Interview de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec Radio Classique le 22 décembre 2017, sur les élections en Catalogne, la construction européenne, la décision des Etats-Unis de transférer son ambassade à Jérusalem et sur la politique du gouvernement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Radio Classique

Texte intégral


GUILLAUME DURAND
Voici Jean-Baptiste LEMOYNE, numéro deux du Quai d'Orsay. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les sujets ne manquent pas ce matin. On croyait que c'était la trêve mais avec la Catalogne, un grand problème est posé au Quai d'Orsay. Est-ce qu'on laisse aller doucement la Catalogne vers l'indépendance ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Je crois que le résultat des élections est finalement assez contrasté et montre une Catalogne simplement coupée en deux. Quand vous regardez en nombre de voix, en réalité les unionistes sont majoritaires, 52 %, mais en nombre de sièges les indépendantistes le sont de deux sièges. On voit donc bien que ce qui se passe, c'est une fracture de la société catalane. Je pense que dans les familles d'ailleurs, c'est quasiment invivable les échos que j'ai, entre les prises de position des uns et des autres. On voit bien que du coup, je pense qu'il y a tout un travail maintenant de dialogue qui doit se mettre en place à l'intérieur de la société catalane et puis entre…
GUILLAUME DURAND
Est-ce qu'on peut jouer un rôle nous ? Quand je dis « nous », c'est la France. Et quand on parle de la France actuellement, c'est le président de la République. Est-ce qu'il a envie de jouer ce rôle-là ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Honnêtement, on est dans un cadre quand même où c'est au gouvernement central espagnol et au futur gouvernement catalan de parler ensemble et de trouver les voies.
GUILLAUME DURAND
Mais ç'a échoué. Ç'a échoué.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui mais là, je pense que quelque part Mariano RAJOY avait déclenché ces élections pour donner un nouveau Parlement. Ce nouveau Parlement, on le voit, finalement il est divisé en deux. Donc maintenant, il faut laisser quand même un gouvernement s'installer. Finalement, on ne sait pas quel va être ce gouvernement. Est-ce qu'il va être indépendantiste ? Est-ce que les différents partis indépendantistes vont réussir à se mettre d'accord ensemble ? Est-ce que les unionistes – parce que vous avez que Ciudadanos qui est un parti finalement centriste, libéral, est arrivé en tête – va prendre la main ou s'éclater ? C'est pour ça que je pense que c'est un appel véritablement à ce que les différentes parties se mettent autour de la table et quelque part, ça ne peut pas rester bloqué et figé je pense.
GUILLAUME DURAND
Emmanuel MACRON a toujours revendiqué depuis le début de sa campagne et puis son exercice du pouvoir une volonté de reconstruire l'Europe. On se retrouve avec l'Espagne qui ne va pas, l'Allemagne qui n'a pas de majorité, les Italiens qui vont voter et les Anglais qui partent. Est-ce qu'on peut reconstruire quelque chose à partir d'une situation qui est quand même plus proche de la déconfiture que justement d'une situation stable ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Je crois qu'il y avait une phrase qui disait un peu quelque chose comme : « Mon flanc droit s'écroule, mon flanc gauche va mal, je fonce » ; vous voyez ce que je veux dire ? C'est-à-dire que quelque part, le contexte européen fait que nous n'avons pas d'autre choix que de, justement, montrer la voie, mettre des propositions sur la table pour essayer de reconstruire tout ça, refonder. Effectivement le projet européen… Et vous et moi, on se souvient de l'élan de 1989, la chute du mur, cette Europe qui se réconcilie, qui se réunifie quelques années plus tard et, aujourd'hui, on voit que cette Union européenne est interrogée par les citoyens. Et vous et moi, ça nous paraît quand même bizarre. Parce que l'Europe, elle est ferment de liberté, elle est ferment de solidité dans un monde multipolaire où justement il y a besoin d'affirmer une puissance. Et donc, je pense que la vertu d'Emmanuel MACRON est de mettre sur la table énormément de propositions et, du coup, le débat se fait autour des propositions françaises. La Commission européenne a d'ailleurs fait un agenda des réformes qui a été mis sur la table également il y a quinze jours avec beaucoup d'éléments repris du discours de la Sorbonne du président de la République.
