissent mieux dans l'enseignement supérieur, ne soient plus tirés au sort et ne soient plus en échec.
JEFF WITTENBERG
Alors les syndicats lycéens n'ont pas également tous compris ces réformes de façon aussi positive, alors il y en a un, certes, la FAGE qui l'approuve, d'autres par exemple l'UNL et l'UNEF parlent de sélection déguisée, dénoncent eux aussi un manque de moyens et annonce une première journée d'action le 16 novembre. Vous êtes conscient qu'on a connu des mouvements lycéens pour peut-être pas moins que ça, mais pour d'autres réformes, la loi de Devaquet ou le CPE qui, eux aussi, elles aussi étaient censées améliorer les choses ?
FREDERIQUE VIDAL
L'ensemble des acteurs ont été autour de la table cet été pendant 3 mois, ça a été plus de 55 réunions, donc ce plan il a vraiment été construit…
JEFF WITTENBERG
Y compris les représentants des lycéens ?
FREDERIQUE VIDAL
Y compris bien sûr les représentants des lycéens, y compris les représentants des parents d'élèves, les associations étudiantes, donc tout le monde était autour de la table et tout a été co-construit. Alors évidemment...
JEFF WITTENBERG
Par contre vous entendez ces mots d'ordre aujourd'hui ?
FREDERIQUE VIDAL
Oui, moi je…
JEFF WITTENBERG
Et une journée d'action pour le 16 novembre.
FREDERIQUE VIDAL
Je comprends que, peut-être qu'on a besoin de faire encore plus de pédagogie, mais moi ce que je remarque c'est que les licences pluridisciplinaires, c'était une demande par exemple de l'UNEF et c'est quelque chose qui sera maintenant possible, donc il y a aussi des choses qui ont été co-construites avec l'ensemble des syndicats conventionnels.
JEFF WITTENBERG
Et vous n'avez pas peur que cette affaire se déporte un petit peu sur le terrain politique, par exemple la France insoumise ne s'en cache pas, ses militants vont aller voir les jeunes pour les mobiliser contre votre réforme, est-ce que vous allez en faire de même avec les jeunes, les jeunes macronistes par exemple pour défendre votre plan ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors ils sont déjà allés voir les jeunes, je vous assure, la France insoumise n'a pas attendu la sortie du plan pour aller dans les universités notamment parler aux jeunes. Tout le monde a le droit de parler aux jeunes, moi ce que je crois c'est qu'un jeune aujourd'hui préférera probablement le plan que je lui propose, qui va mieux l'accompagner, mieux l'aider à réussir, qu'être tiré au sort, comme l'année dernière, enfin en tout cas moi je n'ai pas rencontré une seule personne qui m'ait dit qu'elle avait envie d'être tirée au sort.
JEFF WITTENBERG
Et s'il y a une forte contestation, madame VIDAL, est-ce que la réforme se fera coûte que coûte ?
FREDERIQUE VIDAL
La réforme se fera parce que nous sommes convaincus que c'est une réforme qui est équilibrée, qui est juste et que nous sommes convaincus aussi que nous avons besoin que nos jeunes soient formés et qualifiés et donc nous allons tout faire pour ça.
JEFF WITTENBERG
Merci beaucoup Madame VIDAL.
FREDERIQUE VIDAL
Merci à vous.
Source : Service d'information du gouvernement, le 31 octobre 2017