GUILLAUME DURAND
Nous sommes avec Jean-Baptiste LEMOYNE, le numéro deux du Quai d'Orsay. La France a voté contre la volonté américaine aux Nations Unies la nuit dernière de transférer son ambassade à Jérusalem. Pourquoi ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Parce que tout simplement la France est fidèle d'une part à sa position et elle est fidèle aussi à une position qui est celle de la Communauté internationale depuis des décennies. C'est-à-dire que tout simplement, il y aura une solution durable et viable.
GUILLAUME DURAND
Mais la Communauté internationale n'est pas en désaccord avec finalement la tradition historique qui fait que, dans cette région du monde, on a beaucoup d'historiens qui considèrent que Jérusalem est effectivement la capitale.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Jérusalem…
GUILLAUME DURAND
Politiquement, ce n'est peut-être pas le cas.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Vous savez, d'un point de vue religieux, c'est une capitale justement pour de nombreuses religions, pour de nombreux monothéismes. D'ailleurs, c'est le roi de Jordanie qui est le gardien des lieux saints. Tout ça est très complexe mais la vérité, c'est que si on veut une solution pérenne, il faut naturellement deux Etats qui vivent chacun en sécurité. Ça veut dire qu'il y a des garanties à donner à Israël par rapport à sa sécurité. Vice-versa, il faut que les Palestiniens aient la garantie d'avoir vraiment leur propre Etat. Et puis surtout, ce qui est prévu par les résolutions des Nations Unies depuis de nombreuses années, c'est que le statut de Jérusalem doit être défini par une négociation. Et donc, ce n'est pas des actes unilatéraux comme ceux posés par le président américain qui aident. Ça met plutôt de l'huile sur le feu.
GUILLAUME DURAND
Question : après le voyage controversé du Premier ministre, il semble que le président de la République – ça vous concerne d'une certaine manière – ait renoncé à acheter un Airbus. C'est vrai cette histoire ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Honnêtement, je n'ai pas d'information mais je trouve que la polémique qui se fait autour de ce déplacement…
GUILLAUME DURAND
Elle ne désenfle pas. Il y en a encore dans les journaux ce matin.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Franchement, écoutez, je voyage quinze à vingt jours par mois à l'étranger. Je comprends qu'un Premier ministre ait besoin d'avoir des conditions pour juste reprendre des forces et réattaquer une journée. Après, les montants sont élevés. Je comprends que ça puisse interpeller mais la vérité, c'est qu'un Premier ministre ne va pas voyager à la rame depuis le Japon. Il y a un moment l'Etat, pour qu'il fonctionne, il faut que…
GUILLAUME DURAND
Mais est-ce que ce n'est pas un emberlificotement des explications qui a abouti finalement à la polémique dans les journaux ? Pour arriver en avance, en fait c'est simplement deux heures ; pour être plus confortable, c'est 350 000 euros. Après on a dit que c'était 30 % moins cher que Manuel VALLS mais Manuel VALLS est resté beaucoup plus longtemps. On a l'impression que le gouvernement rame sur cette affaire.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Il y a un zoom sur cette affaire mais dézoomons et regardons la photo en général. La photo en général, c'est quoi ? C'est que jamais un gouvernement n'avait réduit à ce point-là les frais de fonctionnement des cabinets ministériels. Je suis bien placé, j'ai été membre de cabinet ministériel, je suis ministre aujourd'hui. Aujourd'hui, on fonctionne avec un cabinet ministériel à cinq personnes. Moi, j'ai connu des cabinets à vingt personnes. Ce que je veux dire, c'est qu'on fonctionne différemment, on ne s'appuie plus sur des directeurs d'administration centrale. Bref, on fait des économies. Je trouve un peu dommage qu'on oublie ça parce que véritablement il y a de la vertu dans la façon dont on fonctionne.
GUILLAUME DURAND
The Economist, journal libéral, considère que la France est le pays à surveiller, le pays donc le plus intéressant dans le monde. C'est assez inattendu pour un journal libéral. Ça va faire évidemment hurler de plaisir ou peut-être d'agressivité Jean-Luc MELENCHON puisque finalement les Britanniques qui sont des libéraux considèrent qu'on est devenu des libéraux, ce qui ne nous est jamais arrivé dans notre histoire politique récente. MELENCHON va dire : « Je vous l'avais bien dit, c'est une présidence libérale. »
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui. Mais vous savez, le libéralisme, c'est quoi ? C'est TOCQUEVILLE, c'est l'équilibre des pouvoirs, c'est un peu libérer les énergies dans ce pays qui en avait bien besoin. Rencontrant d'ailleurs il n'y a pas très longtemps la chambre de commerce américaine en Europe, je peux vous dire que ça interpelle et que beaucoup d'entrepreneurs d'autres pays considèrent désormais à nouveau la France comme un pays attractif pour investir, pour localiser des chaînes de production. C'est important parce que derrière c'est de l'emploi.
GUILLAUME DURAND
Sans qu'il n'y ait pour l'instant de résultat. Est-ce qu'on peut tenir longtemps lorsqu'on est responsable d'un pays en disant : « Je ne commente pas le chômage, je ne commente pas le commerce extérieur, je ne commente pas l'endettement de la France » ? Les impôts vont augmenter en 2018, c'est l'Insee qui le dit. Est-ce qu'on peut dire : « Je travaille, je transforme mais pour l'instant je ne suis pas responsable » ? Ça peut durer longtemps, ça ?
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Tout simplement, les réformes qui ont été votées, et votées au pas de charge puisque c'était cet été sur le travail, sur la fiscalité, et cætera, elles vont produire leurs effets d'ici dix-huit mois à deux ans. C'est à ce moment-là qu'il faudra regarder les évolutions des courbes. Nous, on pense, on fait le pari justement qu'en prenant ces mesures structurelles sur lesquelles de nombreux gouvernements ont buté auparavant, on aura des résultats. Mais effectivement, ce n'est pas d'un claquement de doigts. Il faut que les acteurs sur le terrain s'approprient ces lois pour pouvoir les utiliser pleinement et que les résultats arrivent.
GUILLAUME DURAND
Il y a aussi une malice parce que comme ça, dans les interventions politiques, on voit les critiques qui ont été adressées à l'émission de la semaine dernière, on voit bien qu'à partir du moment où on ne commente pas les résultats au fond, on se retrouve dans une situation qui est une situation beaucoup plus facile pour la vie politique.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Vous savez les résultats, je peux vous les commenter. Regardez : le commerce extérieur qui est mon domaine, le bilan n'est pas bon mais le bilan n'est pas bon structurellement. Structurellement depuis vingt ans. Qu'est-ce que ça révèle ? Nos exportations continuent à croître et nous, on prend des mesures pour booster ça. Le Premier ministre va annoncer des mesures au mois de janvier sur le commerce extérieur. Mais pourquoi on a un déficit persistant ? Parce que tout simplement, nos importations augmentent énormément dès lors qu'il y a de la reprise. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que notre outil industriel n'est pas adapté pour répondre à la demande française. Toutes les réformes qu'on a prises, y compris en matière de fiscalité, vont permettre, comme je vous le dis, de relocaliser, de reproduire à nouveau en France et peut-être du coup de réduire cet écart.
GUILLAUME DURAND
Le président part pour le Niger auprès des troupes françaises. Il est important de rappeler quand même le travail des soldats français dans le monde. Vous êtes le numéro deux du Quai d'Orsay, un petit mot à leur intention, ça n'a rien de polémique comme question mais c'est quand même important de le rappeler pour tous ceux qui nous écoutent ou qui nous regardent sur Paris Première.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Tout à fait. Moi d'ailleurs, dès que je suis en déplacement à l'étranger et que nos soldats sont sur le terrain dans ce pays, je vais les visiter. C'était le cas en Côte d'Ivoire, c'était le cas au Sénégal. Et donc le président de la République, ça ne vous a pas échappé, son premier déplacement au mois de mai en tant que président de la République était au Mali. Aujourd'hui, il se rend ce soir au Niger auprès des troupes également de Barkhane parce que tout simplement ce sont ces femmes et ces hommes qui nous protègent, qui luttent contre le terrorisme djihadiste sur le terrain et donc on doit leur tirer un grand chapeau.
GUILLAUME DURAND
Et c'est la préoccupation majeure des Français. Bernard SANANES nous disait que c'est ce qui a été retenu par les Français comme l'événement le plus important, le plus marquant de l'année 2017 toujours, le terrorisme à travers le monde. Merci Jean-Baptiste LEMOYNE d'être venu passer en revue tous les sujets internationaux qui sont liés à l'actualité.
JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 janvier 2018